5. Wes


Wes avait les yeux grands ouverts dans la nuit.


Il fixait le plafond de la chambre, cherchant des formes dans les traits de lumière qui s'inséraient entre les volets fermés. Empreintes lumineuses de la station service en face du motel.


Allongé sur le dos, au milieu du matelas, il écoutait la respiration calme et régulière de Lilith, toujours recroquevillée au bord du lit.


Elle dort, pensa-t-il.


Le jeune homme soupira. Le sommeil le fuyait. Morphée ne voulait pas de lui, apparemment, et Wes se dit avec amertume que ni le dieu des rêves ni Lilith ne souhaitaient le prendre dans leurs bras.


S'il étendait la main, il savait qu'il pourrait toucher le dos de sa compagne de route, laisser ses doigts se promener le long de sa colonne. Cependant, malgré sa proximité, il avait la sensation que Lilith se trouvait à des kilomètres de lui.


Elle s'était éloignée à dessein. Et cela il l'avait bien compris, même si la raison de cet éloignement lui échappait encore.


Ai-je dit ou fait quelque chose de mal ? se demanda-t-il.


Des images de la journée traversaient son esprit, comme des flashs d'un film heureux. Il la revoyait en train de chanter dans le van, par-dessus la voix de Kurt.


Et rire.

Son rire avait rythmé la route.


Wes sourit à la pensée des éclats de rire de Lilith.


D'autres souvenirs s'invitèrent dans sa tête. Lilith, les pieds nus, qui écrivaient en apnée dans son carnet. Elle, contemplant la route, muette...


Il lâcha un nouveau soupir. Il ne savait pas sur quel pied danser avec elle. Il se rappelait tous les moments complices qu'ils avaient partagés en quelques heures à peine.


Pourtant, ces moments avaient été parfois voilés par son indifférence.


Non, songea-t-il. Ce n'était pas de l'indifférence... Elle semblait lointaine. Oui, elle s'éloignait...


Il avait remarqué que son regard dérivait. Ailleurs. Loin. Comme si seul son corps était encore présent à ses côtés. Coquille vide délaissée par son esprit.


Lilith paraissait dresser une barrière invisible autour d'elle. Un rempart contre le monde. Une muraille faite de ses pensées secrètes.


Wes avait eu la sensation qu'il ne parviendrait pas à abattre ce mur entre eux.


Et pourtant, l'instant d'après, il avait senti la tendresse de son regard posé sur lui. Elle était de nouveau présente à ses côtés et la douceur de ses yeux lui donnait envie de se garer sur le bord de la route pour la serrer contre lui et l'embrasser.


Wes se mordit les lèvres en pensant à la façon dont elle le regardait parfois. Et il lui fallut toute la force de sa volonté pour ne pas se jeter sur elle.


Si elle est prête à tomber du lit, c'est bien parce qu'elle ne veut pas que tu envahisses son espace vital, se rappela-t-il avec tristesse.


Mais lui avait envie qu'elle envahisse tout son espace. Il désirait plus que tout qu'elle s'approche et prenne toute la place. Il voulait se perdre en elle. Se perdre et oublier. Oublier tout ce qui n'était pas elle.


Wes réalisa que, si Lilith construisait un mur invisible, lui pratiquait la fuite en avant.


Il avait beau vouloir oublier... Il savait bien que la réalité finirait par le rattraper.


Les rattraper.


Il pensa de nouveau à sa réaction quand elle avait entendu Black pour la première fois. C'était presque trop beau pour être vrai. Et, même vexée, il l'avait trouvée si jolie. On aurait dit une petite fille blessée dans son amour propre.


Un mouvement sur sa gauche le tira de ses réflexions.


Lilith avait bougé dans son sommeil. Elle se retourna et vint se caler dans ses bras, se réfugier contre son cœur. Elle posa sa tête sur son épaule et il sentit son souffle chaud dans son cou.


Elle ne s'était pas réveillée.


Elle était venue à lui, toujours endormie. Elle était venue à lui, comme si son corps assoupi reconnaissait sa place naturelle à ses côtés.


Sa place tout contre lui.


Wes enfouit son visage dans sa chevelure et respira son odeur. Il lâcha prise enfin et le sommeil parvint à cueillir sa conscience.


Il passèrent la nuit ainsi.

Enlacés dans le royaume de leurs rêves communs.


Encore une fois, Wes fut le premier à se réveiller. Il n'avait pas desserré son étreinte autour d'elle, et le visage de Lilith fut la première chose qu'il aperçut, quand son esprit se dégagea des brumes oniriques.


Il fixa ses lèvres un long moment, se demandant comment elle réagirait s'il l'éveillait d'un baiser. N'était-ce pas ainsi que faisaient les princes ?


Un rire silencieux souleva ses épaules.


Il n'était pas un prince charmant. Et il y avait de grandes chances que Lilith n'apprécie pas qu'il lui vole un baiser sans son consentement.


Il emmêla alors ses doigts dans les longs cheveux bruns de la jeune femme et observa l'apparition des premiers signes de son réveil. Ses paupières frémirent et sa main vint chasser une mèche de sa chevelure qui devait la gêner. Elle ouvrit enfin les yeux.


Elle ouvrit les yeux et il en eut le souffle coupé.


La chaleur de son regard lui tordit le ventre.


Un simple regard. Un seul de ses regards et il perdait la raison. Il devenait un camé en manque d'elle. Assoiffé d'elle.


Il sentit ses lèvres s'étirer en un large sourire. Un sourire de bonheur incontrôlable.


Elle lui rendit son sourire et il fixa ce moment d'Éternité dans sa mémoire. Il essaya d'ancrer chacun de ses traits dans son esprit, de les ancrer à sa joie de se réveiller à ses côtés.


Toutefois, alors qu'il se laissait enivrer par son euphorie, une ombre passa sur le visage de Lilith et elle chercha à s'éloigner de nouveau. Elle essaya de se détourner de lui.


Mais Wes la retint prisonnière de ses bras et lui murmura de sa voix grave :


— Non, s'il te plait, ne t'éloigne pas. Ne me fuis pas. Reste près de moi.


Il perçut son hésitation. Sa lutte intérieure transparaissait dans ses grands iris bruns.


Alors, il tenta de la convaincre d'une autre façon.


Sa main, toujours perdue dans ses cheveux, épousait l'arrière de son crâne. Il approcha son visage de celui de la jeune femme. Il s'approcha d'elle.


De ses lèvres.


Doucement. Tout doucement, pour lui laisser la possibilité de refuser son baiser.


Mais elle ne s'enfuit pas.


Et quand les lèvres de Wes effleurèrent enfin les siennes, il sentit sa bouche s'entrouvrir. D'abord doux, il déposa des baisers caresses, tout en retenue, le corps tendu par tout ce qu'elle provoquait chez lui. Puis quelque chose céda en lui.


Il s'abreuva de ses baisers.

Il se saoula de ses caresses.


Il avait perdu pied et seules les lèvres de Lilith contre les siennes faisaient sens. Seule sa langue cherchant la sienne. Seule sa respiration dans la sienne.


Il s'écarta pourtant.


Non pas pour reprendre son souffle.


Il s'écarta pour lire dans les yeux de Lilith l'écho de ce qu'il ressentait.


Et ce qu'il y vit lui donna envie de hurler sa joie au monde entier.


— Je n'aurais jamais imaginé que notre premier baiser se ferait avec l'haleine matinale, plaisanta-t-elle.


Wes se mit à rire. Il riait à sa plaisanterie. Il riait de bonheur. Ivre d'elle.


Elle avait imaginé notre premier baiser, songea-t-il euphorique.


— Tu as oublié de préciser que c'était l'haleine matinale d'un fumeur ! ajouta-t-il. C'est double peine pour toi, là !


Elle mit sa main en coupe contre sa propre bouche, y incluant son nez, et souffla.


— Ton haleine de fumeur se marie bien avec mon haleine de chacal, on dirait !


— On s'en moque alors ?


— On s'en moque, lui confirma-t-elle en souriant.


Il prit cela comme un signal. Le signe que, tout comme lui, elle était déjà en manque de ses lèvres.


Alors il vint combler ce manque et son esprit se perdit de nouveau dans le souffle de Lilith.


Mais très vite, sa bouche ne lui suffit plus.


Il désirait davantage. Il la voulait tout entière. Il avait besoin d'être au plus près d'elle.


En elle.


Sa respiration se fit plus saccadée et il bascula sur elle, essayant d'imprimer son corps dans le sien.


Dans un éclair de lucidité, il se détacha d'elle et la sonda pour vérifier qu'il n'allait pas trop vite. Vérifier qu'il n'allait pas lui faire peur. Il ne souhaitait pas qu'elle s'éloigne de nouveau...


Elle l'observa longuement en silence. Puis, elle fit passer par dessus sa tête le débardeur qu'elle portait et le jeta par terre. Elle avait choisi de se mettre à nu.


Devant sa peau dénudée, Wes perdit le peu de contrôle qui lui restait. Il combla la distance qui les séparait encore et disparut dans la tempête d'émotions qu'elle suscitait en lui. Il s'enivra de sa chair. Et sa bouche, ses mains et son corps s'insinuèrent toujours plus loin en elle.


Son cœur battait si fort. Si fort ! Comme s'il voulait s'échapper de sa poitrine pour être plus proche d'elle encore.


Comme s'il se faisait l'écho du tonnerre.


Le souvenir du tonnerre de cette nuit-là.


Elle est mon orage, pensait-il.


Et cette phrase lancinante ne le lâchait plus, rythmant leur étreinte fusionnelle.


Cette phrase devint sa certitude.


Et l'orage les emporta. Il balaya tout sur son passage. Tous les maigres doutes qui subsistaient furent brûlés par la foudre.


Et cette évidence fut tatouée dans l'âme de Wes.


Elle était son orage.

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