Chapitre 1 [Partie 3 - Freedom]
Un couteau. Mais pas n'importe quel couteau, disons plutôt LE couteau. Quand j'avais connu Arthur pour la première fois, il le possédait déjà. J'aurais aimé pouvoir dire que c'était l'équivalent de mon stylo pour lui, mais je ne m'en sens pas capable. Bien que les armes étaient interdites au lycée, de manière tout à fait normale, il ne se passait pas un jour sans qu'il l'ait sur lui. Je ne l'ai vu s'en servir qu'une seule fois, dans un spectacle que je n'ai malheureusement pas oublié.
On ne se connaissait que depuis quelques mois, lorsque Arthur m'a instruit à ses règlements de comptes réguliers. Un soir, à la sortie du lycée, il avait pris à partie une de ses victimes habituelles. Quelle idée a eu le petit de riposter ... Il est jusqu'ici le seul que j'ai vu se donner la peine d'essayer de rivaliser avec son bourreau. Évidemment, cela n'avait pas plu à Arthur, qui pour la première fois, avait sorti ce couteau de poche, protégé par un étui, comme la prunelle de ses yeux. Il l'avait brandi, et l'avait placé contre le visage du pauvre gamin, qui dût se résoudre à donner le peu qu'il lui restait dans son portefeuille.
Mais il n'avait pas été le seul à vivre ce jour comme un traumatisme. Pour la première fois, j'avais essayé d'arrêter Arthur, de lui faire entendre raison. Je me souviens encore de la manière dont il s'est retourné et s'est presque jeté sur moi alors que je lui criais d'arrêter, que ça n'en valait pas la peine. Il ne m'avait pas directement menacé, mais j'avais senti dans son regard un mélange indescriptible de haine, de colère et de tristesse. Oui, de tristesse ... Il n'aimait pas non plus ce qu'il était, et je le savais. Nous n'avons jamais reparlé de cette altercation, qu'il avait fui rapidement, sans me laisser le temps de reprendre mes esprits. Il portait en lui une tristesse qu'il n'arrivait à canaliser qu'en rendant les autres encore plus tristes.
Je trouve également un bout de papier accroché à la lame du couteau. "Bonne chance pour demain " accompagné d'un cœur, qui ne me réconforte que très peu. Il me faut quelques secondes avant de réaliser tout ce que je viens de vivre. Un si petit événement, avec des répercussions qui me paraissent immenses. Je continue de fouiller frénétiquement ma veste, dans l'espoir d'avoir fait une erreur, en sachant pertinemment que mon porte bonheur n'y est pas, il l'a pris intentionnellement.
Pourquoi me faire ça ? Pourquoi, lui qui dit m'aimer, a il décidé de me désarmer à quelques heures du moment le plus important de ma vie. Et pourquoi me souhaiter bonne chance, si c'est mon malheur qu'il souhaite, veut-il me narguer ? Tant de questions se bousculent dans ma tête, mais ma colère ne passe pas. Je me saisis de mon téléphone et lui envoie un message ravageur, sans tenir compte de l'heure. 2h31, aucune chance qu'il ne me réponde ... et je serai déjà partie lorsqu'il se réveillera.
Je passe le reste de la nuit éveillée, à chercher à comprendre, à trouver un motif, une explication. Il est 6h lorsque je ferme ma valise, et me prépare à partir. J'ai finalement décidé d'emmener mon porte-bonheur de substitution, dans l'espoir de lui trouver une excuse, plus tard. Toute la maison dort encore, lorsque je franchis délicatement la porte, sans un bruit pour ne pas perturber quiconque. Je m'aventure dans la nuit, avec une certaine appréhension, probablement plus que visible sur mon visage, encore très fatigué des évènements de la veille. La ville est si calme quand elle dort. L'effervescence de mes trajets vers le lycée a laissé place au chant des oiseaux matinaux, ainsi qu'aux quelques lumières de cuisine qui commencent à s'allumer. Je rejoins l'arrêt de bus, et ne tarde à le voir arriver, au loin, pleins phares allumés. Je suis évidemment seule, qui prendrait le bus à cette heure-ci après tout ? Les maisons défilent, ces même maisons que je connais par cœur le jour, me paraissent différentes la nuit. J'observe par la fenêtre, alors que l'on s'éloigne de plus en plus de mes trajets ordinaires. Le trajet touche à sa fin au moment où le conducteur vient me taper sur l'épaule pour me faire revenir à la réalité.
- " Voilà l'aéroport madame, c'est ici "
Je suis désormais seule, livrée à moi-même, dans un monde qui me paraît immense. L'aéroport m'apparaît comme un nouvel univers, que je souhaite découvrir de fond en comble. Un sourire se dessine sur mon visage alors que je m'avance vers l'entrée, mon casque sur les oreilles. Ce n'est pas la première fois que je prends l'avion, loin de là, mais c'est bien la première fois que je me retrouve seule dans un tel environnement. Même s'il est tôt, on sent d'ors et déjà l'effervescence de cette machinerie se mettre en route. Les gens se pressent devant les panneaux d'affichage, courent rejoindre leur porte d'embarquement ou encore traînent leurs valises dans les longs couloirs du vaste bâtiment.
Dans la file pour enregistrer mon bagage, je cherche du regard mon partenaire. Dans tout ça, j'avais presque oublié que nous étions 2 à partir pour ce concours. Devant moi, une vieille dame et son sac à main, ce n'est probablement pas elle, à moins qu'elle fasse très vieille pour son jeune âge. Derrière moi, une famille particulièrement bruyante me rappelle mes premiers voyages. Les enfants courent dans l'aéroport devant les soupirs fatigués des parents. Il n'en faut pas plus pour me faire repenser à notre départ de France, quand moi et mon frère étions un peu plus jeunes.
Mon père avait eu cette excellente promotion nous permettant de quitter le pays et partir vivre ici, aux USA. Le choix a été vite fait, et en quelques mois nous avions quitté tout ce que nous avions, pour vivre à l'autre bout du monde. Même si l'unanimité n'était pas de mise, nous avions suivi. Forcément, comment peut-on accepter, lorsque l'on a 12 ou 13 ans, d'abandonner tous ses amis, ses repères, pour aller vivre dans un pays dont on parle à peine la langue et surtout, où l'on ne connaît personne. Le choix de nos parents avait été déchirant pour moi et mon frère, qui dûment nous résoudre à recommencer une nouvelle vie, loin de tout ce que nous connaissions.
Alors que j'arrive devant la borne d'enregistrement, toujours aucun signe de mon partenaire, ou bien adversaire, je ne sais pas trop. Nous n'avions que très peu de détails sur le déroulement dudit concours, et cela m'intrigue de plus en plus au fur et à mesure que l'on s'approche du lieu fatidique.
- "Bonjour madame, votre I.D s'il vous plaît" me lance l'agente derrière son moniteur, d'un ton si froid qu'on dirait un robot.
- "Merci, déposez votre bagage sur le tapis " poursuit-elle, avant de terminer d'un tout aussi peu naturel "Merci, bon vol pour Heathrow".
Bien déterminée à aller prendre mon café matinal que je n'ai pu avoir, je pars m'asseoir à la terrasse d'un des nombreux cafés au prix exorbitant que l'on peut trouver dans les aéroports. Je sens petit à petit l'excitation monter et me dir... attends ? Heathrow, à Londres? Eh non, je pars pour Chicago moi. Paniquée, je sors ma carte d'embarquement de ma poche, qui porte bien l'indication d'un vol pour Londres. Je cherche du regard la vieille dame devant moi dans la queue, afin de pouvoir comparer nos billets. Lorsque je l'aperçois monter les escaliers vers les portes d'embarquements, mon sang ne fait qu'un tour et je cours la rattraper.
- "Madame, attendez s'il vous plaît madame !!!" arrivé-je à glisser, toute essoufflée de la course effrénée que je mène.
Mais la piètre sportive que je suis ne met pas longtemps à trébucher sur son propre pied pour tomber en avant sur le sol carrelé. La vieille dame ne s'est même pas retournée, et je commence à ramasser mes affaires en me relevant alors que le père de la famille qui attendait son tour après moi vient à ma rencontre.
- "Ça va aller ? Tu t'es pas fait mal ? Tu as besoin d'aide ?"
- "Je crois que ça va oui, je suis censé partir pour Chicago mais mon billet indi... "
Je me stoppe net à la vue de mon billet par terre. Sur le verso de celui-ci est inscrit à l'encre d'imprimerie : A=1.
Et si c'était mon premier test ? Si le concours avait déjà commencé. Mon intuition ne me trompe jamais, je suis bel et bien face à la première étape de cette épreuve. Après avoir gentiment remercié l'homme venu m'aider et lui avoir souhaité bon courage avec la petite tribu qu'il promenait, je décide de prendre le temps d'analyser le billet que j'ai entre les mains à la table d'une des nombreuses zones pour charger son téléphone. Heureusement que je suis venue en avance, consciente de ma faible expérience en termes d'aéroport.
J'arrive rapidement à déchiffrer cette énigme vieille comme le monde. Chaque lettre correspond à son équivalent dans l'alphabet. En additionnant toutes les lettres, le mot "Heathrow" compte pour un total de 98. 9+8 = 17, 1+7 = 8. La 8ème lettre de l'alphabet : H.
Que me serait-il arrivé si j'avais changé mon billet, aurais-je été disqualifiée d'office ? Je ne préfère pas y penser, encore toute excitée par la découverte que je viens de faire. Je me demande combien d'entre nous ont su résoudre cette mystérieuse inscription. La logique est un des points forts de tous les mathématiciens, mais l'observation n'est que rarement très développée. Les gens qui avaient créé cette énigme avaient dû prendre ces critères en compte, éliminant par conséquent les moins polyvalents d'entre nous. La preuve, j'étais tombée complètement par hasard, au détour d'un carrelage un peu trop dur à mon goût, sur ce qui aura failli me coûter ma place dans ce concours. Je suis passé à très peu de choses de mon élimination, et me rends rapidement compte de la difficulté de la compétition qui m'attend. Je reste assise près de 2 heures à la terrasse de ce même café, à imaginer tout ce qui m'attend pour le reste de la semaine, avec un sourire que je ne peux cacher. Je n'ai plus qu'une hâte, arriver sur place pour découvrir ce que l'avenir me réserve.
Au moment d'embarquer dans l'avion, je regarde une dernière fois l'inscription au dos de mon billet, comme pour m'assurer que je n'ai pas mal interprété le message. Peu importe, il est trop tard pour reculer maintenant.
Je rentre et m'installe à ma place, jusqu'ici, rien de bien étonnant, je veux dire, rien qui ne sorte de l'ordinaire d'un voyage classique en avion. Mon voisin a l'air tout à fait normal, et me rappelle que je ne sais toujours pas qui voyage avec moi, ni même si il a réussi à déchiffrer le message, d'ailleurs, l'avait-il ? L'avions nous tous, ou bien suis-je la seule à être confrontée à ça. Tant de questions se bousculent, et je meurs d'envie de rencontrer l'équipe de H pour avoir des réponses.
Le soleil se lève à peine à l'horizon, alors que l'avion décolle, vers l'Angleterre finalement, un voyage qui s'annonce bien plus long que prévu. J'aurais aimé pouvoir m'extasier devant les villes que je survole et la beauté que dégage le monde vu d'en haut, mais l'hôtesse se présente à notre niveau pour nous proposer les collations gratuites, que je m'empresse bien sûr de réclamer. Ne pas avoir pris de petit-déjeuner avait été la pire erreur que j'avais pu faire depuis bien longtemps, mon ventre criait famine depuis près de deux heures, et le pauvre café que j'avais englouti à l'aéroport n'avait visiblement pas contenté mon estomac.
Je m'empresse d'ouvrir tous les petits compartiments du plateau. Des œufs, du bacon, une chose est sûre, je suis encore en Amérique. Je n'avais pas réussi à m'habituer à leurs coutumes alimentaires avec le temps, et ma France natale me manquait pas mal sur ce point là. Cependant, hors de question de faire la difficile, je me saisis des couverts et dévore à une vitesse inouïe l'intégralité de mon plateau-repas. A peine le temps pour moi de tout remettre en place, que je sens la fatigue de la nuit m'emporter. Je tombe de sommeil, appuie ma tête contre la fenêtre et m'endors en quelques secondes, dans le plus paisible des univers.
Un bruit sourd, mon corps bouge. Que se passe-t-il ? Vient-on d'atterrir ? Ce ne sont peut être que des turbulences. Je sens mon corps se dérober, comme si je n'étais plus maître de mes mouvements, alors que je me réveille doucement de ce long sommeil. J'entends un vague cri sourd, mêlé à une panique ambiante autour de moi. Non ce n'est pas normal. Je n'arrive pas à ouvrir les yeux, comme paralysés de fatigue et essaye de relever ma tête. Pourquoi est-ce que je ne peux pas bouger ? Une lumière vient m'aveugler, alors que ma tête heurte quelque chose. Le choc est si important que je m'évanouis, sans réellement comprendre la situation. Je ne suis réveillée que par un crépitement, comme si quelqu'un brûlait des feuilles au creux de mon oreille. Tout est silencieux, à l'exception de ce désagréable grésillement dans ma tête, un puissant acouphène.
Ma tête me fait mal, une horrible sensation de migraine s'empare de moi. Une odeur de fumée vient pénétrer mes narines, lorsque j'ouvre mes yeux en sursaut pour me rendre compte de la situation que je redoutais. Je suis au milieu des flammes, seule.
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