Chapitre 27
Gareth aime Eden et Eden aime Gareth.
Le lendemain matin, je remercie l'univers de m'avoir donné une salle de bain non incluse dans la chambre. Pour la première fois de ma vie, la douche froide que je prends est la meilleure de ma vie. Après celle d'hier, il faut que je trouve un moyen de semer ma mère dans cette ville, sans moyen qu'elle ne revienne sur ses pas. Impossible, donc la seule solution est que se soit moi qui disparaisse. Un seul problème : elle sait où je travaille. Mais hors de question de la voir déambuler à charmer n'importe qui, raconter n'importe quoi sur moi ; en une heure, toute la ville ne parlerait que de la folle en mini-jupe qui s'est échappée du club de Greyson, hors service. Et même ça, Greyson risque de m'en parler pour la mauvaise pub, le pauvre.
Désolé mon pote, il y aura forcément des dommages collatéraux.
Je sors de la douche, de nouveau énervée, manquant de me fracasser le crâne contre le carrelage en enfilant mon pantalon orange. Il faudra que je pense à acheter un tapis pour ne plus glisser sur ce foutu sol.
Je passe vite fait réunir mes affaires pour partir au café sans prendre le temps de petit déjeuner avant, il y aura bien un bout de brioche qui traînera derrière le comptoir dont personne ne voudra.
Désolé petit bacon, ce ne sera pas pour aujourd'hui.
Je prends quand même le temps d'écrire un mot avec le double des clés pour ma mère. J'aurais préféré l'enfermer, mais je n'ai pas envie de voir débarquer la police pour séquestration de sa mère folle dingue. Et puis, à tout moment elle fait du mal à Rocky et là, je ne le supporterais pas.
Quand je quitte l'appartement, les ronflements de ma mère grondent encore et j'espère qu'ils dureront toute la semaine.
Avec un peu de chance...
***
Entendre la cloche tinter quand j'entre dans le café suivit du sourire d'Anita me remonte un peu le moral et mon humeur maussade. La vieille dame allume Bethany et me salue quand je passe derrière le comptoir. Aujourd'hui, elle a choisi le tablier jaune poussin pour faire ressortir sa robe aux motifs bleus et oranges. C'est joli, ça contraste bien avec la couleur foncée de sa peau.
- Bonjour Eden, tu as une petite mine dis donc, pense à dormir ma belle.
Si elle savait la nuit atroce que je viens de passer...
- Au fait, quand tu seras en tenue je vais ouvrir mais on a eu un arrivage de nouveaux romans pour remplacer certains qui commencent à dater. Je me suis fiée à la liste que tu m'as faite pour apporter un peu de France dans la bibliothèque. Tu pourras t'en occuper ?
- Pas de soucis patronne ! Je vais en profiter pour mettre en place le carnet de commentaires.
- Oui c'est une bonne idée ! Je l'ai préparé hier, j'ai fait un petit récap' pour que nos clients sachent qu'ils peuvent écrire dedans et donner leurs opinions sur les romans.
J'acquiesce et pars enfiler mon tablier en hâte pour déballer ce carton qui trône au milieu de la pièce. J'ai recommandé quelques tendances de France à Anita qui a adoré le concept. Notre but : attirer plus de clientèle jeune, des groupes qui viennent après les cours prendre un café en discutant autour d'un livre. J'ai même commencé à me renseigner auprès de jeunes pour monter un club de lecture qui pourrait se retrouver dans le café pour discuter d'un roman une fois par semaine. Quand j'ai soumis l'idée à Anita, elle m'a directement fait confiance et m'a dit de faire ce que je veux.
C'est vrai que le café est génial, il réunit beaucoup de monde mais il faudrait l'étendre un peu pour toucher plus de personnes et pas que des habitués du 3ème âge.
- Anita, je me sers un chocolat chaud, d'accord ? Je le paierai tout à l'heure.
Anita m'envoie un pouce en l'air quand je la rejoins avec le carton énorme. Je me sers un chocolat que je laisse derrière le comptoir pour le boire quand je passe. Mon ventre hurle à la mort mais je l'ignore : j'ai du travail qui m'attend.
Les premiers clients entrent, tous déterminés à prendre leur café habituel avant le travail. Je me dirige vers la bibliothèque et ouvre le fameux carton qui pèse lourd. Une dizaine d'exemplaires sont empilés dans le carton pour mon plus grand bonheur. Neufs ou de récupérations, ils sentent tous le papier frais.
Je trie dans la bibliothèque les quelques romans trop abimés et note sur mon calepin pour les racheter. Je les remplace par les nouveaux, quelques classiques comme Un long dimanche de fiançailles, L'écume des jours ou encore du Voltaire mais aussi quelques romances qui font rages en France de Emma Green ou Nine Gorman. Je ne peux m'empêcher de sourire comme une cruche en voyant le double de certains romans pour avoir les deux langues. Je n'oublie pas de mettre le carnet en évidence près de la bibliothèque avec un petit écriteau et des crayons. C'est vrai qu'Anita s'est appliquée : il est décoré pour donner envie mais aussi moche que l'affiche qui m'a permis d'obtenir ce job. Bien sûr, jamais je ne lui ferais remarquer.
Une fois rangés, je pars jeter le carton avant de retourner à mon chocolat chaud. Il n'y a pas grand monde pour un lundi matin mais après tout, il est encore très tôt. J'en profite pour voler un croissant. Anita a changé la recette sous mes conseils, alors ils ne peuvent qu'être excellents. Je me demande encore comment elle fait pour faire autant de nourriture à elle toute seule. Je sais que c'est sa passion et qu'elle ne veut pas que je m'occupe de ça mais ses pâtisseries sont toutes des tueries !
- C'était une très bonne idée, les livres en Français, je confie à Anita. Et avoir le même roman en anglais est très intelligent. Les gens vont pouvoir alterner.
- Je suis toujours intelligente ! Voyons, je ne suis pas qu'une vieille peau, je peux me mettre à la page ! Ris Anita en se servant un café au lait. Bon, maintenant il faut que tu m'expliques cette mine épouvantable ! C'est la première fois que je te vois comme ça et ça me peine. J'espère que ce n'est pas cet idiot de Davis sinon je lui tords les oreilles !
Je ris doucement pendant qu'Anita s'enflamme toute seule. J'espère secrètement qu'ils s'aimeront un jour ces deux-là même si c'est très mal parti.
- Non Anita, Gareth n'a rien à voir là-dedans. Enfin, je t'aurai dit oui avant la soirée horrible que j'ai passée hier soir. Et avant, je dois juste te faire remarquer que je prends très mal le fait que j'ai l'air « épouvantable », je lui marmonne avant qu'elle ne s'excuse.
Je sais que ma nuit a été très agitée, autant mon canapé est incroyablement beau, mais niveau confort pour dormir...c'est autre chose. Et entre ça et Rocky qui prenait beaucoup trop de place, ça n'a pas été la meilleure nuit de ma vie. Toutefois de là à dire que je suis épouvantable ! C'est un peu vexant sachant que j'ai pris la peine de me maquiller un peu pour cacher les dégâts.
- Ma mère a débarqué de France sans me prévenir, j'explique à Anita qui m'écoute d'une oreille attentive tout en servant un café à un homme de la trentaine plongé dans un roman que je viens d'installer. Elle reste toute une semaine et je ne suis pas sûre d'y survivre.
- Mais c'est génial Eden ! C'est adorable de sa part d'avoir fait le déplacement pour voir sa fille.
- Non, tu n'as pas vu le fléau que c'est. Elle va détruire tout ce que j'ai fait ici sans même s'en apercevoir. Crois-moi, Gareth y a été confronté hier et il est parti très vite.
- Si Gareth est parti, c'était plus pour vous laisser en famille, à mon sens. Et ça reste ta mère, je ne vois pas en quoi elle peut être si affreuse !
C'est la phrase de trop, ce qu'il ne fallait pas me dire pour me ramener dans mon humeur écrasante de tout à l'heure. Je n'en veux même pas à ma patronne de dire ça, tout le monde répond ça naturellement ; « mais c'est ta mère, tu dois l'aimer », « mais c'est ta mère, elle t'aime, c'est beau qu'elle vienne jusqu'ici pour toi », « mais tu sais, ça ne peut pas être si horrible que ce que tu dis, tu exagères ».
- Ma mère est une adolescente, elle a beau avoir plus de 45 ans, elle garde ses vieilles fringues d'il y a 20 ans ! Elle n'a aucun sens des priorités, je suis plus responsable qu'elle et je l'ai toujours été. J'ai dû grandir sans modèle paternel mais aussi sans maternel. Toujours avec un homme à ses côtés, qu'elle garde maximum un mois avant de changer. Dès qu'elle en voit un, elle sort sa mini-jupe et fait tout pour l'avoir dans son lit ! Alors si c'est ça une mère, je préfère vivre sans. J'ai passé mon enfance à déménager par sa faute, et à subir les comportements de ses maris douteux. J'ai tenu trop longtemps en gentille petite fille qui ne dit rien.
- Je comprends mais...
- Elle a fait les yeux doux à mon mec ! Elle a touché les fesses de Gareth devant moi !
- Calme-toi Eden, on n'est pas seules je te rappelle.
Son rappel à l'ordre me calme directement, mais heureusement je n'ai pas vraiment haussé la voix. Je jette un coup d'œil dans la salle mais tout le monde s'en fout, concentrés sur les nouveaux romans que j'ai mis en rayon.
- Je pense que vous avez un gros problème de communication, reprend Anita d'un ton posé. Fais au mieux pour que cette semaine se passe bien et tu verras que votre relation s'arrangera.
- Je peux comprendre que tu la défendes comme tu ne la connais pas, mais on parle d'une femme qui n'a jamais rien fait pour sa fille ou pour son intérêt mais plutôt dans un optique toujours égoïste. On parle d'une femme qui ne se souvient déjà plus du mari qu'elle avait il y a quelques mois et qui débarque bizarrement aux États-Unis alors qu'elle ne voulait pas partir de la France.
- Je comprends ce que tu dis Eden, mais nous allons devoir reporter notre conversation, un gros groupe de personnes arrive vers le café. Tout ce que je peux te dire vite fait, c'est que tu es trop bornée pour écouter qui que se soit, et il va falloir que tu grandisses là-dessus. Mais je pense que tu ne me mens pas pour autant.
La sonnette retentit pendant qu'un groupe d'étudiant entre dans le café. Anita les accueille gaiement et commence à prendre les commandes. Je me joins à elle pour l'aider, fixant un sourire sur mon visage pour que personne ne voit ma détresse.
***
Un peu avant 19 heures, Gareth entre dans le café vêtu d'une chemise noire et d'un simple jean de la même couleur. Il profite qu'Anita soit prise dans une commande pour me faire un baiser furtif en me demandant si ça va mieux. Mais Anita ayant des yeux derrière la tête, il n'échappe pas à son regard laser.
Après Bruce, c'est Superman qui a de la concurrence.
- Je ne sais pas, je me suis tuée au travail aujourd'hui, je lui avoue. Mais je dois dire que je n'ai eu aucune nouvelle de Stephanie ce qui me fait peur je crois. Tu n'as pas eu vent d'une femme à poil dans les rues ?
- Mais non, ne t'en fais pas, elle ne doit pas être loin. Et si tu n'as entendu aucun client parler d'une femme en mini-jupe rose bonbon, c'est que tout va bien, il tente de me rassurer. Moi ce n'est pas le cas et personne non plus.
- Sûrement...
Il me demande un café bien noir avec un pain au chocolat, la grande nouveauté depuis deux semaines ; il faut avouer que ma recette rencontre un très grand succès.
- Au fait, continue Gareth pendant que je regarde Bethany préparer sa boisson, excuse-moi pour hier. J'étais un peu déboussolé alors j'ai préféré m'en aller. Je n'aurais rien pu faire de plus pour t'aider et te réconforter donc je me suis dis que de l'espace ne te ferait pas de mal.
- Et moi je m'excuse pour ma mère tout simplement. Ce n'était pas la soirée rêvée après cette super journée.
- Ce n'est rien, au final elle est presque drôle ta mère, si on enlève ses mains de mes fesses... Je ne sais pas si j'ai aimé.
- Oui, non, mais elle s'est mit dans la tête que tu étais je ne sais quoi pour moi et c'était déplacé parce que...
- Attends, ça te tracasse parce qu'elle pense que je suis ton petit ami ?
Je n'ose pas répondre et pose son café fumant sur le comptoir. Il affiche un grand sourire puis se penche en avant pour me faire un bisou sur la joue.
- Je suis prêt à risquer ma vie et me sacrifier pour cette tâche difficile, si ça peut sauver un autre homme ou femme de le faire, soupire-t-il avec un sourire en coin. Je veux bien prendre ce titre.
J'explose de rire pour la première fois de la journée en écoutant ses bêtises. Je dois reconnaître que je suis heureuse qu'il mette un statut sur notre relation, même si elle est très neuve. J'ai ruminé toute la journée sur la soirée d'hier soir, de peur que Gareth n'ait fuit face à cette folle. Mais au final, il n'a pas l'air d'avoir pris peur mais plutôt de prendre cette tâche de petit ami très au sérieux.
- Merci de mettre ça au clair, je lui dis en servant son petit pain, je n'aurais pas eu le courage d'aborder cette conversation sans mourir de honte.
- Tu n'as pas à avoir honte Eden, c'est normal de vouloir savoir ce qu'on est l'un pour l'autre, me rassure Gareth. Surtout que tout s'est un peu précipité dans ta vie donc je peux comprendre que tu sois un peu perdue. Bon je suis désolé mais je dois aller bosser, on a une réunion avant l'ouverture, Greyson est sur les nerfs en ce moment c'est épuisant !
- Oui, moi il faut que je finisse mon service. J'ai bientôt fini mais je n'ai pas envie de rentrer alors je vais tenter les heures supplémentaires.
- Non, vas te reposer et je te rejoins à 22 heures devant ton appartement ok ? Je finis plus tôt aujourd'hui.
- Mmh, d'accord.
Un dernier bisou et il file plus vite que jamais au Milady. Je trouve ça bizarre qu'il finisse si tôt sachant que le lundi le club ouvre seulement à 20 heures. Après, peut-être que d'avoir son patron pour meilleur ami peut aider niveau emploi du temps. Mais c'est quand même étonnant qu'il soit autant laxiste sur ses horaires.
- Eden, allô la terre, E.T. Téléphone maison, me dit Anita d'un ton haché en claquant des doigts devant moi. Tu as fini ton service miss.
J'acquiesce et m'excuse en silence avant de retourner au vestiaire ranger mon tablier marron.
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