Chapitre 6 - Fallen

« It's gonna be a good, good life That's what my therapist say »

Ça va être une bonne, bonne vie C'est ce que dit mon thérapeute

I'm a Mess — Bebe Rexha

Le reste de la semaine s'est passé de la même manière. Pas vraiment lucratif. Pas de job en vue. Mais de toute façon, je suis incapable de me présenter à un entretien d'embauche sans avoir l'impression d'aller au front. Mes seules sorties ont été celles pour me rendre au centre. Niveau vie sociale, il y a mieux, mais bon, c'est déjà ça. Le trajet est toujours aussi éprouvant, mais y aller me fait de moins en moins peur, et même si je ne suis toujours pas intervenue, au moins, je n'ai plus la boule au ventre quand j'y suis. Paul, ne m'a pas reparlé depuis l'incident et c'est tant mieux.

La semaine achevée, je ne suis pas sortie du week-end. J'ai fait mes courses sur internet, lu ou encore regardé la télévision. Je ne me sentais pas de mettre le nez dehors. Me déplacer jusqu'au centre est encore bien trop difficile pour que je rajoute de nouvelles expériences, parce que oui, aller acheter une simple baguette est une grosse épreuve pour moi. Le week-end est passé bien trop vite et j'aurais voulu que le temps s'arrête pour ne pas avoir à ressortir de sitôt.

Il est seize heures et je suis déjà installée dans le cercle de la honte, je trouve que ce nom lui correspond bien.

Paul est assis face à moi, je l'observe à la dérobée et je dois dire qu'il me semble moins sur les dents que la première fois où je l'ai vu. Je détourne mon regard quand Luc nous rejoint.

— Bonjour à tous, nous salue-t-il.

— Bonjour Luc, clame les participants en chœur.

Je lève les yeux au ciel, non, mais on est quoi ? Une secte ?

— Bien, nous allons parler de vos problèmes de sociabilité pour la plupart. Avoir des phobies, des addictions, peut vous couper des autres et vous êtes ici pour travailler sur vous, ainsi que sur votre rapport aux autres. Question simple : Qu'avez-vous fait ce week-end ?

Les réponses fusent. J'ai bu un café chez ma fille, je suis allée à l'église, j'ai fait du tricot avec des amies. Pitié. Au bout d'un moment, je n'écoute même plus la discussion.

— Fallen, m'interpelle Luc.

Je tourne la tête vers lui.

— Et toi ?

Je comprends sa tentative de me faire participer, mais je n'ai rien d'intéressant à dire.

— Je suis restée chez moi, dis-je en haussant les épaules.

— Personne à voir ? Pas d'amis ? me demande-t-il curieux.

Non, vraiment ? Il me pose la question ? Il a pourtant lu ma fiche et il voit bien que je suis souvent mal à l'aise en société.

— Pour quoi faire ? dis-je d'une voix indifférente.

Ma réponse jette un froid. La plupart des participants se trémoussent sur leur siège. Pour une fois que ce n'est pas moi qui suis gênée.

— C'est important d'avoir des amis, des confidents, me dit-il confiant.

Pitié, j'ai l'impression d'être une enfant de cinq ans qu'on rassure après une dispute futile.

— Je ne pense pas, non, ris-je froidement.

— Explique-nous ton point de vue, alors.

— Les confidents ont trop de pouvoir. Ils en savent plus que n'importe qui, ils manipulent, jouent et détruisent.

— Alors, c'est qu'ils n'étaient pas tes amis, intervient Paul. Tu devrais laisser leur chance à d'autres.

Pour une fois qu'il participe celui-là.

— C'est ma seule référence, alors non, je n'arriverai pas à faire confiance à nouveau.

— Ils t'ont fait quoi ?

Sa voix est dure, m'accuse-t-il d'exagérer ?

— Ça ne te regarde pas.

— T'es là pour ça, non ? me lance-t-il irrité.

Le groupe de parole s'est transformé en joute verbale entre Paul et moi. C'est quand même l'hôpital qui se fout de la charité.

— Et toi ? Tu passes ton temps dans ton coin à juger les autres. Tu n'es pas mieux que moi.

— Je fais des efforts.

Des efforts ? Alors si maintenant, c'est mieux, c'était quoi avant ?

— Lesquels ? Depuis que je fais partie de ce groupe, tu n'as pas ouvert la bouche une seule fois.

— Toi oui, peut-être ?

— Non, mais moi, je ne viens pas te reprocher de ne pas le faire.

Je tourne la tête vers Luc, qui nous observe, l'air amusé.

— C'est terminé ? demandé-je, pressée de quitter cette pièce.

— Pour aujourd'hui, oui. Merci à vous deux, vous m'avez donné des idées pour une prochaine séance.

Génial. On va être ses cobayes maintenant.

— Merci à tous, vous pouvez rentrer chez vous, conclut-il.

Je me lève, passe la bandoulière de mon sac par-dessus la tête et quitte la pièce à grands pas.

Je suis en bas des marches quand une voix m'interpelle. Sans que je sache pourquoi, je m'arrête.

Paul me rejoint bientôt et ensemble nous observons le trottoir d'en face.

— Tu es pressée ?

— Je dois rentrer chez moi, me contenté-je de répondre.

— Des amis à voir ? se moque-t-il.

— Si ça t'amuse.

Vexée, je m'éloigne de lui et prends le chemin de la maison. Enfin, maison... c'est censé être une sorte de foyer, alors que pour moi, ce n'est qu'un refuge ou une prison.

— Attends, dit-il en m'attrapant le bras.

Je me raidis et retiens mon souffle.

— Laisse-moi te raccompagner, dit-il en me libérant.

Je ne réponds rien et poursuis ma route, il prend mon silence pour un oui et m'accompagne.

— J'ai dealé de la drogue, lâche-t-il soudainement au bout de quelques minutes de silence.

— Tu as ? répété-je en insistant sur le temps employé, curieuse.

— Oui, c'est derrière moi.

— C'est pour ça que tu es là ? Dans le groupe ?

— Non.

Sa réponse est simple. S'il n'est pas là à cause de ça, pourquoi alors ?

— Alors, pourquoi me dire ça ?

— Bah... Je me suis dit que si tu en savais plus sur moi, j'en saurais plus sur toi.

La confiance, hein ?

— J'ai fait du piano.

— J'avais deviné.

Je me retourne vers lui, perplexe.

— Quand tu es nerveuse, tu pianotes sur tes genoux. Pourquoi le passé ?

— Longue histoire.

— Je pense qu'on pourrait être amis, Fallen.

Sa proposition soudaine m'amuse.

— Je t'ai déjà dit que je n'en voulais pas.

Et c'est vrai. Il fut un temps où j'aurais tout fait pour mes amies. Pour une en particulier.

— Moi non plus, mais tu pourrais être mon exception.

— Pourquoi ? demandé-je, réellement curieuse, en arrêtant de marcher.

— Je ne sais même pas, j'ai juste envie de t'aider.

M'aider ? Je me renferme aussitôt, il n'y a rien de pire qu'être un challenge pour les autres.

— Donnant-donnant, ajoute-t-il.

— Comment ça ?

— Je t'apprends à sortir, et toi...

Il ne poursuit pas sa phrase et je comprends qu'il ne compte pas le faire.

— Et moi ? tenté-je.

— Toi, tu m'apprends à être normal.

Ses yeux sont rivés sur moi alors qu'on reprend notre marche. Je comprends qu'il ne plaisante pas. S'il compte sur moi, il a misé sur le mauvais cheval.

— Moi ? Paul, je suis loin d'être normale.

— C'est vrai...

Je ne me vexe même pas. C'est la vérité.

Le reste du trajet se poursuit dans le silence. J'observe les gens avec envie, ceux qui discutent autour d'un café, ceux qui rigolent en faisant les imbéciles. Je ne veux plus d'amis, mais en avoir me manque. Rire, partager, se confier. Malgré les mauvais moments, les bons me manquent. Je m'en veux d'être ainsi, d'être fermée, d'être méfiante. J'ai travaillé dessus, beaucoup, et de plein de façons différentes. Mais cette amie, celle pour qui j'aurais tout donné... Elle ne m'a pas pris que ma confiance, elle m'a également pris ma passion, le piano.

Je pourrais jouer encore, mais les notes sonneraient différemment. C'est pourquoi je joue dans ma tête. Quand je ferme les yeux, c'est comme avant, les notes sonnent juste et mes doigts courent sur les touches. En quelques années, ma vie a radicalement changé. J'entends encore les acclamations du public, les félicitations de ma mère et des professeurs. Difficile à croire, vu ce que je suis aujourd'hui.

— On est arrivé, me dit Paul.

Je n'avais pas vu que j'étais passée devant mon immeuble sans m'arrêter. Je me retourne et Paul est devant ma porte.

— Comment ?

— Je voulais pas que tu rentres seule, l'autre jour, se justifie-t-il en détournant la tête, gêné.

Bizarre, mais gentil. Et si... se torture mon esprit. Si quoi ? Si je lui laissais une chance ? Si pour une fois, j'acceptais l'aide de quelqu'un ? En faisant ça, je risque d'être à nouveau blessée. Oui, mais...

— C'est d'accord, me contenté-je de dire en me rapprochant de lui, coupant court au débat qui avait lieu dans ma tête.

Va-t-il saisir ce que je sous-entends ? Sa tête pivote dans ma direction et son regard se rive au mien. Ses traits se détendent, un sourire fier prend naissance sur son visage et je sais qu'il a compris.

— À demain, Fall.

— Fallen, le reprends-je.

— À demain, Fall, répète-t-il.

— Ouais, c'est ça, dis-je en ouvrant la porte de l'immeuble. À demain.

Je le laisse là et monte chez moi. En refermant la porte derrière moi, je sens les coins de ma bouche se relever dans un léger sourire. Lui et moi, amis ? On va faire une drôle d'équipe.

Mon téléphone sonne alors que je me dirige sous la douche. C'est maman, je décide de ne pas décrocher. Pour une fois, je n'ai pas envie de faire semblant, je veux juste prendre une douche et ne penser qu'à moi.

En musique, je me détends sous l'eau, me savonne le corps et ferme les yeux pour ne pas voir les vestiges de ma vie d'avant. Tout ce que je sens, ce sont les cicatrices qui me marbrent à présent le corps.

Ma toilette faite, je quitte la salle de bain et, une fois rhabillée, je vérifie mon téléphone.

[Tu dois rentrer. Samedi. Maman]

Comment ça, je dois rentrer ?

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