Chapitre 33 - Fallen
« It's all we know, all we know, the hurricane Falling slow, falling slow in the pouring rain »
Il est tout ce que nous savons, tout ce que nous savons, l'ouragan Tombant lentement, tombant lentement dans la pluie torrentielle
Hurricane — Fleurie
Je sèche mes larmes et me redresse. J'ai l'impression d'être vidée, d'étouffer. La peine enserre mon cœur. Quelque chose de profond, de douloureux. Je suis impuissante et désemparée, je voudrais ne pas avoir attendu, j'aurais aimé avoir eu le courage de descendre les étages qui me séparaient de lui, j'aurais voulu avoir eu la force d'affronter ce moment.
Mais comme lui, j'ai eu peur. J'ai peur en permanence à vrai dire... peur de ce que je deviendrais s'il venait à disparaître, de la folie dans laquelle ça pourrait me plonger. Je déteste ce sentiment qui ne me quitte pas, cette impression de fin imminente.
Je déteste avoir besoin de lui à ce point parce que ça m'effraie, parce que je voudrais être certaine d'y arriver seule...
Mais Paul est, en peu de temps, devenu une composante essentielle de ma vie. Il est mon courage, ma force mais en même temps ma plus grande faiblesse. Il est un ouragan, il balaye tout, mes peurs, mais aussi mes certitudes... absolument tout. Il dévaste tout avec une force incontrôlable.
Mon corps las s'effondre sur mon lit et les larmes reprennent. Je ne sais pas jusqu'où mon cœur pourra supporter la douleur et comme avant, je me rends compte que je ressens trop fort, trop mal. Je récupère mon téléphone et le déverrouille. Dans l'espoir de quoi ? Il m'a dit qu'il me laisserait quelques jours... mais pour quoi ? La vérité je la connais et pourtant, mon cœur ne l'aime pas moins. Ce n'est pas son passé qui érige une frontière entre nous, c'est lui seul. Il s'échappe et je me noie.
Il est partout et nulle part à la fois. Impalpable, inaccessible. Toujours trop loin.
***
Je pousse la porte du bar, à cette heure-ci il n'y a encore personne. Patricia est derrière le comptoir. Le regard qu'elle me porte ne me trompe pas, il n'est pas revenu.
Voilà presque une semaine que j'attends impatiemment de le voir sonner à ma porte, apparaître aux réunions de Luc ou que j'espère le voir derrière le comptoir. Une semaine que je passe chez lui, que j'attends des heures devant sa porte, mais rien. Pas un message, pas un appel.
— Fallen, me salue-t-elle d'un doux sourire.
Je retiens mes larmes, j'ai déjà pleuré beaucoup trop.
Je tente de lui rendre son sourire et me rends aux vestiaires où je dépose mes affaires. Mon regard analyse mon reflet dans le miroir. Fini les pulls, les camouflages. Si Paul m'a bien appris une chose c'est à ne plus me cacher. Je souris faiblement à mon pâle reflet. L'hématome est toujours visible, souvenir du moment où tout s'est écroulé, où il m'a échappé.
Je retourne en salle et effectue mes tâches sans réfléchir. Mon esprit travaille par automatisme, il ne ressent rien. Juste du vide.
— Tout va bien ? me demande Joana alors que les tables se sont vidées.
— Oui, mens-je.
— Il n'est toujours pas là.
— Il va revenir, ne puis-je m'empêcher de rétorquer sèchement.
Son sourire compatissant me semble hypocrite. Ses yeux se révulsent et j'ai envie de les lui arracher. Une semaine qu'elle ne me lâche pas, qu'elle défile dans ce bar, un air satisfait sur le visage.
— Tu sais, Paul est comme ça. Il ne se soucie que de lui. Toi, tu l'as occupé un temps, mais rien de plus.
— Qu'est-ce que tu sais de lui ? craché-je.
Son sourire fier ne me trompe pas.
— Je dis ça pour toi Fallen..., ajoute-t-elle avant de s'éloigner.
Je reste plantée devant la table que je suis en train de débarrasser. Ne t'effondre pas Fallen... garde la tête haute.
Les derniers clients partent un à un et bientôt il ne reste que Joana, Patricia, Richard et moi.
— Bonne soirée tout le monde, s'exclame joyeusement Joana.
La satisfaction qu'elle éprouve face à ma détresse ne m'échappe pas. Elle s'en réjouit et moi, je m'en fous. Elle peut penser ce qu'elle veut. Je n'ai pas la force de me battre contre elle ni contre qui que ce soit.
— On prend un verre ? me propose Patricia avec douceur.
— Je pense rentrer... j'ai des choses à faire...
— Pleurer ? Attendre qu'il t'appelle ?
Mon regard s'ancre au sien et à son sourire bienveillant, je sais que je ne la dupe plus. Au début, j'ai tenté de faire bonne figure, de paraître enjouée en venant travailler. Mais plus les jours ont passé, plus le masque est tombé. Fin de la comédie. Lever de rideau.
Elle sort deux verres et les remplit. Je ne bois jamais d'alcool, mais ce soir j'en ai besoin. Ce n'est pas la solution mais c'est la seule qui me vienne, du moins pour ce soir.
Je prends place sur un tabouret et Patricia contourne le bar pour me rejoindre.
— Il reviendra, me rassure-t-elle alors que le silence s'est éternisé.
— Pour repartir... soupiré-je en fixant inlassablement mon verre.
— Paul n'a pas eu une vie facile...
— Vous êtes au courant ? la questionné-je en me tournant vers elle.
Sa main vient se poser sur la mienne et je comprends qu'elle sait tout. Peut-être même plus que moi. Je suis partagée entre la jalousie ou la peine et le soulagement qu'il ait eu des personnes à qui se confier. J'aurais juste préféré qu'il se repose sur moi.
— Pourquoi est-ce qu'il ne m'a rien dit ? osé-je.
Je ne sais même pas s'il y a une réponse à ma question.
— Parce qu'il t'aime.
— Il vous l'a dit ?
— Il n'a pas eu besoin.
Ma main libre vient récupérer le verre de liqueur et d'un geste sec, je laisse l'alcool couler le long de ma gorge. Le goût est horrible, mais la brûlure a le mérite de m'anesthésier.
— Fallen... Pense à toi.
Je ferme les yeux mais n'arrive plus à faire taire mon cœur, ma douleur. Je n'arrive pas à faire disparaître cette boule qui m'obstrue la gorge.
— Je n'y arrive pas, Patricia. Je... Je voudrais le faire, prendre le prochain avion et me prouver que je peux tout faire. Mais je n'y arrive pas, je... j'ai besoin de lui. Plus que je le voudrais. Je voudrais juste pouvoir l'aimer sans avoir l'impression qu'il finira par m'abandonner, sans avoir la trouille de m'écrouler. Je voudrais l'aimer sereinement, ne pas faire de lui ma béquille.
— Tu le lui as dit ?
Je secoue la tête.
— Vous avez tous les deux peur... Et la peur n'est pas une bonne chose en amour. Ça rend paranoïaque, obsessionnel. Comment comptez-vous avoir confiance l'un en l'autre si vous n'avez pas confiance en vous-même ?
— Alors je dois faire quoi ?
— Je ne peux pas répondre à cette question... Mais tu dois t'en sortir seule.
Notre histoire n'est qu'un brouillon, composé de je t'aime et de ratures. On avance pour reculer un peu plus. On s'aime mais je ne suis pas sûre qu'on se fasse beaucoup de bien. Paul m'a dit qu'il ne pensait pas pouvoir me rendre heureuse, mais peut-être que la réciproque est vraie.
— Je suis perdue. Je suis partagée entre tellement de choses. Mon cœur ne s'arrête pas de battre à vive allure comme si j'étais en permanence en train de sprinter. Je voudrais juste qu'il se calme. Juste quelques secondes. Je voudrais pouvoir reprendre mon souffle. Je déteste avoir mal, Patricia. Mais j'ai peur d'avoir plus mal encore sans lui.
Un nouveau verre apparaît comme par magie sous mes yeux. Ma tête se redresse sur Richard et je n'ai même pas honte en me rendant compte qu'il a peut-être tout entendu.
— Je suis en train de devenir folle, soufflé-je.
— Tu es juste indécise, me répond-t-il. Tu sais ce qu'il te faut, mais tu n'arrives pas à t'y résoudre.
Non, je ne veux pas envisager quoi que ce soit, je ne veux pas envisager de le quitter.
— Écoute gamine, tu as fait beaucoup de chemin pour arriver jusque-là. Regarde les progrès que tu as faits. Peut-être que tu devrais juste prendre ce billet d'avion et...
— Non, il en est hors de question. Il va revenir.
— Fallen...
— Je l'attendrai. Il va revenir, coupé-je Patricia.
— Tu l'as dit toi-même... Pour repartir.
— Vous m'avez dit que...
— J'ai menti. Il ne sera jamais complètement là. Il doit s'occuper de lui et toi de toi.
J'avale le deuxième verre cul sec et la brûlure fait monter les larmes que je retenais.
— Fallen...
— Je vais rentrer chez moi. Merci pour le verre, merci d'être là pour moi, pour lui. Mais je l'attendrai, je ne peux pas l'abandonner.
Je descends du tabouret et sèche mes larmes. Je m'engouffre dans le couloir et récupère rageusement mes affaires.
Dehors, les rues sont animées, joyeuses, festives. À l'opposé de ce qu'est ma vie en ce moment.
Je me traîne jusqu'à mon appartement et referme la porte. Le silence m'accueille encore, comme toujours. Je n'allume même pas la lumière et rejoins ma chambre. Sur le pas de la porte, un sentiment étrange s'empare de moi, son parfum embaume à nouveau la chambre. Je ferme les yeux et inspire profondément cette odeur que j'avais peur d'oublier.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top