Chapitre 2- Soirée Noire
« Notre aventure commence dans un bar sur Terre, durant une soirée entre trois amis.... »
Apolline pointa un doigt victorieux vers son frère. La bouche pleine, elle tentait de communiquer par signes. Elle avala avec effort, les yeux fixés sur son assiette vide. La chevelure rousse cacha le visage constellé de tâches de rousseurs, éclairé par des yeux verts ensorcelants. Les rares personnes qui avaient soutenu ce regard plus de quelques instants, avouaient ensuite que ces prunelles vert émeraude semblaient abriter toute la lassitude du monde. Enfin, leur avis changeait bien vite quand ils remarquaient la franchise explosive d'Apolline. « Parfois, j'ai l'impression de vivre au milieu d'une foule d'hypocrites, des plus ignorants aux plus ignobles » expliquait-elle quand on lui reprochait son manque de tact.
L'adolescente se redressa pour s'exclamer enfin :
- J'ai fini mon plat avant toi, pari tenu Nicolas !
Dépité, le jeune homme lâcha sa fourchette dans son assiette presque terminée. Ses cheveux bruns, à la coupe simple, encadraient de grands yeux noisette. Sa peau pâle contrastait avec le bleu nuit de sa veste en jean indémodable. Il conservait un éternel air malicieux, avec un sourire si rusé qu'il n'inspirait plus confiance à personne. « Ils font bien de se méfier de moi. Car je suis toujours à côté d'eux, à mesurer le bon moment » avait-il confié un jour.
Il lui tendit les cinq euros promis. Mais sa sœur l'entendit grommeler « je suis sûre qu'elle a triché, je gagnerai la prochaine fois. De toute façon elle va avoir mal au ventre après ». Installé sur une chaise en face de Nicolas, leur ami déclara :
- Vous pouvez arrêter un instant vos gamineries, vous me faites honte.
- Allez Adi, on eu notre bac avec mention, on a le droit de ressembler à des gamins de huit ans après toute cette période de stress ! répliqua Apolline.
Adrien poussa un long soupir, avant de déclarer forfait, les mains levées. Ses lunettes rondes glissèrent sur son nez et il les replaça avec bonne humeur. Malgré sa vue pas trop mauvaise, il refusait de mettre des lentilles de contact ou mettre une autre paire que ses vieilles montures démodées. « Un souvenir de ma mère » racontait-il lorsqu'on lui en demandait la raison. Ses yeux bleus en amande paraissaient toujours sérieux, et ses cheveux blonds indomptables lui conféraient un air de lion.
Ses deux amis poussèrent une exclamation de victoire, et s'attirèrent un instant le regard des autres clients. Mais ceux-ci reconnurent les trois adolescents et leur firent un discret signe de la main. Nicolas et Apolline répondirent avec enthousiasme.
Quelques tables couvertes de nappes en tissus imprimés les entouraient, avec des couverts inutilisés. Malgré le temps doux et le ciel sans nuage, le restaurant n'accueillait pas beaucoup de clients.
Le café Lumières avait ouvert ses portes trois ans auparavant. Le seul éclairage du restaurant restait celui du jour, et le soir, des bougies toutes plus colorées les unes que les autres étaient installées sur les tables. La décoration pouvait changer du jour au lendemain, selon le bon vouloir de la patronne, mais les murs demeuraient toujours multicolores. Tout dans ce café présentait des nuances vives ; les assiettes, les verres, le gramophone qui marchait de temps à autre, le comptoir, les nappes, le sol dallé, et même les habits des trois pauvres serveurs.
Au départ, les trois amis avaient été attirés par le nom de l'établissement, tout proche de leur lycée. L'enseigne noire arborait fièrement le titre du café, écrit en jaune vif avec le petit dessin d'une bougie, à la place du « i ». Depuis la découverte du restaurant, les lycéens le fréquentaient au moins une fois par semaine, toujours après les cours.
Mais en ce 17 juillet, jour des résultats du bac et grand moment de stress, puis de joie, ils avaient décidé de terminer cette journée en beauté et de dîner au café Lumières. Une première en trois années de loyaux chocolats chauds et capuccinos. Leurs parents, bienveillants avaient accepté, comme toujours.
- Dites, vous ne voulez pas qu'on commande autre chose que de l'eau ou du soda ? proposa Nicolas.
Il venait de jeter un regard intéressé vers la bouteille d'alcool, posée par un serveur sur la table voisine.
- Le lendemain de nos dix-huit ans ne doit pas forcément signer notre première gueule de bois !
Venait de répliquer Adrien d'un air exaspéré, tandis qu'Apolline acquiesçait d'un air vif. Son frère gonfla les joues comme un petit enfant et entreprit de bouder.
Mais ce jour était bien celui de leur dix-huitième anniversaire. Cette coïncidence les avait amusés au tout début de leur longue amitié au collège.
- Oh, vous avez déjà mangé ? je voulais vous faire goûter mon nouveau plat pour l'occasion ! s'exclama la patronne, au bout de la table.
Sa tenue colorée mettait en valeur la couleur chocolat de sa peau. Ses cheveux bleus punk la rajeunissaient de quelques années, malgré ses rides.
Nicolas fit la moue, et déclara avec prudence :
- Mélissa...Je préfère que quelqu'un goûte tes plats, avant de les manger.
La femme fit semblant de s'indigner.
- Et dire que parfois je ne vous faisais pas payer, bande d'ingrats !
Elle saisit les plats et s'éloigna. Quelques secondes plus tard, un beau serveur brun au sourire charmeur s'approcha de leur table. Il devait avoir la vingtaine. Il avait pris ce poste quelque mois auparavant, et jetait de fréquents et timides coups d'œil à Apolline.
- J'imagine qu'elle vous a parlé du plat... Il est infâme, mais ne dîtes pas que je vous ai dit ça sinon Mélissa me tuera ! plaisanta-t-il.
L'adolescente fut la seule à rire de sa blague, son frère avait le visage fermé et son ami fixait un point dans le vide, désintéressé.
Lorsque le serveur revint leur apporter l'addition, Apolline proposa de lui donner son numéro de téléphone. Elle fut surprise de voir le jeune homme rougir et bégayer un oui, à peine audible.
23h00 sonnaient lorsque le groupe quitta la douce chaleur du restaurant. Ils frissonnèrent dans un même mouvement et se dirigèrent à pied vers leurs maisons, au confort douillet. La voûte étoilée leur apparut bien pâle, seules quelques lumières émergeaient.
Ils discutaient à voix basse, soucieux de ne pas déranger la tranquillité du quartier.
Un promeneur marchait à contre-sens, il les croiserait dans peu de temps. Apolline s'apprêtait à lui souhaiter une bonne soirée. Mais elle intercepta du regard la main que venait de porter l'inconnu à l'intérieur de sa veste. Il en sortit une lame longue, fine et meurtrière.
L'adolescente resta tétanisée de stupeur. Adrien saisit le bras de son amie et lui cria quelque chose. Mais elle n'entendit son ami lui intimer de fuir. Le son était étouffé, trop lointain, trop incompréhensible. Elle percevait juste les battements désordonnés de son cœur. Le poids de tout son corps lui semblait infiniment lourd à porter, ses genoux tremblaient. Elle faillit s'écrouler. Son esprit restait bloqué sur cette vision surréaliste. Ses muscles lui crièrent de fuir, elle obéit.
Sa course était chaotique. Chaque foulée lui semblait laborieuse, faite dans une rivière au courant herculéen.
L'adolescente avait oublié son frère et son ami, mais ils fuyaient à ses côtés. Incapables de se retourner, ils gardaient l'esprit et le corps tendus vers l'avant.
Peut-être que le fou les rattrapait, peut-être se trouvait-il juste derrière eux, son couteau prêt à transpercer les chairs.
Alors que le désespoir et la volonté de survivre s'affrontaient dans la tête d'Apolline, une voiture venue du bout de la rue les éblouit et se stoppa devant eux. La portière arrière s'ouvrit et un cri jaillit de l'intérieur :
- Montez !
La lycéenne ne réfléchit pas, elle s'engouffra dans la voiture et s'écroula sur la banquette. Quelques secondes plus tard, Nicolas et Adrien la rejoignirent. A bout de souffle, ils s'observèrent, stupéfaits d'être encore vivants. Mais plus important, qui était leur mystérieux sauveur ?
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