Chapitre 3 - Paul

« I'm dying slow but the devil tryna rush me See I'm a fool for pain, I'm a dummy Might cut my head off right after I slit my throat »

Je meurs lentement mais le diable essaye de me presser Tu vois, je suis fou de douleur, je suis un raté Je pourrais me couper la tête juste après m'être tranché la gorge

Sucker for Pain—Ty Dolla $ign feat Lil Wayne, Wiz Khalifa, Imagine Dragons & X Ambassadors


— T'es vraiment qu'une merde! Tout est de ta faute.

Les coups font mal. Peu importe qu'ils soient physiques ou pas.


— Je viens avec toi, Paul.

— Tu vas t'ennuyer, bébé. Je te rappelle après.


— Salut, moi c'est Clara.

Son sourire ressemble à celui d'un ange, ses joues sont colorées de rouges.


Elle va sauter ? Pourquoi ?


— À cause de toi, j'ai perdu ma sœur ! Comment t'as pu me faire ça ? Comment t'as pu lui faire ça ? Elle t'aimait Paul, me hurle-t-il.

Je me réveille en sueur. Mes mains s'agrippent avec force aux draps, ma respiration est saccadée, mon corps trempé et ma peau glacée. Quand est-ce que ça va s'arrêter ? C'est le foutoir dans ma tête. Les images, les évènements, tout se bouscule. La pièce est plongée dans le noir, dans le silence. Alors que ma conscience me hurle de tout foutre en l'air, de me barrer, de tout arrêter, là, maintenant. Je cherche à tâtons l'interrupteur et une lumière vive éclaire enfin la chambre. Elle me brûle les yeux, me forçant à les refermer un instant, mais elle me permet au moins de revenir à la réalité. Je compte les objets se trouvant dans la pièce, juste le temps que mes pensées se tirent, juste le temps que mon rythme cardiaque se calme. Un. La commode. Deux. Le lit. Trois. Une armoire. Quatre. Une table de nuit. Cinq. Mes chaussures.

Quand j'arrive au bout de mon inventaire, ma respiration est redevenue normale. Il ne reste plus de signes physiques de mon cauchemar. Je me passe une main dans les cheveux et regarde l'heure sur le réveil. Ça ne sert à rien que je reste couché, je préfère me lever et me diriger vers la salle de bain. J'ai besoin de me débarrasser de cette poisse, même si c'est juste une illusion. Déjà à poil, je rentre direct dans la douche. L'eau glacée coule sur mon corps, ce froid me mord la peau, mais justement, c'est ce que je veux. Je me lave en deux-deux, termine par mes cheveux et sors enfin. Je m'observe dans le miroir, ma couleur naturelle a depuis un bon moment remplacé mon blond platine. Je suis à présent brun, un retour aux sources.

Quelles sources ? Je n'en ai plus depuis trop longtemps.

Machinalement, mes mains viennent attraper la mousse à raser et l'étaler sur mes joues. Je saisis un rasoir et le fais glisser, doucement, sans trop appuyer. Pourtant, la lame m'entaille la peau et une goutte de sang perle le long de mon menton pour finalement tomber sur la céramique du lavabo. Je me perds dans sa contemplation. J'observe ensuite la lame, puis mes bras, de nombreuses cicatrices décorent ces derniers, vestiges d'une époque où me faire mal était la seule solution. Je jette l'objet de ma tentation à la poubelle et quitte la salle de bain sans tarder.

***

Il est près de midi quand j'arrive à l'adresse indiquée sur la carte. Je pousse la porte, c'est une petite brasserie qui ne paye pas de mine, pourtant, il y a un petit truc, familial ou convivial. L'homme de l'autre jour lève les yeux dans ma direction, son sourire disparaît, il semble étonné de me voir là. Quoi ? Il est étonné après m'avoir menacé ? J'attends là et il contourne le bar derrière lequel il se trouve. Ce mec est une armoire, quelques cheveux sont ramenés en arrière dans une queue de cheval. Il a l'allure d'un biker avec sa moustache et son cuir. Ses cheveux gris font ressortir ses yeux bleus.

— Richard, me dit-il en me présentant sa main.

Contrairement à ce que je pensais, sa voix n'est pas si sévère que ça.

— Paul, réponds-je en la saisissant.

— Suis-moi, m'ordonne-t-il avant de me tourner le dos.

Je m'exécute et nous nous dirigeons vers le fond du restaurant. Il prend place à une table qui se trouve à l'écart. J'observe la salle en m'asseyant à mon tour. Un petit troquet sympathique, si on aime l'ambiance village. Pour ma part, je n'aime pas ça. Les restaurants, les sorties, ce n'est pas mon truc.

— Tu veux boire quelque chose, gamin ?

— Paul, le reprends-je, et non merci, ça va aller. Pourquoi je suis là ?

Richard semble agacé par mon impatience.

— Très bien, petit.

Je lève les yeux. Non, mais il va toutes me les faire ?

— Mec, j'ai vingt-six ans.

— Je trouvais que tu te comportais comme un gamin de quatorze. Appelle-moi « mec » une fois de plus et je te garantis que ça va pas le faire.

Je m'adosse à la chaise et un soupir m'échappe.

— Puisque tu m'as l'air pressé, autant t'annoncer la mauvaise nouvelle. J'ai fait un devis et j'en ai pour deux briques.

— Deux briques ?

— Deux mille balles, si tu préfères.

— Pardon, non, je ne crois pas, ris-je.

Il veut m'enfumer le con.

— Tu as vu la voiture sur laquelle tu t'es acharné comme un dégénéré ?

— Non, pas vraiment. Il faisait noir, mec.

Il passe son bras par-dessus la table et agrippe mon t-shirt pour ramener mon visage à lui.

— C'est une Mustang de 1964. C'est un peu mon petit bébé, et personne n'y touche. Donc, j'ai fait un devis et ça me coûtera deux mille balles.

— J'ai pas l'argent.

— Je me doute oui, tu vas bosser pour moi, dit-il en me relâchant brusquement.

J'ai du mal à comprendre ce qu'il vient de me dire.

— Pardon ?

— Joue pas au plus con. J'ai besoin de quelqu'un derrière le bar et toi t'as besoin de deux mille balles. C'est gagnant-gagnant.

Je le jauge par-dessus la table et observe le restaurant ainsi que sa clientèle.

— Je suis pas dispo de quatre à six. Non négociable.

Il me regarde et un rictus amusé se dessine sur son visage.

— On se débrouillera. Tu commences demain.

Il se lève de sa chaise et me fixe

— Rentre chez toi gamin, t'as une sale tête.

Je hausse les épaules et me lève à mon tour. Nous traversons la salle et sans un mot, je quitte le resto. Je me retourne pour observer la devanture. L'auvent en tissu est complètement délavé et on ne devine même plus le nom de l'enseigne sur le mur. Je me passe une main dans les cheveux. Putain, mais dans quoi je me suis fourré ?

Le soir même, je me retrouve devant le centre, la fine équipe est déjà là. Merci mon Dieu, je m'en serais voulu de rater ça. Je suis adossé au mur d'en face et fume une énième cigarette. Le temps est pluvieux, orageux, je crois que c'est ce que je préfère lorsque la météo est en accord avec moi. Mon regard scrute la rue, quand je la vois arriver, la silhouette fantomatique de l'autre jour. Tiens, elle va faire partie du groupe ? On va s'amuser. Dans la famille des dingues, je voudrais la fille complexée. Ils acceptent n'importe qui dans ce groupe. Je soupire et entre avant qu'elle n'arrive à mon niveau. Je salue Luc et ne tarde pas à m'engouffrer dans notre salle de réunion. Je prends place à mon spot habituel et attends que toute la clique entre à son tour.

Comme d'habitude, les gens racontent leur vie, leurs problèmes, et moi je les écoute. Je remarque que Sadako n'a pas encore pris la parole, elle n'observe même pas, ses yeux fixés sur ses mains qui battent un rythme comme si elle jouait du piano. Elle semble être partie ailleurs, très loin d'ici. Je plisse les yeux, cherchant à comprendre ce qu'elle fait là. Au premier abord, je dirais un problème d'estime, mais à voir comme elle se recroqueville sur sa chaise, elle semble plutôt détester le monde. Le monde la détesterait moins si elle s'habillait mieux en tout cas. Son jean est trois fois trop grand, son pull n'en parlons pas, de grosses mailles, un style complètement has been. Bref, si elle veut ressembler à une folle, je l'applaudis, elle y arrive très bien. Je suis sorti de mon observation par les doigts de Luc. Il les claque pour attirer mon attention. Je le regarde, agacé. Qu'il m'ait grillé, j'en ai rien à foutre, mais s'il pouvait éviter de me héler comme si j'étais un clebs, ça m'arrangerait.

— Donc, je disais, comme le thème du jour est la « confiance », nous allons faire un exercice. Mettez-vous en binôme.

La confiance ? Faut vraiment que j'écoute. Au moins l'introduction.

Bien entendu, les affinités sont déjà créées, moi, je n'aime personne et ils me le rendent bien. Sadako, ne semble pas avenante, c'est donc, sans surprise que nous nous retrouvons tous les deux sans partenaires. Je ne perds pas plus de temps et m'approche d'elle pour qu'on en finisse.

— Nous allons jouer au « Jeu du trafic », annonce Luc. L'objectif de cet exercice est d'apprendre à faire confiance aux autres et à les respecter. Vous allez vous placer, l'un derrière l'autre. La personne à l'avant sera la voiture, celle derrière, le conducteur.

Tout le monde semble surexcité comme si Luc venait d'annoncer l'activité de l'année. Ces gens se font tellement chier dans leur vie qu'un rien les divertit.

— La « voiture » portera un bandeau comme celui que je tiens dans la main, poursuit-il. Le « conducteur » guidera la voiture. C'est clair, pour vous ? À vous de vous faire comprendre par votre voiture. Une pression, une tape, ce que vous voulez.

Je me tourne vers ma coéquipière.

— Tu ne me touches pas, assène-t-elle. Je conduis.

C'est la première fois que je l'entends. Et même si, sa voix s'est voulue confiante, j'ai noté les tremblements. De quoi a-t-elle si peur ?

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