Chapitre 15 : D'un souvenir d'incendie à l'air libre

Après plusieurs heures, nous décidons de nous arrêter une seconde fois pour nous reposer.

Arta monte la garde, assis sur un rocher, tandis que mes yeux se ferment tous seuls dans l'obscurité.
Je m'endors comme une masse sur le sol dur. Je suis tellement fatiguée que la peur de l'environnement où je me trouve n'artère nullement à mon sommeil.

Je suis réveillée par Lia qui me secoue sans pitié :

- Mélody, réveille-toi ! On repart !

Je frotte mes yeux et me rends compte que je suis la seule encore couchée.
Je me lève difficilement, mes articulations pleines de courbatures, et m'approche d'Arta. Mes pieds sont encore endoloris par la longue marche des jours derniers.

- Comment va Victor ? je demande d'une voix rauque.

- Plutôt mal. Il faut vite trouver de quoi le soigner mieux que cela.

Il désigne les chaussettes ensanglantées enroulées de façon grotesque autour de sa jambe.

- Il est toujours inconscient, je fais remarquer. C'est mauvais signe...

- Cela fait vingt heures qu'il est inconscient. Sa blessure est profonde, mais pas létale. Tout ira bien pour lui, ne t'inquiète pas.

Il reprend Victor sans ménagement sur son dos et annonce à l'adresse de tous :
- Il faut qu'on sorte du souterrain avant ce soir. Allons-y !

Nous marchons tant bien que mal. Je remarque des ampoules qui se forment contre mon talon. Mes pieds frottent contre mes chaussures et ça me fait mal, mais je ne dis rien.

Ted vient à côté de moi et me fait la conversation :

- Un souvenir m'est revenu cette nuit !s'exclame-t-il.

- Ah oui ?

- Je sais comment je suis tombé dans le coma, à présent. C'est très intense, comme souvenir.

- J'imagine...

- J'étais à l'anniversaire de Chloée, une de mes amies. Elle avait invité la moitié du lycée dans sa grande maison de campagne. On a fait les idiots, ses parents n'étaient pas là et on en a profité. À cause de l'alcool et de notre débilité, ça a mal fini. Il y a eu un incendie. J'étais au toilettes à ce moment-là j'ai entendu des cris derrière la porte, on m'appelait en hurlant, mais je ne m'en suis pas soucié car j'ai cru que c'était une blague. Quand je suis sorti, le feu me cernait de toutes parts. C'était horrible. La chaleur m'a envahi. J'ai beaucoup crié, je crois. Puis ma peau a subi des brûlures très graves, beaucoup plus graves que celle de Victor, et je suis tombé dans le coma.

À ces mots, j'essaye d'exprimer toute ma compassion en le regardant. Dans les yeux de Ted je vois du regret, beaucoup de regret, et de l'effroi.

Je suis sûre qu'il a revécu ces moments en même temps qu'il me les a raconté. Il est sûrement en train de se demander si ces amis ont survécu à l'incendie, eux. Probablement.

Je repense à la voiture qui m'a fauchée, à Lia qui tombe de son balcon, à Victor et son cancer, à Arta pendant la guerre d'Algérie, et je me rends compte que je ne sais pas comment Isaac est tombé dans le coma.

Je ne sais rien de lui, à vrai dire, seulement qu'il est ronchon et très énervé.

Mais d'une certaine façon, nous sommes tous unis par les liens de la souffrance.

J'essaye de me raccrocher à cette réalité comme à une bouée de sauvetage :

Nous ne sommes pas morts. Seulement dans le coma.

Nous ne sommes pas morts.
Seulement dans le coma.

Soudain, une lumière m'aveugle. Je recule d'un pas et me protège d'une telle clarté avec mes mains. Pendant un cours instant, je crois que le Dieu de l'imagination est revenu près de nous pour nous guider, nous envelopper de sa lumière.
Je n'ai qu'à moitié raison. C'est seulement la lumière du jour. Je vois enfin le ciel. Je peux enfin respirer à nouveau cette brise légère.

Nous sortons du souterrain par le passage et descendons avec précaution le long du pan de la montagne.

Mes yeux s'habituent peu à peu à la lumière du jour.

Devant nous s'étale une nouvelle forêt, à perte de vue.

Le voyage continue.

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