À quelques mètres de la première hutte, nous apercevons des silhouettes humaines. Le coeur battant à tout rompre, nous nous faufilons sans plus attendre dans le village.

Les hommes et les femmes présents ne nous aperçoivent pas, enfin pour l'instant. Certains sont très âgés, d'autres très jeunes. Je crois même voir un nourrisson dans les bras d'une femme. Des enfants jouent, crie, rient, courent jusqu'à l'intérieur des cabanes de paille.

Tous forment une tribu, une famille recomposée.

- On a remonté le temps. Nous sommes revenus au temps de la préhistoire, je ne vois aucune autre solution... chuchote Ted.

Personne ne prend la peine de répondre à une telle ânerie.
J'ai comme un mauvais pressentiment.

- Ce sont donc les... morts ? je demande.

Victor plisse les yeux, puis hoche la tête.

Après multiples réflexions, nous décidons de nous montrer au grand jour. Je m'avance la première au sein du village.

L'une des silhouettes pousse un cri en me voyant. Les autres hommes et femmes tournent aussitôt la tête vers nous. Les enfants, eux, s'arrêtent aussitôt de courir.

Je suis encore plus terrorisée qu'eux, et manque de tomber à la renverse sous le choc : les villageois n'ont pas de visage.

Leur regard est inerte, absent, vide, et leur nez n'est plus qu'une fente béate. Ils ne possèdent même pas de lèvres, seulement un orifice buccale étrangement constitué.

J'ai envie de vomir, littéralement.

Quelqu'un crie à la dérobée, et nous comprenons sans difficulté la langue qu'il utilise. Pourtant, j'ai l'intuition que ce n'est pas du Français :

- C'est la prophétie !  La prophétie ! acclame l'un d'eux.

- Heu...nous venons en paix ! clame courageusement Isaac en levant une main tremblante.

- La prophétie est vérifiée ! répète une des femmes sans visage, sans faire attention aux propos d'Isaac.

Je hurle de terreur lorsque l'un des villageois s'approche vers moi et me prend violemment les bras pour me tirer en arrière.

Impuissante, je vois ainsi Ted se faire plaquer au sol, tandis que Lia est tirée par les cheveux de sa queue de cheval. Victor et Isaac sont placardés sans ménagement contre une hutte.

Mon assaillant me fait vraiment mal au bras. J'essaye de me débattre, en vain.

Brusquement, le village est envahi par une clarté aveuglante et Lia pousse à son tour un cri. Le village n'est plus que lumière, je ne distingue plus ni ombre, ni forme, ni profondeur.

- Lâchez-les, clame une voix en provenance du coeur de la lumière.

La voix ne me semble pas humaine, seulement envoûtante, et je ne peux m'empêcher de l'écouter.

Les hommes sans visages obéissent immédiatement et nous lâchent docilement. La voix continue, nous hypnotisant, nous ensorcelant tous :

- La prophétie avait vu vrai. Puisse le sort vous être favorable.

- Qui êtes-vous ? questionne soudain Victor.

La réponse est plus qu'innatendue :

- Je suis l'image des Dieux de toutes les religions de votre monde, de toutes les imaginations. Je suis tout, tout à la fois.

Je ferme les yeux devant cette lumière éblouissante, envahissante, et demande à l'aveuglette :

- Pouvez-vous répondre à nos questions ?

- Bien sûr.

- Où sommes-nous ?

- Je croyais que vous l'aviez déjà deviné. Vous êtes dans le monde d'Après. Vous m'avez compris, vous vous trouvez au coeur du monde des morts.

- Alors nous sommes morts, nous aussi ?

-Non.

Mon coeur manque un battement, et je lâche un cri de surprise :

- Nous sommes encore vivants !

- Non plus. Pas vraiment.

Je ne comprends plus rien. Comment pouvons-nous n'être ni morts ni vivants ?

Existe-t-il un autre état que la mort et la vie ?

- Pourquoi sommes-nous là ?

- Pour accomplir la prophétie, il en va de soi.

- Et quelle est la nature de cette prophétie ?

La voix met un temps à répondre. Puis, dans un souffle lumineux qui se mêle à la brise :

"Ils seront au nombre de
Cinq
Ne se souviendront de rien
Ils ramèneront avec eux la Connaissance du monde d'Après
Pour la nature humaine du monde des Vivants
Arta, jeune mort, donnera son Aide
Quatre réussiront leur destinée
Quatre arriveront à la porte du monde Parallèle
Pour rejoindre le monde des Vivants."