6. Wes
Les doigts de Wes dessinaient des arabesques éphémères sur le dos dénudé de Lilith. Ses caresses déclenchaient des soupirs d'aise chez la jeune femme, qui gardait la tête enfouie dans l'oreiller. Il ne parvenait pas à se détacher de sa peau.
Il était aimanté par elle, par sa douceur.
La douceur de la peau de Lilith.
Ils étaient restés au lit toute la journée. Ils avaient parlé. De tout. De rien. Les mots venaient naturellement entre eux.
Ils n'avaient pas parlé d'eux. Ils avaient laissé le silence s'emparer de ce qu'ils vivaient. Ils lui avaient permis de régner sur ce qu'ils ressentaient. Et Wes gardait au bord de ses lèvres les paroles tendres. Il les gardait comme un trésor. Il savait bien, qu'un jour, il offrirait ce trésor à Lilith. Mais pas encore... Il conservait tous ces mots d'éternité sur sa langue, et seul le silence se paraît de leurs échos.
Ils étaient restés au lit et ils avaient fait l'amour.
Wes était avide de découvrir chaque parcelle du corps de Lilith. Il ne semblait jamais tout à fait rassasié d'elle. Même juste après l'extase. Dès qu'il se détachait d'elle, il ressentait un manque. Il avait besoin de maintenir le contact. Il avait besoin de la toucher encore.
La sentir encore.
Il délaissa son dos pour se coller à elle. Il écarta sa chevelure brune et commença à déposer des baisers légers dans son cou. Lilith tourna la tête vers lui et, comme toujours, son sourire lui donna la sensation que son ventre avait une vie propre. Quand elle souriait, elle l'atteignait jusque dans ses entrailles. Au plus profond de sa chair.
Elle posa sa paume sous la pommette gauche de Wes et l'un de ses doigts la caressa, faisant de lents aller-retours.
Le jeune homme ferma les yeux, se laissant bercer par le mouvement doux de sa main.
— On devrait peut-être rester ici une nuit supplémentaire, déclara-t-elle soudain.
Il jeta alors un coup d'œil en direction de la fenêtre et constata que le crépuscule faisait rougeoyer le ciel. Il ne s'était pas rendu compte des heures qui passaient. Le jour avait filé, comme ça, sans qu'il le réalise vraiment.
Être auprès d'elle, c'était vivre hors du temps des hommes.
Auprès de Lilith, il était dans l'œil du cyclone. Et le monde aurait pu s'écrouler autour de lui sans qu'il entende le moindre murmure. Sans qu'il ressente le moindre frisson.
— Oui, tu as raison, ça ne sert à rien de reprendre la route ce soir.
— Bon... Je vais aller affronter le zombie de l'accueil pour prolonger notre séjour.
L'amusement de Wes céda vite place à un autre sentiment quand il la vit se lever. Elle traversa la chambre, à la recherche de ses habits, uniquement vêtue de sa chevelure. Ses longs cheveux bruns étalés sur son dos. Tandis qu'elle passait ses sous-vêtements, il n'eut plus qu'une seule envie. L'attirer à lui et l'en délester de nouveau.
Il s'assit sur le lit, tendit la main et la supplia :
— Viens te recoucher ! La vieille momie attendra !
Elle lui lança un regard malicieux, tout en mettant son jean.
— Je n'en ai pas pour très longtemps, promis. Et puis, je me prendrais bien un café aussi. Tu en veux un ?
C'est toi que je veux, eut-il envie de lui répondre.
Pourtant, il lui sourit et accepta, en la remerciant. Elle finit de s'habiller et s'en alla aussitôt après avoir pris son portefeuille.
Elle sortit de la pièce, emportant avec elle toute la chaleur.
Elle sortit et Wes, hébété, contempla quelques instants le vide qu'elle avait laissé derrière elle.
Il s'affala sur le matelas en soupirant. Il fixait les reflets pourpres que le soleil couchant imprimait au plafond, laissant son esprit vagabonder.
Tout au long de la journée, ils s'étaient très peu éloignés l'un de l'autre. Chacun recherchant la présence de l'autre. Wes avait remarqué que les moments d'absence de Lilith devenaient plus rares. Il avait réussi à la garder auprès de lui. Entière. Corps et âme.
Son regard se faisait moins souvent lointain.
C'était comme si une barrière avait cédé. La dernière barrière. Il avait senti qu'elle le laissait s'approcher. S'approcher vraiment.
Sans savoir réellement pourquoi, Wes ne pouvait s'empêcher de se sentir privilégié. Comme si elle lui permettait d'accéder à son âme. Comme si elle avait arrêté de dresser des fortifications entre eux.
Oui, il le percevait bien... Quelque chose avait cédé.
Et ce fut avec cette pensée joyeuse qu'il se leva pour aller fumer à la fenêtre.
Il ouvrit un battant et alluma une cigarette. Il sentait l'air vespéral effleurer son visage. Le bruit lancinant des voitures, qui filaient sur l'autoroute, le berçait, tandis qu'il recrachait à intervalles réguliers la fumée qu'il venait d'aspirer.
Pris d'une inspiration soudaine, il cala sa clope au coin de la bouche et s'approcha de son jean, qui était posé sur une chaise. Il en profita pour enfiler son caleçon, sur lequel il venait de trébucher. Le jean entre les mains, il fouilla dans ses poches et retrouva ce qu'il cherchait.
Son carnet.
Il retourna à la fenêtre pour ne pas enfumer complètement la chambre. La cigarette toujours accrochée à ses lèvres, il se mit à noter toutes les images que son esprit enfantait. Son crayon dansait sur la feuille, entre l'ombre d'une chevelure et la sensualité de courbes féminines. Les lettres dessinaient les contours d'une paupière et se froissaient dans une tempête.
She is my storm.
Cette phrase revenait, comme un refrain. Comme un sortilège psalmodié. Une confidence à l'oreille complice du papier.
Le bruit de la porte le tira de l'envoûtement dans lequel le rythme des phrases l'avait maintenu.
Pourtant, Lilith s'était arrêtée à l'entrée de la chambre, sans doute pour ne pas le déranger. Il sentit son regard sur lui. Ses yeux le scrutaient, parcourant son corps dénudé, et Wes pensa qu'il n'aurait pas dû remettre son caleçon.
Cela l'aurait peut-être incitée à se déshabiller de nouveau, songea-t-il amusé.
Lilith s'avança, un peu rougissante, et lui tendit un gobelet de café.
— C'est bon pour la chambre ? demanda-t-il en portant le récipient à ses lèvres.
— Oui, pas de souci. C'était le même zombie qu'hier, plaisanta-t-elle. Mais elle semblait plus intéressée par mes dollars que par mon cerveau... donc ça va ! J'ai survécu.
Wes rit à sa blague. Il rit et la regarda singer la vieille gérante, même si tout son corps lui hurlait de faire autre chose. Il avait besoin de sa dose d'elle. Comme un camé en manque de son odeur.
En manque de ses mains sur son épiderme.
Alors il referma la fenêtre, tirant les rideaux, et abandonna son café à moitié bu sur la table. Il attira la jeune femme tout contre lui. Il passa ses mains sous son débardeur, resserrant son étreinte, et fit glisser ses lèvres sur son épaule.
— Hum... ça a l'air de te passionner ce que je te raconte, constata Lilith taquine.
— Oui, je suis fasciné, lui répondit-il entre deux baisers. Continue, je t'écoute.
Il venait de lui enlever son haut et s'attaquait aux attaches de son soutien-gorge.
— Je crois que tu m'as fait perdre le fil, murmura-t-elle.
Moi aussi, songea-t-il. Mais j'ai renoncé à retrouver ce fil... Je préfère rester perdu à ses côtés.
Il la souleva, ce qui la fit rire. De grands éclats. Un rire clair comme l'aube d'un jour nouveau.
Il bascula sur le lit avec elle, laissant la tempête s'emparer de lui.
Laissant Lilith effacer tout ce qui n'était pas elle.
Et le reste de la soirée se déroula comme dans un rêve.
Un rêve qui portait le parfum de Lilith.
***
Wes se réveilla en sursaut, le cœur battant à toute allure. Un coup d'œil au réveil de la chambre lui indiqua qu'il n'était que quatre heure dix-huit.
Parfait, se dit-il.
— Réveille-toi, chuchota-t-il à l'oreille de Lilith.
La jeune femme râla, à moitié endormie.
— Mais... Il fait encore nuit. On a le temps...
— Non, j'ai une surprise pour toi. Allez, viens ! Tu ne vas pas être déçue.
Elle grommela quelque chose en Français qu'il ne comprit pas, mais finit par se lever.
Quelques minutes plus tard, ils avaient rassemblé leurs affaires et Wes était installé derrière le volant de son van. Il s'engagea sur une route secondaire qu'il connaissait bien et roula en direction de San Diego, même si ce n'était pas exactement là qu'il avait l'intention de les mener.
Il jetait de temps en temps des coups d'œil à Lilith, qui observait la route d'un air absent. Elle avait relevé les genoux contre son torse et appuyait son menton dessus, prête à sombrer dans l'oubli du sommeil à tout moment. Wes se mordit les lèvres pour ne pas rigoler devant son expression de petite fille somnolente. Il n'avait pas envie d'accentuer sa mauvaise humeur.
Après avoir conduit une heure, il gara son véhicule en bordure de route.
— Suis-moi, lui dit-il tandis qu'elle s'étirait.
Il claqua la portière et s'enfonça dans la végétation dense, qui se dressait face à lui, avec Lilith sur ses talons.
— Attention, la prévint-il, le sentier glisse un peu parfois.
Il connaissait ce chemin comme sa poche. Il était venu de nombreuses fois avec sa planche et il savait quels étaient les endroits pentus et traîtres. Mais il progressait lentement afin que la jeune femme ne se blesse pas. Ils ne voyaient pas encore où ils mettaient les pieds à cause de l'obscurité.
Wes respira à pleins poumons. L'odeur de l'océan se mêlait déjà à celle des arbres et il percevait la rumeur des vagues lorsqu'il tendait l'oreille.
Ils débouchèrent finalement sur la plage d'une petite crique. Le ciel abandonnait ses ombres pour un bleu de plus en plus pâle. Quelques étoiles s'attardaient, comme égarées entre le jour et la nuit. Des lumières scintillantes sur l'azur.
Les cieux avaient pris cette teinte particulière. Celle de l'aurore. Celle qui précède l'entrée en scène du soleil. Une nuance pure et douce qui paraissait dire à l'âme humaine que tout était possible.
A l'aube d'un jour nouveau, tout semble toujours possible, pensa-t-il.
Wes remarqua que Lilith avait enlevé ses chaussures et qu'elle marchait pieds nus à la rencontre de l'océan. Il fit de même et prit plaisir à sentir le sable humide.
Elle se tourna vers lui et il distingua cette expression qu'il aimait tant chez elle. Celle qu'il avait vue sous l'orage.
L'expression émerveillée d'une enfant.
Lilith avait conservé sa capacité à s'émerveiller face à la beauté. Et voir son sourire s'épanouir devant le Pacifique gonflait de joie le cœur de Wes.
Elle s'avança dans l'onde marine, jouant avec l'écume qui léchait ses orteils. Wes suivit des yeux sa silhouette qui courait au bord l'eau, s'amusant à esquiver les vagues les plus puissantes.
Ce jeu dura un moment. Elle ne semblait pas s'en lasser.
Pourtant, elle finit par délaisser l'eau de mer pour venir se blottir tout contre Wes, qui s'était assis un peu plus loin sur le sable. Installée entre ses jambes, elle avait posé sa joue contre la sienne et le jeune homme l'avait prise dans ses bras.
Et il n'imaginait pas une autre place pour elle. Il ne l'imaginait pas ailleurs que dans ses bras, tout contre lui.
— Alors ? demanda-t-il. Tu ne regrettes pas trop de t'être levée tôt ?
— Pas le moins du monde !
— Que penses-tu du Pacifique ? Est-il à la hauteur de ton océan Atlantique ?
— Je le trouve beau et mystérieux... Fascinant. Inconnu et familier à la fois. Mais j'ai très envie de l'apprivoiser... J'ai très envie de le faire mien, avoua-t-elle dans un murmure.
En entendant sa réponse, Wes l'embrassa dans le cou, juste sous l'oreille.
Puis, son regard suivit celui de Lilith et il contempla les rochers sombres qui marquaient l'entrée de la crique. Ceux qui se dressaient face aux vagues impétueuses.
Ils restèrent ainsi longtemps, enlacés sur le sable.
Ils observèrent le Pacifique se vêtir de lumière.
Silencieux et captivés par le roulement des vagues écumeuses.
Seuls face à l'étendue translucide.
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