Chapitre 11- Le héros

La moto de Leyo s'écrasa au sol sur plusieurs mètres. Adrien cria son prénom et se retourna, prêt à l'aider avec Nicolas. Mais la voix du blessé fusa pour les en empêcher.

— Traversez la forêt, rejoignez la ville de Neiky et cherchez la boulangerie l'Aube ! ils vous retrouveront ! Mais ici, c'est à moi de me sacrifier !

— Pas question, tu nous as sauvés, on ne va pas te laisser ici ! tempêta Nicolas. Apolline, viens m'aider je crois qu'il a la jambe...

— Inutile. Respectons son choix et allons-nous-en, répliqua sa sœur. Ton sacrifice restera dans nos mémoires et il n'aura pas été vain, je te le jure.

— Je le sais bien, je sais bien que tu arriveras à réformer le système. Pour Djiy, répondit Leyo.

Ahelys acquiesça, même si son ami d'enfance ne pouvait pas la voir. Elle aperçut son frère faire mine de repartir en arrière. L'adolescente appuya sur un bouton et une corde d'énergie jaillit de son véhicule pour se nouer à l'intérieur d'une boucle située sur les deux autres appareils.

Sa main tourna la poignée de l'accélérateur et les trois prisonniers foncèrent dans les sous bois. En quelques secondes, Leyo ne les voyait déjà plus. Malgré ses efforts pour soulever l'appareil, la jambe du jeune homme restait bloquée sous sa moto. La douleur le rendait de plus en plus faible.

Au fond, souhaitait-il vraiment s'en sortir ? Il n'en savait rien. Le traître avait effectué tant d'actes contraires à ses principes, pris des vies pour une gloire et une reconnaissance factice. Ces quatre dernières années, il avait vécu pour son père. Mais maintenant c'en était fini. Son obéissance aveugle s'était changée en un scepticisme critique.

Quand Leyo avait perdu Ahelys, il avait pleuré, hurlé. Elle représentait tout pour lui. Son âme, son essence.

Le garçon avait caché sa tristesse et sa rancœur derrière une barrière de glace lorsque son père avait trahi les rebelles et rejoint l'Empereur. Le renégat s'était convaincu que ses anciens alliés se trompaient. Ils ne pouvaient pas changer ce monde. Il s'était menti à lui-même et son âme avait sombré toujours plus profond. Un jour, il s'était demandé : Mais qui suis-je ? Cette question avait eu l'effet d'un coup de poing en pleine figure. Leyo avait renoué contact avec la Libération sans un mot à son père.

L'espoir s'était ravivé en lui quand il avait su Ahelys vivante. Amnésique mais vivante, exilée sur Terre. Aussitôt, tout s'était enchainé. Le voyage sur Terre, la manipulation des chasseurs et la rencontre avec « Apolline ». Elle avait tant changé.

Lorsqu'il l'avait vu, la mélancolie l'avait étreint. Mais le regard de la jeune fille restait toujours le même, avait toujours été le même. Un regard farouche, avide de vengeance. Avide de pouvoir.

Leyo s'en souvenait, de ce regard qu'elle lui avait lancé bien des années auparavant. Ces yeux avaient scellé son destin. Le jour où il s'était promis de risquer sa vie pour elle, de remplir tous ses désirs et de l'accompagner dans ses actions, les plus folles et les plus sanguinaires si elle voulait. Leyo l'aimait à la folie. Un amour passionné, brûlant, qui ne laissait place à aucune raison. Depuis le premier instant, il l'aimait. Et elle ne s'en était jamais rendu compte, il le savait.

Leyo abandonna le combat et tomba au sol. Il resta plusieurs secondes à observer le ciel. Quelques nuages serpentaient avec paresse dans cette tache de peinture vermeille. Une belle journée. Le jeune homme ressentait avec précision la douleur qui broyait sa jambe droite, le picotement de l'herbe conte sa peau, l'odeur de la terre retournée. Il entendait avec une acuité effrayante les gémissements d'agonie des soldats massacrés par Ahelys, le vent dans les feuilles des frondaisons. Il sentait tout ceci avec une conscience extérieure, peut-être parce qu'il savait qu'il allait bientôt mourir.

Le rebelle aurait bien aimé accompagner un peu plus son amie d'enfance. Découvrir son frère adoptif et son ami, si différents d'elle. Il aurait aimé voir la rencontre avec ses supérieurs, en particulier un. Ca aurait été une rencontre explosive, il aurait ri et Ahelys l'aurait peut-être frappé.

Mais bon, tant pis. Les dieux avaient décidé de son destin et il devait respecter leurs choix.

Le jeune homme entendit des pas dans l'herbe à ses côtés. Leyo avait deviné de qui il s'agissait. Le renégat ne prit même pas la peine de tourner la tête. Sans même le voir, il sentit la fureur de son père.

Un coup de pied vola. Du sang emplit sa bouche et il le recracha. Doucement, il se mit à rire. Son rire devint vite hystérique. Son existence de poupée, achevée ! Il ne représentait plus le simple pantin de son père ! Dans sa mort, Leyo allait enfin trouver sa véritable identité, rompre ses fils. Fini de se cacher derrière la figure paternelle, fini de jouer les gosses !

Haylmer s'accroupit et empoigna les cheveux de son fils pour l'amener à son hauteur.

— Tout ce que j'ai fait, c'est pour toi, pour ton bien, et voilà comment tu me remercies ? Ahelys t'a empoisonné le cerveau, tu ne vois pas ! Tu ne vois pas ce monstre tapi en elle ? Tu ne vois pas que tout ce qui compte pour elle, c'est sa stupide vengeance ?

Le capitaine avait tonné les premières phrases, mais sa voix devint suppliante, hésitante. Son fils ne le voyait-il pas ?

Leyo cracha du sang à la figure de son père.

— Je t'interdis de dire du mal d'elle. Tu ne sais pas tout ce qu'elle a vécu, tu ne connais pas toutes les causes de sa haine. Je sais qu'elle réussira à changer ce monde, à le rendre meilleur. Qu'elle utilise les pires moyens si ça lui chante, ils seront toujours les bons.

Le félon baissa alors la tête, les traits rongés par la tristesse. Il n'osait imaginer les tortures qu'on lui ferait subir pour dévoiler des informations, puis l'humiliation. Et de toute façon, il ne voulait pas continuer cette vie dans l'ombre de son père. Ce n'était pas une vie.

Le rebelle attrapa d'une main le pistolet sur la ceinture d'Haylmer. Il pointa alors le fusil sur sa propre tête.

— Dis...Tu leur laisses une longueur d'avance ?

Sans attendre une réponse, le jeune homme appuya sur la détente. Le pistolet retomba à terre en même temps que le corps sans vie. Une goutte se sang coula de sa tempe et rejoignit le coin relevé de la bouche. Leyo souriait.

Tout s'était passé en quelques secondes, sans que son père ne puisse réagir. Il tendit une main tremblante vers son visage, caressa les mèches de son front. Le capitaine prit alors son fils dans ses bras, il le serrait contre lui de toutes ses forces. Il aurait sacrifié sa vie pour sauver Leyo, mais il ne lui avait même pas laissé la possibilité.

— Pourquoi...pourquoi as-tu décidé de te donner la mort, sanglota Haylmer. Je suis seul désormais...

Il tourna la tête vers la forêt. Une étrange sérénité l'envahit. Il aurait dû haïr Ahelys. Avant, oui. Plus maintenant. Il aurait dû vouloir la tuer de ses propres mains, l'observer souffrir. Elle avait mené son fils à la baguette, sans s'en rendre peut-être compte.

Mais non. Il n'éprouvait plus que de la pitié pour cet être perdu.

Il se devait de respecter les dernières volontés de son fils. Ses paroles étaient contre ses principes, mais il lui était inconcevable de ne pas tenir cette promesse. Question d'honneur peut-être. Question d'amour, surtout.

— Oui, je vais leur laisser une longueur d'avance. Mais il faut rattraper Ahelys, elle est un danger non seulement pour l'Empereur, mais pour la Libération. Tu ne l'as jamais compris, mais moi je l'ai senti dès notre première rencontre. Elle ne sauvera pas le monde, elle le détruira.

Haylmer se releva, le corps de son fils dans les bras. Autour de lui, les soldats se regroupaient peu à peu. Ils soignaient les blessés, comptaient leurs morts. De quarante, ils étaient passés à quinze. Quand les militaires aperçurent le traître mort, des sourires réjouis passèrent de visages en visage. Une femme assise sur le capot d'un véhicule héla le chef.

— C'est vous qui l'avait tué, Capitaine ? Bien fait qu'il soit mort, il a tué beaucoup des nôtres, ce salaud !

L'ancien esclave jeta un regard haineux sur la militaire.

— Vous auriez eu la folie de tuer votre propre enfant à ma place ? Non...Il s'est donné la mort, lâcha-t-il. Et je crois bien que je commence à comprendre pourquoi songea-t-il, amer.

Il se dirigea vers le vaisseau mais s'interrompit.

— Prévenez le centre de communication. Nous n'avons plus assez d'homme pour la mission, nous devons retourner à la capitale pour rapatrier les blessés et donner notre rapport.

— Mais, chef ! on est prêts à les rattraper ! Nous voulons nous venger ! Nous n'avons qu'à prendre le vaisseau et les intercepter à Neiky. Ils ne peuvent qu'aller là-bas et ils seront forcément blessés ! protesta un autre soldat.

— C'est un ordre ! tonna Haylmer.

Les gardes se jetèrent des regards d'incompréhension. Mais à quoi jouait-il ? Méfiants, mais disciplinés, ils finirent de regrouper les blessés pour les transporter dans le vaisseau.

Le Capitaine se retourna une dernière fois vers la jungle et murmura :

— Je t'arrêterai Ahelys, pour ton propre bien. J'en fais le serment.

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