Chapitre 23- Première Mission

Ahelys inspira et empoigna la garde de son épée. Des sensations familières lui parcoururent le bras puis l'échine. Elle se trouvait à une vingtaine de pas de l'immense villa de leur cible, un riche noble Naval. L'obscurité étouffante et les bâtiments cachaient autour d'elle ses compagnons, l'adolescente jeta un œil sur son frère et son ami. Ils posaient une main avec une assurance feinte sur le pommeau de leurs épées courtes tandis qu'un pistolet inutile pendait à leur ceinture. L'armure enfilé à la va-vite d'Adrien avait une sangle en l'air. Sans dire un mot, l'adolescente s'approcha de lui et resserra la courroie. Il la remercia d'un sourire. Leur armement n'était pas à la pointe de la technologie, mais ils arrivaient à avoir un bon équipement, grâce au pays de l'Etoile. Si les rayons des pistolets grésillaient contre leurs défenses, ce n'était pas le cas des armes blanches. Mieux valait être entraîné au corps à corps ou posséder la panoplie complète. L'étrange bouclier de Leyo lui revint en mémoire, elle n'en avait jamais vu de pareil, un bijou de l'armée sans doute. Raison de plus pour exceller au combat, pensa-t-elle.

L'ambiance était lourde, pesante. Personne n'osait parler et les rues étaient vides à cette heure ci. Le cri nocturne d'un oiseau dans un arbre proche fit sursauter Ahelys. Elle détestait cette attente, juste avant une bataille ou une mission : ce moment où l'imagination s'emballait et où la terreur l'envahissait soudain pour refluer tout aussi vite.

Les mains comprimées avec angoisse sur le pommeau des armes rangées, les rebelles fixaient les portes du domaine dans l'attente du signal. Des gardes patientaient devant l'entrée, l'allure sévère. De hauts murs couronnés de tuiles ceignaient la propriété. De l'extérieur, ils pouvaient juste deviner le toit de l'habitation et quelques hautes lumières.

Mais quelques instants plus tard, une femme venu de l'intérieur de la demeure se positionna sans bruit derrière les deux hommes et leur trancha la gorge. Ils s'écroulèrent au sol sans un cri, les yeux écarquillés. Les armes tintèrent sur le sol dallé dont les rainures se gorgeaient de sang.

Aussitôt, le meneur traversa la rue et rejoignit l'espionne, suivie des autres rebelles. Ils pénétrèrent alors dans le domaine et Ahelys ne put s'empêcher d'admirer le jardin. Les allées étaient constituées de gravier tandis que de grosses pierres étaient de chaque côté du chemin. Des arbres et des fleurs d'une grande beauté étaient enracinés dans des îlots de verdure. Une fontaine se trouvait au milieu de l'imposante cour et un petit glougloutement dominait le silence harmonieux de cette nature reconstituée. Arrivés à la fontaine, trois arches menaient à des endroits différents. En face, Ahelys devinait les contours de la villa des propriétaires et si son instinct lui dictait d'aller dans cette direction, la jeune femme qui avait tué les gardes les mena à gauche.

Bientôt, ils parvinrent à des bâtiments plus modestes. Ils entrèrent dans un dortoir où des esclaves se réveillèrent, alertés par le bruit. Quand ils virent les résistants, ils se hâtèrent de secouer leurs congénères, en tout une bonne trentaine. Bientôt, un léger brouhaha remplit la grande pièce et ils se dépêchèrent de quitter cette aile. Ahelys se plaça à la fin de la file, toujours alerte, elle bouillonnait de trouver les nobles et de les tuer. La jeune femme était si près mais si loin en même temps ! Les résistants se scindèrent alors en deux groupes à la fontaine. L'un devait accompagner les esclaves en lieu sûr et un zeppelin les amènerait à la base tandis que l'autre devait faire le plus de dégâts possibles avant de s'enfuir. Ahelys et Hermais se trouvaient dans ce deuxième groupe.

Nicolas jeta un œil inquiet sur sa sœur et son amie tandis qu'il s'éloignait avec son groupe. Mais il fut distrait par une petite fille qui vint lui prendre la main, le jeune homme regarda une dernière fois Ahelys puis se concentra sur sa tâche.

Quand elle vit son ami et son frère quitter la villa, la jeune femme ressentit aussitôt un immense soulagement et ses muscles crispés se dénouèrent d'un coup. Elle n'avait plus à se soucier de leur protection, maintenant.

La dizaine de résistants restants emprunta cette fois-ci dans le chemin de face, au grand bonheur d'Ahelys. Elle savait que la mission n'avait pas la prétention de tuer les propriétaires, mais à la moindre occasion elle s'éclipserait pour traquer le noble.

Mais à mi-chemin, un son de cloche retentit. L'alerte. Hermais jura tandis que les rebelles ne savaient comment réagir. Quand une garnison de soldats leur barra le chemin de la maison, ils n'eurent d'autre choix que sortir leurs armes.

Ahelys eut un sourire carnassier, elle espérait qu'ils en valaient la peine. Elle se plaça devant ses compagnons et lança une nuée de poignards. Un seul atteignit sa cible et le soldat touché porta sa main à son épaule. Ses confrères attinrent le groupe de rebelles et engagea le combat au corps à corps.

Je n'ai pas le temps de s'occuper d'eux, ragea l'adolescente. Cette opération devait être une réussite, une réussite complète. Le corps léger, elle évita un coup d'estoc et repoussa son adversaire d'un coup de pied dans le torse. Puis d'une impulsion mentale, elle fit apparaître ses ailes, reliées à ses nerfs. Un pincement devenu familier lui saisit les omoplates et elle bondit dans les airs sans attendre. Sans s'occuper des soldats ni des résistants, elle fonça vers la demeure. En quelques secondes, elle y était. La lumière filtrait des fenêtres et des gardes entouraient la maison. Derrières les vitres, elle devinait les silhouettes des serviteurs qui couraient, affolés. Les résidents ne tarderaient pas à quitter l'habitation par précaution. Elle ne leur en laisserait pas le temps.

Ahelys fonça dans une fenêtre du deuxième étage les ailes repliés devant elle pour éviter les éclats de verre. La jeune femme roula sur le sol du couloir et surprit une domestique qui hurla. Pendant un instant la très forte lumière l'éblouit mais elle s'y habitua vite. Dehors, elle entendit les gardes investir la maison. Elle devait se presser.

Sans s'embarrasser de futilités, elle empoigna le poignet de la jeune fille qui s'apprêtait à fuir.

— Où sont tes maîtres ? grogna la résistante.

La fille terrifiée lui pointa une porte, à l'autre bout du couloir. Ahelys la relâcha, dématérialisa ses ailes et courut vers la pièce indiquée. A peine devant, elle aperçut un mouvement du coin de l'œil. La jeune femme para de justesse la lame d'un garde fou de rage. De l'autre main, elle poignarda l'homme dans le ventre. Son adversaire eut un regard incompréhensif vers sa blessure et s'écroula au sol. Derrière lui, quatre gardes montaient l'escalier. Ahelys jura mais fonça vers ses ennemis pour les prendre de court. Elle bondit dans les airs et atterrit sur le torse d'un soldat qui se cogna la tête. Ahelys esquiva d'une pirouette les coups d'estoc d'un deuxième, se servit de la rampe comme appui et renversa le garde. Elle lui trancha la gorge et fit face aux deux derniers ennemis. Ils se trouvaient au dessus d'elle et possédait l'avantage, si elle tardait trop, des renforts arriveraient.

Ils s'apprêtaient à l'attaquer de concert mais elle lâcha alors le sabre qu'elle tenait en main. L'acte les déconcerta et elle profita de ces quelques secondes pour faire apparaître deux couteaux de tir qui foncèrent comme les crochets d'un serpent dans les poitrines des deux hommes.

Ahelys ne perdit pas de temps et ouvrit d'un coup de pied la pièce fermée à clef. Le couple recula face à cette résistante enragée. L'homme d'une cinquantaine d'année tenait d'une main tremblante une lame d'apparat, devant sa compagne bien plus jeune en pleurs, presque une adolescente. La jeune femme eut un reniflement dédaigneux, alors les mariages arrangés étaient toujours de coutume...

Elle écarta sans mal l'épée du noble qui tomba sur la moquette.

— Ne me faites pas de mal je vous en prie, j'ai toujours bien traité mes esclaves, je fais juste du commerce, vous savez, je...je, balbutia-t-il en tombant à genoux.

— J'en suis certaine, susurra la rebelle.

L'espoir se lit sur le visage de l'homme. Et d'un geste sans hésitation, Ahelys trancha la tête du Naefilien.

L'épouse poussa un horrible cri et s'évanouit. La rebelle ne s'en occupa pas et saisit la tête décapitée par les cheveux. Un bruit derrière elle la fit se retourner, la pointe de l'épée pointée sur un garçon d'une dizaine d'années, les yeux exorbités. La jeune femme comprit qu'il était le fils du couple, mais n'éprouva aucun remords. Malgré tout elle n'avait pas la cruauté de le tuer. Elle s'approcha et s'accroupit pour être à la hauteur du gamin.

— Hais-moi. Hais-moi de tout ton être, car j'ai tué ton père. Mais je n'ai que purgé cette terre d'un de ses nombreux parasites. Hais-moi, car je te hais. Dis-leur, dis leur que je suis revenue. Que Ahelys l'Expérience est revenue, murmura-t-elle.

Puis la tête de son père en main, elle brisa une nouvelle fois la grande vitre de la pièce et fonça vers les combats qu'elle avait quittés. Elle craignait de voir ses compagnons décimés mais son inquiétude se révéla infondée car les rebelles menaient la danse. Seuls trois gardes tenaient encore debout et luttaient encore. Dans ses propres rangs, la jeune femme compta pourtant des pertes, ils avaient perdu la moitié de leur effectif et n'était plus que sept. Elle chercha avec inquiétude Hermais et le repéra debout, couvert de sang mais apparemment indemne.

Ahelys se posa derrière les soldats restants qui se retournèrent, médusés. Elle brandit la tête de leur employeur et leurs visages se décomposèrent. Du côté des résistants, un cri de victoire jaillit de toutes les gorges.

— Ceci n'est qu'un avant goût de ce que vous allez subir, Naefiliens ! Tremblez devant nous, tremblez devant moi ! Prévenez l'Empereur, dites-lui qu'Ahelys est revenue ! Dites-lui que la Libération se trouve maintenant juste derrière elle, dans sa propre ombre !

La jeune femme abandonna la tête décapitée, rejoignit ses compagnons et ordonna :

— Nous devons partir, des renforts vont arriver et nous ne serons pas de taille cette fois-ci.

Ils se hâtèrent de quitter le domaine, avec un regard désolé aux cadavres de leurs amis qu'ils ne pouvaient récupérer. Aucun soldat ne les poursuivit, exténués. Malgré leur épuisement, les rebelles coururent dans les rues et évitèrent les grandes avenues illuminées jusqu'à rejoindre une petite maison, dans les quartiers d'esclaves. Une femme âgée leur ouvrit et les mena à son sous sol. Alors que la porte se refermait, une sirène de police retentit dans une rue proche. Leur méfait était maintenant connu. Les résistants changèrent leurs vêtements ensanglantés pour des habits propres et abandonnèrent leurs armes et armures qui seraient ramenés au repaire plus tard. Ils commencèrent alors à partir par trio toutes les dix minutes, pour éviter d'être suspecté.

La pièce était plutôt petite et puait l'humidité. La peinture craquelait sur le mur et Hermais s'amusa à enlever des morceaux, assis au sol malgré le canapé et les chaises de bois. Peu de temps après leur installation, des enfants curieux les espionnèrent depuis le haut de l'escalier, mais leur grand-mère les renvoya vite dormir à l'étage.

Les rebelles coulaient un regard admiratif sur Ahelys et la félicitèrent pour son exploit, mais elle ne s'en préoccupait pas, épuisée. Bientôt, il ne resta dans le sous sol qu'Hermais et elle. Il ne lui avait pas dit un mot flatteur, ne la regardait pas avec adoration, il s'était juste assis sur le canapé à côté d'elle quand les autres étaient partis. Elle lui en était reconnaissante.

— J'aurais aimé être avec toi pour voir le désespoir dans ses yeux, comprendre que les êtres qu'il croyait faibles l'ont tué. Dis-moi, la prochaine fois, tu m'emmèneras ? demanda Hermais, le visage grave.

— Je te le jure, lui assura l'adolescente, décontenancé par la demande.

Elle plongea son regard dans celui du jeune homme comme pour fixer cette promesse. Le résistant détourna les yeux pour inspecter sa montre et se leva.

— Nous pouvons y aller.

La jeune femme hocha la tête et ils montèrent la volée d'escaliers. Après de brefs remerciements à l'associée, ils s'élancèrent dans les rues éclairées par des lampadaires. Le pas vif, ils ne rencontraient personne à cette heure tardive mais parfois, ils apercevaient de la lumière à travers les fenêtres des immeubles ou des maisons. Quelques rues plus loin, ils pénétrèrent dans un garage grâce à des clés et récupérèrent une voiture. Hermais la déverrouilla et prit le volant. Ils traversèrent ainsi toute la ville et évitaient les patrouilles de police qui rôdaient dans la ville après leur opération. Dès qu'ils entendaient la sirène caractéristique, ils passaient par une autre route.

Une demi-heure plus tard, ils se garèrent devant le bâtiment abandonné qui leur servait de repaire pour cette mission. Les phares du véhicule s'éteignirent et les plongea dans l'obscurité. Mais ils devinaient la lumière à l'intérieur du bâtiment et n'eurent pas de mal à s'orienter.

A l'intérieur, quelques lampes faisaient office d'éclairage et les ombres des résistants s'étendaient dans la pièce, comme d'immenses monstres d'encre. A peine arrivés, Nicolas se précipita vers sa sœur et la prit dans ses bras. Quelques pas plus loin, Adrien offrit une mimique d'excuse à l'adolescente. Surprise de cette marque d'affection, mais malgré tout touchée, elle le repoussa doucement.

— Ils nous ont raconté ton...exploit, chuchota son frère, les yeux brillants.

Le mot exploit sonna d'une manière étrange dans la bouche du jeune homme et Ahelys comprit qu'il n'était pas vraiment d'accord avec son geste. Elle haussa les épaules et tapota la tête de Nicolas.

— Tu sais, ces bouffons n'auraient jamais pu me tuer, pas la peine de t'inquiéter pour si peu.

— Oh c'est sûr qu'avec ton arsenal, s'exclama le jeune homme avec un rire.

Il avait repris ses esprits mais la résistante voyait toujours cette lueur dans son regard. La peur de la perdre, peut-être.

Elle s'assit à côté de ses amis avec un soupir. Son corps était fourbu et elle était exténuée. Pourtant, son acte la remplissait d'une assurance et d'une détermination sans limite. Les résistants survivants l'observaient tous d'un œil nouveau. Elle savait que dès le lendemain, son retour serait connu dans toute la ville, puis s'étendrait tel un virus sur l'ensemble du continent. Bientôt, son nom serait craint par ses ennemis et acclamé par ses alliés. Ahelys le pressentait.

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