Chapitre 5

OuiOui Baguette

La vie est ultra longue. Ma vie est ultra longue. J'adore cette ville, j'adore les gens qui s'y trouvent, mais en arrivant aux USA, je m'attendais à une vie un peu plus trépidante, comme dans les films ou les séries. Parce que servir des vieux tous les jours et finir allongée sur un canapé devant Gilmore Girls avec des bonbons et du chocolat, ce n'était pas le plan de départ.

La seule chose qui me rappelle chaque jour pourquoi je suis là, c'est les sourires que m'offrent une mère et sa fille après que je leur serve un chocolat chaud plein de guimauve et un café latte parfait. Demain, je suis en repos. Samedi, je n'ai rien prévu. Dimanche, je n'ai rien prévu. Hormis bien sûr m'acharner sur Dean et glousser devant Jesse, qui peut-être un jour sortira réellement de la télévision pour m'épouser. Pathétique, hein ?

Depuis le début de la semaine, Anita est de plus en plus adorable ce qui me fait regretter un peu les propos que j'ai pu penser la première fois que je l'ai vue. Elle fait tout pour me rendre la vie facile mais en même temps me voue une confiance sans failles qui m'étonne un peu plus chaque jour. Pourtant, c'est à elle qu'elle devrait faire attention et m'oublier un peu de temps en temps. Ses rendez-vous à répétitions m'inquiètent de plus en plus même si je la connais depuis peu. Elle m'a avoué souffrir de problèmes de dos mais elle ne voulait pas m'inquiéter pour rien. L'idée même que je puisse penser qu'elle n'est plus capable de tenir son café la répugne. La seule fois que je lui en ai parlé, j'ai cru que le rouleau à pâtisserie allait finir dans mon crâne. Littéralement dedans. Alors en prenant en compte sa confidence, je lui allège des petites choses au quotidien en les faisant à sa place ce qui me vaut des coups sur les doigts et quelques menaces bien trouvées.

Le jour où quelqu'un menacera d'éventrer votre requin en peluche, méfiez-vous. Surtout si c'est une vieille dame en salopette Desigual.

Je sers l'homme qui avait pris ma défense devant la première critique ouverte d'Anita sur ma tenue en lui souriant chaleureusement. Il me remercie simplement d'un sourire complice. Je ne pensais pas que travailler dans un café ou tout simplement au contact de gens faisait aussi mal aux joues.

Mais le calme est toujours de courte durée, surtout quand Anita arrive de nulle part en criant devant tout le monde que je ne suis pas allée en pause. Je serai toujours, je dis bien toujours, étonnée de son aisance à crier pour un rien, clients ou non. Clients qui ne daignent même pas nous regarder tellement c'est naturel ici.

En plus, je sais très bien qu'elle m'en accorde beaucoup trop, mais je ne peux jamais y échapper - parfois elle met carrément des réveils pour ne pas oublier. Je lève les mains en signe de capitulation.

- Oh, et la machine à café à un problème depuis que tu es allée en pause, déclaré-je à Anita en passant une caresse sur sa machine bien-aimée.

- Mais non, aucun. Elle est juste un peu fatiguée ma Bethany, rétorque ma patronne.

J'ai découvert il y a peu qu'Anita a donné des noms à des objets qu'elle utilise au quotidien. Elle leur parle quand elle est seule mais depuis qu'elle a découvert que je l'ai entendu, elle les appelle ouvertement par leurs prénoms avec moi. Ce n'est pas facile de tout retenir mais je commence à m'y faire. Bethany la machine à café, Josette la pelle à gâteau... Mais celle que je préfère, c'est Olivia la bibliothèque.

Je pars à l'arrière sans plus attendre et prends mon téléphone dans mon casier au passage. A côté du « bureau » d'Anita, il y a une porte qui mène à une toute petite cour avec plus d'herbe que de pavés, où Anita y cultive quelques fraises pour ses gâteaux. J'aime bien venir ici pendant mes pauses plutôt que de rester à l'intérieur ; il y règne une sorte de sérénité et calme qui permet directement de se vider la tête. Je me pose sur les quelques marches qui me séparent de la cour et commence à regarder des vidéos de chat rigolos pour tuer le long quart d'heure à venir.

Mais, comme tous les jours depuis que je suis arrivée, ma mère m'appelle pour la centième fois. Je décide de raccrocher au lieu de laisser sonner une longue minute - comme d'habitude - mais me trompe de sens et décroche.

- Eh merde, je lâche.

J'entends une voix m'appeler par le téléphone, je mets mon oreille contre celui-ci, faute de pouvoir raccrocher maintenant.

- Allô ? braille ma mère beaucoup trop fort dans le haut-parleur. Ma chérie ? Tu m'entends ? J'essaye de t'appeler depuis un bail tu pourrais répondre plus souvent sérieux !

- Maman je ne vais pas pouvoir rester je vais reprendre le taf, marmonné-je.

- Mais on a à peine parlé ! Je t'interdis de raccrocher ! Je suis ta mère tu me dois bien ça. Si tu savais comment j'ai galéré à te sortir de ma...

- Sinon quoi maman ? Tu vas allez le répéter à Franck ?

- C'est Alphonse chérie ! Respecte-le un peu s'il te plait, s'énerve-t-elle d'une voix devenue très douce d'un seul coup.

- Ecoute, je n'ai pas le temps avec tes conneries donc laisse-moi de l'espace, s'il te plait.

J'insiste sur le s'il te plait d'une voix très mielleuse pour l'imiter. Elle ne répond pas mais je sens qu'elle se retient de me poser une demi-tonne de questions. En fait, dès qu'elle a entendu le mot « taf » elle voulait déjà tout savoir. Quand elle se retient de dire quelque chose, elle fait un petit bruit, un peu comme un insecte qu'on écrase. Parfois on entend un bruit ou parfois on le devine. Ma mère, c'est pareil, dans tous les sens du terme.

- Je te laisse maman, je retourne travailler, mentis-je en voyant qu'il me reste trop de temps de pause.

- Tu travailles où ma fille ? Je suis contente que tu ais l'air de te plaire où tu es, mais j'aimerais bien savoir un peu.

- Je dois vraiment y aller, aurevoir maman.

- Bisous, je t'ai...

Je raccroche. J'ai une folle envie de me tirer les cheveux ou de jeter mon téléphone dans les fraisiers mais je respire profondément et retourne dans le café. Tant pis pour la pause, mais ma mère a réussi à rendre la cour très étouffante tout d'un coup et plus du tout apaisante.

Anita râle en me voyant débarquer au bout de seulement deux minutes mais ne dis rien de plus en voyant ma mine de déterrée. J'hausse les épaules en silence et reprend le service. The show must go on...

***

- Qu'est-ce que je vous sers ? je demande tandis que j'essaye de réparer tant bien que mal la machine à café pour la 6ème fois de la journée.

« Non, non, elle n'est pas cassée juste vieille », mon cul oui. Désolé Bethany mais là je te déteste.

- Un café noir, me répond quelqu'un d'une voix grave.

- Laissez-moi quelques minutes et je vous apporte ça.

Je continue de me débattre avec la machine quand je sens quelqu'un passer derrière moi.

- Laisse-moi faire.

Quand je daigne lever le nez Gareth se trouve à mes côtés pour tripoter Bethany. Un soupir m'échappe mais je m'écarte pour lui laisser de la place, il aura plus de chance que moi de la réparer. Cependant, je m'en veux un peu de ne pas avoir reconnu sa voix ; si j'avais su que c'était lui, je lui aurai dit d'aller se faire servir par Anita histoire d'échapper à son corps incroyablement musclé et ses yeux... STOP EDEN !

Je secoue la tête longuement et le regarde se mettre à l'œuvre. Je ne dois pas baver sur les clients. Je ne dois pas baver sur les clients surtout quand se sont des cons. Je ne dois pas baver sur les clients surtout quand se sont des cons et que ce con là est un pervers. Je regarde l'heure, 18h40. Mince, il est dans sa tranche horaire habituelle, j'aurais dû faire attention.

Au fil des journées, j'ai appris à reconnaître les clients et leurs horaires voire même leur commande quand je suis motivée - ce qui rend Anita très fière de moi. Mais avec Gareth, c'est toujours froid, avec quelques piques discrètes gratuites que j'ignore. Aucune chaleur, que de la distance. Il y a longtemps que j'ai abandonné l'affaire mais je n'aime pas sa façon de me regarder comme si j'étais la plus grosse énigme du monde. Ce n'est pas parce que je m'habille différemment tous les jours que je suis une bête de foire ! Au contraire, j'espère qu'il lave ses vêtements lui... Je suis même sûre qu'il a plusieurs exemplaires des mêmes vêtements...

- Voilà, lâche-t-il en me regardant étrangement.

En effet, la machine semble revenir à la vie sans même que je sache ce qui clochait. Un point pour toi mister Cowboy.

- Ça fonctionne ! je m'écris en donnant une caresse à Bethany et non à Gareth.

Quelques clients lèvent la tête vers nous après avoir entendu mon cri de victoire, un sourire aux lèvres, qui me fait directement rougir.

- Voilà, ça devrait le faire pour mon café, dit-il.

- Je fais ça tout de suite et vous l'apporte. Merci.

Il hoche la tête, se redresse, contourne le comptoir et part s'assoir tandis que je lui fais son café en chantonnant Watermelon Sugar de Harry Styles. Je devrais élargir mon répertoire, ça ne fera de mal à personne.

Quand je me retourne, à fond dans la chanson, tout le café me regarde en silence, encore une fois. J'arrête les yeux ébahis devant mon public silencieux puis tout le monde explose de rire, y compris Anita qui en est presque aux larmes. Je baisse la tête morte de honte - merci Harry - et rejoins la table de Gareth pour lui servir son café miracle.

- Jolie chanson, me complimente-il en m'offrant le premier sourire de la journée.

Dis donc, monsieur ne se ramollirait pas un peu ? Je sais qu'Harry Styles est très sexy mais de là à me complimenter !

- Gardez votre langue dans votre poche aujourd'hui, je n'ai pas la force de vous rembarrer jeune Padawan.

Il hausse un sourcil en avalant une gorgée de son café qui, je l'espère, sera tellement fort qu'il lui en sortira par les narines. Et oui, je ne me ramollis pas moi !

Je me retourne pour retourner servir un deuxième client qui vient d'entrer quand le brun me retient par le bras. Je me retourne vivement et il m'observe de ses yeux bleu marine, mais moins bizarrement que d'habitude. Je regarde sa main sur mon poignet pour lui faire comprendre de me lâcher. Il le remarque directement et me le rend, toussotant de gêne.

- Excuse-moi, reprit-il en évitant mon regard. Je peux te poser une question ?

- Le client est roi, je t'écoute, m'exclamé-je en massant mon pauvre poignet.

J'ai cru voir pendant un instant ses joues rougir, mais il se ressaisit trop vite, revêtant sa façade qui dit « je suis un mec mystérieux, respecte-moi ».

- Tu es de quelles origines ? me demande-t-il

- Encore plus original que la dernière fois... soupiré-je. Je viens de Paris si ça te soulage de savoir.

Il hoche la tête doucement, pensif.

- Je me disais bien que tes paroles étaient bizarres, avec un drôle d'accent.

- Eh bien c'est un accent français, que j'estime camoufler plutôt bien, enfin on ne m'a jamais fait la remarque donc je suppose que...

- Si tu le dis.

Un peu vexée qu'il m'ait coupé la parole si facilement, je me retourne et pars pour de bon servir le client que malheureusement Anita a pris en charge. Mais quand je croise le regard de ma patronne du coin de l'œil, et je ne doute pas qu'elle n'a pas perdu une miette de notre échange.

***

A 19 heures piles, il s'éclipse, réglant ce qu'il doit à Anita ; je me suis arrangée pour nettoyer une table quand il s'est levé malgré le regard noir que m'a porté ma patronne.

Je pars me changer à la même heure, très fatiguée de ma journée. Mais le weekend s'annonce reposant devant la moitié des séries de Netflix et du pop-corn - sans oublier Rocky. Je sors en saluant une dernière fois Anita qui est prête à me taper sur les doigts si je ne pars pas plus vite de son établissement.

Dehors, l'air est encore lourd, il fait assez chaud mais c'est supportable. Il faut dire qu'il y a pas mal de verdure dans cette ville que les habitants font tout pour garder mais que le climat sec et chaud n'aide pas. En hiver, il parait que c'est pire car le froid est glacial, ce qui va me permettre d'acheter la plus belle doudoune de l'univers - avec des petits poneys dessus.

Mon regard se dirige directement vers le club de striptease. Pour mon excuse, on parle de verdure et il y a deux énormes palmiers qui se dressent pour encadrer la devanture ! Je ne fais qu'admirer la nature à l'œuvre...

Le grand vigile d'au moins 2 mètres s'est placé devant la petite porte qui ressemble plus à l'entrée d'un immeuble qu'autre chose. Quand mon regard croise le sien, je n'ose pas le défier plus que ça et baisse directement la tête, un peu intimidée. Rentrer à l'immeuble va me faire du bien je pense.

***

Sur le trajet, je soupire en pensant à la soirée nulle qui s'annonce. J'ai beau adorer les séries et les films, c'est un peu long à force de tous les connaître par cœur. Et au bout de 3 fois, on se lasse. Anita n'a pas tort quand elle dit que je devrais sortir, me faire des amis... Mais l'idée de sortir m'angoisse un peu, j'ai peur de tomber sur les mauvaises personnes ou de me faire lourdement draguer à cause de mon accent. Ça ne serait pas la première fois, certes, mais Anita ne sera pas là pour me venir en aide...

Mais arrivée à l'appartement, tout est pire. Je regarde mon vieux canapé vert qui a dû déjà prendre la forme de mon fessier incroyablement musclé, il faut se le dire. Et le pauvre, il doit avoir mal à force de soutenir tout le temps mon poids. Je pose mon sac banane argenté et pars m'allonger dessus pour changer. Mais quand je me décide à allumer la télé, la télécommande fait des siennes. Plongeant ma tête dans un coussin, je crie toute ma frustration actuelle et de la journée. Décidément, l'univers a choisi que ça serait mon jour.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top