Chapitre 15 - Paul

« If I told you what I was Would you turn your back on me ? »

Si je te disais ce que je suis Me tournerais-tu le dos ?

Monster — Imagine Dragons

Je repose mon téléphone dans mon sac. Quand j'ai vu son nom s'afficher, j'ai demandé à Richard une petite pause. Je suis sorti et au lieu de décrocher, j'ai rejeté son appel. Comme un lâche, je n'ai répondu à aucun de ses messages. J'étais étonné qu'elle ait le courage de m'appeler. Mon cœur s'est emballé quand un bip m'a annoncé l'arrivée d'un message vocal. Je pouvais entendre sa colère. Je la comprends, mais je ne peux rien y faire. Ce qui s'est passé était une erreur. Une grosse erreur. Cette fille est suffisamment paumée comme ça. Elle n'a certainement pas besoin de quelqu'un comme moi dans sa vie.

Je quitte le vestiaire et retourne derrière le bar. Depuis quelques jours, Patricia est absente. Je gère donc le bar avec Richard. Il est sympa, peu causant mais ça m'arrange. J'essuie un verre quand je le surprends en train de m'analyser.

— Quoi ? aboyé-je presque.

— Baisse d'un ton pour commencer, me sermonne-t-il.

Je lève les yeux au ciel et poursuis ma tâche. Il est encore tôt et le bar est presque vide.

— Dis-moi gamin, t'as des soucis ?

Je me tourne vers lui. Il s'est adossé au comptoir, bras croisés, sourcils froncés.

— Non, me contenté-je de répondre en haussant les épaules.

— T'as plus ton truc là ? Tes séances de maboule, précise-t-il d'un geste de la main.

— Normalement ouais. Et ce ne sont pas des séances de maboule, m'agacé-je.

— Je sais pas moi, c'est toi qui les appelles comme ça, se défend-il.

Deux filles viennent au bar pour commander leurs boissons et j'en profite pour m'éloigner de Richard et de ses questions. Je leur sers leurs boissons et les drague un peu pour gagner du temps. Elles repartent verres en main, en me laissant un joli pourboire. Avoir une belle gueule a du bon, c'est vrai.

Je me retourne pour mettre la monnaie dans la boîte à Tips quand j'entre en collision avec Richard.

— Putain mec, faut pas faire ça, grogné-je.

— Gamin, je suis pas ton pote.

Je ferme ma gueule et le contourne pour déposer les pièces que j'ai dans la main.

— Tu sais, ça me dérange pas que tu viennes plus tôt, mais depuis une semaine t'es encore plus exécrable que d'habitude.

Je me tourne vers lui, étonné.

— Je comprends ta surprise, reprend-t-il. Moi non plus, je ne croyais pas ça possible. Mais si, t'arrives à être encore plus désagréable, ajoute-t-il sarcastique. T'as qu'à regarder tes pourboires de la semaine, ajoute-t-il avant de quitter le bar et de se rendre en salle.

Je sais qu'il a raison, mes pourboires ont diminué de moitié. Je suis de mauvais poil, constamment sur la défensive. Forcément, ça se répercute sur mon travail.

Je nettoie le comptoir, perdu dans mes pensées, quand une voix aguicheuse se fait entendre. Je tourne la tête pour voir Joana entrer au bras d'un mec. Mes yeux se dirigent d'eux-mêmes vers le plafond. Si elle pense que son manège passe inaperçu, elle se met le doigt dans l'œil.

— Salut Paul, m'aguiche-t-elle.

Elle n'a aucun respect ni pour elle ni pour ce mec qui l'accompagne. Je ne lui réponds même pas et ignore son regard furieux. Elle écume de rage, je peux le sentir. C'est pour ça qu'elle n'obtient pas ce qu'elle veut. Elle est bien trop prévisible, bien trop lisible. Elle veut se croire irrésistible, mais elle pue le désespoir.

La soirée se passe calmement, j'effectue mon taf, sans plus. Quand je rentre chez moi, je déverrouille mon téléphone et relis les messages de Fallen ainsi que ma réponse. J'ai vraiment fait le connard. Je me triture le cerveau, cherchant la meilleure solution. L'éviter ? Maintenir notre relation telle quelle ? Ou... non, il n'y a pas d'autre option. Ce n'est même pas envisageable.

Je suis comme ça, comme le roi Milas ou un truc du genre. J'avais vu un reportage sur lui, il pouvait soi-disant transformer ce qu'il touchait en or. Moi c'est pareil, sauf que je transforme tout en poussière, en cendres.

Je ne trouve le sommeil que tard dans la nuit. Me retournant encore et encore.

***

J'entre dans la salle et suis étonné de voir Fallen rire. Je penche la tête et fronce les sourcils en me rendant compte que l'objet de son hilarité n'est personne d'autre que Luc. Je ne peux m'empêcher d'être énervé. Et jaloux ? Ouais, jaloux. Jusqu'à présent, il n'y a que moi qui pouvais l'approcher. Je pars quelques jours et voilà ? Partir ? Mec, tu l'as jetée comme une merde. Je m'approche doucement du duo et salue Luc avant de me tourner vers elle.

— Salut, me contenté-je de dire d'un air faussement décontracté.

— Salut, me répond-elle avant de s'éloigner.

Je soupire nerveusement. J'ai vraiment merdé.

— Tout va bien ? s'inquiète Luc.

— Ouais, lui dis-je froidement. Tout va parfaitement bien, exagéré-je avant de rejoindre le cercle des cinglés.

La séance du jour porte sur le partage. Luc nous annonce que nous auront des travaux pratiques à faire en dehors des séances.

— Vous serez par binôme, chacun proposera une activité et celle-ci sera faite à deux. Le but est : de vous ouvrir aux autres et de vous intéresser à d'autres centres d'intérêt que les vôtres. Pour la plupart, vous vivez plus ou moins reclus. Cet exercice vous apprendra à vous intéresser à quelqu'un d'autre que vous même. Ne soupirez pas comme si j'avais dit une horreur. Qui parmi vous s'intéresse aux autres ? Personne. Voilà, Sylvie. Je ne dis pas que des bêtises. Bien, je vous laisse former les duos, ajoute-t-il avant de taper dans ses mains.

Par habitude, mon regard se porte sur Fallen. Mais pour la première fois, il ne croise pas le sien. Elle semble chercher autour d'elle et se dirige vers Pascal. Sérieusement ? Elle va aller se mettre avec l'alcoolo. Je la vois subitement faire demi-tour et me rejoindre, énervée.

— Pour l'instant, je ne peux pas être avec quelqu'un d'autre, s'excuse-t-elle presque.

— Pas de soucis.

Je tente de dissimuler le sourire satisfait qui veut s'afficher sur mon visage. Elle ne peut être qu'avec moi.

— Je serais allée avec Luc, comme cette semaine. Mais tu es là, alors...

Mon début de sourire disparaît aussitôt.

— Luc ? craché-je presque.

— Quoi ? s'étonne-t-elle.

— Rien, soupiré-je. Comment s'est passée ta semaine ?

— Ça t'intéresse ?

— Fall...

— Non, pas de Fall. J'ai bien compris ton message. Pas besoin de chercher à me radoucir. Tu vois, je pouvais comprendre que tu regrettes, c'est le cas pour moi. Mais pas que tu me jettes comme ça.

Elle s'approche de moi et c'est la première fois que je la vois si confiante.

— C'est toi qui m'as embrassée Paul, je te l'ai rendu c'est vrai. Mais je ne me suis pas jetée sur ta bouche. Tu n'avais pas à me traiter comme si je t'avais... Je ne sais même pas quel est le bon mot.

— Je suis désolé, dis-je sincère.

Elle relève ses yeux vers moi et souffle un « bien ». Je la sens se détendre un peu et nous élaborons un plan de sortie. Nous n'arrivons à nous mettre d'accord sur rien et décidons d'y réfléchir plus tard.

— Tu as trouvé un travail ? la questionné-je.

— Non, toujours pas. Qui prendrait une barge sous son aile ? s'amuse-t-elle.

Je souris à mon tour, c'est vrai qu'elle en tient une couche.

La séance terminée, nous nous retrouvons dehors.

— Je te raccompagne ? lui proposé-je.

— C'est gentil, mais je ne rentre pas chez moi. J'ai commencé à faire de l'EMDR. J'ai rendez-vous avec ma psy, ajoute-t-elle amusée.

— MDR ? répété-je perplexe.

— Non, EMDR, en gros c'est la désensibilisation et le retraitement par les mouvements oculaires.

— Et c'est bien ? Enfin je veux dire, ça marche ?

— Je l'espère. Mais je suis confiante. Et ma psy est très... spéciale, finit-elle par ajouter.

— Spéciale ?

— Elle va m'apprendre à dire « Fuck » aux gens, murmure-t-elle sur le ton de la confidence.

Je n'arrive pas à retenir l'éclat de rire.

— C'est un peu la réaction que j'ai eue, s'amuse-t-elle.

— Je t'y accompagne ?

— Ça va aller, mais merci. Bon, j'y vais. Je vais être en retard.

Elle descend les marches et quand elle arrive en bas, je me précipite pour la rejoindre. Ma main attrape son poignet pour la retenir. Elle semble surprise, mais ne retire pas son bras.

— Ce n'est pas à cause de toi, me contenté-je de dire. Tu me détesteras quand tu me connaîtras.

Je libère son bras et elle acquiesce avant de reculer d'un pas.

— Peut-être, peut-être pas. Mais tu ne le sauras jamais, ajoute-t-elle avant de se retourner.

Je la regarde marcher et plus elle s'éloigne, plus mon cœur bat de façon désordonnée. Il pulse pour me pousser en avant, mais ma tête contrôle mes jambes et m'empêche de faire le moindre pas.

Non, je ne le saurai jamais.

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