Chapitre 4 [Partie 1 - Remembrance]


C'était donc ça depuis le début ? Depuis le crash de cet avion, je n'avais été que le pion de mon propre jeu ? Même si je me refuse à le croire, il faut bien admettre que j'ai été bête de ne pas le comprendre jusqu'ici. Lorsque j'y repense, beaucoup d'éléments concordent. Tom devait probablement être mon "binôme" dont ils aimaient tant parler, mais il ne s'en souvenait pas, ça semblait logique. L'homme qui me suit ne doit être autre que celui qui vérifie que tout se passe bien, que je joue bien dans les règles, et par conséquent, j'en déduis que le message de la veille provient d'un organisateur qui souhaite pimenter un peu la partie. Mais alors qu'est ce qui est vrai, qu'est ce qui ne l'est pas, et quels sont les risques ? Si ce n'est qu'un jeu, alors les règles sont bien mal expliquées. Reprenant mes esprits et calmant un temps soit peu mes nerfs, j'entends les hommes s'enfoncer dans la forêt, toujours à la recherche de Tom. Mais si c'est moi la joueuse, alors pourquoi ne me cherchent-ils pas moi ?


Quoi qu'il en soit, rien n'est acquis ici, et je dois trouver un endroit plus sûr si je veux mettre mes idées au clair. J'avais l'impression de fuir en permanence, comme si tout et tout le monde m'empêchait de concrétiser mes envies. C'est peut-être ça après tout la teneur du test, repousser ses limites et voir qui tiendra le plus longtemps. En veillant à ne pas alerter qui que ce soit, je trouve refuge dans une maison, au milieu d'un champ de colza. Enfin, j'imagine que c'est du colza, disons que la saison ne m'aide pas vraiment à savoir ce qui pousse ici. Bien loin d'être l'endroit le plus sûr et le plus camouflé, cela avait au moins le mérite de m'abriter, et de m'éloigner de cette maudite forêt. Je prends rapidement possession des lieux, c'est une petite maison, pas plus de quatre pièces, ce qui est bien assez pour ma personne. Au contraire, je suis même plutôt contente, moins d'espace veut aussi dire moins de possibilités d'être surprise, ou découverte. Après une rapide inspection de la demeure, aucune trace d'un passage de qui que ce soit, ou d'une potentielle embuscade, je suis seule, et même si cela n'est pas le cas, j'ai au moins l'impression d'être en sécurité. Aussi stupide que cela puisse paraître, le simple fait d'avoir un lit me réconforte dans l'idée que venir était un bon choix.


Pour la première fois depuis que je suis arrivée, je commence à perdre espoir. La découverte de toute cette supercherie me fait l'effet d'un coup de massue, et je me rends compte que je ne suis peut-être pas celle que je croyais être. L'idée de me battre pour ma vie et celle de Tom est ce qui me transcende depuis le début de l'aventure, alors comment imaginer que tout ça n'est qu'une arnaque, un stratagème stupide destiné à juger de ma capacité ou non à intégrer une formation. Je commence même à douter de la réalité dans laquelle je suis, comme si tout ce que je faisais depuis le début ne changeait rien. J'avais tué un homme, mis en péril la vie d'autres, mais je me retrouvais à me poser la question de leur identité. Des prisonniers de guerre venus nous tester, des acteurs, ou même des civils. C'est le cerveau embué que je me permets de prendre une pause, de toute façon, je ne sais pas où aller, je n'ai plus de repères, ni même de but. A en juger par l'âge de ceux que nous avions rencontrés jusqu'ici, j'imagine que nous sommes avec Tom les deux seuls participants de ce test, si tant est que celui-ci soit pour cette prestigieuse formation.


D'un pas morne et lent, je me dirige vers le porche à l'avant de la maison. Le bois dont il est fait rappelle vaguement les maisons dont toutes les campagnes américaines sont jonchées, on ne peut pas vraiment dire que je sois dépaysée, cet endroit a été créé pour moi après tout. Il m'est quasiment impossible de réfléchir, tant les émotions se cumulent. La tristesse prend le pas sur la colère alors que je pose mes coudes sur la rambarde de mon abri de bois. Pas de rocking chair ni d'enfants qui jouent au ballon pour cette fois, uniquement moi et mon désarroi. Qu'est ce que je ne donnerai pas pour un peu de musique, celle qui calme les maux, rafraîchit les esprits et sauve les plus faibles. Mes yeux s'ancrent dans le vide de l'horizon, et je m'imagine cette musique dans ma tête, celle qui me manque tant, mais que je ne peux même pas entendre. Sa mélodie est couverte par les souvenirs de toutes les paroles que j'ai entendues, toutes ces personnes qui m'ont menti, m'ont donné l'impression d'être ... moi. Ensevelie sous l'immense amas de déception que ces derniers jours m'ont apporté, je considère plus que jamais le fait de me résigner, de finalement tout abandonner, je ne dois pas être faite pour ça. 


La survie a un goût beaucoup plus amer lorsque l'on apprend qu'elle est contrôlée par quelqu'un qui peut nous en sortir à tout moment. Je n'ose même pas me demander comment tout cela a été mis en place, ces étendues désertiques, ces villes fantomatiques et même plus, les douleurs, le crash, impossible de mettre des mots sur quoi que ce soit. A l'heure qu'il est, Tom est peut-être déjà mort, perdu, ou bien .... a-t-il déjà réussi le test ? A vrai dire, peu importe, ce n'est plus une priorité, et je n'ai plus de pistes pour en savoir plus. De longues heures passent, ne comblant pas le vide qui m'avait envahi. Tiraillée entre l'envie de m'en sortir et la peur de devoir retrouver ma vie d'avant, je me terre dans la plus agile des diversions, l'indifférence. J'essaye tant bien que mal d'ôter toutes ces pensées de mon esprit, profitant du coucher de soleil qui se profile au loin.


 Aussi bête que cela puisse paraître, j'attends que les organisateurs de ce jeu macabre m'aiguillent, d'un signe ou d'une étoile, mais rien n'y fait, je suis bel et bien seule, noyée sous les questions. Même si la situation ressemble ironiquement à celle que nous avons vécu après notre fameuse escapade en haut de ce phare, c'est tout aussi symboliquement que je n'ai plus personne avec qui mettre en commun les informations dont nous avons besoin. Personne pour me donner la motivation d'aller plus loin. C'est dans ce genre de moments que me traversent des idées noires, les mêmes que celles que j'ai connu pendant trop longtemps pendant mes trois années de terreur. Que se passe-t-il si la pièce principale du jeu meurt, le jeu s'arrête-t-il, ou bien la partie est elle perdue ?


Il se fait tard, et le vent frais m'extrait de mes pensées, d'un frisson prononcé sur mes jambes nues. En effet, bien que mon idée de raccourcir mon attirail pour me laisser plus de liberté m'ait permis de mieux me mouvoir, elle m'a aussi apporté beaucoup de désagréments. Outre la notable sensibilité au froid que j'arborais déjà depuis de nombreuses années, je me dois de constater que la saison n'est pas vraiment propice à ce genre de tenues. J'aurais pourtant dû m'en douter, à croire que les réveils quotidiens de ma mère ne m'avaient pas servi de leçon. Qui plus est, mes jambes sont dans un état déplorable. Les plantes qui jonchent la forêt s'en étaient donné à cœur joie pour me prodiguer griffures et démangeaisons, donnant à celles-ci une couleur rouge vif comparable à un coup de soleil en plein été. Quoi de mieux pour faire suite à une jambe blessée que deux endolories.


Une fois rentrée dans mon humble demeure, et pour des raisons évidentes de sécurité, je m'empresse de vérifier tous les accès à celle-ci. Je ne savoure qu'à moitié le fait que toutes les fenêtres soient équipées de volets, comme si je préférais presque voir quelqu'un débarquer que de continuer à me battre pour du vent.


Rien de bien frugal à se mettre sous la dent ce soir, l'avantage de la forêt, c'est qu'elle m'offrait au moins de quoi manger à portée de main, sans réellement avoir à faire d'efforts, que ce soit des baies ou des sortes de noix, qui même si elles ne représentaient pas une source d'énergie incommensurable, permettaient au moins de couper la faim. Ce n'est qu'en fouillant le dernier tiroir de la cuisine, que je découvre un paquet de gâteaux secs, marqué d'un post-it :

' On se voit là-bas ! - Julie '

Qui est cette Julie, et que me veut-elle ? A vrai dire, je n'y prête plus trop attention. Aussi triste que cela puisse paraître, je n'ai vraiment pas la tête à chercher des solutions ou des questions à mes réponses aujourd'hui, c'est encore ... trop frais. J'avale avec une satisfaction qui se ressent dans ma rapidité d'exécution le paquet encore scellé. Même si mon estomac avait appris à vivre sans réellement manger deux repas complets par jour, il n'en était pas moins satisfaisant que de pouvoir avaler autant de sucre. Et puis ce n'est pas comme si quelqu'un allait réellement me reprocher ma ligne ici.


Le sucre faisant rapidement effet, un léger regain d'énergie me parcourt, l'espace de quelques minutes. Allez Roxanne, c'est l'heure d'essayer d'y comprendre quelque chose. Pour la énième fois, je vide tout le contenu de mon sac sur le plancher, espérant que l'on y ai mis la clef de l'énigme à mon insu. Comme à chaque fois, l'état des lieux est le même, et rien ne manque à l'appel. Les quelques munitions que j'avais subtilisées s'écrasent en première sur le sol, se faufilant à travers tous les autres objets. Il m'en restait 4 au total, bien assez pour ... non, inutile d'y penser, ça ne finira pas comme ça. Le deuxième à venir finir sa course au sol, c'est mon téléphone portable. Ironie du sort, il ne pourra pas fonctionner plus mal que maintenant. La raison de son non fonctionnement était désormais beaucoup plus claire, sans lui, impossible pour moi d'avertir qui que ce soit sur ma situation, impossible de leur en vouloir pour ça, cela aurait remis en cause tout leur ... "jeu". Dieu que je déteste appeler ça comme ça, mais lorsqu'on y regarde de plus près, tout cela a bien l'allure d'un jeu.


C'est ensuite le médaillon d'Ash qui tombe sur mon pied. J'aurais aimé pouvoir honorer ma promesse de m'assurer que son chien aille bien, mais je n'avais en réalité aucune indication sur comment le retrouver, et tout ceci me paraît tellement loin ,je ne suis même pas encore en dehors de tout ça. Elle avait pourtant l'air si sincère, alors qu'elle n'était en fait qu'un pion sur l'échiquier ... Il vient s'écraser sur mon pied et glisser le long de ma chaussure, se retrouvant ouvert, face contre terre. Je ne daigne pas le ramasser pour l'instant le ramasser, voyant mes dernières possessions s'effondrer de mon sac à dos, que le temps et les épreuves n'avaient pas abimé du tout. Finalement, ils n'avaient peut-être pas tant tort que ça dans la publicité. La fanfare bruyante s'achève en beauté, lorsque le poignard en cuir d'Arthur vient se planter dans le sol, juste au coin de mon pied et du médaillon. Évidemment, il avait fallu qu'il soit là, après tout, il était un peu le symbole de ma débâcle, là dans les premiers moments comme dans les derniers, dans les meilleurs comme dans les pires.


Et pourtant, c'est bien la dernière chose que j'ai envie de voir. Il me suffit de le voir pour me remémorer les pires moments de mon existence. Lorsque je m'en saisis, celui-ci me donne l'impression de s'incruster en moi, comme si je redevenais celle que j'avais été au fond de moi, comme si la tristesse me confortait dans l'idée qu'il est toujours plus facile d'être le chasseur que le chassé, d'être la reine que le pion, le persécuteur que le persécuté.


Vouloir m'échapper de la vie que j'avais m'a conduit à finir seule, et qui mieux qu'Arthur pouvait me l'avoir fait comprendre. En voulant devenir la justicière du petit peuple, j'avais au final tout perdu. Cependant, impossible de me convaincre que c'était le mauvais choix, et s' il fallait le refaire, je le referais, autant de fois qu'il le faudrait. Prise d'une rage incontrôlable, j'empoigne le couteau et le jette, lame la première , contre la porte d'entrée, qui se trouve alors percée, de la pointe de la lame, lorsque celui-ci vient se planter en plein milieu des belles dorures qu'avaient dû appliquer les précédents habitants.


Peut-être qu'après tout c'était ce qui me manquait, une part de noirceur au fond de moi, ou du moins un certain discernement. Je finis de fouiller le fond de mon sac, pour ne veiller à ce que rien ne manque à l'appel. Un soupir de désarroi me vient automatiquement lorsque je constate que les seules choses qui restent sont les deux habituels messages que je ne peux déchiffrer, coincés dans une des coutures du sac. Je les défais avec le plus grand soin, en veillant à ne pas les déchirer, sait-on jamais, j'arriverai peut être un jour à en comprendre le sens. Aucune surprise, rien n'avait changé, j'étais toujours bloquée là. La liste exhaustive de mes affaires s'agrémente alors du petit nouveau, le message d'une certaine Julie, qui a laissé un paquet de gâteau. Même si tout peut paraître anodin, mon esprit paranoïaque me pousse à penser que tout est lié et que je vais finir par trouver la solution, il me faut juste du temps, mais je ne suis pas sûr de l'avoir.


Sans même prendre la peine de ranger tout ce qui se trouve par terre, je jette un dernier regard au champ de bataille que je laisse derrière moi, et me dirige vers la chambre, en espérant que la journée de demain soit meilleure que celle-ci, après tout, ce n'est peut-être qu'une phase. Au-delà de la tristesse, je découvre enfin le mal qui me ronge le plus, et que j'ai toujours redouté, la solitude. Même si cela me fait mal de l'admettre, je m'en vais me reposer en pensant à la seule personne qui dans ces moments m'a fait me sentir mieux .... Arthur.

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