Trêve de confidences, il est temps d'établir un plan. On ne peut définitivement pas rester là jusqu'à ce que l'on vienne nous chercher, car personne ne viendra, on l'a bien entendu. L'heure est à la mise en place d'une ligne de route, ou du moins d'une série d'objectifs afin de pouvoir rejoindre cette fameuse "Dame de Fer" ... Alors que je fouille rapidement les quelques commodes restantes dans la maison, je tombe sur un bloc de feuilles blanches, qui pourra nous être utile dans n'importe quelle situation. Je commence à m'imaginer des scénarios de survie comme si on était dans ces émissions télé de divertissement, alors qu'on est peut-être simplement à quelques kilomètres de notre objectif. A vrai dire, j'ai toujours du mal à croire que l'on ait pu être rescapés d'une telle catastrophe de cette manière.
Enfin bref, il était temps de réunir tout ce que nous avions jusqu'ici, et ce que nous étions en train de chercher. Tom et moi nous installons autour de la table du salon qui avait causé hier la chute de celui-ci, armés d'une feuille et d'un stylo. L'idée était simple, il fallait centraliser toutes les informations que nous avions, chacun de notre côté, puis on les mettrait en commun pour voir s' il nous manquait quoi que ce soit. C'est drôle à dire, mais on se croirait presque à l'école, à se jeter tête baissée dans nos feuilles. Je ne dirais pas que ça me manque, mais quand j'y repense, c'était toujours gratifiant de rentrer avec une bonne note.
Là à l'heure actuelle, je serais en cours de .... Je ne sais même pas quel jour nous sommes, à quoi bon inventer des jours, si au final toutes les journées se ressemblent. Nous avons complètement perdu la notion du temps, et vivons au rythme du jour et de la nuit, c'est apaisant d'une certaine façon.
Je me plonge alors dans ma copie, et aligne des petits tirets, que je remplis avec les faits marquants de notre périple jusqu'ici.
Premier tiret, voyage Chicago / Heathrow, crash avion.
J'ai toujours fonctionné avec des mots quand j'écris des notes. On perd beaucoup moins de temps qu'à faire des phrases complètes, surtout quand on est la seule personne à devoir comprendre ce qui est écrit. Au final, je pense être la seule à réellement pouvoir me comprendre.
Un frisson me parcourt lorsque je repense à l'accident ... Je me demande encore comment j'ai pu m'en sortir. Et si Tom n'avait pas été là ... il m'a sauvé la vie, et pourtant il ne me demande rien. Il agit comme si c'était normal.
Terrain vague. Blessure. Bruit ? Suivis ?
Je n'arrivais toujours pas à me raisonner quant à ce bruit. Nous n'avions pas la moindre information sur la provenance de celui-ci, et chaque fois que nous l'entendions, l'endroit avait l'air désert. Va-t-on enfin découvrir ce qui se passe ... ?
Départ - Mer - Ville - Déserte ?
Même si nous étions sûrs qu'il y avait au moins deux personnes dans cette ville en plus de nous, rien ne nous dit depuis combien de temps il y étaient. Une chose est sûre, nous sommes près de la mer.
Phare - Cadavre - Message - Radio - Bruit (encore ?)
Sans doute la partie la plus longue, il y avait tant à dire sur un laps de temps si court. Tout avait eu lieu en une fraction de minutes ... Mais j'étais quasiment sûre d'avoir toutes les informations, du moins celles que je connaissais, il ne me restait plus qu'à voir si cela coïncidait avec celles de Tom. Je finis mon classement méthodique, en notant dans un petit encart les différentes questions auxquelles il fallait que l'on réponde. Je ne sais pas pourquoi, mais je préfère que les choses soient organisées et classées, cela me permets d'y voir plus clair, et forcément je pense que cela m'aide à retranscrire.
Je sors la tête de mon papier, pas peu fière de mes notes, prête à établir les plus grandes théories possibles sur la suite de notre périple, si on pouvait appeler ça comme ça.
- " C'est bon pour moi ! T'en es où ?
- Bientôt fini, j'essaye de rien oublier !"
Je rêve ou ? .... Alors que je lève les yeux sur la feuille de Tom, je constate que celui-ci n'a pas du tout pris de notes, l'intégralité de la surface blanche est recouverte de dessins en tout genre, relatant les différentes scènes que nous avons traversé jusqu'ici. Le comble dans tout ça ? Ils sont plus que réussis, même artistiques. En seulement quelques minutes, il avait su dépeindre ce que nous avions traversé, là où je n'avais été capable de prendre que des notes.
- "Tu ...
- Je préfère ça. Je pense que je n'ai jamais été très bon avec les mots, donc je m'exprime autrement, mais je me comprends ne t'inquiète pas.
- Tu as toujours fait des dessins pour prendre des notes ?
- Si toujours veut dire depuis l'accident, alors je pense que oui, je te rappelle que pour tout ce qu'il s'est passé avant ... "
Qu'est ce que je pouvais être bête des fois ... Évidemment qu'il n'en avait aucune idée.
Dans chacun de ses croquis, je pouvais ressentir l'émotion qu'il faisait ressortir, comme par magie. Il était doué. Je pense que cela devait être instinctif chez lui, comme si dans son océan de flou, il restait cette part de lui qui était restée.
Une fois ses dessins terminés, nous décidons de faire le résumé de tout ce qu'il en ressortait sur une dernière feuille de papier que j'arrache du bloc encore quasi intact. J'entends d'ici ma professeure de géographie me maudir pour l'environnement.
Après une mise en commun plus que scolaire, première bonne nouvelle. Nous sommes raccord sur les événements jusqu'ici, c'est déjà un bon point, même si pour être tout à fait honnête, je ne m'attendais pas à grand-chose d'autre. Cependant, nous avions maintenant une ligne directrice. Il fallait tout d'abord découvrir où nous étions.
Ce serait probablement l'avancée la plus importante que nous pourrions faire, mais quelques questions subsistent toujours. Nous passons le reste de la matinée à établir un ordre de priorité sur ce que nous devons chercher.
Je ne peux m'empêcher de penser que nous allons oublier quelque chose si l'on ne note pas tout quelque part.
Nous avions beau retourner le problème dans tous les sens, impossible d'établir un lien direct entre le papier que tenait l'homme dans ses mains lorsque nous l'avions découvert et la situation dans laquelle nous étions. Et pourquoi est-ce que le message donnait cette destination énigmatique et pas tout simplement une adresse, ou un lieu ? Peut-être que l'on cherchait à cacher cet endroit à quelqu'un, une guerre ? Enfin, la dernière grande énigme reste ce bruit qui, bien que devenu habituel, n'en restait pas moins perturbant. Qui nous suivait, et pourquoi ?
Il était temps de passer à la première phase du plan. Nous devions trouver exactement où nous étions, et surtout où nous allions. J'avais constaté sur notre chemin qu'aucun panneau n'indiquait quoi que ce soit. Ils n'avaient pas été effacés, mais aucun d'entre eux n'indiquaient les mêmes directions, comme si nous tournions en rond. Il fallait explorer, c'était la seule solution.
- "On se sépare, et on se retrouve ici dans 2 heures ?" me propose Tom, qui n'avait probablement pas beaucoup réfléchi avant de parler.
- "Oui, super idée, comme ça on se perd et on ne peut pas revenir ... Et puis comment comptes- tu calculer tes 2 heures, avec le soleil ? Tu m'as habituée à mieux en terme de réflexion, pas sûr que je vais continuer la route avec toi !"
Je me permets quelques plaisanteries, mais au fond, son idée aurait été la plus efficace, cela ne sert à rien que nous cherchions tous les deux au même endroit.
- " On va rester proches. Tu regardes dans les magasins de ce côté, et moi de l'autre, mais dans tous les cas, on ne se lâche pas, on reste l'un en face de l'autre, c'est ok pour toi ?"
D'un geste de tête, il acquiesce et se dirige vers la sortie.
- "Attends ! Prends ça ! Si il y a quoi que ce soit, tu dois pouvoir t'en servir."
De ma poche, je sors le couteau, qui était en soi devenu mon compagnon de route et de défense. Je savais que je pouvais lui faire confiance, et il aurait probablement plus de facilité à se défendre que moi le cas échéant. J'étais une cause perdue avec ma jambe encore un peu mal en point, si un de nous deux devait se battre, il fallait que ce soit lui.
Nous sortons de la maison et nous dirigeons vers la rue adjacente, qui longeait plus ou moins le port sur lequel étaient installés de nombreux bateaux de plaisance. C'est fou comme l'atmosphère avait changée depuis la veille au soir, tout était comme, assagi. En sortant, je jette un coup d'œil vers le phare, à quelques mètres de là où nous sommes, qui sait ce qu'il se passe encore là-haut ...
Quand je crois une nouvelle fois de plus entendre le bruit derrière moi en sortant de notre nouvelle demeure, je suis rapidement coupée par Tom, qui me fait remarquer que la plupart des commerces de la rue ne pourront rien nous apporter. En effet, pas le moindre magasin de souvenirs, de cartes postales ou de spécialités locales pouvant nous indiquer notre position, uniquement de longues devantures de marques américaines, et des restaurants à perte de vue. Nous exécutons avec une rapidité assez impressionnante ce que nous avions prévu. Nous enchaînons les magasins vides à la recherche d'une information pouvant nous aider, sans grand succès. C'est curieux, mais tout est comme neuf, comme si le monde s'était arrêté, sans causer aucun dégâts. Comme si tout le monde avait déserté sans prendre le temps d'emporter quoi que ce soit avec eux. Je l'avais remarqué la veille, mais le frigo de la maison que nous avions convoité était plein, prêt pour une nouvelle semaine de repas quotidiens. Après quelques heures de recherches, nous arrivons au bout de l'interminable allée, sans n'avoir rien trouvé de plus intéressant qu'une superbe garde robe et un ballon de football. Idéal pour survivre dans un monde désert. Je m'assois quelques minutes sur un banc face à l'autre côté du port, beaucoup moins occupé que le premier, mais dont les quelques bateaux présents doivent s'arracher à prix d'or. Autour de moi, la grande étendue d'eau n'est entachée que par deux grandes tours qui se dressent l'une face à l'autre, comme une entrée vers l'océan. Ces deux grandes tours ... je les avais déjà vues !
Au plus profond de ma mémoire, je venais de découvrir l'exacte localisation de notre crash, tout simplement car j'y étais déjà venue.
Je n'étais qu'une gamine qui marchait à peine lorsque mes parents m'avaient emmenée ici, pour les vacances. La Rochelle, une petite ville dans l'ouest de la France. Ils aimaient tellement cet endroit que nous y venions tous les ans, voir ma grand-mère. Lorsqu'elle est décédée l'année de mes 6 ans, nous n'avions plus jamais mis les pieds ici, mais je me souviens encore de ces tours, qui n'avaient pas bougées. Je me rappelais même de ce banc, ce même banc sur lequel je suis assise.
- "TOM ! Viens ! J'ai trouvé ! ....... Tom ? "
Je ne l'avais pas vu depuis plus de 5 minutes, lorsqu'il était rentré dans cette boutique de chaussures, dans l'espoir d'y trouver des tickets de caisse indiquant une adresse ou quelque chose dans le genre. Je n'avais même pas pensé à cette solution, et il m'épate de plus en plus de sa présence d'esprit au fil des jours. Je m'approche de l'échoppe, un peu méfiante et nerveuse.
- "Tom ... tu es là ? "
Je glisse ma tête dans la boutique, mais ne parvient pas à apercevoir Tom, dans l'obscurité de l'officine qui s'enfonce dans la roche. Pas de réponse, et visiblement aucune trace de lui. Je m'aventure dans le magasin quasiment sombre tant les rideaux fermés obscurcissent la pièce. Pas un bruit ne vient perturber ma silencieuse avancée vers la caisse. Je m'en voudrais tellement si il lui est arrivé quelque chose ... Arrête de penser à ça Roxanne, il est forcément là !
Mon rythme cardiaque retombe lorsque je le vois débouler de l'arrière boutique, une boîte de chaussures de marque à la main.
- "Elles sont pas mal, je vais les prendre madame" plaisante-il, me tendant la boîte.
- Hors de question, c'est bien trop cher, et puis on a déjà ce qu'il faut à la maison"
Il arrivait à trouver des petits plaisirs même dans ces temps, et honnêtement, j'en avais bien besoin. Il avait l'air d'avoir bien pris notre discussion de la veille, et aussi curieux que cela puisse paraître, je me sentais mieux en sa compagnie que sans.
- "Sinon, on est en France ! Dans une ville sur la côte ouest ! Je venais là avec mes parents quand j'étais petite ! J'ai enfin trouvé.
- Euh ... tu es sûre ? ça ressemble pas vraiment à des baguettes et des bérets, enfin, c'est comme ça que les gens voient la France non ? J'ai l'impression de me souvenir de ça maintenant que tu en parles.
- Tu apprendras bien vite à ne pas forcément écouter tout ce qu'on te dit hein.
Je ne pouvais plus m'arrêter de sourire. Le peu de souvenirs qui me revenaient de cette époque étaient si beaux, si agréables. Ma famille doit être morte d'inquiétude à l'heure actuelle ... Enfin si ils sont encore là. Raah, arrête de penser à ça, concentre toi sur la suite.
- "Bon c'est super, mais maintenant qu'on sait ça ? Je veux dire, on ne sait toujours pas où on va ...
- Oui, mais ça j'ai ma petite idée, et maintenant qu'on sait où on est, on va pouvoir en savoir beaucoup plus sur notre destination. "
En effet, j'avais eu le temps de réfléchir pendant la longue nuit d'insomnie que je venais de passer. Nous avions beau ne pas savoir où nous étions, nous savions ce vers quoi nous devions nous diriger : La Dame de Fer. La seule Dame de Fer que je connaissais n'était autre que Margaret Thatcher, l'ancienne premier ministre du Royaume-Uni, et j'avais beau retourner le problème dans tous les sens, je ne voyais aucun lien entre une potentielle énigme et elle. J'en avais donc déduit qu'il nous fallait trouver quelque chose que nous ne connaissions pas. Sans Internet, une seule solution s'offrait à nous.
- " J'espère que tu aimes lire, parce qu'on va emménager dans une bibliothèque le temps de trouver la suite !"
Et pour cause, notre seul moyen d'en apprendre plus sur ce pays que je ne connaissais que très peu au final, se trouvait dans les ouvrages et les écrits des nombreux écrivains français reconnus. Je n'étais pas vraiment une grande fan de lecture, mais quoi qu'il en soit, nous n'avions pas le choix.
Sur le chemin du retour, les bras toujours chargés de nos babioles trouvés pendant nos recherches, Tom me pose un tas de questions sur la France, comme s'il comptait s'y installer. Il cherche à en apprendre le plus possible sur moi, et aussi flatteur que cela puisse paraître, j'ai encore du mal à me livrer à lui, comme si je ne m'en sentais pas légitime. Au fond de moi, je pense que j'aurais préféré qu'il me déteste, qu'il me fasse payer ce que j'ai pu lui faire, mais comment voulez-vous dire ça à un enfant de 13 ans.
Lorsque nous débarquons sur la jetée, nous sommes juste à temps pour voir le soleil commencer à se coucher, entre les deux tours. Ma mère adorait m'emmener ici, en prétendant que c'était le plus bel endroit du monde. Je pense qu'elle n'a pas vraiment tort, mais le plus bel endroit du monde s'apprécie forcément en compagnie des plus belles personnes. Je décide d'y emmener Tom, après tout, il avait le droit lui aussi de savoir ce que ça faisait, de vivre ce moment.
Nous restons là pendant quelques dizaines de minutes de plus, à discuter de tout, de rien, comme si de rien n'était, comme si tout était normal. Loin de tous les problèmes, loin de toute préoccupation, nous étions seuls au monde, face au spectacle intemporel d'un coucher de soleil. Si le monde s'était arrêté, lui en revanche, n'avait pas cessé de nous éblouir.
- "Tu veux boire quelque chose ? Il y a du soda dans le frigo, c'est à 2 minutes, on peut rester là si tu veux" Il y avait dans sa voix comme une mélancolie et un calme qu'il n'avait pas su me montrer jusqu'ici. Je sentais bien qu'il était heureux, comme si il préférait être ici que dans la vie réelle, sa vraie vie.
- "Laisse tomber, j'y vais, je te laisserais pas rater la fin du spectacle ! "
Je parviens tant bien que mal à me remettre sur pied et me dirige vers la maisonnette, au coin de la rue. Nous étions assoiffés, et il était bien temps de s'offrir un moment de répit, nous avons beaucoup avancé aujourd'hui !
Plongée dans mes pensées, je m'approche du coin de la rue qui mène à notre nouveau chez nous. Alors que je prends la direction de l'entrée, j'aperçois avec effroi du mouvement. Je n'ai pas rêvé. Quelqu'un vient de rentrer dans une maison, notre maison.
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