Chapitre 7 : D'une balançoire aux yeux bizarres
Pendant mon sommeil, un souvenir revient, plus net que jamais. Un souvenir de ma vie d'avant, un souvenir du monde des vivants :
Je suis dans la cuisine. La lumière du soleil filtre à travers la petite fenêtre de rideaux blancs. Je suis en train de boire un bol de lait goulûment. J'ai six ans, peut-être sept. Mes cheveux roux sont attachés en deux couettes bien symétriques, retenues par des petits élastiques ornées de grenouilles bleues, et mes tâches de rousseurs sont nombreuses à cause du soleil.
Je reconnais les petits meubles anciens de la pièce. La petite casserole cuivrée, reposant sur la cuisinière à gaz, près de la serviette quadrillée rouge et blanche.
Le papier peint est d'un rose laiteux, parfois avec des traces dû au vieillissement des cloisons.
La table à laquelle je mange porte une nappe brodée, blanche comme les rideaux de la fenêtre. Par terre, près de la porte, un panier en osier contient les légumes nécessaires pour la soupe du dîner.
Je finis mon bol, le repose dans l'évier et essuie la moustache de lait qui s'est formée au-dessus de ma bouche.
Je décide d'aller jouer dehors. Je suis sereine et joyeuse. C'est les vacances d'été, je n'ai pas école, je n'ai aucun soucis en tête.
Je sors par la baie-vitrée. La chaleur est oppressante. Je n'en tiens pas compte et me dirige vers la balançoire, à quelques mètres de là. Je passe à côté de mon père qui se repose sur un transat. Ses yeux sont fermés, il n'y a aucune trace de plis sur son front. Ma première pensée est de croire naïvement que lui aussi est content d'être en vacances.
J'arrive sur la petite planche en bois, soutenue par le chêne. Je m'y assois et commence à m'y balancer, un sourire aux lèvres. Mes jambes se tendent, mes bras tiennent bon. J'ai l'impression de voler. Et cette odeur de pollen, de fleurs, quelle douce odeur ! Le petit grésillement d'un insecte qui se cache dans l'herbe accompagne mon envol.
Comme à mon habitude, je me lasse très vite. Les balancements s'éternisant, je lâche les cordes et saute de la planche en bois.
J'aterris accroupie dans l'herbe. Je me relève et m'élance vers mon père dans le but de le réveiller. J'ai eu la soudaine idée que nous pourrions jouer, tous les deux, avec le ballon en mousse. Il serait le goal entre le pommier et le prunier, et moi je tirerais dans la balle.
Je pose ma petite main sur son poignet qui repose à côté du transat.
- Papa, papa ! Viens jouer avec moi !
Aucune réaction de sa part. Je recommence mes appels, secouant en même temps son poignet. Tous ses muscles sont relâchés.
Il est sûrement très très profondément endormi.
Je répète plus fort :
- Papa ! S'il te plait, viens !
Toujours rien. Je recule, étonnée, et l'observe attentivement. Se pourrait-il qu'il fasse semblant de dormir pour ne pas jouer avec moi ?
- Ne fais pas semblant, papa ! je rie.
Je lui ouvre un oeil avec mes doigts, près à le voir se réveiller en éclatant de rire.
Je manque de hurler.
Son oeil.
Il n'est pas comme d'habitude, je le sais. On dirait qu'il a les mêmes yeux que notre voisin qui est aveugle. Mais mon papa à moi n'est pas aveugle.
Pourquoi ne se réveille-t-il donc pas ?
J'ai compris la raison depuis quelques minutes déjà, mais je refuse de voir cette vérité en face. Elle m'est fatale.
Les larmes ne viennent même pas. Ce que je ressens juste, c'est ma gorge qui se sert. Atroce.
Je viens de rencontrer la Mort pour la première fois de ma vie.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top