Chapitre 19- Nouveau départ




Les heures passèrent dans le petit habitacle paisible. Les adolescents épuisés par les derniers jours s'enfoncèrent dans un sommeil réparateur qui dura la quasi-totalité du voyage. Quand Ahelys se réveilla, l'esprit encore embrumé, le soleil avait déjà exécuté toute sa tâche et s'apprêtait à disparaître à l'Est. Les deux lunes d'Urissa régnaient maintenant dans le ciel sombre.

A l'avant, la jeune femme perçut une discussion sans importance. Les phares de la voiture éclairaient le chemin de terre et quelques mauvaises herbes, ils se trouvaient dans la nature profonde où des racines commençaient à pointer sous le sol fissuré. Des deux côtés de la route, des formes sombres s'épanouissaient, arbres et buissons.

Sealvey se retourna, prêt à réveiller les adolescents. Quand il vit Ahelys consciente, il lui ordonna :

—    Nous sommes presque arrivés, réveille tes amis.

—    Ne me parle pas sur ce ton, grogna-t-elle.

—    Je suis plus gradé que toi, désormais. Tu n'as d'ailleurs aucun grade à ce jour, publiquement, tu es morte, répliqua le jeune homme.

—    Ca ne durera pas, murmura Ahelys entre ses dents.

—    Je n'en doute pas, sourit son ancien ami.

La résistante détourna le regard et s'empressa de réveiller les Terriens pour échapper aux yeux de Sealvey. Les deux adolescents grommelèrent mais quand elle leur annonça leur proche arrivée, ils se montrèrent moins grognons et une atmosphère d'excitation mêlée d'inquiétude envahit l'habitacle. Nicolas et Adrien allaient découvrir un nouveau monde, une nouvelle organisation qu'ils croyaient sûrement idyllique.

Mais Ahelys revenait d'un long exil. L'héritier avait raison. Elle était morte pour la plupart et une traîtresse pour les restants. Elle redoutait la réaction des résistants quand ils la reverront. La jeune femme devinait la reconquête, dure et lente de ses fidèles, à moins d'un coup d'éclat. A moins d'un coup d'Etat. Ce rapprochement de mots la fit sourire, mais cette phrase s'était néanmoins imposée comme une évidence. A peine arrivée, elle comptait déjà réformer l'organisation, en prendre la tête ? Sans même savoir les changements opérés ces quatre dernières années ? Elle rangea l'idée dans un coin de sa tête, perturbée par cette soif de pouvoir soudaine.

A peine une dizaine de minutes plus tard, des troncs échoués sur le chemin entravèrent leur progression. Hermais poussa un soupir de contentement et s'exclama :

—    Ah, enfin arrivé !

Les adolescents le regardèrent médusés tandis qu'il sortait de la voiture avec Sealvey. Avant d'actionner la portière, Ahelys leur fit part de ses pensées :

—    J'imagine que cela camoufle le passage vers la base.

—    Tout juste, répliqua Hermais.

Le jeune homme avait sorti une espèce de lampe torche de sa poche. Il pointa l'appareil vers le ciel étoilé et après un déclic, une vive lumière en sortit puis éclata dans le ciel comme un feu d'artifice.

—    J'ai envoyé le signal de détection, les guetteurs ne devraient pas tarder à venir nous récupérer.

En effet, après à peine une minute d'attente, deux résistantes surgirent des fourrés. L'une portait son épée au poing avec une allure de guerrière. Les traits durs, les cheveux coupés courts, cette femme d'une trentaine d'années imposait le respect. Derrière elle, une jeune à peine sortie de l'adolescence la suivait et regardait son aînée comme une déesse. Après une brève reconnaissance, Hermais serra l'avant-bras de la combattante en guise de salut. Quand la rebelle d'âge mûr reconnut Ahelys, elle eut d'abord un mouvement de recul puis cracha au sol.

—    Que viens-tu faire ici, après nous avoir abandonné ! Où étais-tu toutes ces années ? gronda-t-elle.

Sa compagne, moins violente, écarquilla les yeux. Elle n'avait entendu de cette guerrière aux cheveux de feu que des rumeurs. Certaines parlaient de son héroïsme, d'autres de sa disparition. Mais tous vantaient sa détermination à libérer leur peuple opprimé.

Ahelys garda le silence. Répondre ne servirait qu'à alimenter la rage de la résistante. Néanmoins elle se tint droite et fière, le menton levé. Pendant un instant, Sealvey revit son ancienne amie, bien avant que la haine ne l'ai empoisonnée entièrement. Quand elle s'entraînait encore au palais, et qu'il l'espionnait en cachette. Elle portait avec orgueil son épée, l'esprit encore empli de justice et de valeurs. Mais ce temps était depuis longtemps révolu, il le savait bien.

—    Aucune importance, ce n'est pas à moi de décider de ton sort, déclara à regret la militante.  Tu apportes de nouvelles recrues, Sealvey ? reprit-elle, les yeux rivés sur Nicolas et Adrien.

Sans lui laisser le temps de répondre, elle se tourna vers sa protégée et lui transmit des directives. La jeune fille  fouilla dans les broussailles et activa un levier caché. Tout le pan de la route devant les troncs coupés se déroba et dévoila une pente.

Hermais remit les clés sur le contact et fit avancer le véhicule.  Après avoir traversé un couloir souterrain ébloui par la lumière froide de néons, ils passèrent une porte protégée par un test d'empreinte. Aussitôt derrière étaient postés deux gardes, assis à une table, en train de jouer à un jeu de carte. Leur guide soupira face à ce manque de vigilance puis fracassa  son poing sur la table. Les cartes s'envolèrent et les deux hommes levèrent des yeux anxieux vers leur vice-capitaine.

—    Vous mériterez d'être suspendus vous deux ! tonna-t-elle. Mais j'ai plus important à faire que de vous punir.

Un des gardes avait jeté un œil aux nouveaux venus et avait averti son compagnon avec un coup de coude. Désormais, ils fixaient tous les deux Ahelys avec ébahissement. Leur supérieure secoua la tête et leur intima de reprendre leur surveillance. Elle se retourna vers les résistants.

—    Je vais vous mener au Général Lyori.

—    Nous connaissons le chemin, lui assura Sealvey.

La vice-capitaine lui jeta un regard mauvais.

—    Je suis chargée de la sécurité de cette base, et ma mission ne sera effectuée que lorsque je l'amènerai devant votre Général. Je ne connais rien à vos petits affaires, ni pourquoi elle se trouve là, et je ne m'en mêlerai pas.

La femme tourna le regard un instant pour aboyer des ordres à la jeune résistante qui sursauta et s'empressa de rejoindre un membre de sa section  pour regagner l'extérieur et continuer la garde.

Sealvey n'eut pas la folie de refuser et se dirigea sans plus tarder vers le bureau de son Général. Ils parcoururent les couloirs gris, le sol recouvert d'un plancher de mauvaise qualité. Les fenêtres étaient barrées par des planches de bois, aucune lumière ne  filtrait de l'extérieur, le bâtiment devait être abandonné depuis longtemps et aucun travaux de réparation n'avaient été repris depuis.

Ils croisèrent des rebelles qui scrutaient avec méfiance Ahelys mais n'osaient s'approcher. L'air peu aimable de leur guide dissuadait les curieux. Ils arrivèrent bien vite au cabinet du Général Lyori. La résistante qui les accompagnait jusque-là les salua et tourna les talons.

—    La légende dit qu'elle partait pour enguirlander d'autres malheureux soldats, souffla Nicolas.

Hermais étouffa un rire tandis que les autres levaient les yeux au ciel, excédés par l'éternelle bonne humeur de l'adolescent.

Sealvey s'apprêtait à toquer, mais Ahelys l'interrompit avec une interrogation qui lui trottait dans la tête depuis leur arrivée.

—    Juste une question. Les mêmes Généraux sont toujours en poste ?

—    Non, seul le Général de la stratégie est resté. Ceux que tu as connus ont été capturés ou sont morts durant la bataille.

La jeune femme hocha la tête, le visage sombre. Sealvey prévint donc son arrivée et ils entrèrent dans le bureau.  La pièce, sobrement décorée possédait déjà plus d'allure que les couloirs. Un tapis blanc étendu au sol redonnait une ambiance plus fraîche. Les murs, repeints présentaient une modeste bibliothèque et un dessin d'enfant avait été épinglé au mur. Au milieu de la salle, un bureau avec des piles de papiers et de rapports. Le Général, en pleine réflexion, posa son stylo et se leva pour saluer les nouveaux venus. L'homme, entre deux âges avait la prestance du vieux lion, serein et puissant. La barbe brune avec quelques cheveux blancs cachait en partie une cicatrice qui courait le long de sa joue. Ses yeux noirs s'attardèrent sur Ahelys et les Terriens, puis remarquèrent l'absence de Leyo. L'homme fronça les sourcils.

—    L'opération ne s'est pas déroulée comme prévu, à ce que je vois.

—    Non. Hermais et moi étions à la lisière de Neiky puis nous avons perdu le contact de l'équipe dans la forêt de Nerelfort, censée secourir Ahelys. Ils ont tous été anéantis par une bombe d'un avion de chasse. Leyo s'est...il s'est sacrifié pour qu'ils puissent s'échapper, rapporta Sealvey

Le général soupira et posa son menton sur ses mains jointes.

—    Tu me feras un rapport détaillé, comme d'habitude, ordonna-t-il.

Puis il se tourna vers les Terriens et s'excusa :

—    Navrés que vous soyez mêlés à tout ceci, je ferai tout pour que vous puissiez retourner sur votre planète.

—    Inutile, rétorqua Nicolas. Nous voulons rester ici et aider la Libération.

Lyori eut une moue dubitative mais ses paroles se firent rassurantes :

—    Vous avez besoin de temps pour réfléchir à ce que cela signifie. Mais je crois que pour le moment, tu as besoin de soins.  Hermais, conduis- les de suite à l'infirmerie puis trouve leur une chambre.

Nicolas porta machinalement une main à ses bandages. Durant ces dernières heures, il avait presque oublié sa blessure. Hermais, grave, hocha la tête puis avec les deux adolescents, il quitta la pièce.

—    Sealvey, tu peux aussi aller te reposer, je dois parler avec Ahelys, le renvoya poliment le Général.

Le jeune homme jeta un regard inquiet à son amie, mais il la savait entre de bonnes mains. Il salua son supérieur et les laissa seuls. Lyori se leva et sortit une bouteille d'un vieil alcool d'un tiroir, qu'il versa dans un verre. Il en proposa à la résistante, qui refusa d'un geste de la main.

—    Seul moi, les autres Généraux ainsi que Sealvey et Hermais sont au courant de votre situation, rapportée par Leyo. Je suis d'ailleurs navré pour votre père. Comme vous avez pu le constater, de nombreuses rumeurs circulent sur vous, et beaucoup d'entres elles sont négatives. Nous allons organiser une entrevue avec les autres Généraux et informer le reste des résistants du nécessaire, mais je pense que votre réputation vous suivra encore un peu malgré tout, déclara-t-il.

—    Peu importe, ils se feront bientôt une idée de moi par mes actes, répliqua Ahelys.

—    Vous étiez bien dans ce service avant la Bataille n'est-ce pas ? Je serai heureux de vous réintégrer dans ma section et de travailler avec vous, sourit le Général.

Il lui tendit la main, et elle la serra avec force. La discussion terminée, la jeune femme allait tourner les talons mais l'homme l'arrêta:

—    Je connais votre ancienne amitié avec mon capitaine, Sealvey. Ne lui tenez pas trop rigueur de ses choix, et comme vous l'avez dit tenez compte plutôt de ses actions au sein de la Libération. Il a gagné soutien, amis et gloire malgré son statut.

Ahelys assentit à contrecœur puis s'élança en dehors du bureau. Adossé au mur l'attendait Sealvey, les bras croisés.

—    Je ne t'ai pas demandé de patienter, lâcha la résistante.

—    Non mais avec les rumeurs sur toi, il ne vaut mieux pas que tu te balades seule, ou il risque vite d'avoir des cadavres sur ton chemin, je connais ta susceptibilité.

La jeune femme esquissa un sourire et suivit son ami dans les couloirs.

—    Je te conduis directement à ta chambre ? Il y en avait des libres, tu n'auras pas à supporter une voisine.

—    Merci de l'attention, maugréa-t-elle. Tu as eu le temps de tout prévoir en quelques minutes ?

—    Non, j'ai demandé à quelqu'un de vérifier, répliqua-t-il avec un clin d'œil.

Sur leur passage, les deux amis récoltaient des œillades inquiètes et bientôt, ils entendirent des chuchotements. Une heure s'était écoulée depuis leur arrivée, le retour d'Ahelys était  maintenant connu dans les coins et les recoins de la base. Arrivés devant la chambre de la jeune femme, ils se séparèrent.

—    Si jamais il y a un problème, je suis dans la chambre 33 au bout du couloir. Ton frère et ton ami sont dans le couloir 4, chambre 6. Tu pourras changer au bout de quelques temps si tu le souhaites, mais s'il te plait, pas avant que les rumeurs sur toi ne se taisent.

Le ton du jeune homme était si grave qu'Ahelys commençait à s'inquiéter des racontars sur son sujet. Des mauvaises informations pouvaient vite pousser une foule à commettre le pire, sans raison. Si facilement manipulable, elle le savait.

—    Je ferai attention, promit la résistante.

Elle le salua et entra dans sa chambre. Spartiate, la pièce contenait un lit simple, une commode une table et une chaise en métal. Ahelys ne s'en plaignit pas et s'allongea sur le matelas, éreintée malgré sa sieste dans la voiture.

La jeune femme somnolait quand le bruit d'un objet jeté contre la porte la réveilla. Quelques secondes plus tard, elle entendit le cri lancé :

—    Retourne dans les bras de Neferlme, sale traînée !

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