Chapitre 12- Forêt Nerelfort
Les trois fuyards avaient renoncé à leurs motos depuis bien longtemps. Impossible de naviguer entre toute cette végétation luxuriante. La forêt fourmillait de vie et de bruit. Les chants d'oiseaux exotiques se mêlaient aux crissements de bestioles qui se blottissaient dans les boutons des fleurs aux couleurs extravagantes. Les animaux se dissimulaient au regard des étrangers dans les buissons lilas, parfois agités d'un passage. Des racines sortaient de nulle part et formaient des murailles infranchissables. Les troncs, énormes, envahissaient tout. Le diamètre de la plupart d'entre eux atteignait celui d'une maisonnette.
Ahelys avait réussi à dénicher une option de guidage sur son appareil un peu avant qu'ils ne se séparent de leurs véhicules. L'écran pouvait se détacher sans encombre de l'appareil, ils l'avaient donc embarqué. Après avoir trouvé la route qui traversait la forêt sur la carte, elle prit la tête du groupe. Nicolas et Adrien ne protestèrent pas.
Mais son frère lui était rancunier. Il ne comprenait pas sa décision. Il ne comprenait pas pourquoi Ahelys avait abandonné Leyo, et surtout il se demandait ce qu'il était devenu. Un mauvais pressentiment l'étreignait. Déterminé à avoir ses réponses, il n'eut pas le loisir de l'interroger. L'adolescente imposait un rythme soutenu à la petite troupe et les laissait pantelants de fatigue. Mais les garçons ne s'en étaient pas plaints. Ils avaient bien remarqué les observations de leur meneuse entre les feuillages, à la recherche d'une menace. Car ils la sentaient. Ils sentaient cette menace sous-jacente cachée derrière chaque feuille colorée. En réalité, l'ambiance paisible s'appuyait sur un fil mince. A tout moment, le vent pouvait emporter cette tranquillité factice. Et ce serait l'horreur.
Les prédateurs laissaient quelques traces de leur existence. Les aventuriers croisèrent la route d'une bête dont il ne restait que des os où subsistait de la chair pourrie. Ils aperçurent aussi d'immenses toiles d'araignées. Adrien en frémit. Elles couvraient toute une zone, tant bien par la hauteur que par la longueur. Des formes étaient déjà emmaillotées dans les fils gluants. L'équipe évita ces pièges aux formes complexes et se rapatria sur un mur de racines à escalader. Ils décidèrent d'une pause et les trois adolescents s'assirent là où ils purent. Pendant une longue minute, personne ne parla. Ils tous occupés à reprendre leur souffle.
— J'ai l'impression de me retrouver dans la jungle amazonienne, lâcha Adrien. Surtout que les insectes ont l'air d'avoir triplé de volume...
— Si tu veux parler des araignées qui ont tissé les toiles qu'on a vu tout à l'heure, leur corps doit faire environ cinq mètres, la renseigna Ahelys.
D'un seul coup, le jeune homme blêmit et jeta des œillades angoissées autour de lui. Vivement qu'ils sortent de cette forêt !
D'habitude, Nicolas aurait réagi. Une remarque, une blague, une taquinerie. Quelque chose pour détendre l'atmosphère. Mais cette situation n'était pas habituelle. Nicolas devait savoir pourquoi sa sœur avait tant changé.
— Dis moi, Apolline...commença-t-il, les bras croisés.
— Ahelys, grommela l'adolescente.
Son frère la scruta d'un air surpris, mais il se reprit.
— Ahelys. Tu as donc retrouvé tes souvenirs ?
Elle hocha la tête.
— Et cela devrait-il excuser le fait que tu l'aies abandonné ? Ton passé est si pourri que ça ? Tu les connaissais n'est-ce pas, Haylmer et Leyo ? Ma sœur n'aurait jamais fait ça !
Ahelys l'observa à son tour. Sa main se crispa quand elle se leva.
— Il avait fait son choix. Tu as raison, je ne suis plus la même, je ne suis plus ta sœur. Allons-y.
Nicolas donna un coup de poing rageur dans la souche en guise de siège et il se releva, furieux.
— Non ! on n'en a pas fini ! C'est à cause de toi qu'on est ici, pourquoi je t'écouterai, si tu n'es plus qu'une étrangère ? Je sais qu'il te reste un bout de ces quatre ans qu'on a passé ensemble ! Prouve-moi que tu es autre chose qu'une tueuse ! tempêta l'adolescent.
Adrien devina que la situation allait dégénérer et il tenta de s'interposer, mais trop tard. Ahelys s'était élancé sur Nicolas et l'avait plaqué contre un tronc.
— Apolline n'existe plus, tu ne comprends pas ? Elle n'a jamais vraiment existé ! Alors si tu veux sortir vivant de cette forêt, contente-toi de me suivre et de te taire ! Je peux décider à tout moment de vous laisser ici, ce n'est pas un morveux comme toi qui va me dicter ma conduite ! assena Ahelys.
La rebelle relâcha son emprise et s'éloigna à plusieurs mètres pour se calmer. Adrien se rapprocha de son ami et lui proposa sa main pour se relever. Nicolas refusa son aide et se redressa, les poings serrés de frustration. Il ne la connaissait pas. Il ne connaissait rien de cette étrangère.
— Je te comprends... mais nous ne savons pas ce qu'elle a vécu. Nous ne pouvons pas la juger avec nos maigres informations, murmura Adrien.
Les yeux dans le vague, la main repliée sur son coude, il paraissait gêné de penser ainsi. Nicolas l'observa un instant. Ses lunettes avaient été salies durant leur escapade, des égratignures couraient sur son visage et des brindilles parsemaient ses cheveux blonds. De grands cernes soulignaient ces yeux, comme pour témoigner de l'anxiété produite par la gravité de la situation. Un état lamentable, et il devait bien être dans le même. Ils faisaient pitié, à essayer de s'enfuir dans ce monde étranger.
Que leur arriverait-t-il s'ils parvenaient à rejoindre les alliés d'Ahelys ? Reviendraient-ils sur Terre, ou seraient-ils obligés de rester sur cette planète dont ils ne connaissaient rien ?
Apolline. Apolline était tout ce qu'il lui restait.
C'était lui qui l'avait choisi quand ses parents avaient décidé d'adopter une autre enfant ! Lui, il avait vu cette nostalgie qui l'habitait. Aujourd'hui cette mélancolie s'était muée en rancœur, en fureur même. Elle lui empoisonnait l'esprit. Pas question de la laisser partir, de la laisser filer entre les doigts. Il devait découvrir le passé d'Ahelys, faire ressurgir l'esprit d'Apolline. Il devait veiller sur sa sœur. Nicolas avait fait son choix. Son cœur se serra alors. Il songeait à ses parents, à ses amis.
Mais s'il revenait sur Terre, plus rien ne serait jamais pareil.
L'adolescent se tourna vers son compagnon et prit la parole d'un ton grave. A cette distance, Ahelys ne pouvait pas les entendre.
— Ce que je vais te demander va te paraitre insensé. Je te demande de rester avec moi, sur cette planète, pour protéger Apolline, ou du moins ce qu'il en reste. Je sais que je n'y arriverai pas sans toi...
Adrien resta un instant stupéfait puis rejeta sa tête en arrière et explosa de rire. Il se tenait les côtes tant il riait. Cet abandon attira l'attention de la résistante. Elle secoua la tête et leva la carte sur le petit écran.
— Si vous avez la force de rire, reprenons notre route. Nous ne devrions plus être très loin de la route sécurisée qui traverse la forêt. Si on croise une voiture, on inventera un scénario pour être amené en ville.
La jeune femme pointa ses cheveux et continua :
— Ici, les personnes rousses sont considérées comme des demi-dieux, nos dieux ont les cheveux rouges.
Ahelys s'interrompit, comme si elle en avait trop dit. Elle secoua de nouveau la tête, sauta sur une pierre moussue et commença à avancer dans la jungle. Un sabre virevoltait dans ses mains et tranchaient les branches fourbes. Nicolas se fit alors la remarque de demander à sa sœur d'où venait cette étrange capacité. Mais bon, il n'était plus à une étrangeté près.
En réalité, il avait tout à apprendre sur ce monde.
Nicolas soupira et se focalisa à nouveau sur son compagnon, toujours mort de rire. Adrien reprit ses esprits quelques secondes après et cligna de l'œil à son ami ahuri.
— On est embarqués dans un pur roman de science-fiction où on est à deux doigts de se faire dévorer par des araignées géantes avec notre amie qui a retrouvé ses souvenirs, en devenant une parfaite inconnue. Sur Terre, ma mère est morte et mon père veut à peine me voir. Pourquoi voudrais-tu que je revienne chez moi ?
Il s'élança à la suite de la meneuse. Il laissa un instant Nicolas seul qui se murmura à lui-même :
— Adrien a complètement pété les plombs, j'ai une sœur psychopathe et puis moi je fais des choix totalement stupides. Parfait. Tout va bien.
Le jeune homme rejoignit ses amis et oublia pour un moment tous ses problèmes. Pour l'instant, seul comptait le cri de ses muscles sollicités, la sueur qui perlait sur son front et sa soif. Mais il n'avait pas remarqué les yeux jaunes. Ces yeux jaunes scrutaient le groupe depuis leur pause.
La créature lança un appel silencieux à sa meute lors du départ du garçon et se glissa dans les fougères à sa suite. Un pelage jaune, parsemé de tâches marron et une longue queue. Des yeux perçants de félin.
Ahelys avait réussi à saisir cet éclat jaune dans les hautes branches. D'un geste, elle indiqua aux deux garçons de se stopper. En une dizaine de secondes, elle perçut les créatures les encercler. Des Nerelforts.
D'un pas lent, elle se rapprocha de ses amis. La jeune femme avait invoqué deux pistolets qu'elle enfonça dans les mains de Nicolas et Adrien. Pour elle-même, elle garda une longue épée maniable à deux mains. Elle leur annonça la nouvelle, mais ils avaient déjà deviné :
— Nous sommes encerclés par des Nerelforts, des félins qui chassent en meute, de trois ou quatre. Ils doivent être trois. Surtout, ne vous éloignez pas de moi et tirez sur tout ce qui bouge.
Désemparés, les deux adolescents hochèrent la tête. Tous les trois, ils étudiaient avec angoisse les hauteurs et les fougères. Une longue plainte sinistre s'éleva, proche d'eux. Le même cri entendu quelques heures plus tôt dans la plaine. Les deux Terriens déglutirent. Ce son leur retournait les entrailles, faisait revenir en surface une peur tribale, inscrite dans leurs gènes.
— Il y'en a deux dans les hautes branches, et une au sol, les avertit Ahelys.
A une vitesse inhumaine, un nerelfort jaillit des épais buissons et se jeta sur le groupe.
Seule Ahelys eut le temps de réagir. D'un saut, elle s'interposa entre la bête et ses amis. La créature s'était jetée en avant. Ses griffes vinrent se frotter contre la lame de la jeune femme. Pendant une seconde, son visage se retrouva à quelques centimètres de la gueule garnie de crocs. Une odeur fétide s'échappa de la bouche du félin qui esquissa une sorte feulement. L'animal tenta de reculer, mais Nicolas réagit enfin. Une balle vint se ficher dans le flanc du nerelfort puis une deuxième. La créature laissa échapper un râle et s'affaissa sur Ahelys qui s'écroula.
Etourdie, la vision coupée par le corps, elle entendit néanmoins un cri et plusieurs coups de feu. L'adrénaline lui donna la force de pousser le cadavre et elle se releva. A quelques pas d'elle, un félin rendait son dernier souffle.
Tremblant, Adrien tenait son pistolet à deux mains, pointé vers la troisième créature, elle aussi morte.
Il n'y avait nulle part Nicolas. Ahelys se rendit alors compte l'animal reposait sur quelque chose. Un corps.
Elle se jeta sur la bête et étouffa une exclamation d'horreur quand elle l'eut retourné. La moitié droite du visage de son frère avait été lacérée.
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