Chapitre 14- Temps compté
Plusieurs heures s'étaient écoulées depuis leur arrivée à l'hôpital. Ils ne leur avaient pas demandé leurs identités, la couverture d'Ahelys tenait encore le coup. Un médecin venu les consulter constata juste quelques égratignures vite désinfectées. Adrien et elle avait été installés dans une suite privée dans l'hôpital, arrivés dans l'appartement, les adolescents s'étaient empressés de se doucher. Adrien s'était rué dans l'une des deux chambres, épuisé.
Mais Ahelys n'arrivait pas à fermer les yeux malgré sa fatigue. Elle redoutait à chaque instant la venue d'Haylmer. Installée dans un canapé moelleux, elle fixait les arabesques du plafond. De grands piliers en marbre blanc parcourus de lierre soutenaient les quatre coins de la pièce et un petit bassin d'eau émargeait au milieu de la salle. Le clapotis des vaguelettes acheva de l'apaiser. La jeune femme avait allumé l'immense écran holographique. La chaîne choisie diffusait les actualités du soir, des banalités. On parlait surtout d'un noble déchu à cause d'une soirée arrosée où il avait insulté le roi. La présentatrice secoua la main et passa à un autre sujet, des pluies d'éclairs anormales dans l'ouest de l'Empire. Un météorologue avait même été invité sur le plateau et s'inquiétait du nombre croissant des aléas naturels.
Pourtant, absolument rien sur la capture et l'évasion d'une rebelle autrefois connue de tous. Bientôt, tous se souviendraient d'elle. Bientôt, son nom serait sur toutes les lèvres. Mais aujourd'hui, cette discrétion lui était bénéfique.
Prise d'une soudaine envie de voir son frère, elle sauta sur ses pieds. Ahelys préféra ne pas réveiller son ami, laissa un mot et sortit de la suite seule. Les panneaux informatifs la menèrent à un ascenseur aux vitres transparentes. Dehors, deux étoiles couchantes illuminaient le ciel d'une teinte violette. La fausse prêtresse se rendit à la chambre indiquée et poussa la porte. La jeune femme fut surprise de constater que Nicolas était réveillé, il devait être conscient depuis peu car il tâtait d'une main inquiète le bandage sur une partie de son visage. Quand le blessé remarqua la présence de sa sœur, il s'écria :
— Apolline ! Qu'est-ce qui s'est passé ? Où on est ?
La rebelle tiqua face au prénom mais posa une main rassurante sur l'épaule de son frère. Lorsqu'il apprit les événements, Nicolas secoua la tête, excédé.
— Quel boulet je fais...
— Aucune importance. Maintenant que tu es réveillé, nous pouvons repartir. Il faut absolument que nous rejoignons la base.
Son frère baissa les yeux. Ces dernières minutes, il lui avait semblé qu'Apolline était revenue. Mais cette impression, vite estompée, le laissa amer.
— Bien évidemment, moi, je n'ai aucune importance, siffla-t-il.
Le blessé tenta de se redresser, mais ses membres refusèrent de bouger. Les infirmiers avaient dû lui injecter un antalgique. D'un air désolé, il soupira. Malgré sa frustration de ne pas pouvoir bouger, il le ressentait comme une victoire sur Ahelys.
— Je ne peux même pas marcher, le départ devra attendre.
Le visage de la rebelle s'assombrit et elle tourna les talons.
— Je te laisse cinq heures. Et s'il le faut, Adrien te portera.
— Pas question. Ne me dis pas que je n'attirerai pas l'attention...
Ahelys jeta un regard perçant sur Nicolas. S'il s'était mis en tête de l'agacer, il ne reviendrait pas sur sa décision. La rebelle ne comprenait pas la soudaine lueur de détermination dans les yeux noisette. Mais elle le connaissait trop bien. Il serait néfaste pour elle de l'avoir comme ennemi. La fausse prêtresse haussa les épaules et céda :
— Nous partirons dès que tu auras récupéré. En espérant qu'ils ne nous trouvent pas avant.
— Pas la peine de me mettre la pression, je saisis les enjeux, répliqua Nicolas.
Non, tu n'en as encore aucune idée songea-t-elle. Ahelys allait quitter la pièce, mais le blessé la retint.
— Dis-moi.
La rebelle se retourna. Elle devinait la question posée. Pourtant elle resta interdite, les yeux rivés sur son frère. Ce dernier avait baissé la tête, ses cheveux cachaient son regard.
— Dis-moi pourquoi tu m'as sauvé, pourquoi tu nous protèges. Tu aurais pu nous laisser là, nous te ralentissons, Adrien et moi on le sait.
La main de la jeune femme s'avança et ébouriffa les cheveux de Nicolas. Avec une moue amusée, elle lui répondit :
— J'ai une dette envers vous, idiots. Pendant quatre ans, vous m'avez supporté. C'est moi qui vous entraîné dans tout cela. C'est à moi de vous en sortir.
Et puis, même si Ahelys n'osait pas l'avouer, elle pressentait qu'ils auraient un rôle à jouer. Peut-être une prédiction de prêtresse, une intuition idiote. Son frère sourit, enchanté par le sens de l'honneur de la résistante.
La jeune femme le laissa se reposer et se dirigea vers la suite. Mais à mi-chemin, elle croisa Adrien, le visage blême et le souffle court.
— Ils...Ils sont là ! Haylmer est là !
Ahelys agrippa le bras de son ami et l'entraîna à travers les couloirs, vers la chambre de Nicolas.
— Où ? commanda-t-elle.
— A la réception, en voulant te rejoindre je suis passé par l'accueil... Je suis parti dès que je l'ai aperçu, lui ne m'a pas vu.
— Nous devons partir, maintenant !
Les adolescents débarquèrent dans la pièce. Surpris, Nicolas voulut les saluer, mais quand il entendit la mauvaise nouvelle, il jura. Adrien saisit des habits mis à disposition sur une chaise et les jeta au blessé.
— Apo...Ahelys, va surveiller l'entrée, je vais aider Nicolas.
— Pas besoin, protesta l'intéressé.
Mais aucun des deux ne l'écouta et la jeune femme rabattit la porte derrière elle. A peine une minute plus tard, les deux garçons étaient ressortis. Le blessé arrivait à peine à marcher et il eut du mal à monter sur le dos de sa sœur.
— Pas le temps de réfléchir, on fonce vers la sortie la plus proche, énonça Ahelys.
L'adolescente aperçut du coin de l'œil une alarme incendie. Une bonne diversion, songeait-elle, et elle pressa le bouton. Aussitôt, une annonce passa depuis les hauts parleurs accompagnée d'une sonnerie stridente.
— L'alarme incendie a été enclenché. Veuillez gagner dans le calme les différentes issues de secours. L'alarme incendie a été enclenchée....
Les portes s'ouvrirent, infirmiers et patients interloqués se dirigèrent vers les issues de secours.
— Non mais quelle idiote ! gémit Adrien la tête entre ses mains.
— Mais pourquoi ? Cela fait une diversion, se défendit la résistante.
— Oui, comme ça, ils sont sûrs que nous sommes ici et ils vont bloquer toutes les issues ! Tu réfléchis, bon sang ?
Les lèvres d'Ahelys se pincèrent. Après coup, ce n'était plus une si bonne idée. Bien consciente de son erreur, elle s'immobilisa, troublée. Que pouvaient-ils faire d'autre à part foncer et prier pour passer à travers la foule ? Ils ne pourraient ni combattre, ni fuir avec leur blessé.
— Bon, on fait quoi ! s'impatienta Nicolas.
Adrien se tournait les méninges. Malgré son inquiétude, il réussissait à garder son sang froid et pensait à toutes les éventualités. Le jeune homme avait appris de ses erreurs passées. Plus jamais il ne se laisserait envahir par la peur.
Autour d'eux, les couloirs se vidaient. Comme on leur jetait des regards inquiets, ils avaient commencé à suivre les autres, sans autre plan. Quand il vit au détour d'un couloir la salle réservée aux médecins, un éclair de génie le traversa.
— Il n'y a pas une salle avec des blouses de médecins ?
— Bonne idée, comme ça on pourra être plus discrets dans la foule ! s'enthousiasma Nicolas.
— C'est déjà trop tard...
Les deux adolescents se tournèrent vers leur amie. Ils réalisèrent alors qu'ils étaient les seuls dans le couloir, avec cette litanie des haut-parleurs. Ils avaient trop tardés. Tous les patients étaient dehors. Peut-être savait-on déjà leur absence...
— Il n'y a plus personne, murmura Ahelys.
Sans prévenir, l'annonce se figea au milieu d'un mot. Quelque part dans les couloirs, une porte qui claque, des bruits de bottes.
La voix d'Haylmer surgit soudain des haut-parleurs.
— Ahelys ! Nos retrouvailles n'ont pas duré assez longtemps, pourquoi ne pas me rejoindre ?
La rebelle sursauta puis indiqua en silence à ses compagnons de se déplacer, vers l'une des chambres. Leur ennemi devait se trouver dans la salle de surveillance et contrôlait les enceintes.
— Voyons, il y'a aussi des caméras dans l'hôpital. Je peux donc te dire que tu es dans l'aile B couloir rouge. Ne t'inquiète pas, des soldats sont en route pour venir te raccompagner. Puis nous continuerons notre voyage n'est-ce pas ?
— Je suppose que tu peux aussi m'entendre, alors je te dirai : jamais, répliqua l'adolescente.
Le rire du capitaine résonna dans les couloirs. Les bruits de bottes se rapprochaient sans cesse. Une mélopée à l'allure sinistre. Les fuyards désemparés continuaient de marcher dans les couloirs, essayaient de fuir les soldats.
— A chaque pas, ils se rapprochent de toi, que veux-tu faire ma chère ? T'enfuir encore une fois ? J'en suis désolé, mais cette fois ci mon fils n'est pas là pour te sauver.
— Leyo...Où est Leyo? cria Nicolas.
— Tu veux vraiment le savoir, jeune terrien ? susurra la voix. Il est mort. Il s'est suicidé pour ne rien dévoiler. Vous êtes heureux n'est-ce pas d'apprendre sa mort ? Après tout, il n'était qu'un pion pour toi Ahelys.
— C'est faux, il n'était pas un pion, s'exclama-t-elle.
La rebelle baissa la tête. A ses côtés, Nicolas la regarda, désespéré.
Alors il était mort. Ahelys s'en doutait, à vrai dire. Mais elle ne voulait pas y croire. Elle ne voulait pas y songer.
Peut-être que si elle était repartie en arrière, peut-être aurait-elle pu le sauver ? C'était sa faute. Indéniable. En quelques instants, elle se remémora sa vie avec Leyo. Les rires, les sanglots, les batailles. Pour lui, en quelques instants, il avait décidé de mettre fin à sa vie, tel un héros.
Un nouveau mort dans sa mémoire, un nouveau compagnon à venger. Tous ces meurtres, tous ses sacrifices. Tout était la faute de l'empereur.
Soudain, un déclic. Ses ailes. Les adolescents pouvaient s'évader par le toit. La rebelle pourrait les porter et planer sur quelques mètres. Oui mais après ? Ils les rattraperaient, les fuyards n'avaient aucune chance.
Les soldats pouvaient être deux, cinq ou dix aux issues de secours. Comment le savoir ?
Ahelys expliqua son plan à Adrien qui hocha la tête. Ils n'avaient pas d'autre moyen. Les adolescents coururent vers les escaliers. Haylmer ponctuait leur passage par des remarques acerbes.
— Trouvé ! s'exclama un guerrier.
Au détour d'un couloir venaient d'apparaître deux gardes. Quelques mètres à peine les séparaient. Ils pointèrent leurs pistolets sur les rebelles et s'approchèrent à pas lent.
Ahelys avait lâché son frère et le doigt sur la gâchette, menaçait les militaires.
— Vous n'avez aucune chance, pose ça, fillette, ricana l'un d'eux.
Comme pour ponctuer son propos, La résistante entendit derrière elle de nouveaux soldats arriver. Ses yeux dérivèrent sur Adrien et Nicolas. Ils ne savaient pas se battre. La jeune femme lut dans les yeux de son ami : Abandonne.
Les dents serrés, Ahelys s'accroupit pour poser son arme au sol. Pourtant, elle arrêta son geste, les yeux écarquillés.
Derrière les soldats en face d'elle, deux silhouettes encapuchonnées venaient de surgir. Deux voix masculines et jeunes résonnèrent dans le couloir :
— Alors là, pas question de lâcher les armes ! On n'a pas fait tout ce chemin pour la voir se faire capturer !
— Messieurs, je crois que c'est à vous de baisser vos pistolets.
La voix d'Haylmer s'égosilla dans les hauts parleurs. Il hurlait à tous ses soldats de se rassembler à cet endroit. Mais Ahelys n'entendait rien, la Libération était arrivée.
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