Chapitre 3

Les Cowboy aussi disent des grossièretés sur les mamies

« Il sera exactement six heures et cinq minutes dans la capitale des monstres. La température frise les trente-cinq degrés. Bonne nouvelle pour vous... »

Mon réveil se met à hurler sur une réplique du film Monstres et compagnie ce qui manque de me faire tomber du lit.

« ... pioncer ou seulement secouer cette FEIGNASSE QUI VA DÉFONCER SON MATELAS ! DEBOUT, SULLI ! »

Encore. Cette fois, il a failli traverser le mur, mon crâne avec.

Je regarde l'heure et suis rassurée de voir que ce n'est pas celui qui doit sonner à midi mais bien celui que j'ai programmé tôt la veille. Mon tout premier service de ma vie commence à 10 heures et je suis ultra excitée malgré Bob Razowski qui continue d'hurler dans la pièce.

Je me lève à la fois heureuse et fatiguée tout en fermant son clapet à ce pauvre Bob, ouvre l'unique fenêtre de ma chambre pour laisser entrer le soleil déjà levé et observer le ciel bleu sans un nuage. Même l'univers est avec moi, on dirait.

Je me dirige vers mon frigo après quelques pas de danses pour me motiver. Une tranche de bacon me regarde et je la regarde aussi, pour être pôlie bien sûr. Je suis presque persuadée qu'elle crie « Mange-moi » alors je la prends pour la cuire ainsi qu'une compote.

- Désolé petite tranche, je dis à la deuxième qui reste seule dans le frigo, mais ton amie a l'air beaucoup plus appétissante aujourd'hui.

Évidemment, la petite larme que verse l'autre tranche de bacon ne m'empêche aucunement de dévorer mon petit déjeuner. Tout en allant vite pour éviter d'être en retard.

***

Une robe rose clair et des collants jaunes plus tard, je m'arme de mes super bottines porte bonheur noires pleines de motifs brodés en forme d'abeilles multicolores. J'attrape mon petit sac jaune et part de mon appartement en chantonnant Watermelon Sugar ; en espérant qu'il pleuve des pastèques dans ma vie.

***

Le trajet n'était pas très palpitant - aucun zombi, aucun méchant prêt à me capturer, aucune licorne qui vienne me saluer - mais l'ambiance de la ville me met plutôt d'excellente humeur. En entrant dans le café, la tête que m'offre Anita ne me rassure pas mais plutôt me fait paniquer intérieurement. Un mélange de sourcil levé, de sourire bizarre et de narines dilatées. Je pense qu'elle vient d'inventer une nouvelle expression faciale.

- Bonjour Anita ! dis-je avec un grand sourire aux lèvres malgré tout.

- Mon Dieu Eden, on dirait une poupée Barbie au carnaval ! s'exclame Anita en reprenant une expression plus habituelle.

J'observe ma tenue sans trouver rien à redire. Je sais que je n'ai pas un style très classique mais je lui ai dis que j'aimais les couleurs et elle ne m'a pas reprise.

- Bon, ce n'est pas grave, déclare-t-elle en soupirant gentiment. Au moins, quand il ne fera pas beau, tu illumineras la pièce à toi toute seule.

Je ne sais pas trop comment le prendre, mais je ne dis rien. Rien ne peut gâcher ma journée, même une vieille dame qui me traite de boule à facettes.

Un client d'une cinquantaine d'années reprend Anita en lissant sa longue barbe grise et blanche :

- Ne sois pas mauvaise langue Ani, je la trouve très charmante cette demoiselle, dit-il en m'offrant un large sourire laissant apparaître quelques dents plombées. Ça change des jeunes et de leurs jeans troués, je préfère une jeune fille pétillante qu'un jeune en jogging pour travailler !

Je lui rends son sourire et le remercie silencieusement tandis qu'Anita acquiesce lentement. La conversation ne va pas aller plus loin car elle se retourne vers moi vivement.

- Bon, toi, au boulot. Tu sers, tu souris, et dès que tu as besoin de moi, tu m'appelles, c'est aussi simple que ça, explique-t-elle. Tu vas à l'arrière, il y a un casier où tu peux mettre tes affaires. Pas de téléphone pendant le service, j'insiste mais ce n'est rien de nouveau. Tu trouveras un tablier sur le porte manteau. Quand tu seras prête je t'explique le fonctionnement de la machine à café et c'est parti.

- D'accord, merci beaucoup.

- Allez hop ! Tu devrais déjà être de l'autre côté !

Je passe derrière le comptoir au pas de course pour aller à l'arrière du magasin. Je suis un peu étonnée qu'elle me jette dans le grand bain aussi rapidement, sans formation ou interrogation sur la carte mais je suis prête à faire mes preuves quand même.

En effet, un casier que je n'avais pas vu le jour précédent est au fond de la pièce avec mon nom écrit en paillettes roses dessus. Comme quoi, même si elle critique, elle m'a bien cernée cette vieille dame. Et j'avoue que cette petite intention, aussi infime soit-elle, me fait chaud au cœur. Maintenant, je connais au moins une personne dans cette ville, et ça me rassure dans mon choix d'avoir tout plaqué.

J'y dépose toutes mes affaires en me promettant de customiser l'intérieur comme si j'étais au lycée. Puis comme prévu se trouve un tablier bleu clair sur le porte manteau avec comme inscription le nom du café. En fait non, c'est le premier qui me tape à l'œil, mais il y en a une dizaine en pendant sur le porte manteau, tous de couleurs différentes.

Je ne fais pas de cas et prends le premier tablier bleu que j'ai vu pour le nouer à mon cou et ma taille.

Je rejoins peu après Anita qui m'explique le fonctionnement de quelques machines qui ont toutes un prénom ainsi qu'un dépliant pour apprendre à faire chaque commande. Quand je regarde brièvement les quelques recettes, je me rends compte que ce n'est rien de bien compliqué. La seule chose qui est importante, c'est l'expérience que je vais acquérir pour être de plus en plus rapide. Mais si ce n'est que ça, je pense que je suis capable de préparer quelques gâteaux tout en mélangeant du café et du lait.

***

La matinée passe plus rapidement que prévu. Les clients sont très gentils avec moi mais aussi d'une patience impressionnante. Il faut dire que chaque commande est différente, donc entre un café latte et un Moka, il y'a une petite différence.

Heureusement, Anita passe son temps à m'aider mais elle me confirme que j'apprends vite et que je me débrouille plutôt bien ce qui regonfle mon égo à bloc. Elle prend le temps de me présenter les habitués, me chuchote des critiques ou ragots sur certains quand on est seule derrière le comptoir. Elle a toujours une anecdote sur chacun peu importe l'âge ou le temps d'arrivée en ville. Elle m'explique que même si la ville est considérée comme grande, presque tout le monde se connait. Vu comment elle me raconte tout ça, j'ai vraiment l'impression d'être une touriste de passage alors que c'est chez moi maintenant. Mais comme elle le dit si bien, le temps fera les choses.

***

L'après-midi passe elle aussi très vite, et la fin de mon service approche - ce qui réconforte mes jambes endolories. Anita est partie plus tôt que d'habitude à cause d'un rendez-vous médical, elle m'a donc confiée le café. Seule jusqu'à la fermeture à 20 heures, elle m'a légèrement rassurée en me promettant de venir fermer le magasin pour ne pas trop me stresser dès le premier jour. Ce qu'elle n'a pas pensé, c'est que je suis déjà super stressée de devoir gérer un café alors que je suis incapable de faire un Irish Coffee sans étouffer le client.

En plus, les gens présents ce soir me regardent souvent bizarrement pour toujours finir par me demander où est Anita et qui je suis. Ce n'est qu'au bout de la dizième personne que j'ai arrêté de bégayer et commencé à me sentir légitime d'être là.

Malgré la fatigue, mon sourire est toujours plaqué sur mon visage sans faiblir. Les derniers clients prennent leur temps, rendant le café aussi calme que dans la matinée. Je profite de ce petit temps pour passer un coup de chiffon sur le comptoir pour qu'il soit nickel quand ma patronne reviendra. Autant faire bonne impression pour l'avoir dans ma poche.

Un homme avec une chevelure rousse flamboyante me demande gentiment un café allongé et je m'exécute en abandonnant mon chiffon jaune dans un seau prévu à cet effet. Pendant ce temps, j'entends une autre présence approcher du comptoir.

- Bonsoir, je finis ce café et je suis toute à vous dans la limite du raisonnable ! Je déclare avec enthousiasme toujours dos à mon interlocuteur.

- Ça sera aussi pour un café allongé, déclare la voix grave qui me permet de deviner qu'il s'agit d'un homme.

- No problem ! Je vous fais ça dans une minute après avoir apporté ça à monsieur je ne sais plus son nom, mais j'adore ses cheveux !

Je me retourne pour sourire à l'homme, café en main, et le reconnait directement. L'homme que j'ai percuté, ou qui m'a percuté je ne sais pas trop au final, se trouve en face de moi, me jaugeant de ses yeux bleus. Je contourne le comptoir toujours le sourire aux lèvres pour ne pas afficher mon trouble, amenant le café au monsieur qui me remercie chaudement.

Puis je m'affaire à la tâche d'un deuxième café, dos à l'homme pour utiliser correctement la machine.

- Où est Anita ? me demande-t-il en soupirant.

- Vous n'êtes pas très original, c'est au moins la vingtième fois qu'on me pose cette question depuis qu'elle est partie, je réponds en soupirant de la même façon.

- Désolé de vouloir boire un bon café ce soir...

Je me retourne et le fusille du regard. Déjà que son attitude n'est pas très agréable, alors il ne va pas me gâcher ma journée en m'attaquant sur mon travail.

Sa tête reste impassible, me dévisageant ouvertement le plus naturellement du monde. Mes joues finissent par me trahir en devenant rosies et je décide de me retourner pour prendre le café qui me semble prendre mille ans à couler. Je me retourne comme un robot pour lui tendre son café et en finir avec cet homme désagréable.

- Elle est à un rendez-vous médical, je marmonne pour répondre à sa question et ne pas me faire un ennemi dès le premier jour. Mais attendez-vous à boire le meilleur café de votre vie, je suis la reine des café depuis... aujourd'hui en fait ! Mais c'est déjà beaucoup.

- Ah d'accord. Je croyais que la vieille avait claqué, se moque-t-il en haussant les épaules.

Je suis choquée par ses propos mais en même temps son sourire me fait perdre la raison pendant qu'il part s'assoir à la même table qu'hier. Qu'est-ce qui t'arrive Eden ? Un homme sourit alors qu'il espère la mort d'une vieille dame ! Tu ne peux pas craquer pour un barjo comme ça. Je sais bien qu'Anita n'est pas très jeune, mais de là espérer sa mort... C'est un peu extrême je trouve.

Il reste jusqu'à 19 heures pile comme plusieurs clients qui se lèvent en même temps, mais lui vient payer en laissant tout de même un petit pourboire. Quand je m'en rends compte, je n'ai pas le temps de le remercier qu'il a déjà disparu du magasin. Je regarde à travers la baie vitrée discrètement en accueillant un nouveau client, pour l'observer. Il traverse la route, mains dans les poches de son pantalon de costume, mais je n'ai pas le temps de voir où il va car la tornade Anita débarque en me criant de venir voir comment on ferme le magasin à l'arrière pour la prochaine fois. Et ce n'est pas le moment de décevoir ma patronne, donc je la rejoins au pas de courses tout en écoutant le son de sa voix pour la trouver.

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