Chapitre 39 - Fallen

« Settle down with me And I'll be your safety You'll be my lady »
Installe-toi avec moi Et je serai ta protection Tu seras ma femme

Kiss Me — Ed Sheeran

Je suis rentrée à l'hôtel tremblante. Il est le seul capable de me mettre dans des états pareils. Il me remue, me secoue, mais j'aimerais qu'il n'en soit pas ainsi, j'aurais préféré qu'il me laisse presque de marbre. Parce que maintenant, rien de ce que je ressens n'est réciproque et je crois qu'il n'y a pas plus douloureux. Malgré tout ce qu'on a vécu, c'est aujourd'hui que Paul me fait le plus de mal. Il n'y peut rien, c'est la seule chose qui me console dans tout ça.

Ma nuit a été courte, j'ai eu du mal à trouver le sommeil, imaginant dans ma tête d'autres scénarios de retrouvailles dignes de grandes comédies romantiques. Je me suis fait même rire à certains moments, je ne savais pas que mon cerveau pouvait produire autant. Hier après mon départ, Patricia m'a appelé pour savoir si elle pouvait donner mon numéro de téléphone à Paul. Sur ce trottoir, j'étais tellement troublée que je n'y ai pas pensé.

Aujourd'hui, j'ai passé la journée à déambuler dans cette ville que j'avais trop peur d'explorer avant. J'avais besoin de m'aérer, d'être active, trop angoissée par notre rendez-vous.

Mon téléphone posé sur la commode de l'hôtel vibre et je me précipite presque pour ouvrir le message.

[Paul : Je suis en bas.]

Mon cœur manque un battement... il est là. C'est étrange de recevoir à nouveau des messages de sa part. C'est réconfortant et en même temps je me trouve pathétique de m'accrocher à un passé qui n'est plus.

Un coup d'œil dans le miroir pour me rassurer, ma tenue est simple et mon maquillage léger. Je suis restée naturelle, mais de toute façon, je ne veux pas le séduire donc je suppose que ça suffit.

Je récupère une petite veste ainsi que mon sac à main puis quitte ma chambre. Je souffle un bon coup en descendant les escaliers et lorsque je sors de l'hôtel, je suis happée par sa présence à l'autre bout de la rue. Mes pas s'arrêtent d'eux-mêmes et je l'observe avec attention. Hier, je n'ai pas osé le faire, j'étais bien trop mal à l'aise. Il a beaucoup changé en deux ans, il a pris un peu de poids ou du muscle, je ne sais même pas... Mais surtout, ses traits se sont adoucis. Il n'a plus l'air de vouloir faire la guerre au monde entier. Je souris en me souvenant de ses réactions d'autrefois.

Paul s'est redressé et semble figé telle une statue, les mains dans les poches. Il m'analyse avec autant d'attention que je le fais. Me trouve-t-il changée ?

Je décide de m'avancer vers lui et mets fin à nos observations respectives. Mes pieds me conduisent jusqu'à lui. Étrangement, je me sens bien et légère. Si ça doit être notre dernier rendez-vous, alors je veux qu'il soit parfait. Mes pieds ne semblent pas me porter, mais plutôt me faire voler jusqu'à lui.

— Salut, me dit-il, la voix basse.

— Salut, réponds-je.

J'ai l'impression d'être une gamine à son premier rencard... mon corps tremble, mon ventre s'agite dans tous les sens et mon cœur lui chante une mélodie que je ne saurais jouer.

— On y va ? me propose-t-il.

J'acquiesce et nous nous mettons en route. Le silence ne m'aide en rien à me calmer. Les mots se bousculent dans ma bouche mais mes lèvres ne les laissent pas passer, serrées par le trac.

— Tout va bien ?

Je lève ma tête vers lui, surprise par sa question puis analyse ce qui nous entoure. La rue est bondée de gens assistant à un concert dans une petite ruelle.

— Oui, oui, le rassuré-je.

Il fut un temps où ça n'aurait pas été, mais il aurait suffi qu'il me prenne la main pour me donner de la force. Je baisse le regard sur ses bras qui se balancent et je suis obligée de croiser les miens pour ne pas agir sur le coup de l'impulsion.

Nous arrivons enfin dans une rue beaucoup moins fréquentée. Paul s'arrête devant un petit restaurant et mes yeux se lèvent pour observer la vitrine.

— Il est petit, je me suis dit que ce serait plus sympa pour discuter.

— Ce sera parfait, affirmé-je souriante.

Paul s'est tourné vers moi et me scrute. Son regard s'assombrit et, comme à chaque fois que nos regards se croisent, le monde disparaît, ne me laissant voir que lui.

La porte du restaurant s'ouvre, je me force à détacher mes yeux des siens. Le client qui en sort me tient la porte et je le remercie avant de m'engouffrer à l'intérieur. Je me sermonne, me supplie de ne pas me perdre dans des illusions.

Le gérant nous installe à une table un peu en retrait où nous nous installons. Le silence s'éternise entre nous et mon cœur ne semble plus tenir la cadence, je ne sais pas par où commencer ni même si je dois le faire.

Finalement, c'est lui qui brise le silence, en me demandant ce que j'ai vécu, ce que j'ai vu. Il ne me parle plus du Machu Picchu et c'est tant mieux. Je me vois mal lui dire que je n'y ai pas mis les pieds. Bêtement, je ne m'imaginais pas y aller sans lui... Je lui raconte mon parcours, mes rencontres, mais plus je parle, plus je sens que je m'énerve.

C'est injuste, mais je me fous de tout ça. Je l'ai vécu. J'ai rencontré toutes ces personnes, visité tous ces pays... Ce que je voudrais savoir c'est ce que lui a fait, les gens que lui a rencontrés, mais d'une certaine façon, je suis hypocrite. Je voudrais savoir tout ça, sans connaître l'essentiel. Je voudrais qu'il me dise qu'il est heureux sans qu'il me précise que c'est grâce à une autre.

Je ne tiens plus et mon cœur semble sur le point d'exploser, la boule dans ma gorge, elle, ne fait que grossir. J'ai l'impression de ne plus pouvoir respirer ni déglutir.

— Je suis désolée, Paul..., dis-je la gorge nouée.

Il détache son regard du menu et me regarde perdu.

— Je n'y arrive pas.

Je t'aime toujours et rester là, face à toi, est un supplice. Mon cœur saigne et ma tête est sur le point d'exploser à cause de toutes ces choses que je ne peux pas te dire.

Il opine du chef et repose la carte. Nous nous levons et prétextons une urgence au serveur. La fraîcheur de ce début de soirée me soulage et j'emplis mes poumons d'air lorsque nous passons enfin les portes. J'avais l'impression de ne plus pouvoir respirer.

— Je vais te raccompagner, me dit-il en me fuyant du regard.

— Ça va aller, je vais... C'est gentil, mais je vais rentrer seule.

Je ne pourrai pas tenir une seconde de plus à côté de lui, je ne veux pas me jeter désespérément sur lui.

— Bien.

Il opine du chef, les sourcils froncés, la mâchoire serrée. Je l'ai déçu et j'en suis désolée, mais c'est bien trop pour moi, bien plus que ce que mon cœur peut supporter.

— Bonne soirée, le salué-je d'une petite voix.

Je me retourne et m'éloigne de lui presque en courant.

— Fall ?

Mes pas se figent lorsqu'il m'appelle et, comme si je ne contrôlais rien, mon corps se retourne dans sa direction.

— C'est si dur que ça ? Tu m'en veux à ce point là ?

Je n'arrive pas vraiment à distinguer le ton avec lequel il me pose ces questions. Ce n'est pas tout à fait de la colère, mais je ne sais pas ce que c'est.

— Je comprends d'accord, je t'ai laissé une putain de lettre, j'ai disparu et tu as fait ta vie pendant plus de deux ans. Alors, je comprends que... Je trouve même pas les bons mots. Alors, je vais faire ça à ma sauce, d'accord ?

J'opine du chef, curieuse et en même temps effrayée.

— Je vais d'abord te poser une question. Ton tatouage. Il représente quoi ?

Je me raidis, surprise qu'il me reparle de ça. Si pour moi ce tatouage a de l'importance, je ne comprends pas celle qu'il a pour lui. Je décide de jouer cartes sur table... de toute façon, je n'ai plus rien à perdre.

— Toi...

Ma voix est bien trop basse pour qu'il m'entende. Alors je prends mon courage à deux mains et me racle la gorge.

— Il te représente, toi, répété-je la voix plus assurée.

Je l'ai fait quelques mois après mon départ, j'avais besoin de l'avoir près de moi, comme une sorte d'amulette.

— Tu m'as oublié ? Tu en aimes un autre ?

Je ris devant l'absurdité de sa question, mais surtout parce qu'il ose me la poser alors que lui est clairement passé à autre chose.

— Qu'est-ce qui t'amuse ? me demande-t-il énervé.

— Tu me poses vraiment la question ?

— Oui, si tu dois me rejeter, j'ai besoin de savoir pourquoi.

La façon dont il me scanne, me scrute me donne le courage de lui dire la vérité.

— Non, je ne t'ai pas oublié, pas un jour. Si j'ai aimé ? Comment j'aurais pu alors que tu étais tout le temps là ? dis-je en haussant le ton. Chaque homme que j'ai pu rencontrer n'était pas toi. C'est ce que tu veux entendre ? Et bien voilà. Mais je trouve ça cruel de ta part de me pousser à te dire tout ça. C'est à la limite du sadisme.

— Rien que ça ? se moque-t-il un sourire aux lèvres.

Je ne comprends pas son air si ravi, jubile-t-il de me voir ainsi ?

— Ça te fait rire, moi pas... Paul..., reprends-je d'une voix plus posée. Je suis vraiment heureuse pour toi, je t'assure. Tu le mérites et je m'efforce de me dire que tout va bien, mais ne viens pas te pavaner avec ça, te moquer de mes sentiments non partagés. Je le sais bien, je suis pathétique. Deux ans, deux putains de longues années n'auront pas suffi à te faire sortir de ma tête. Tu es même ancré dans ma peau.

— Tu jures, maintenant ?

— Quand on me pousse à bout, oui ! m'énervé-je.

Paul réduit la distance qui nous sépare et sans que je ne comprenne ce qu'il se passe, sa main se retrouve dans mes cheveux et il m'attire à lui. Nos lèvres se percutent violemment. Dans un premier temps, il ne fait aucun mouvement puis, finalement, ses lèvres se mettent à bouger et à butiner les miennes. Elles semblent désespérées, affamées, assoiffées. Comme si elles n'avaient pas eu ce pour quoi elles étaient faites depuis bien trop longtemps. Malgré ce que je sais de sa vie actuelle, je ne peux m'empêcher de répondre à son baiser, même s'il me fait mal, j'ai l'impression qu'il est vital pour moi.

Son parfum n'a pas changé et chacun de mes sens semble avoir retrouvé sa madeleine de Proust. Son parfum, la chaleur de sa langue, la douceur de ses cheveux lorsque je passe ma main dans sa tignasse. Mes yeux ont eu la soirée pour se délecter de sa beauté.

Bien trop tôt, il se détache de moi et colle son front au mien. Maintenant que ce baiser est terminé, je m'en veux d'avoir cédé, parce qu'il me manque déjà.

— Tu étais dans ma tête à chaque seconde, m'avoue-t-il la voix cassée.

Mes yeux se plongent dans ses iris. Il est tellement beau. Je ne peux empêcher une larme de couler.

— Je ne sais pas ce que tu t'es imaginé, Fallen, mais il n'y a eu personne depuis toi.

Il s'éloigne un peu et j'ai l'impression de geler sur place quand sa chaleur me quitte. Il relève la manche de son t-shirt et, à l'intérieur de son bras, un tatouage est apparu. Il n'y était pas il y a deux ans. Je m'approche pour lire ce qu'il y a d'écrit.

Je le déchiffre et mon regard se relève sur lui, interrogatif.

— After the Fall.

Il acquiesce et je me souviens de sa lettre. « Après la chute, le bonheur ?"

— Il y a quoi après alors ? osé-je.

­— Il y a Fall... Il y aura toujours Fall. Je t'aime encore et je ne suis pas sûr de cesser de le faire un jour.

Mon cœur implose dans un feu d'artifice, les larmes ont commencé à couler sur ses joues et j'ai tellement attendu ces mots que j'ai l'impression de les avoir rêvés à l'instant.

Je suis perdue et je le regarde perplexe.

— Je t'aime et je suis désolé de ne pas te l'avoir dit à l'époque. Si tu es prête à...

— Je t'aime, le coupé-je.

Ses mains se posent sur mes joues, et nos regards larmoyants ne se quittent plus. Lui qui passait son temps à se moquer des films « niais » que je lui faisais voir, on est en plein dedans.

— Ne pars plus sans moi.

Je secoue la tête, je ne partirai plus jamais sans lui, je ne sais même pas si j'en aurais la force.

Sa bouche se pose à nouveau sur la mienne et elles ne se séparent plus que pour nous permettre de respirer.

Est-ce que je fais une erreur ? Je m'en fous. Paul a toujours été une évidence. Peu importe si ça doit être difficile. J'ai fait mes armes et lui les siennes. J'ai l'espoir qu'avoir grandi séparément nous aura appris beaucoup.

Je l'aime depuis trois ans et je compte l'aimer le restant de mes jours.

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