Chapitre 2 [Partie 1 - Burn]


3 secondes, pas une de plus. C'est le temps qu'il me faut pour comprendre que si je n'arrive pas à me sortir d'ici, je suis morte. Avant même de chercher à comprendre ce qui est arrivé, il faut que je m'extirpe d'ici. J'ai l'impression que l'on joue du tambour dans ma tête, que l'on m'empêche de me sortir d'ici. D'un rapide coup d'œil, je vois que ma jambe est prise sous une partie de l'appareil, qui commence à s'enflammer. J'essaye de rassembler mes forces pour tenter de me mouvoir en dehors de cette fournaise. Je sens ma jambe bouger, petit à petit. Je m'efforce de tirer de toutes mes forces, l'adrénaline aidant fortement, pour enfin réussir à entrevoir une porte de sortie. La fumée se fait de plus en plus dense à mesure que j'écarte les parties métalliques qui obstruent mes mouvements. Je m'essouffle rapidement, nul besoin de rappeler ma condition sportive particulièrement faible. Mais la chute d'une grosse tôle ressemblant à une partie d'aile à quelques centimètres de mon oreille me pousse dans mes derniers retranchements, il faut que je fasse vite. Je réussis finalement à sortir de cette étreinte métallique et parvient tant bien que mal à me mettre à genoux. Ma jambe blessée me fait malheureusement trop mal pour que j'arrive à me mettre debout, mais le plus dur est fait. Je dois maintenant à tout prix quitter la carcasse de ce qu'il reste de l'avion, avant que la fumée ne vienne en faire mon cercueil. Je vois les flammes se propager, venir recouvrir l'intégralité de la plaque d'acier dont je me suis dégagée. Je ne vois plus qu'un brouillard devant moi, mais une chose est sûre, j'arrive encore à distinguer ce dont je souhaite m'éloigner.

Mes genoux sont en sang, les graviers qui parsèment le sol griffent ma peau à mesure que je rampe pour me sauver d'une mort qui ne cesse de se rapprocher. 

Mais je suis épuisée, je fais du sur place, le moindre mouvement me tiraille et me donne l'impression d'un poignard que l'on me plante dans le cœur. Je ne peux plus avancer, je peine à respirer. C'est à ce moment précis que mon corps s'est rendu à l'évidence. C'était aujourd'hui que je devais découvrir qui j'étais, que je devais me donner une raison de me battre, de remporter ce concours. Il m'aura finalement été fatal, et je me mets à maudire cette énigme que j'aurais aimé ne jamais voir. Même dans ces derniers moments, je ne peux m'empêcher d'imaginer ce qu'aurait été ma vie sans l'éternel combat que je menais contre moi même, j'avais voulu être heureuse toutes ces années sans y parvenir, et voici que l'échec final de ma vie se présente devant moi. Mes yeux se ferment petit à petit alors que le brasier m'entoure, et dans un dernier souffle, je m'en veux que la dernière pensée de ma vie soit pour celui qui m'a le plus anéantie, Arthur .... J'aurais aimé pensé à mes proches, les maths ou mon chanteur préféré, mais je n'arrivais pas à me sortir de la tête celui qui avait pris le contrôle de ma vie depuis trop longtemps, comme si il souhaitait une dernière fois me faire comprendre qu'il avait gagné, qu'il me disait au revoir. Ma tête heurte le sol et mon corps se dérobe, je ne ressens plus rien, je ne vois plus rien, simplement cette chaleur oppressante qui vient m'envelopper et m'emporte avec elle. Je ne serai bientôt qu'un souvenir, et la prédite fin du monde n'était en fait que la fin de mon monde.

C'est donc à ça que ressemble l'au-delà ? me dis-je alors que j'ouvre péniblement les yeux et essaye de regarder autour de moi. Ça a à peu près tout pour ressembler à la vie normale, sauf qu'il n'y a absolument personne et que le tout est un peu .... vieillot ? voire même détruit pour la plupart des bâtiments. Je continue mon tour d'horizon, mais tout me paraît si réel. Soudain, mon regard vient se figer sur ce qui ressemble plus que tout à la queue de l'avion qui m'avait servi de tombeau. Je ne suis pas censé ressentir quoi que ce soit de là où je suis, mais ma tête me fait toujours terriblement mal et ma jambe me donne l'impression de peser 50 kilos à elle seule. Est-il possible que j'ai finalement ... survécu ? Mais comment ? Je me suis vu mourir de 1001 façons en quelques minutes, avant de m'évanouir au milieu des flammes. Non, ce n'est pas rationnel, je ne peux pas être en vie.

Tout est étonnamment calme, le feu a désormais laissé place à cette désagréable odeur de brûlé, et le crépitement des flammes est remplacé par le lointain bruit du vent sur les branches des arbres avoisinants. Je parviens tant bien que mal à me mettre debout, en prenant appui sur une grosse roche, dont je bénis le placement proche de ma position. On se croirait dans un terrain vague, quelques insalubres bâtiments, des herbes hautes et une sorte de petite piscine abandonnée, dans laquelle on doit pouvoir trouver des maladies que l'on n'a même pas encore découvertes. A quelques mètres de moi, j'aperçois un long bâton, qui pourrait me servir de canne pour réussir à me déplacer dans les alentours. Je commence de plus en plus à croire que je suis vivante, tant la douleur me scie à chaque mouvement. Les morts ne sont pas censés ressentir la douleur, ou bien même pouvoir penser. Du moins, c'est ce que disent les scientifiques, d'ailleurs, si j'étais morte, je pourrai voler, enfin mon âme. 

Je ne suis pas sûr qu'il soit très judicieux pour moi de m'élancer vers le haut pour essayer de m'envoler, et je doute fortement de la réussite de cette manœuvre. 

Je prends donc la décision de jouer la sécurité, en allant, après un combat de presque 10 minutes, chercher ce bout de bois pour soutenir ma jambe complètement saccagée. Malgré tout ça, je n'arrive pas à me convaincre de ma survie. Ce n'est ni normal, ni rationnel que le corps humain puisse survivre à de telles températures et de tels chocs. J'entame donc mon exploration lente des lieux, dans l'attente d'une preuve irréfutable de mon état. Enfin, j'imaginais pouvoir explorer, mais je me retrouve très rapidement confronté à un problème de taille. Une grande partie de la zone est séparée de ma position par un petit cours d'eau, qui pour n'importe quelle personne serait un jeu d'enfant à traverser. Cependant, avec le peu de force que j'ai et l'incapacité de ma jambe droite, je ne risque pas de traverser avant un bout de temps. Il faut donc se résoudre à rebrousser chemin et je me mets donc en quête de quoi que ce soit qui pourrait m'aider.

Mes pensées sont floues, et je repense à l'accident, à ce combat pour m'en sortir, dans l'espoir de trouver une explication rationnelle. Chaque souvenir me fait souffrir, tant physiquement que mentalement. Alors que je replonge au plus profond de ce dont je me rappelle, je suis vite arrêtée par un bruit. Au loin, j'entends quelque chose, un sanglot, comme si ... je n'étais pas seule ? L'idée me vient de crier pour avertir de ma présence, mais qui sait sur qui je peux tomber. Mieux vaut pour moi que j'aille voir à qui j'ai affaire avant de révéler ma position.

 Je trouve de manière assez inexpliquée la force de me déplacer jusqu'au coin d'une maison en ruine, d'où viennent les sanglots, qui ne cessent pas, voire même s'amplifient. Ma démarche bruyante aurait du me trahir depuis maintenant quelques minutes, mais j'avais pu compter sur la bruyante redondance des pleurs pour camoufler au mieux mon arrivée.


 Alors que je glisse ma tête au coin du bâtiment, je découvre à quelques mètres de moi, adossé au mur, un enfant. Il tient sa tête entre ses bras et ses genoux et ne cesse de pleurer. On dirait un garçon, il a les cheveux bruns, une coupe au bol et d'allure, n'a pas l'air très grand. Consciente qu'il est probablement dans la même situation que moi, je décide doucement de m'approcher et de venir à sa rencontre. Chaque pas me paraît être une occasion de plus de tomber, et il me faut bien quelques minutes pour arriver au chevet de celui qui n'a toujours pas daigné relever la tête.

"Tu ... tu es réel ?"  Super ! Je viens de décrocher le trophée de la pire question à poser dans cette situation, mais au moins je serai fixée.

A ces mots, il ne faut pas une seconde de plus au pauvre bambin pour cesser ses pleurs. D'un air très intrigué et soucieux, il se décide enfin à tourner lentement la tête jusqu'à m'apercevoir. Pris de panique, il se relève soudainement et dans un accès de peur s'écarte de moi, avant de sortir maladroitement un petit couteau qu'il pointe vers moi.

"Ne t'approche pas !!!" esquissa-il maladroitement alors que les larmes continuaient de couler derrière ses lunettes embuées.

" RECULEEEE !!!!"


Mais je ne peux pas bouger. Je suis figé sur place, et je le regarde dans les yeux. Il ne m'a peut être pas encore reconnu, mais ce n'est pas le cas pour moi. Ce regard, je le connais, je ne le connais que trop bien depuis qu'il me hante. J'avais passé la nuit dernière à y repenser, à revoir ses yeux remplis d'autant de larmes qu'ils l'étaient aujourd'hui. Je l'avais regardé se faire tabasser des dizaines de fois sans rien faire, sans bouger, jusqu'à hier. Pour la première fois j'avais regardé une de nos "victimes" dans les yeux, et telle une lâche j'étais partie. Il avait fallu que ce soit lui qui soit là, devant moi.

Mon visage se décompose à mesure que je l'observe, comme pour m'assurer que c'est bien lui.

"Bon au moins je suis fixée, je suis bien morte, et je suis en plein délire.

- Non, nous sommes bien vivants, ne me demande pas comment, je ne le sais pas moi même ..."


Je n'avais jamais entendu sa voix auparavant, juste ses pleurs, que j'avais commencé à connaître sur le bout des doigts.

 Ses sanglots semblaient se dissiper, et je pouvais commencer à entrevoir le jeune garçon qu'il était. Malgré tout, je ne me sens pas capable d'ignorer le fait que j'ai en face de moi le martyr de mes actes, celui que j'ai jeté aux loups plus d'une fois, comment ne pouvait-il pas m'en tenir rigueur, m'avait-il au moins reconnu ?

- "Je me suis évanouie dans le feu, je devrais être morte.

- Je t'aie trouvée quelques minutes à peine après que tu aies réussi à quitter la carcasse, j'ai juste eu le temps de te trainer hors de là. "


C'était définitif, il ne m'avait pas reconnu, sinon pourquoi m'aurait-il sauvé ? J'avais vu dans ses yeux la veille qu'il me haïssait, qu'il aurait donné n'importe quoi pour que je sois à sa place.

"Je ... Pourquoi as-tu fait ça ? Tu aurais pu mourir toi aussi, te retrouver bloqué dans les flammes.

- Je ne peux pas me sortir de là tout seul de toute façon, regarde moi. Je n'ai aucune idée d'où je suis, je ne me souviens même plus de qui je suis ... ça valait sans doute le coup de prendre le risque"


La scène me paraissait surréaliste ... J'avais pourri la vie pendant plusieurs années  d'un gamin qui venait de sauver la mienne, sous prétexte qu'il ne se souvenait pas de tout ce que j'avais pu lui faire. Je ne peux m'empêcher de culpabiliser à l'idée effrayante qu'il n'ai pas souvenir de toutes les atrocités que je lui ai fait subir.

" Tu veux dire ... que tu as tout oublié ? Enfin je veux dire, que tu ne te rappelles de rien ?"

- Juste d'un crash, j'ai le souvenir d'avoir été dans un avion, la cabine qui s'obscurcit et la voix dans le micro qui nous dit de ne pas paniquer. Puis un gros trou noir. Je me suis réveillé ici il y a quelques heures. Je n'ai plus de souvenirs de ma vie, de qui je suis ni même de l'endroit où nous sommes, ça n'a pas de sens.

- Ça nous fait au moins un point commun pour la dernière partie ..."



A ces mots, il se remet à sangloter. J'aimerais pouvoir le consoler, lui dire que tout va bien aller, que l'on va s'en sortir et qu'on a la chance d'être vivant, que les secours vont bientôt arriver, mais je n'y arrive pas, les mots ne veulent pas se former dans ma bouche, comme si toute la rancœur que j'avais envers moi même m'en empêchait 

D'ailleurs que font les secours ? Cela fait plusieurs heures que l'avion s'est écrasé si l'on en croit la fumée qui a complètement eu le temps de se dissiper. Se pourrait-il que personne n'ait vu le géant de fer s'effondrer ? Non, impossible, quelque chose cloche.

Je n'arrive pas à sortir un mot, rongée par les remords et la honte. C'est alors que je remarque dans sa main l'arme qu'il n'a toujours pas lâché depuis notre rencontre, comme si je l'effrayait toujours ... remarque ....

En regardant d'un peu plus près, je me rend rapidement compte que cette arme n'est autre que le couteau d'Arthur.

"Eh rends moi ça ! " l'interrompis-je d'un ton qui laissait clairement supposer qu'il avait des raisons de se méfier de moi. Sans vraiment qu'il ai le temps de réagir, je lui arrache le couteau des mains et le range dans ma poche, à peine assez grande pour contenir la lame de celui-ci.


Au même moment, je peine à comprendre pourquoi, mais il se retourne dans la direction opposée dans un sursaut.

"Tu as entendu ?"

Je comprends alors d'une certaine manière qu'il est encore un peu perturbé par le crash, tant il a l'air paniqué par un son que je n'ai même pas entendu.

A peine ai-je le temps de répondre qu'il est déjà entré furtivement à la façon d'un commando à l'intérieur du bâtiment, si on peut réellement encore lui donner ce nom tant les pierres s'écroulent les unes sur les autres.

- "Je peux savoir ce que tu fais ?

- Quelqu'un nous observe, j'en suis sûr, cela fait plusieurs fois que j'entends ce bruit depuis que je suis arrivé, s'il te plaît, promets moi que tu vas m'aider."


Certes, j'étais lâche, il ne m'était probablement pas d'une grande utilité, il n'avait aucune idée d'où nous étions, ni de ce qui se tramait autour de nous, alors que nous étions probablement à quelques kilomètres d'une grande ville ou d'un centre de soins, enfin ... la situation ne pouvait pas être si dramatique, et nous étions en vie, c'était le principal. L'amnésie n'était peut être que passagère, et quelques jours de repos lui suffirait sans doute à retrouver sa mémoire. Mais dans la situation actuelle, je ne me voyais pas lui refuser quoi que ce soit, encore trop éprise de mon passé. D'une certaine manière, j'étais un peu coincée ici, avec ma jambe encore complètement paralysée.

"J'imagine que je n'ai pas vraiment le choix, je ne vais pas m'enfuir" rigolai-je alors que je lui pointai du regard ma jambe, toujours maintenue par un misérable bout de bois qui me sert désormais d'attelle.


Je daigne tant bien que mal le rejoindre à l'intérieur de la rocailleuse demeure. Il est déjà assis dans un coin de la pièce, comme s' il se cachait d'un mystérieux tireur d'élite à l'extérieur. Je ne peux m'empêcher de sourire alors que je navigue lentement dans les différentes pièces, ou du moins ce qu'il en reste.

" Je m'appelle Roxanne, au cas où ça t'intéresserait !"

Soudain, mon sang se glace lorsqu'à ces mots, je me fige. Je n'étais pas folle, je venais d'entendre un bruit. Une sorte de claquement, derrière mon oreille, comme si quelqu'un me mettait en joue.

Je suis finalement surprise par une chauve-souris qui se décide à fuir sa cachette au moment où j'arrive. Je ne peux m'empêcher de laisser paraître un sourire, j'avais failli tomber dans la parano pour une simple phrase qu'il m'avait dîte.

" Tu peux m'appeler Tom, je ne sais pas si c'est mon nom, mais je l'aime bien."

Je ne pensais pas être aussi mal à l'aise de découvrir le prénom de celui dont je ne connaissais que si peu, après tant de temps. Pour moi, ça avait toujours été "le petit", "l'autre" ou tout autre surnom assez peu flatteur. Il aura fallu 3 ans et des circonstances assez spéciales pour que je connaisse enfin son prénom.

"Bon, tu penses qu'il faut qu'on aille où ?" me demanda-il, comme si j'en savais beaucoup plus que lui .

- Je ne peux pas aller très loin pour l'instant, je vais avoir besoin que ma jambe aille mieux, je pense que l'on va attendre les secours ici, il faut juste qu'on arrive à les alerter. "


Ça n'avait pas l'air si terrible que ça en soit, aucune plaie ouverte, à l'exception des nombreuses égratignures que j'avais accumulées dans ma lutte contre la mort et probabelment lorsqu'il m'avait tirée en dehors de tout ça. Il n'avait probablement pas eu la force de me soulever, il a probablement dû tracter mon corps en dehors des flammes, et je ne pouvais pas vraiment lui tenir rigueur de quelques taches de poussières sur mes vêtements ou de quelques traces de sang. 

"C'est d'accord, attendons un peu ... " me lança il d'un air un petit peu déçu, mais bon comment lui en vouloir. A son âge, je me doute bien qu'il aurait aimé rentrer chez lui le plus vite possible.

Il n'a pas le temps de finir sa phrase qu'il se voit coupé par un terrifiant constat. Nous venions une nouvelle fois d'entendre cet effroyable claquement, visiblement chacun d'un côté différent à en juger par la direction du mouvement de sursaut que nous eûmes au moment de la détonation.

Une seule chose était sûre désormais, quelqu'un jouait avec nous, et ne nous voulait pas forcément que du bien.

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