Chapitre 33

Reconversion en boxeuse professionnelle.

-    Gareth ! Gareth ! Je crie en courant pour le rattraper, le souffle court.

La nuit est tombée mais le restaurant est assez lumineux pour éclairer le parking. Gareth est dos à moi, le poing serré, se dirigeant à toute vitesse vers la voiture noire de Greyson.

Je m'arrête, épuisée de ce sprint, épuisée de l'appeler sans qu'il ne m'écoute.

-    Gareth... S'il te plait, retourne-toi. Tu sais très bien que je n'en ai rien à foutre de ce qu'il peut dire. Merde, tu ne vois pas que je suis toujours là ? Ne pars pas s'il te plait, je ne supporterai pas plus ton frère que ma mère...

Cette fois, j'arrive à le faire s'arrêter quelques instants. Je soupire de soulagement, et me remet en mouvement pour arriver à sa hauteur. Il se retourne doucement pour me faire face, les larmes aux yeux. Le voir comme ça me fait si mal au cœur que ma poitrine se serre douloureusement.

-    Il t'a raconté des choses quand je suis parti hein ? Il me demande, la voix tremblante.

-    Bien sûr que non, je suis directement partie te rejoindre, bêta. Je n'allais pas te laisser partir je ne sais où sans moi. Si tu pars, je pars avec toi.

Je tente de caresser sa joue rêche de ma main et il ne me repousse pas, ce qui soulage un peu mon cœur lourd.

-    J'ai eu des problèmes, avec une femme surtout, me dit-il dans un soupir. Mes parents sont décédés et tout a empiré. Tu sais, je n'ai jamais rien fait. Ce qu'il peut te dire n'est pas la vérité, il n'était pas là. Mais un soir, l'alcool était de trop et...

Il ne finit pas sa phrase tandis que je sens une larme glisser jusqu'à ma main. Je l'essuie d'un passage de pouce.

-    Je savais que tu finirais par l'apprendre mais, tu sais, ce genre d'histoire, ce n'est pas courant. Les gens écoutent, retiennent ce qu'ils veulent et déforment la réalité...

-    Gareth, qu'est-ce qu'il y a dans cette petite tête ? Dis-moi ce qui te brise autant, je ne te jugerais pas.

Je le prends dans mes bras, consciente qu'à tout moment il peut choisir de partir et de me laisser sur ce parking sans plus d'explications.

-    Quand j'ai appris ce que tu as vécu, il reprend en essayant de calmer sa voix tremblante, je ne pouvais pas te confier ça, tu aurais réagi comme tous les autres. Tu n'aurais pas compris, et même maintenant. Alors quand j'ai vu mon connard de frère dans ce restaurant... J'ai flippé. Je suis totalement terrifié de ce qu'il peut te raconter. C'est un manipulateur né et putain, je t'aime tellement. C'est la première fois que je ressens ça, un truc qui me prend aux tripes. Je ne veux pas merder, Agapi Mou.

-    Gareth, je lui dis en m'écartant pour le voir, je ne t'en voudrais pas tu sais ? Je t'ai fait confiance sous les lanternes, ce n'est pas pour que ce soit dans un sens. On est deux, et on le sera pendant longtemps.

Cette fois, il pleure pour de bon et je retiens ma panique. Je vous assure qu'un mec qui pleure dans vos bras, c'est à la fois génial et une très belle preuve d'amour, mais c'est en même temps super flippant.

-    J'ai fait de la taule, pas longtemps parce qu'on m'a sorti avant, il déclare en sanglotant.

Ce n'est ni le lieu, ni le moment, mais il est plutôt sexy plein de morve. Jamais je ne pensais dire ça un jour.

-    Pour quoi ? Je lui demande un peu hésitante.

J'ai beau avoir pleinement confiance en lui, il y a certains cas qui peuvent être très délicats à aborder. Et s'il me dit qu'il a mangé un chaton pour le fun, je pense que je pars en courant.

-    Je... On m'a enfermé pour violences conjugales. Mais ce n'est jamais arrivé je te le jure, me dit-il sans reprendre son souffle.

J'encaisse le choc, difficilement, mais j'attends ses explications quand même, le regardant dans les yeux.

-    C'est... Enfin, je ne sais pas comment expliquer. Je n'en parle jamais, c'est en partie pour ça que j'ai atterri loin de mon frère et que je ne suis pas resté dans notre ville. J'avais une copine et... C'est elle qui me frappait. Je sais que tu ne vas pas me croire, personne ne le croit réellement. Mais pourquoi un grand gaillard comme moi se ferait frapper et se laisserait battre ? Mais tu sais, quand tu aimes quelqu'un, tu crois que c'est de l'amour. Sauf qu'un soir, j'ai bu et j'en ai eu marre. J'ai osé la repousser, mais elle a porté plainte, inventant que je l'ai frappée. Personne n'a cru ma version. C'est vrai, pourquoi une petite blonde d'un mètre soixante viendrait me frapper sans que je ne pense à l'arrêter ? Et c'est vrai, la pauvre, j'avais la carrure pour la frapper apparemment. J'ai fait 2 ans de prison avant qu'elle ne change sa version des faits. Elle n'a pas reconnu me frapper mais juste qu'elle m'en voulait alors elle a exagéré le déroulement de la soirée. J'ai passé deux ans enfermés avec des brutes, les personnes les plus immondes de la Terre.

-    Mais, pourquoi tu n'as pas porté plainte à ton tour ? Tu devais avoir des preuves ou quelque chose comme ça.

-    Aucune. J'ai essayé de porter plainte mais tu sais, les hommes qui se font battre, c'est rare. Je suis à la fois heureux qu'on ait pris au sérieux un cas de violences conjugales, jusqu'à inculper quelqu'un. Mais je regrette que moi, on ne m'ait pas pris au sérieux. Je sais c'est idiot, mon frère est persuadé que je suis une ordure de la pire espèce, que je fais honte à l'honneur de notre famille et que, si je dis la vérité, je suis la pire tapette du monde. Mais sincèrement, c'est lui qui me fait honte, c'est à peine s'il nourrit sa femme.

Je ne dis rien et le prend simplement dans mes bras. C'est dur d'entendre ça, de le croire et de l'assimiler. Mais je ne peux pas reculer, je lui ai promis d'être là, et c'est ce que je fais. Son histoire est à dormir debout, mais la détresse dans les yeux, ça ne s'invente pas. Et la sienne est bien réelle, il ne peut pas échapper au jugement des autres, or c'est le même jugement qui l'a conduit en prison pour des faits qu'il n'a pas commis. Combien de temps serait-il resté à croupir en prison si elle n'avait pas changé sa déposition ?

Le Gareth que je connais est tellement fort et indépendant que j'ai énormément de mal à l'imaginer aussi vulnérable auprès d'une femme. Moi-même, je ne m'imagine même pas capable de le frapper ou de lui faire subir quelconque chose. Je ne peux pas m'imaginer à quel point il a dû être terrifié à mes côtés, de briser sa coquille pour me laisser y entrer petit à petit.

-    Tu sais, reprend-il en étant dans mon cou, je ne te mérite pas. Je l'ai toujours pensé. Mais j'ai voulu croire à l'avenir. T'as débarqué au milieu de notre groupe en petit tsunami de couleurs et de rubans sans crier gare, et j'ai vite compris que ça ne servait à rien de lutter. Que c'était le moment de tourner une page de ma vie. Tu es arrivée avec une envie grinçante de liberté et de vie, alors j'ai sauté sur l'occasion. Je t'ai promis de t'aider à vivre, et je ne compte pas te lâcher si tu ne le veux pas.

-    Tu me l'as promis, alors tu me le dois. C'est à toi de ne pas me lâcher, moi ma décision est toute prise. C'est nous et eux, Gareth. On va leur faire regretter, ok ?

Je le sens hocher doucement la tête et commence à entendre des voix sortant du restaurant. Sûrement notre petite troupe d'hypocrite.

Gareth relève sa tête, séchant ses larmes d'une main.

-    Tu sais, quand mes parents étaient encore en vie, commence-t-il en me prenant les deux mains dans les siennes. Je me souviens que ça a toujours été le couple parfait, que tout le monde enviait. Et même si je regrette quelques trucs que j'ai pu leur faire adolescent, on s'aimait et c'est tout ce qui compte. Mes parents étaient vieux pour avoir des garçons aussi jeunes que nous, alors parfois ce qu'ils disaient étaient trop vintage pour nous. Mais il y a une chose que j'ai toujours aimé, c'est le surnom qu'ils se donnaient, parce que seulement eux le comprenaient. Je me suis toujours promis de l'utiliser le jour où se serait la bonne personne. Je sais que c'est ringard et niais, mais la première fois et toutes les fois même, c'est sorti tout seul.

-    C'est-à-dire ? Je lui demande pour l'encourager à finir sa pensée.

-    Ma mère lisait énormément, elle avait vu cette expression dans un roman qu'elle adorait. « Agapi Mou », c'est un mot en grecque. Il veut dire mon amour. Et je dois dire que je trouve ça tellement plus poétique qu'en anglais ou en français.

Je lui souris de toutes mes dents avant de lui offrir un petit baiser rapide.

-    C'est un honneur d'être ton Agapi Mou, et si tu le veux bien, j'aimerais que tu sois le mien avant que la troupe de fou n'arrive à notre niveau.

-    Tu es tellement belle, là, maintenant, si tu savais toutes les idées que j'ai en tête.

Je ris tout en m'écartant de lui pour que nous puissions faire face aux 4 personnes arrivant à notre niveau. Thomas ouvre grand les bras avec son inlassable sourire de magouilleur.

-    C'est donc là que vous vous cachiez ! J'ai mis du temps à vous repérer pendant que ma femme payait l'addition de vos verres, déclare-t-il avec dédain. Vous pourrez la remercier plus tard.

-    Miranda, commence Gareth d'un ton extrêmement sérieux, allez à votre voiture avec Roméo.

Devant l'hésitation de la femme, ma mère fait sa seule bonne action de la soirée en la prenant par le bras et Roméo par la main pour les emmener plus loin, répondant vaguement aux questions du petit.

Quand ils sont assez loin, c'est avec surprise que je vois Gareth prendre un certain élan avant de s'approcher de son ainé pour écraser son poing dans sa figure.

Inconsciente de ce qu'il se passe, je recule de quelques pas, choquée et étonnée en même temps.

L'homme titube quelques instants avant de trébucher sur une branche cassée. Comme quoi, toujours lever les pieds, même sur un parking ! Il finit à terre, sur le dos, Gareth le surplombant de son mètre quatre-vingts.

-    Ça, c'était pour avoir manqué de respect à Eden, il déclare en armant son autre poing pour le frapper une seconde fois. Ça, c'est pour m'avoir forcé à parler sans pouvoir lui donner les explications qu'elle mérite.

Le second coup me fait lâcher une sorte de gémissement que personne ne semble entendre. Je regarde rapidement aux alentours pour vérifier qu'il n'y a aucun témoin hormis ma mère qui revient de sa mission.

-    Ça, c'est juste parce que t'es un gros con.

Cette fois, il change de technique et lui donne un coup de pied violent dans les côtes, arrachant un petit cri à la victime.

Ma mère arrive pour m'attraper les épaules, me guidant vers la voiture. Gareth crache une dernière fois sur son frère avant d'aider ma mère à me bouger de là.

Je sais qu'il le méritait. Je sais qu'il a été plus horrible que ça dans la vie de Gareth. Mais voir un homme gisant sur le sol en sachant que son enfant l'attend quelques mètres plus loin, c'est un peu dur pour mon cerveau retourné.

Je me retourne vers ma mère et Gareth, prête à les suivre quand Thomas se met à rire malgré la toux qui lui prend la gorge.

-    Si tu te fais frapper ou que ta mère finit morte dans une rue, faudra pas t'étonner. Bien fait pour toi.

Je ne sais pas ce qui me prend sur le moment, mais mon cerveau n'entend plus rien autour et se focalise sur le frère de mon copain. M'arrachant à mes proches, je me retourne pour foncer droit sur lui, armant mon poing comme j'ai vu faire Gareth juste avant, et le frappe au visage de toutes mes forces.

Si ma main me fait terriblement mal, je ne laisse rien transparaître pour être crédible.

-    Et ça, c'est pour avoir fait pleurer mon mec et insulté ma mère, connard.

Thomas se roule en boule tout en tenant son nez sanglant entre ses mains abimées. Avant qu'il n'ait la force de se relever, je retourne en courant jusqu'à la voiture où ma mère et Gareth n'ont pas perdu une miette de ce que je viens de faire.

-    Elle m'a pété le nez la connasse ! Hurle Thomas dans le silence de la nuit.

J'entre dans la voiture, côté passager. Gareth s'installe aussi, restant fixé sur mon visage, ses yeux bleus écarquillés comme s'il avait vu Casper pour de vrai.

-    Tu viens vraiment de lui péter le nez là ? Il demande d'un ton amusé.

-    Allez, fonce Clyde, je lui dis en souriant discrètement. Il ne mérite que ce qu'il a.

-    Merci, Bonnie, il finit en démarrant la voiture avant d'exploser de rire pour la première fois de la soirée.

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