Chapitre 15- Les Alliés

           

Sans attendre de réponse, les deux rebelles empoignèrent leurs armes. L'un possédait deux longs fusils, des vieux modèles, l'autre avait sorti de son fourreau deux longues épées. Tout se passa en quelques secondes. Les soldats devant Ahelys s'écroulèrent, la gorge tranchée.

Quelques mètres derrière les adolescents, un des deux militaires se mit à couvert derrière un mur, mais le deuxième se prit de plein fouet les balles du rebelle.

Leurs sauveurs se précipitèrent vers eux et l'un s'occupa de porter Nicolas. Les fuyards s'élancèrent à la suite des résistants. Ils couraient dans les couloirs, avec seule pensée leur liberté. Des gardes pouvaient surgir de tous les côtés. Mais les fugitifs continuèrent leur chemin sans croiser personne.

Bientôt, ils se trouvèrent devant la cage d'escalier.

Dans une galerie proche, des bruits de bottes et des cris se firent entendre. Le résistant aux épées se posta devant la porte, les armes sorties.

—    Allez-y, je vous rattraperai.

Son compagnon hocha la tête et il entraîna les Terriens vers le toit. Les marches blanches se succédèrent, interminables.

Des bruits de lutte éclatèrent plus bas et Ahelys coula un regard inquiet vers les étages précédents. Leur guide semblait sûr de la réussite de son collègue. Mais seul, réussirait-il à les mener à bon port ? D'ailleurs, la jeune femme se demandait comment ils les avaient retrouvés. Elle s'apprêtait à poser la question mais l'homme lui coupa la parole.

—    Désolé, mais les interrogations, ça sera pour plus tard. Déjà, faut sortir de cet hôpital.

L'adolescente hocha la tête à contrecœur et ils continuèrent à avaler les marches pour gagner le toit. La porte se profila et à bout de souffle, le résistant poussa le battant. Du haut de l'édifice, ils pouvaient contempler une bonne partie de la ville et de la muraille. L'obscurité naissante engloutie face aux lumières des rues et des maisons entre lesquels gambadaient des habitants.

Le résistant les mena au bord du toit. Une planche avait été tendue entre deux bâtiments, dix mètres à peine les séparaient des autres constructions parfois collées les unes aux autres.

—    Passez devant, j'attends mon capitaine.

Il laissa Nicolas descendre et le poussa vers Ahelys. D'un geste de la tête, il les enjoignit à marcher sur la planche. Adrien traversa le vide avec une légère hésitation, bientôt suivi de son amie. Pendant une dizaine de secondes, la jeune femme eut l'impression de voler, sur ce fil tendu. Mais le poids de son frère la ramena à la réalité et elle se dépêcha de rejoindre l'autre côté.

A peine avait-elle posé le pied sur le rebord qu'une explosion retentissait dans l'hôpital.  Les trois adolescents se couvrirent le visage face au souffle brûlant.

L'autre rebelle sortit de la cage d'escaliers, des traces de brûlure sur la cape et des estafilades sur les bras, en apparence rien de rave. Il rejoignit son compagnon et ils franchirent chacun leur tour l'espace entre les deux bâtiments. Le dernier replaça en hâte la planche sur le toit.

Ils reprirent leur fuite entre les toits dans le début de la nuit. Par chance aucun militaire ne semblait les avoir repérés.

Les fuyards empruntèrent une échelle et retrouvèrent le sol pavé de la ville. Ils étaient descendus dans une ruelle sombre, des caisses de bois, de métal et des poubelles traînaient dans les coins. Il régnait là une odeur nauséabonde, personne n'aurait eu l'idée d'y mettre les pieds.

Seulement ici, ils se permirent une pause. Ahelys s'écroula sur une caisse en bois à proximité et rejeta la tête vers le ciel. La jeune femme avait dû porter Nicolas durant leur escapade sur les toits. Le souffle court et le dos en morceaux, elle fixa quelques instants la voûte étoilée.

Un des rebelles s'approcha et la tira de sa contemplation, il tenait dans ses mains gantées un foulard. C'était celui qui avait combattu les gardes. Elle tenta d'apercevoir son visage mais il prit soin de le lui cacher. Depuis le début, elle le trouvait suspect et sa voix lui rappelait quelqu'un. Peut-être était-il un ancien ami, ou un ancien ennemi. Elle n'en saurait pas plus maintenant.

D'un ton neutre, le résistant lui tendit le tissu et se justifia :

—    Pour cacher ton visage et tes cheveux. Ce n'est pas nécessaire pour tes amis.

L'adolescente saisit l'étoffe avec un remerciement et l'ajusta sur sa tête. L'homme resté sur le toit donna une tape dans le dos de son supérieur qui s'était éloigné.

—    Sensationnelle cette explosion !

L'intéressé rit puis se tourna vers les Terriens, les mains sur les hanches.

—    J'imagine que vous avez beaucoup de questions. Mais nous devons nous presser de rejoindre la boulangerie de l'Aube pour gagner une base. Mais je peux au moins répondre à l'une de vos questionnements. Nous vous avons retrouvés grâce à des mouchards installés sur vos habits par Leyo, en cas d'imprévu...

Le volume de sa voix baissa à la dernière phrase. Un silence s'installa, comme pour commémorer la mort du sacrifié. Nicolas cassa le silence, il s'était levé, la main appuyée contre le mur.

—    Bon, on y va à cette boulangerie ? Je n'ai pas mangé depuis un moment moi ! Et regardez, je me sens même capable de me lever... Ah, ce que mon corps ne ferait pas à l'annonce de nourriture !

Seul l'un des rebelles pouffa, il tendit la main vers Nicolas qui la lui serra d'un air malicieux.

—    Hermais. Je sens qu'on va bien s'entendre toi et moi !

L'adolescent esquissa un sourire et ils se mirent en route. L'adrénaline de l'évasion estompée, ils se dirigeaient d'un pas néanmoins vif vers leur destination. Il suffisait que les autorités organisent des contrôles et ils étaient cuits. Les rebelles avaient rejoint des rues plus fréquentées où ils se fondirent à la foule aux vêtements colorés.

Les commerces toujours ouverts, des promeneurs flânaient dans les grandes avenues illuminées. Les bâtiments, souvent de grands immeubles, servaient de magasins et d'habitations. Des banderoles qui vantaient les prodiges de certains produits étaient tendues entre deux balcons. Parfois, de minuscules échoppes cohabitaient entre de grandes enseignes. Partout, on vendait des ustensiles de cuisine, des chaussures, des bijoux, des meubles, des parfums, des vêtements. L'air rempli de senteurs exotiques des restaurants attiraient les badauds. Le brouhaha ambiant était parfois remplacé par la musique d'un bar pendant quelques secondes, le temps d'une porte ouverte. 

Il régnait là une ambiance légère, bon enfant. Le cœur de la ville exposait ses trésors et ses joyaux. Mais les résistants devinaient derrière cet écrin doré une réalité cruelle.

Un gamin aux habits dépareillés malingre glissé dans la foule avait tenté de voler un fruit à un marchand. La femme qui tenait l'échoppe, une Naefilienne, retint l'enfant par le poignet et l'entraîna de force vers un gendarme posté loin de là. Le policier coula un regard embêté vers le gamin, lui donna une piécette et lui intima de filer. Le garçon aux yeux vairons offrit un sourire édenté à l'homme et disparut dans des ruelles.

Ahelys avait suivi la scène, cachée derrière son foulard. Des enfants affamés, il y'en avait plein dans les bas-fonds de la ville. Les esclaves ne vivaient pas toujours dans le confort. Bon nombre des commerçants étaient des esclaves. Ils vendaient au profit de leurs patrons, les Naefiliens, les lieux leur appartenaient. Tout leur appartenait. Leur pauvre salaire suffisait à peine pour se nourrir et pour payer le logement. Ceux qui n'avaient plus assez de revenus finissaient à la rue, se retrouvaient à mendier et à voler. Certains restaient en ville. Mais une fois par mois, les policiers rassemblaient tous les esclaves sans abri et en envoyait une partie aux Iles Minières. Là-bas, ils étaient traités plus bas que des chiens. Les morts, ils s'en fichaient. Les blessés, ils les tuaient. Aucune loi n'avait d'emprise sur le territoire des nobles Terras.

L'adolescente serra les poings. Elle se voyait foncer dans cette foule de Naefiliens, tout détruire, tout tuer. Ces bêtes les envoyaient en enfer, ils devraient y rester pour tous les crimes commis. La jeune femme était entourée de ces chiens. Elle n'avait qu'à faire apparaître un couteau, le planter dans ce joli cou blanc orné d'un si joli collier. Quelques centimètres,  quelques secondes pour accomplir l'acte.

Elle en mourrait d'envie.

Une main lui tira l'épaule. Ahelys tourna la tête ; Hermais, penché vers elle.

—    Je sais ce que tu ressens. Ce fourmillement dans les doigts, ce désir toujours insatiable. Ils méritent tous de crever, de ramper à nos pieds.

Ces mots, murmurés à son oreille firent frémir tout le corps de la jeune femme. Une telle haine dégoulinait de ses propos. Une haine semblable à la sienne. Il était comme elle. La rebelle ne le connaissait pas, mais ils étaient semblables.

Le jeune homme l'entraîna vers leurs camarades éloignés de quelques pas et ils reprirent leur chemin, comme si de rien n'était.

De rues en rues, ils atteignirent des passages moins fréquentés. La nuit avançait, les habitants du jour regagnaient leur maison. Les résistants gagnèrent le quartier ancien de la ville. L'architecture plus ancestrale et d'un style étrange remplaça les bâtiments aux colonnes de marbres, aux sculptures raffinées et aux gravures colorés. Une aura mystique imprégnait l'endroit.

Au coin de rue, Nicolas aperçut enfin l'enseigne tant attendue «  L'Aube » et se précipita vers le commerce. Plus réservé, Adrien fixa la tablette de bois où était inscrit le nom.

—    Comment j'arrive à lire cette écriture ? Ce n'est pas de l'anglais pourtant !

—    Le traducteur Lyophisien agit sur le cerveau, et le fait assimiler toutes les langues installées, lui expliqua Ahelys.

Son ami hocha la tête d'un air intéressé et s'apprêtait à poser d'autres questions, mais il fut interrompu par Nicolas qui leur hurla de se grouiller, selon ses termes. Les deux adolescents se sourirent. Malgré le lieu, l'appétit du frère d'Ahelys restait l'une de ses priorités. Une sorte de loi immuable pour le garçon.

Ils rejoignirent donc le jeune homme en compagnie des deux résistants. Quand ils eurent passés les portes dorés de la petite boutique, l'odeur de pain et de pâtisseries envahit l'air. Une clochette tinta et des bruits de pas se firent entendre dans l'arrière boutique. Malgré l'heure tardive, les étagères étaient remplies à ras bord. Nicolas bavait déjà devant la vitrine, les yeux fixés sur les gâteaux exotiques.

Une femme dans la cinquantaine, rondelette, vêtue d'un tablier apparut et les salua, tout sourire. Hermais ne s'embarrassa pas de formalités et enleva son capuchon. Des boucles noires retombèrent sur un visage fin aux délicats yeux bleus. Ses fossettes lui donnaient un air malicieux comme si Satan avait décidé de se réincarner dans ce corps.

La marchande étouffa une exclamation et se précipita pour enlacer le rebelle.

—    Vous êtes partis il y'a des heures ! Et vous ne répondiez plus via les oreillettes. Ne me fais plus une frayeur pareille, sale garnement !

Elle tira l'oreille du garçon qui se laissait faire, ravi de cette attention. La commerçante se tourna alors vers Ahelys. La jeune femme avait enlevé son foulard et secouait ses cheveux roux.

—    L'Expérience...

L'adolescente tiqua face à ce surnom et se laissa faire quand la femme lui enserra l'épaule.

—    Tu n'as pas changé d'un pouce.

Ahelys mit un moment à la reconnaître. Mais elle offrit un sourire attendri à la vendeuse.

—    Delya ! Tu as beaucoup changé toi ! Tu es toujours dans l'équipe Nerelfort, à ce que je vois... Ta pêche à l'information est bonne ?

L'espionne haussa les épaules et ne répondit pas, la mine énigmatique.

D'un geste de la main, elle les enjoignit à gagner l'arrière après avoir fermé la boutique. Quand elle vit le regard d'affamé de Nicolas, elle lui offrit une pâtisserie. Il se fit un plaisir de dévorer la friandise et de remercier Delya par tous les compliments possibles. Ils traversèrent une pièce remplie de  fours et se retrouvèrent dans la réserve. Des caisses remplies d'ingrédients étaient rangés dans le fond, en compagnie d'un tapis au milieu de la salle. La marchande ouvrit une trappe dissimilée sous le paillasson et tendit des lanternes à l'équipe. Les deux Terriens observèrent d'un air inquiet les ténèbres de l'ouverture et ne furent pas plus rassurés quand ils surent qu'elle menait à des souterrains.

—    Ne vous faites pas prendre ! leur souhaita-telle tandis qu'ils descendaient un à un l'échelle.

Le dernier de la file était le deuxième rebelle. Il n'avait pas enlevé son capuchon quand Hermais s'était dévoilé, juste salué l'espionne d'un signe de tête. La femme se pencha vers lui alors qu'il commençait à s'enfoncer dans la galerie.

—    Tu ne pourras pas te cacher éternellement. Fais-le et vite. Elle te pardonnera peut-être.

—    C'est mal la connaître, siffla le jeune homme.

Son interlocutrice haussa les épaules et referma la trappe. Le résistant descendit les barreaux et fut accueillie par Ahelys, le regard enflammé.

—    Peut-être vais-je te pardonner. Alors enlève cette cape, maintenant.

—    Nous devrions y aller, tenta Hermais.

—    Non. Elle dit vrai. Je dois révéler mon identité, répliqua son compagnon.

Il fixa un instant les profondeurs des ténèbres des anciens égouts. Maintenant, seul un filet d'eau traversait la fosse au centre du passage voûté.

Le jeune homme rejeta sa capuche. Ahelys étouffa un hoquet de surprise mais elle se reprit vite. Elle se rua vers le résistant et le plaqua contre la paroi de pierre recouverte de mousse. Tremblante de rage, elle souffla ces mots :

—    Sealvey. Pourquoi es-tu là ! Tu n'aurais jamais du revenir, traître !

La jeune femme cria de rage et son poing s'écrasa à quelques centimètres du visage de son ancien ami.

Un visage pâle aux oreilles effilées. Des yeux aux iris dorés surmontés de cheveux ébouriffés pourpres aux mèches d'or.  Il avait été comme un frère, elle lui faisait confiance. Mais non, il n'avait été qu'un félon  à la solde de Neferlme. Après tout, elle aurait du le savoir, quelle idée de se confier au neveu de l'Empereur ?

Cette figure ramena Ahelys dans le passé. Quatre années auparavant, à peine une journée avant son exil sur la Terre.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top