13 - Les excuses

Après avoir entendu ça et compris le sens de ses mots, je me lève brusquement, et sort. C'est plus fort que moi. Je ne peux pas rester là, assise face à lui, à faire comme si de rien n'était.

À prétendre que je me suis pardonnée le mal que je lui ai fait. Quand je le regarde je ne vois que ça. Encore et encore. Ça ne veut pas s'arrêter.

Je me laisse tomber sur l'unique chaise qui réside sur mon petit balcon, et je ferme les yeux. Je tremble. C'est idiot, complètement idiot.

Les larmes se bousculent aux commissures de mes yeux, et tout est trouble. Mes pensées fusent, je suis perdue. Je ne sais pas ce que ses mots veulent dire, même si j'en saisi entièrement le sens.

Je suis seule depuis tellement de temps, j'ai toujours été seule, et j'ai l'habitude de l'être. Mais tout est si différent depuis que mon regard est tombé sur lui.

Je sais que tout a été d'une rapidité déconcertante avec lui, je sais que rien n'a été fait selon les règles, qu'il n'y a jamais rien eu de concret, qu'on n'a jamais eu l'occasion de réellement vivre quelque chose.

Je sais qu'on n'a jamais eu l'occasion de s'aimer vraiment.

Et je n'arrive pas à me dire qu'aujourd'hui, on pourrait avoir cette opportunité. Qu'aujourd'hui, on pourrait s'aimer.

Derrière mes paupières closes, je ne distingue que son regard brisé, la douleur dans ses yeux, la dernière fois que je les ai vu. Je ne vois que le mal que j'ai causé.

Je ne saurais pas le rendre heureux, jamais. Je ne peux pas. Pas parce que je ne le veux pas, juste parce que c'est comme ça.

C'est écrit quelque part.

Les gens qui m'entourent ne peuvent pas être heureux. D'ailleurs, qui l'a seulement été ?

Mon père est parti. Ma mère est morte. Ma cousine me déteste. Ma tante n'a fait qu'assumer sa responsabilité de tutrice légale après le décès de sa sœur. Mes deux frères ne m'ont côtoyée que quelques mois, et je ne leur ai apporté que des embrouilles.

Et lui.

Qu'est ce que je lui ai apporté, à lui?
Un passe-temps, pour commencer. Puis un intérêt, au fil du temps.
Tout ça pour finir en poids mort.

Je lui ai apporté déception et cœur brisé. Abandon et trahison. Comment peut-on pardonner ces choses là? Comment peut-on les oublier? Passer au delà?

Moi je n'en suis pas capable. Je ne peux me résoudre à oublier le mal que je lui ai fait, toutes ces mauvaises choses qui me suivent et que je traîne derrière moi depuis si longtemps.

Rien ne s'efface, rien ne s'oublie, on s'habitue simplement au poids qui nous accompagne chaque jour, à la douleur, aux absences. Chaque matin, on s'y habitue un peu plus, à en oublier que c'est la.

Je veux dire, allez quoi, réfléchissons deux secondes. Qui n'a pas quelque chose qu'il traîne à ses côtés chaque jour sans pouvoir s'en défaire?

Personne que je connaisse.


La porte s'ouvre, me sortant de mes pensées. Je n'ai toujours pas ouvert les yeux, et ça doit faire un bon quart d'heure que je suis assise ici.

Je sens la présence d'Ashton à mes côtés, mais je ne dis rien. Un long silence s'installe, mais je ne me sens pas mal à l'aise. Je suis juste perdue.

J'entend sa respiration lourde, le vent dans les arbres, et je sens les rayons du soleil couchant sur ma peau. Et j'entends le bruit de l'eau.

~ « Sur son lit d'eau se reflétera, les rayons du jour qui se lèvera. », murmure-t-il. On y est, à peu de choses près. Pour le coup, ce sont les rayons du jour qui se couchent.

Je ne dis rien et me repasse les mots que je viens d'entendre. Je souris mentalement. Il a trouvé le carnet. Il a trouvé ma note. Il l'a lue. Il s'en souvient.

Je ne sais pas comment réagir. Je ne sais même pas si je dois réagir. Si je dois dire quelque chose, me taire? C'est mignon, mais en même temps pas trop. C'est amer, mais léger.

Je suis paumée. Je ne sais pas, je ne sais plus. Il est là, si proche de moi, et mon cerveau est à des années lumières de nous, et je n'arrive pas à trouver réponse à mes questions, à réfléchir correctement.


Puis soudainement, je sais. Je sais ce que je dois faire. Ou justement, ce que je ne dois pas faire.

J'ouvre les yeux, et je comprend que je dois faire l'impasse sur toutes ces pensées qui se bousculent dans ma tête constamment. Pour une fois, il faut que je lâche prise, que j'arrête de réfléchir à tout, que j'arrête de tout tourner dans tous les sens, et que je vive. Simplement.

~ Tu as tout lu, ou juste ça? je demande alors que je connais déjà la réponse, le connaissant, il aura forcément tout lu.

~ Tout. Mais je n'ai gardé que ce qui m'était adressé, il répond.

~ Tu en as pensé quoi? j'enchaîne curieusement, satisfaite d'avoir vu juste à ma réponse précédente.

~ Ça m'a fait du bien, il commence. J'étais blessé quand je l'ai lu, alors ça m'a rassuré en quelque sorte. J'ai su que ce que je ressentais pour toi n'était pas qu'un cri dans le vent, que ce n'était pas qu'un grain de sable dans l'océan. J'ai su que je n'étais pas seul.

Il s'arrête de parler, et je dis rien. Je regarde simplement le soleil couchant et le lac depuis mon petit balcon en attendant qu'il enchaîne la suite de ses pensées.

~ Je n'ai jamais su comment réagir, souffle-t-il finalement, sur le ton d'une confidence.

~ Comment réagir? Par rapport à quoi? je lui demande, surprise.

~ Par rapport à ton absence, il murmure.  Par rapport à mes sentiments. À ton départ. À tes mots. Par rapport à tes actes. Juste par rapport à tout en fait.

~ Je suis désolée Ashton.

Il ne répond pas, mais je sais qu'il m'écoute. Peut être est-ce enfin le moment pour moi de vider mon sac et de laisser sortir tout ce que je garde depuis tant de temps. Peut être que je suis prête à lâcher prise, et que lui est prêt à entendre ce que j'ai a dire. Peut être est-ce enfin le bon moment.

~ Je sais que tout a été trop vite entre nous, et en même temps tout était trop lent. Tout était trop compliqué, et tout était simplement « trop ». C'était nous, quoi. Et au fond, c'est ce que j'aimais. Après je ne sais pas, peut être qu'on ne s'est pas rencontrés au bon moment, peut être qu'on s'est pas rencontrés correctement, je n'en sais rien. Mais voilà, c'est arrivé comme ça et on n'y peut rien. Mais je suis désolée. Je suis désolée, et je sais que rien n'excusera jamais mes actes, rien n'excuseras jamais le fait que ...

Je marque une pause. Les mots ont du mal à sortir, parce que ça me fait du mal à moi même.

~ Le fait que j'ai couché avec ton frère, je reprend, alors que toi tu étais seul.

Une larme se perd au coin de mon œil et glisse lentement sur ma joue.

~ Je ne me pardonnerais jamais ce que j'ai fait. Parce que ce jour là, j'ai su que j'avais tout gâché. Et quand tu es arrivé... alors là, j'ai su que j'avais tout perdu. Je me suis sentie tellement dévastée, tellement ridicule et honteuse. Je me dégoûtais. Littéralement. Je n'avais qu'une envie, c'était de me laisser crever. Après ça, je n'avais plus de raison de vivre.

Une fois de plus, je m'arrête de parler. Parce que je ne fais que ça. J'ai l'impression d'en dire trop. Mais en même temps, j'en ai besoin. Et je pense que lui aussi.

~ J'ai toujours « secrètement » espéré te revoir un jour. Il n'est jamais passé une journée sans que je pense à toi.

Je me tourne enfin vers lui, et je constate que ses yeux sont rivés sur moi. La lueur dans son regard est éclatante, j'ai l'impression de voir un feu de joie dans ses iris. Je souris. Ça me rassure.

~ Tu m'as manqué chaque jour. Chaque heure. Chaque minute. Et même ici, alors même que tu me face, tu me manques. Parce que rien ne sera plus jamais pareil.

Je conclu sur ces mots et continue de le regarder. Je me sens mise à nu, mais ce n'est pas aussi dérangeant que ce que je pensais.

Je me lève, et m'adosse a la rambarde du balcon pour mieux le regarder. Il est très proche de moi, et me surplombe toujours d'une très grosse quinzaine de centimètres.

J'aimerais qu'il me réponde, là, maintenant, tout de suite, mais je sais qu'il va d'abord réfléchir à ses mots avant de faire quoi que ce soit.

Mais je compris vite qu'il n'avait en réalité pas besoin de ça, lorsque à peine quelques centièmes de seconde plus tard, ses lèvres rencontrèrent les miennes.



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