Chapitre 19

Retirez lui son téléphone !

Le vent se lève doucement quand Gareth prend ma main dans la sienne, marchant à deux vers nos chaussures sèches. Sur le moment, j'hésite à les remettre pour ne pas les abimer, mais le souvenir du chemin plein d'épines et de racines me rappelle à l'ordre. Ça ne sera pas pratique de marcher si je perds mes pieds dans cet endroit hostile.

Juste après qu'il m'eut embrassé — oui oui, j'ai failli le faire en première mais c'est lui qui a franchi le cap donc c'est lui qui m'a embrassé —, nous nous sommes simplement relevés en silence, les joues rouges. Lui a essoré son t-shirt et moi le mien, puis nous nous sommes dirigés vers nos chaussures sans parler. C'est là qu'il m'a pris la main. Le seul geste depuis le moment fatidique.

Qu'il prenne ma main atténue au moins un peu ma gêne. Ça faisait des lustres que je n'avais pas embrassé quelqu'un, je pense être plus rouillée que n'importe qui. Mais en même temps j'ai l'impression d'être une adolescente qui a reçu son premier baiser. C'est venu sans crier gare, sans préparation, juste dans la magie du moment. C'était génial.

Après avoir noué les nœuds de nos chaussures, aucun ne brisa ce silence. Encore. Gareth repris ma main pour m'aider à monter la pente en sens inverse de tout à l'heure.

Dans tous les cas, nous en reparlerons un jour ou l'autre, je l'espère. Parce que j'ai aimé. Et pour une fois, je me suis sentie un peu moins seule.

***

Quand nous arrivons à la maison de la fête, Greyson et Harper sont à l'extérieur les yeux rivés sur leur téléphone. Mon amie est la première à lever le nez, stupéfaite de découvrir la main de Gareth dans la mienne. Et sûrement nos vêtements tachés de sels après avoir été séchés par le vent.

Son étonnement m'étonne encore plus, elle qui est la première à nous charrier de passer trop de temps ensemble, que nous sommes bizarres et qu'il se passe un truc. Maintenant que c'est le cas, elle nous dévisage comme si j'avais une énorme pustule sur le nez et Gareth une moustache mexicaine.

Elle donne un coup de coude à Grey qui lève le nez à son tour, perdu, jusqu'à qu'elle pointe du doigt dans notre direction. Celui-ci ne semble pas étonné du tout et se dirige vers nous avec lassitude.

-    On vous a cherché partout Gareth, commence-t-il a râler en rangeant son téléphone. Harper était super inquiète de ne pas vous voir arriver ou répondre à ses messages. Je sais que tu n'es pas un grand fan de technologie mais bon, il fait nuit et les tueurs en séries ça existe toujours.

Je regarde mon téléphone que j'avais posé dans ma chaussure mais je constate qu'il est éteint. Je ne devais plus à voir de batterie. Je réprime quand même un petit sourire en souvenir de ce qu'il s'est passé et de la remarque de Grey sur les tueurs en série. Enfin quelqu'un qui pense comme moi.

-    Problème de batterie je crois, je m'excuse auprès de mes amis. Quant à Gareth aucune idée d'où est son téléphone.

Grey soupire avant de dire que nous sommes pires que des adolescents. Un gloussement — d'adolescente — m'échappe quand il dit ça.

-    J'ai voulu lui montrer la petite plage, se justifie Gareth, et regarde, nous sommes en vie ! Aucun tueur, aucun clown et aucune Harper sauvage en liberté !

En tournant sur lui-même pour illustrer son propos, Grey lui fait un croche-patte ce qui manque de faire tomber Gareth la tête la première. Vraiment des mecs ceux-là.

-    On va rentrer de toute façon, je déclare pour tenter d'arrêter leurs chamailleries. En tout cas, moi je rentre, je suis crevée.

-    Tu m'étonnes ! S'exclame Harper en levant les bras en l'air. Après que vous soyez aller bai...

-    Pas de soucis Eden ! La coupe Greyson en mettant une main sur les lèvres de la rousse.

Celle-ci se débat en ouvrant la bouche et mort la main du pauvre homme qui voulait bien faire. Gareth quant à lui, rougit légèrement ce qui le rend encore plus mignon. Je n'avais jamais remarqué qu'il a une élix à l'oreille droite...

-    Je vais te ramener de toute façon, dit Harper après s'être détachée de Grey qui verse une larme dans son coin.

-    Nan Harper, je suis désolée mais je ne veux pas mourir dans un accident. Tu as beaucoup trop bu et pas du tout en état de conduire, je déclare sérieuse.

-    Et toi aussi je te signale ! Me rétorque la rousse en fronçant son petit nez en trompette plein de tâches de rousseurs marrons et oranges.

-    Stop les filles, aucune d'entre-vous ne prend le volant ce soir, ok ? Et Harper on sait tous que tu as encore envie de faire la fête, c'est évident comme le nez au milieu de la figure. C'est beau comme sacrifice pour Eden, je pense qu'elle apprécie. Mais elle a raison, tu n'es pas du tout en état.

Elle baisse la tête mais ne dément pas. Greyson s'éclipse quelques secondes et va s'approcher d'un groupe de 4 personnes sur le point de s'en aller aussi. Il discute rapidement avec les étudiants avant de revenir vers nous.

-    Je les connais, ils sont safe et ils peuvent te déposer au passage, si tu veux, déclare Grey avant de remettre sa main dans sa bouche pour atténuer la douleur de la morsure.

Je regarde Gareth qui ne semble pas enthousiaste à l'idée que j'entre dans la voiture d'inconnus. Greyson semble comprendre nos doutes et rajoute :

-    Mec, je te dis que je les connais, il ne lui arrivera rien. Je ne suis pas fou à ce point, je l'aime bien le minimoys quand même. Et puis c'est à elle de décider de toute façon.

Je ne relève même pas et me contente de sourire quand Gareth hoche la tête. Il me fait un petit bisou sur le front et Grey me fait signe de le suivre. Le groupe est composé de 2 filles blondes très athlétiques et immense par rapport à mon petit corps, un garçon qui a l'air très gentil avec une magnifique chevelure rousse ramassée en queue de cheval haute et de quelqu'un sûrement non binaire car je ne parviens pas à déterminer son sexe biologique. Son style vestimentaire est très similaire au mien ce qui nous fait sourire tous les deux. La seule différence, iel a des cheveux courts noirs, décorés d'un serre-tête oreilles de chat — il-me-le-faut-absolument.

Grey me présente vite fait à la petite troupe avant de me dire au revoir. Ils sont tous très gentils, et je suis étonnée de voir qu'ils ne sont pas vraiment bourrés mais plutôt très enthousiastes à l'idée de rentrer manger une pizza devant un film.

Je monte à l'arrière de la voiture avec les deux filles en mini-jupes qui laissent en voir beaucoup trop et m'attache. Un dernier coup d'œil à Gareth avant que l'on ne tourne au coin de la rue et que tous disparaissent de mon champ de vision.

***

J'apprends que les deux filles — Cherry et Eva — sont dans l'équipe de cheerleader de leur université et se préparent aux championnats régionaux. Elles espèrent se faire repérer pour obtenir une bourse qui leur permettrait d'ouvrir un jour leur propre club de cheerleading spécialisé dans l'handicap. Elles m'expliquent leur projet avec tellement de passion que je prends leur Instagram au cas où elles y arrivent un jour. Je les trouve tellement courageuses d'avoir tant d'ambition !

Le conducteur — Gale — est président du club de cinéma. Il a réussi à emprunter une de ces grandes nappes blanches sur lesquelles on projette des films ; comme personne ne l'a réclamé, il l'a gardé et organise des soirées cinémas dans son jardin. Il m'a proposé de me joindre à eux ce soir mais j'ai décliné, très reconnaissante mais trop fatiguée pour accepter.

Enfin, son co-pilote Charlie est tellement adorable et drôle que l'ambiance de la voiture est incroyable. Iel passe sa vie à faire des blagues — souvent nulles — mais qui mettent un peu de joie dans cette petite voiture. Iel m'explique qu'iel ne fait rien de particulier à la fac hormis qu'iel tente de rentrer dans l'équipe de hockey, ce qui est très compliqué. Son ami Jake tente tant bien que mal de négocier auprès de l'entraîneur mais c'est surtout tout l'administratif qui coince ; comme Charlie ne se reconnaît dans aucun genre, ils n'acceptent pas de l'inscrire tant qu'iel ne coche pas la petite case homme ou femme. Iel en rit et en parle avec légèreté mais je sens que ça le touche plus qu'iel ne le croit.

Ses amis en tout cas le soutienne à fond, et sont en train de faire circuler une pétition pour le laisser entrer dans l'équipe. De ce que j'ai compris, iel n'est pas très musclé mais c'est un excellent ailier ; iel a reçu plusieurs lettres de recommandation de son lycée pour lui faire intégrer l'équipe, en vain. Ça me fend le cœur d'entendre ça, iel semble si passionné par ce sport ! Surtout qu'iel est conscient que c'est au niveau morphologique qua ça pourrait coincer, mais comme iel le dit, iel tente d'entrer dans l'équipe masculine et iel est né homme, donc ce n'est même pas une excuse valable.

J'aimerais vraiment lui venir en aide, mais je ne peux rien faire hormis signer la pétition qui regroupe déjà plus de mille signatures !

Quand c'est à mon tour de parler de moi, je me gratte nerveusement la main en annonçant que je suis française et comme je m'y attendais, tous sautent de leur siège pour me poser des centaines de questions...

***

Quand j'arrive chez moi, l'appartement est silencieux comparé à l'intérieur de la petite voiture jaune. Le bruit des vagues a beau raisonner encore au fond de mon crâne, le silence est bien réel, pesant.

Dans mon lit, les draps sont froids et le silence persiste, me glaçant jusqu'aux os.

Dans ma tête, la douleur s'immisce doucement et les pensées volent et me frappent à toute vitesse m'obligeant à rester éveillée.

Il m'a embrassé. Sur une plage au milieu de la nuit. Lui qui me paraissait si froid au début et qui a changé d'attitude en un claquement de doigt. Lui que je ne connais absolument pas. Lui qui ne me connaît absolument pas.

Je ne sais pas ce que ça veut dire, que faut-il faire quand un homme vous embrasse ? L'environnement était propice à ce genre d'évènements c'est vrai. Peut-être qu'il va regretter ? Non, sinon il n'aurait pas pris ma main plusieurs fois après.

Je change de position dans mon lit, espérant trouver la position plus confortable, en vain.

Au moins, le drôle groupe d'ami de Greyson m'a permis d'oublier mes doutes pendants quelques instants.

Comme le sommeil ne vient pas, je prends mon téléphone pour aller regarder les pages réseaux sociaux de mes nouveaux amis quand mon téléphone s'allume en vibrant fort, signe que ma mère tente de me joindre. Je soupire en me redressant, décrochant après de longues secondes pour entendre la voix de la femme qui m'a donné la vie. Encore.

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