Chapitre 34 - Fallen

« But how am I supposed to love you When I don't love who I am »

Mais comment suis-je censé t'aimer Alors que je n'aime pas ce que je suis ?

Half a Man — Dean Lewis

J'allume la lumière. Mon regard balaye la pièce, plus aucune trace de lui. L'unique photo que j'avais de nous deux a disparu et les affaires qu'il avait laissées chez moi ne sont plus là.

Il est parti.

Je me précipite dans la salle de bain et là encore, aucune trace de lui. Comme s'il n'avait jamais existé. Comme s'il n'avait jamais été là. Comme si je l'avais juste rêvé.

Je retourne dans la chambre à la recherche du moindre indice me confirmant son existence, notre histoire. Juste quelque chose.

Je vais dans la cuisine et mon œil est attiré par une enveloppe posée sur le comptoir. Une lettre ? Juste ça ? Mon cœur est amer, en colère, déchiré.

Mes doigts tremblants la saisissent et ouvrent avec précipitation l'enveloppe. C'est un cauchemar, une mauvaise blague. Pourtant, je reconnais de suite son écriture tordue, maladroite.

Et aux premiers mots, je sais que je ne me trompe pas. Il est parti.

« Fall, Tu m'en voudras certainementen ouvrant cette lettre, en lisant ces mots. Alors je vais commencer par tedire que je suis désolé. Désolé d'être un lâche. Un putain de gros lâche. Tudétestes que je sois vulgaire mais c'est pourtant ce que je suis. Ce que jevais t'écrire là, je suis incapable de te le dire en face. Parce que je saisque je craquerais, que je reviendrais sur ma décision. Et je ne peux pas... Parceque c'est la seule solution. Tu es arrivée, un peu, voirecarrément paumée. La première chose à laquelle j'ai pensé en te voyant ?Sadako. J'ai honte de le dire, mais ouais... Tu me faisais penser à elle.Effrayante, carrément glauque. Je ne t'ai pas aimée, je n'aime jamais personne.Puis j'ai vu quelque chose chez toi, quelque chose de différent. Tu n'étais pas faible ni unetrouillarde. Tu avais juste besoin de voir ce dont tu étais capable et je suisheureux d'avoir assisté à cette métamorphose.Je voulais te dire merciaussi parce qu'avec toi, j'ai ressenti à nouveau. Beaucoup de choses, d'excellenteschoses. Je t'aime Fall, mais en ouvrant la porte à ces sentiments j'ai laissérevenir ce que je pensais enfoui ou au moins assourdi. J'avais fui et l'amours'est vite retrouvé étouffé par la culpabilité, la douleur et la colère. J'ai besoin de partir, dedevenir meilleur. Mais je ne fais pas ça quepour moi. Je le fais pour toi aussi. Je te connais trop bien et je sais que tudois faire ce voyage seule. Tu as besoin d'y arriver par toi-même, de te leprouver. Moi... je ne ferais que te retenir en arrière. Je t'aime et je suis désoléde te le dire dans une lettre mais je n'ai pas réussi à le faire autrement. Je t'ai viré tout l'argentque j'avais, tu en auras besoin. Moi pas. Ce n'est pas grand-chose, justequelques économies. Je pars ce soir. Je ne sais pas quand je reviendrai, maisj'espère que, quand je le ferai, tu ne seras plus là. J'espère que tu auraspassé le cap, que tu auras prouvé à tout le monde de quoi tu es capable et quetu seras en route pour le Machu Picchu.Je suis fier de toi, decelle que tu étais et de celle que tu es devenue. Tu n'as pas changé, tu asjuste évolué. J'espère en faire autant, mais malheureusement tu ne peux pas m'yaider. Je dois le faire seul.Je suis désolé aussi det'avoir menti. Quand je t'ai dit que je te laissais quelques jours, je lepensais sincèrement... Mais en y réfléchissant, revenir était une mauvaise idée. Je sais que je fais le seulchoix possible. Ce n'est pas le bon, mais il n'y en a que des mauvais quis'offrent à moi. Celui-là me semble le plus sûr pour nous deux. Et tu vas peut-être memaudire en lisant ça mais j'espère que tu ne m'oublieras pas. J'ai cru que tu me feraischuter, et quelque part c'est un peu ce qui est arrivé, mais tu m'as aussidonné envie de m'accrocher, de me battre. Alors, je vais me soigner, je ne tedirai pas où... j'ai changé de numéro et pour ça aussi, je suis désolé. Mais,entendre ta voix me suffirait à abandonner.Je vais me relever, essayerde me pardonner et de tourner toutes mes pages. La seule que je tourne avec regretest la nôtre. Je t'aime Fallen. Soisheureuse.Et après la chute ?J'espère qu'il y aura le bonheur. Paul. »

Les larmes ont trempé le papier et aux taches déjà sèches qui se trouvent dessus, je devine que les miennes ne sont pas les seules à avoir coulées.

Il est parti.

Cette phrase revient en boucle dans ma tête. Elle ne s'arrête pas de tourner, encore et encore. Je me dis que c'est impossible, qu'il va revenir, mais je connais Paul. Suffisamment pour savoir qu'il ne reviendra pas sur sa décision.

Je récupère mon sac et en extirpe mon téléphone. Mes doigts tremblants pianotent sur l'écran à la recherche de son nom et je le porte à mon oreille. Je ferme les yeux en priant pour qu'il soit toujours valide, en priant pour qu'il n'ait pas coupé toute relation avec moi.

Mais l'opératrice m'indique que le numéro n'est plus valide.

Il est parti.

***

— Tu as tout ce qu'il te faut ?

Je vérifie mon sac à main. Passeport c'est bon, billet d'avion c'est bon.

— Tout est parfait, rassuré-je Patricia.

Voilà plus de six mois que je prépare ce départ. J'ai mis suffisamment d'argent de côté, je me suis encore plus investie dans ma thérapie et je suis enfin prête à me surpasser.

— Comment tu te sens ?

— Étrangement excitée, dis-je, amusée.

Qui aurait cru il y a un an que j'en serais là aujourd'hui.

— Bien, tu veux qu'on attende avec toi ?

— Non, allez-y. Je vais aller m'enregistrer puis je passerai sûrement en salle d'embarquement.

Patricia s'approche de moi et me prend affectueusement dans ses bras.

— Richard et moi sommes très fiers de toi, Fallen.

Je lui rends son étreinte. Ils vont me manquer, énormément.

Après le départ de Paul, ils m'ont beaucoup soutenue. Au début, ça a été difficile puis avec le recul j'ai compris qu'il avait fait le seul choix possible. Il avait raison. Nous avions tous les deux besoin de grandir de notre côté. Je regrette juste de ne pas avoir pu lui dire au revoir. De l'avoir quitté sur une dispute.

— Tu nous appelles ?

— Promis, vous serez au courant de mon périple étape par étape.

— Quel chemin tu as fait, me complimente-t-elle en replaçant une mèche de mes cheveux derrière mon oreille.

Patricia est un peu la tante que je n'ai jamais eue. Elle n'a eu de cesse de m'encourager ou de me remotiver quand je perdais confiance. Ces six derniers mois, elle n'a jamais arrêté de croire en moi et en mes capacités.

Et voilà, j'y suis. La première étape de mon voyage.

— Bon gamine, prends soin de toi et tu te souviens de ce que je t'ai appris ?

— En toute honnêteté Richard, en cas d'agression, je ne suis pas sûre de me souvenir de tout, réponds-je amusée.

Richard me prend dans ses bras à son tour. Et comme toujours, je suis surprise qu'un costaud comme lui arrive à être si doux.

— Allez-y, les encouragé-je. Je n'aime pas les adieux, de toute façon.

Une dernière accolade et je les suis du regard jusqu'à ce qu'ils disparaissent. Je me dirige vers le comptoir d'enregistrement et remets mon billet ainsi que mon passeport à l'hôtesse.

— Un bagage ?

Je soulève ma valise et la dépose sur le tapis. L'hôtesse m'enregistre, me rend mon billet et je la salue avant de repartir, mon petit sac à dos sur l'épaule.

Ça y est.

Mon avion ne décollera pas avant deux heures et demie donc je me dirige tranquillement vers la file d'attente.

Mes médicaments ont depuis longtemps déserté mon sac. Il m'arrive encore quelquefois d'avoir des pointes de stress mais rien d'insurmontable, rien d'anormal. Disons qu'aujourd'hui, je réagis comme une personne « normale ».

Je passe les portiques de sécurité et longe les baies vitrées qui séparent l'accueil de l'aéroport et les salles d'embarquement. Mon regard observe ces gens qui se disent au revoir ou qui se retrouvent. Je passe de scènes tristes en scènes joyeuses. Puis mon cœur manque un battement et mes jambes cessent d'avancer.

Mon cœur repart plus vite, plus fort. Un sourire doux étire ses lèvres alors qu'il lève la main pour me saluer. Est-ce de la fierté ? Je ne saurais le dire d'où je suis. Mon regard parcourt les alentours à la recherche d'une sortie puis retombe sur Paul.

Je comprends à la façon dont il secoue légèrement la tête qu'il n'y aura pas d'effusions de joie ni de tristesse. Que tout ce à quoi nous aurons droit sera cet adieu à plusieurs mètres l'un de l'autre et à travers cette vitre. Mes doigts se posent sur la paroi glacée, comme si je pouvais le toucher. Il est toujours de l'autre côté, près des sorties. Les gens défilent entre nous et, j'ai peur qu'il disparaisse. Mais pas aujourd'hui. Je te laisse partir. Ce n'est pas lui qui part aujourd'hui, c'est moi. Je lui suis reconnaissante d'être venu jusqu'ici.

— Merci, articulé-je sans un son.

Je retiens mes larmes et tente de lui offrir mon sourire le plus resplendissant.

— Je t'aime.

C'est ce que je crois deviner sur ses lèvres. Je me mords l'intérieur de la joue pour ne pas craquer. Pour ne pas abandonner. Pour ne pas aller le rejoindre. Parce qu'il avait raison... J'ai besoin de faire ça seule.

Mes doigts quittent la surface lisse et ma main se lève pour le saluer une dernière fois. Je le regarde, tente d'imprimer chaque partie de son visage pour ne pas en oublier une seule et me retourne. Je traverse le long couloir et m'assieds sur une des chaises face aux pistes d'atterrissage. Je ne me retourne pas une fois, jamais. Est-ce qu'il est resté là jusqu'à mon départ ? Ou est-il parti de suite ? Je n'en sais rien, parce que même quand mon embarquement a été annoncé, je n'ai pas regardé dans sa direction.

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