Chapitre 20 - Fallen

« I wanna run and hide I do it every time You're killin' me now »

Je voudrais courir et me cacher Je le fais tout le temps Tu me tues maintenant

Animal — Chase Holfelder

La porte claque, me laissant seule avec ma mère. Elle replace les quelques mèches qui se sont échappées de son chignon trop parfait et réajuste sa tenue. Efforts futiles pour se donner bonne allure. Elle veut m'impressionner et que je me sente inférieure.

— Rhabille-toi, Fallen, m'ordonne-t-elle sèchement.

— Pourquoi ?

Elle ne me répond pas et soupire d'agacement.

— Ça te dérange de les voir ? insisté-je.

— Bien sûr que oui, ça me dérange, soupire-t-elle en fermant les yeux. Et tu le sais bien, mais depuis quelque temps ton seul objectif est de me pousser à bout.

Depuis que Paul est parti, elle ne m'a pas regardée une seule fois. Voilà où nous en sommes, elle et moi.

— Non, ris-je amère. Mon seul objectif est d'être libre, d'être moi.

Elle me dépasse et traverse le couloir pour se rendre dans ma chambre. Je la suis et la découvre se baissant pour attraper la valise qui se trouve sous mon lit. Elle me connaît trop bien, c'est ça le problème.

— Qu'est-ce que tu fais ?

— Tu rentres avec moi, m'annonce-t-elle en se relevant. Je t'ai laissée faire, parce que je me suis dit que tu finirais par revenir à la raison. J'ai cru que pour une fois tu agirais avec maturité.

— Avec maturité ? répété-je, soufflée par sa condescendance.

Je m'approche d'elle et l'attrape par les épaules.

— Qu'est-ce que tu veux dire par là ? Qu'agir avec maturité c'est t'obéir au doigt et à l'œil ?

Elle me repousse et son regard glacial croise enfin le mien.

— Les mensonges, j'ai pris sur moi, Fallen. Mais là, ce n'est plus possible. Ce garçon, cette tenue, me dit-elle en désignant mon débardeur comme si j'étais nue.

— Je ne rentre pas avec toi, la coupé-je avec assurance.

— Et tu vas faire comment sans argent ? se moque-t-elle.

Son visage affiche à présent un sourire satisfait, celui du prédateur qui se rend compte que sa proie est à portée de bouche.

— Oui, Fallen. Je consulte tes comptes, attendant patiemment que ton argent disparaisse et que tu reviennes à la maison.

La manière dont elle me parle, dont elle me pense inférieure à elle et perdue au point de tout accepter me pousse à bout.

— Pars ! crié-je furieuse.

— Je suis ta mère. Tu me parles sur un autre ton !

— Ma mère ? répété-je sarcastique. Ma mère m'aurait crue, ma mère aurait su que je disais la vérité. Toi, tu es loin d'en être une.

Elle ne m'écoute pas et me pousse pour s'agenouiller devant ma penderie. Elle commence à remplir ma valise et je me précipite sur elle pour la lui arracher des mains. Des larmes de rage et de déception se sont mises à couler sur mes joues. Je suis un volcan sur le point d'exploser, ma colère, ma tristesse et ma rancœur vont tout ravager. C'est destructeur, mais nécessaire.

— Je te déteste tellement, sangloté-je, à genou moi aussi.

— Fall...

— Non, la coupé-je. Tu vas me laisser terminer. Toute ma vie, j'ai fait ce que tu désirais et malgré ça, je n'étais jamais parfaite. J'ai cru que..., bafouillé-je. J'ai cru que c'était moi le problème. Tu m'as enfermée parce que je ne te convenais plus. C'est à cause de toi que je suis devenue ce monstre de foire qui n'ose même pas approcher les autres. Mais aujourd'hui, c'est terminé. Parce que j'ai compris une chose : c'est que tu ne m'aimeras jamais, peu importe les sacrifices que je ferai.

Ma mère s'agite, ce genre d'effusion la met mal à l'aise.

— Tu m'as plus déçue que n'importe qui. Plus que Roxane, plus que mes amis. Tu es celle sur qui j'aurais dû compter. Mais, tout ce que tu as fait, c'est m'en vouloir. Pourquoi ?

— Arrête ces caprices d'enfant gâtée, s'agace-t-elle.

— Donne-moi une seule bonne raison, hurlé-je en la secouant par les épaules.

— Tu as gâché ma vie, me dit-elle froidement.

Elle n'a pas crié, elle n'en avait pas besoin. Mais malgré ça, sa réponse me hurle aux oreilles.

— Ton père et moi nous aimions mais quand je suis tombée enceinte de toi, il est parti. Et moi, je me suis retrouvée seule. Je voulais qu'il voie que même sans lui, je t'avais rendue parfaite.

Ses paroles sont des dagues enfoncées profondément dans le cœur.

— Mais même ça, tu en étais incapable, me dit-elle acerbe.

Ses mots sont du venin qui se répand dans mes veines, brûlant tout sur leur passage. Mes larmes cessent et d'un geste patient, ou bien résigné, je les sèche. Aujourd'hui, signe la fin d'un espoir démesuré.

Je me redresse lentement et vide la valise pour la replacer sous le lit. Ma mère ne bouge pas.

— Je ne veux plus jamais te revoir. Désormais, tu n'es plus ma fille, m'annonce-t-elle d'une voix atone.

— L'ai-je été un jour ?

Elle ne me répond pas et se lève à son tour avant de quitter la chambre. Le bruit de ses talons résonne dans l'appartement. Chaque pas est un coup de poignard supplémentaire. Je ferme les yeux pour écouter jusqu'au bout ce son familier que je n'entendrais plus. Ma respiration est affolée et mon cœur tambourine. Je déglutis pour retenir l'acidité qui me monte à la gorge. Un claquement de porte plonge l'appartement dans le silence et signe le deuil d'une relation qui n'existera jamais.

Mes jambes me portent rapidement jusqu'à la salle de bain. Je m'agenouille en fermant les yeux et le contenu de mon estomac se vide dans la cuvette. Quand j'ai vomi le reste de mon cœur brisé, je m'effondre dos au sol et mon corps est secoué par des sanglots, les derniers.

Le soir même, je me retrouve devant le centre. Mais mon cœur est mitigé. Je ressens à la fois du soulagement mais aussi une peine immense qui ne demande qu'à sortir. Pourtant, je ne le fais pas. Mais je sais que je dois m'y résoudre. C'est ce mutisme qui m'a conduite jusqu'ici, jusqu'à ce centre et j'ai fait trop de progrès pour que tout s'effondre. Mon château de cartes est certes fragile, mais toujours là.

La séance n'a pas commencé, alors je patiente à l'extérieur, scrutant la rue à la recherche de Paul. Lui est tout mon opposé : colérique et impulsif. Parfois, je l'envie et d'autres fois, je me dis qu'il ne partage pas pour autant ce qui lui fait vraiment mal. Au loin, une silhouette se rapproche. Bien que je ne puisse en distinguer le visage, je reconnais sa démarche. Un poil arrogante et intimidante. Les mains dans les poches, il marche les épaules droites, la tête haute, et je suis persuadée qu'il arbore son regard « me faites pas chier ».

Tandis qu'il se rapproche doucement, je tente de l'imiter et d'adopter son attitude. Pas sûre que ce soit concluant.

— Ça ne te va vraiment pas, se moque Paul en arrivant à ma hauteur.

— Comment tu fais pour avoir l'air si détendu en permanence ?

— Détendu ? Tu trouves que c'est ce dont j'ai l'air ?

Non, pas détendu. C'est vrai que c'est tout sauf ça.

— Change pas ce que tu es, Fall. Tu peux gagner en confiance, mais ne te transformes pas en quelqu'un d'autre. Et surtout, ne deviens pas moi.

Si le début de son discours était dit sur le ton de l'encouragement, la fin ressemblait plus à une menace.

— Alors, avec ta mère ?

La grimace qui s'affiche sur mon visage doit lui valoir une réponse puisqu'il acquiesce pensif.

— Tu veux en parler ?

— Y'a pas grand-chose à dire. J'ai eu mes réponses et voilà, c'est terminé.

— Ça ira, tu progresses et tu n'auras bientôt besoin de personne.

Je n'aime pas la façon dont il dit ça. Comme s'il n'allait pas rester.

— Bon, si tu veux mon avis, t'as encore d'énormes progrès à accomplir.

Mes sourcils se froncent et Paul désigne mon gros pull. Quand mon regard se lève vers lui, j'aperçois son sourire moqueur.

— Tu te fiches de moi là ? dis-je faussement outrée.

Paul rit puis m'agrippe brutalement la nuque afin de me ramener à lui. Ses lèvres douces et sucrées se collent aux miennes et les dégustent. Il n'approfondit pas le baiser et, d'ailleurs, celui-ci ne dure pas longtemps. Quand il y met fin, j'aperçois une lueur de tendresse dans son regard.

Légèrement mal à l'aise, je me gratte nerveusement les cheveux. Avec ma mère, ce qu'il s'est passé hier m'était légèrement sorti de la tête. Enfin non, mais je pensais qu'il ne voudrait pas qu'on revienne là-dessus.

— Mal à l'aise ? s'amuse-t-il.

— Mais tais-toi donc, dis-je en le repoussant légèrement.

— Allez, viens-là.

Il entoure mon corps de ses bras et j'y niche ma tête en lui rendant son étreinte. Son menton posé sur ma tête, je profite de ce moment de calme.

— Qu'est-ce que tu vas faire ?

— Rien, trouver un travail et je maintiens mon projet de voyage. Il est ambitieux, mais je dois voir grand.

Il resserre sa prise sur moi et je prends ça pour un encouragement.

— On devrait y aller, lui signifié-je. La séance a dû commencer.

— T'as envie de voir Luc ?

Sa question n'est pas anodine, j'y entends de la jalousie, beaucoup de jalousie. Et pour être honnête, ça me fait plaisir.

— Qui ? répété-je en feignant l'ignorance.

— Luc !

— Mais n'importe quoi, toi.

Mon corps est pris de secousses dû au fou rire que je tente de retenir. Paul se détache de moi et part à grandes enjambées, vexé.

— Paul, le hélé-je en le rejoignant.

Pitié, faites qu'il ne fasse pas de scènes.

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