Chapitre 4 [Partie 2 - Finish Line]
Tom
Un jour de plus, une nuit de plus ... Pfff, je n'arrive même pas à savoir depuis combien de temps je l'attends ... Je pensais pourtant avoir été clair, et le message me paraissait évident et on ne peut plus simple à déchiffrer pour une personne de son profil, elle qui excelle dans l'art de la résolution d'énigmes. Enfin, c'est ce que sa fiche disait. Malgré toutes les complications que ce soi-disant test a pu apporter, je dois avouer qu'ils ont été malins de me laisser une feuille de route de ma coéquipière, si je puis l'appeler ainsi, car jusqu'ici, elle n'a de coéquipière que le titre. Pourvu qu'elle me trouve, qu'elle comprenne ce que j'ai voulu lui dire.
Le visage déconfit, à peine éveillé, j'écarte les pans du sac de couchage que j'avais trouvé il y a de ça des jours maintenant, lors de ma fuite. J'étais par chance passé à côté de plusieurs camps abandonnés, que nous avions complètement raté en longeant la mer la première fois que nous étions venus. Certains d'entre eux comptaient encore dans leurs rangs de la nourriture, des sacs de couchage et même parfois des talkies walkies, bien utiles en cette période où les relations sociales ne sont guère plus présentes que les espoirs de survie. Quant à leurs propriétaires, même si j'avais eu quelques remords à leur subtiliser leur équipement, je devais me rendre à l'évidence, la plupart d'entre eux n'étaient plus de ce monde, ils avaient succombé au jeu, ou bien l'avaient maîtrisé.
Là où j'avais élu domicile, tout me paraissait étonnamment familier, comme si j'avais connu cet endroit auparavant, comme si j'y avais déjà mis les pieds. Rien de bien alarmant, ça allait probablement revenir avec le temps, du moins je l'espérais.
Une chose est sûre, si tel est le jeu, j'en ai compris la plupart des rouages. J'ai vite compris que nous n'étions que les pions de ce grand échiquier, voués à devenir les survivants, ou les damnés. En effet, bien que les décors aient été bien plantés par les sadiques manipulateurs de cette mascarade, beaucoup de détails venaient perturber les piètres camouflages dont ils aimaient s'orner.
J'espère seulement que Roxanne a eu la lueur d'esprit de s'en rendre compte, sans quoi je ne pourrais jamais sortir d'ici. Cela devait être d'autant plus simple pour elle, qui avait en plus postulé pour être là, à l'inverse de toutes les vies qui avaient été sacrifiées pour booster l'ego de pauvres scientifiques en quête de leur première découverte dans le nouveau monde. Elle est la clé de notre survie à tous les deux, mais elle n'a pas su trouver celles qui lui permettrait de le comprendre. Du plus haut que je commence à la détester, je ne peux m'empêcher d'imaginer qu'elle fait son maximum pour me retrouver. Même si elle avait toujours agi pour mon bien et pour ma sécurité jusqu'ici, elle avait réussi à mettre des bâtons dans les roues du plan censé nous sortir de là, malgré elle. Dans sa quête de rédemption vis-à-vis de moi, elle s'était découverte une personnalité beaucoup trop aidante pour un monde si dangereux.
Sans dire que je suis devenu un roc, je dois admettre que les poignées de jours qui viennent de passer m'ont beaucoup aidé à m'endurcir face aux autres et à la vie de manière générale. Même si derrière mes lunettes se cachent le Tom, candide et frêle des premiers jours, il est clair que j'ai des raisons de penser que je mérite de faire partie de l'élite, de reprendre une vie normale, du moins d'en créer une nouvelle.
Comme tous les matins, c'est l'heure de ma ronde matinale autour de mon foyer de pierre, et comme tous les matins, pas la moindre trace du passage d'un humain, et encore moins de Roxanne. A vrai dire, personne n'est jamais passé par ici depuis que je suis arrivé, mais je continue de croire que l'on est jamais trop prudent, quand il s'agit de survie. Je ne sais pas si c'est l'espoir de revoir Roxanne qui me motive, ou bien l'excès de zèle, mais je m'efforce de pousser mon chemin un peu plus loin ce jour-là. Au détour de ce qui semble être un talus de sable et de terre, je fais face à une grande étendue d'herbe, asséchée et jaunie par la chaude saison qui s'est terminée il y a quelques semaines. Une fois de plus, cette vision me conforte dans l'utopie que ce monde représente. Pas une feuille ne vient joncher le sol, parfaitement lisse et libre de toute tâche, tel un tableau parfait que l'on n'ose toucher. Il est évident que les gens qui ont créé ce monde ont plus souvent vu un ordinateur que le monde extérieur, qui ne ressemble guère au somptueux spectacle qu'ils souhaitent représenter. Quoi qu'il en soit, je ne vois rien de plus que ce qui m'a amené ici, et je ne mets pas longtemps à rebrousser chemin.
Il ne me faut que quelques secondes pour arriver en bas de la raide pente qui constituait mon point de vue, mais il ne m'en faut pas une de plus pour le remonter. Et pour cause, alors que j'arrive en bas, un cri me parvient jusqu'aux oreilles, venant de la position que j'ai abandonnée il y a à peine quelques secondes. Je me précipite à la pointe de la côte, juste à temps pour apercevoir un homme courir, ou plutôt fuir, dans ma direction.
- "Laissez-moi un peu de temps, je vous en supplie, je vais y arriver" crie-il, visiblement paniqué à l'idée d'être pourchassé.
Malgré tous mes efforts, il m'est impossible de voir qui que ce soit aux trousses de celui-ci, qui semble halluciner, tant il représente la seule source de perturbation dans la quiétude du moment. Il n'a pourtant pas l'air sénile, du moins, c'est ce que son âge moyen laisse penser. Il est vêtu on ne peut plus simplement d'un t-shirt bleu et d'un jean, dont les genoux ne tardent pas à être tachés de terre. Celui-ci vient de s'écrouler par terre, après avoir violemment trébuché sur quelque chose. L'homme à terre, je m'empresse de m'élever au point le plus haut pour voir qui peut bien lui vouloir tant de mal, la plaine n'étant occupée à l'heure actuelle que par lui. Toujours aucun ravisseur en vue, mais l'homme continue d'hurler, tétanisé par la terreur.
J'aimerais l'aider, mais il est hors de question de commettre la même erreur que Roxanne. Qui suis-je pour lui donner des leçons si je compromets encore plus le peu de chance qu'il nous reste de nous en sortir. J'observe l'homme, qui s'approche de plus en plus de moi, ses yeux remplis d'effroi, avec un soupçon de honte. Qui est-il, un voleur, un tueur, ou bien un simple citoyen qui vit sa première journée dans ce que j'aime désormais appeler "le cirque". L'idée m'est venue assez naturellement. Au final, nous sommes plongés ici, destinés à divertir des gens, en espérant être assez convaincant pour obtenir une récompense, un peu comme un cirque, en légèrement moins amusant.
Plongé dans mes pensées, je ne remarque pas l'homme qui est maintenant à quelques mètres de moi. Celui-ci ne cesse de regarder derrière lui, comme poursuivi par un fantôme que l'on ne peut pas voir. Il se décide enfin à regarder devant lui au moment où il se prend les pieds dans le sol une nouvelle fois, à mesure que celui-ci s'élève vers la pente un brin escarpée. Il s'écrase la tête la première dans l'herbe sèche, mais ne tarde pas à essayer de se relever. Une fois sur ces genoux, et malgré toutes mes précautions, celui-ci m'aperçoit et s'empresse de me le faire savoir.
Et merde !
- "GAMIN, RESTE PAS LÀ, AIDE MOI !! TU VOIS BIEN QU'ILS ARRI..."
Il n'a même pas le temps de finir sa phrase. En une fraction de secondes, je redécouvre ce que je pensais maîtriser jusqu'ici sur le bout des doigts. Plus un bruit, plus un son, plus un geste. La plaine a retrouvé son silence si représentatif, comme je l'avais trouvé il y a quelques minutes, comme si tout avait été annulé, effacé. Un oiseau vient se poser quelques mètres plus bas, preuve de la sérénité retrouvée de l'étendue désertique. L'homme vient de disparaître sous mes yeux, comme téléporté dans une autre dimension. L'action s'est déroulée en un instant, tout est allé si vite, sans que personne ne puisse s'en rendre compte. Un simple clignement d'œil aurait suffi à rater ce qui s'est apparenté à un mirage. Dans un élan de lucidité, je me saisis de mon bras et le pince, afin de vérifier que je ne suis pas une fois de plus dans l'un de mes rêves mouvementés, qui tourmentent mes nuits solitaires ici. Rien, non, il n'en est rien, ce qui vient de se passer est bien réel, et sous mes yeux en plus. Qu'en est-il de l'homme, est-il mort ? Fait-il partie de tous ces joueurs que l'on ne retrouve jamais ? Un soupçon de culpabilité me parvient à l'esprit lorsque je repense à l'un des camps abandonnés dans lequel je m'était servi. Peut-être avais-je causé sa mort en lui volant quelque chose. Non, c'est stupide, je ne peux pas me résoudre à imaginer que j'ai causé la mort de quelqu'un, pas encore.
Encore perturbé, et les yeux complètement écarquillés, je redescends doucement, en direction de là où l'homme a ... disparu ? Je ne suis pas sûr que ce soit le terme à employer, mais c'est pourtant ce qui vient de se passer. Bercé par l'excitation et la peur, je m'approche du lieu qui, bien que vide, suscite mon attention la plus pointue. J'ai beau passer ma main dans l'air, comme pour activer un capteur ou une sorte de mécanisme faisant revenir l'apprenti Houdini, rien n'y fait, il n'est définitivement plus ici et n'a rien laissé. Comment est-ce possible, qu'a-t-il fait pour mériter ça ? Ne pouvant me décider quant à la sentence qui a été administrée au pauvre bougre, je rebrousse chemin et m'apprête à rejoindre une nouvelle fois mon abri. Je n'ai une fois de plus que le temps de faire quelques pas avant d'entendre pour la première fois depuis maintenant plusieurs semaines ce bruit, celui qui me terrifie.
Bien qu'aussi terrifiant qu'habituellement, il a quelque chose d'autant plus intriguant. Celui-ci se fait un peu plus lointain que d'habitude, comme si il ne m'était pas destiné. D'un réflexe peu maîtrisé, mon corps se retourne malgré moi en direction de ce son, et j'aperçois, jonchant le sol, un cylindre métallique, dont le soleil projette les reflets dans mes yeux. Celui-ci porte en son bout une petite lumière, que je vois clignoter de plus en plus vite, avant de s'éteindre définitivement. C'était donc ça depuis le début ? Nous portons tous ce genre d'émetteur, sans doute pour traquer nos mouvements ... La source de nos terreurs n'étaient en fait qu'un bout de ferraille que nous ne voyions pas. A la fois fasciné par l'ingéniosité du système, et honteux envers moi même, je peine à être satisfait de ma découverte. En effet, rien de tout ça ne semble ressembler à la menace dont l'homme essayait de s'enfuir.
Un détail me revient soudain à l'esprit alors que j'essaye de chercher un maximum de rationalité dans mes pensées. Le fuyard avait chuté une première fois, trébuchant dans sa course sur ce qui semblait être une plaine d'une platitude parfaite. Je l'avais pourtant vu se prendre le pied dans quelque chose ... Sans attendre une seconde, il fallait que j'en ai le cœur net. Je me mit à courir vers l'emplacement de sa chute, marquée par une traînée de ses chaussures au sol. Cependant, pas une seule racine, ni une seule branche ne venait déranger la perfection dans laquelle avait été créé cet endroit. La réponse semblait évidente, ces trucs de métal dont nous étions armés nous faisaient voir tout et n'importe quoi, au bon vouloir de nos bourreaux. Si ceux-ci peuvent contrôler tout ce que nous voyons et faisons, alors peut-être sont-ils capables du pire, ou bien du meilleur ...
C'est bouleversé par ma découverte que j'emprunte une fois de plus le chemin du retour. Cette fois-ci, rien ne viendra me déranger, à mon grand bonheur. Malgré tout, je n'arrive pas à oublier la scène que je viens de vivre, tentant de trouver des réponses au sort qui a été réservé à celui dont j'avais déjà oublié le visage. Une fois de retour, ma mission est claire, trouver à tout prix le mouchard, ou du moins ce qui semble en être un, caché dans mes affaires. Si celui-ci ne veut pas faire de bruit, alors je le trouverai par moi même. Je passe le plus clair de la journée à retourner le moindre recoin de mes minces affaires, sans succès, alternant entre rage, colère et pleurs. Mes émotions se muent aussi vite que ma folie emplit. J'ai l'impression de continuer à me battre sans savoir si ce que je vis est réel ou si tout n'est que le fruit de mon imagination, voire même de la leur.
Ce n'est qu'au bout de cinq fouilles complètes que je me rends à l'évidence, si je porte un de ces trucs là avec moi, il n'est définitivement pas dans mes affaires. Exténué, je me résous à abandonner mes recherches pour le moment. Je m'assois, les jambes repliées, le long du mur qui me sert de paravent, examinant tous les aspects de la petite bobine, que j'ai pris soin de ramener avec moi. Au fond de moi, je sais que je ne suis pas assez compétent pour trouver la solution à ce mystère, ni même en comprendre l'utilité ... Je déteste me dire ça, mais j'aurais aimé que Roxanne soit là pour m'aider.
Même si j'aimais sa présence, je ne pouvais m'empêcher de repenser à cette nuit. Cette nuit où elle m'avait parlé de son passé, de notre passé. Elle avait retranscrit de manière si naturelle tout ce qu'il s'est passé, à l'image d'un film que l'on raconte dans la cour de récré, sans réellement n'avoir laissé transparaître le moindre regret, la moindre honte.
Ses excuses, bien que paraissant sincères, ne suffisent pas à combler tout le mal qu'elle m'a fait. Malgré tous les scénarios que je peux imaginer à propos de ces motivations à compléter ce jeu, je ne peux pas m'imaginer qu'elle le fasse sans moi. Son cruel désir de se racheter la poussera à me sauver, à trouver la solution pour me sortir de là, atteindre la ligne d'arrivée.
Jusqu'ici, tout s'était passé à peu près comme je l'avais imaginé. Il viendra pourtant un temps où les masques tomberont, mais je l'espère le plus tard possible. La pièce manquante de mon aventure ici n'est que son retour. Mon passe-droit vers une nouvelle vie, vers l'espérance d'un renouveau, dans lequel je peux enfin vivre ma vie, sans avoir peur d'être qui je suis. Où que tu sois Roxanne, j'espère que tu es en route.
En plus de m'aider à sortir de là, je compte bien avoir ma vengeance, car contrairement à ce que tu crois être la vérité, je n'ai jamais rien oublié de tout ce que tu m'as fait.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top