CHAPITRE XI - Ezra

Debout face à moi dans la zone de promenade, le visage nerveux d'Harvey scrute les alentours.

—Combien cette fois-ci ?

Niché dans ma paume, la pulpe de mon pouce passe et repasse sur le pochon tandis qu'à mon tour, j'observe la cour et plus particulièrement, les corridors.

R.A.S.

Bras le long du corps, je fais un pas et positionne mon épaule à hauteur de la sienne.

—Trois grammes, je dis en lui passant le sachet. De quoi t'amuser quelques jours.

Le gardien s'en saisit et le cache sous sa chemise, à l'abri des regards indiscrets. Il semble satisfait. Satisfait de cette transaction. Satisfait de l'euphorie qui pointe pour lui à l'horizon. Cette poudre à la couleur pure et innocente, débordante de fausses promesses d'apogée et de délivrance. Mais qui n'en demeure pas moins fourbe, fallacieuse, illusoire et carrément assassine.

En gros, de la coke.

Son air est assouvi, il se réjouit d'avance.

—Les affaires sont toujours bonnes avec toi, Cannon.

—N'oublie pas notre accord, ajouté-je en m'éloignant. Treize heures.

Inutile de me retourner pour voir son expression, je sais qu'il le fera.

Ce type est pire qu'un chien galeux. Il traine dans tous les vices, bouffe à tous les râteliers. Vénal et opportuniste, le soudoyer est une vraie partie de plaisir.

Corrompu jusqu'à la moelle.

Du vrai pain béni.

Je ricane.

Mains dans les poches, je me dirige vers le réfectoire satisfait mais surtout, impatient.

Je t'attends, chaton. La partie peut enfin commencer.

(...)

Assis en retrait avec l'asiatique, Big T me jette plusieurs coups d'œil. Attendant mon signal pour passer à l'action. Près de la porte battante, Harvey me fixe, lui aussi.

Mon pied frappe le sol, le dos de ma cuillère cogne le bord de mon assiette. L'ambiance est déjà tendue. C'est ma seule opportunité pour la revoir, pour mettre mon plan en marche. Si je me foire, il n'y aura pas de deuxième chance.

Je grimace à cette conclusion.

Énième regard à l'horloge murale.

12h57

C'est le moment.

Je délaisse le couvert pour m'emparer du verre de flotte que je porte à mes lèvres, effectuant par la même occasion un imperceptible mouvement de la tête en direction de mon nouvel acolyte. Celui-ci comprend aussitôt et se lève de manière soudaine, envoyant valser sa chaise derrière lui.

—Espèce d'enculé, je vais te défoncer ! hurle-t-il en se jetant en travers de la table pour attraper Bae par le col.

L'asiatique enchaîne et lui balance son plateau en plein visage. Il n'en faut pas plus pour que ça tourne au fiasco général, pour que règne la cohue. Plusieurs détenus se joignent à la partie en enjambant ceux qui se tabassent à même le sol, d'autres crient, se servent de tout ce qui leur tombe sous la main afin de s'en servir de projectiles. Les matons, eux, sont vites dépassés par la situation qui dégénère à une vitesse phénoménale.

Ce qui en soi n'a rien d'étonnant.

Ici, le moindre prétexte est bon pour régler ses comptes. Pour évacuer la frustration d'être coincé entre ces murs insipides et dépourvus d'âme.

Faut que je me tire de là...

À mon tour je me lève et me fraye un passage entre les prisonniers pour me diriger vers la sortie où Harvey m'attend.

—Dépêche-toi, m'intime-t-il lorsque j'arrive à sa hauteur. Si on s'fait choper maintenant, c'est terminé.

La sirène résonne alors que nos pas pressés martèlent déjà l'escalier qui mènent à l'étage de l'isolement. À son étage.

—J'espère que tu sais ce que tu fais, ajoute-t-il en lançant des regards inquiets autour de nous. Si je perds mon job, c'en est fini pour toi aussi.

Derrière lui, je roule des yeux.

—Détends-toi, Harvey. Pense à ta tension.

Et aussi aux caméras de surveillance.

Mon faux complice souffle, probablement d'exaspération.

Tu t'en remettras.

Notre avancée continue.

Le couloir s'étire désormais devant nous. Tout est calme ici. Hormis l'alarme qui retentit toujours, aucune agitation à ce niveau. Les cellules sont vides et les surveillants inexistants.

Ce salopard à décidément tout prévu.

Excepté un léger détail : moi.

—On arrive, lâche mon comparse en se stoppant avant de se tourner vers moi. Mets-ça.

Mes sourcils se froncent tandis que mes yeux oscillent entre les menottes qu'il me tend et sa tronche de connard.

—Hors de question.

—Fais pas le con, Cannon, chuchote-t-il après avoir jeté un dernier regard par-dessus son épaule. Il va trouver ça suspect s'il te voit déambuler ici sans bracelet !

Là-dessus, il n'a pas tort.

Sauf que ça ne m'arrange pas du tout.

Mais la chance semble se ranger de mon côté lorsque la porte du bureau s'ouvre juste derrière lui, laissant apparaître la frêle silhouette de Miller. Un parfum vient aussitôt chatouiller mes sens. Mais pas le sien, non. Un parfum frais et fruité. Un parfum dont je me rappelle encore chaque fragrance.

Elle est là.

J'essaye de la distinguer mais ce fils de pute me barre la vue.

—Harvey, s'enquiert le directeur, qu'est-ce que ça veut dire ?!

—Un débordement au réfectoire, Monsieur Miller. J'emmène celui-là au trou mais faudrait que vous descendiez. Le gars sont débordés en bas.

Les yeux belliqueux de l'autre enfoiré me détaillent avec un certain dégoût.

—Tu m'emmerde, Cannon, crache-t-il en posant un index moralisateur sur mon torse. Tu m'emmerdes vraiment !

Un fin sourire vient étirer mes lèvres.

—Ravi de vous revoir aussi, Monsieur.

Agacé, il balaye mes propos d'un revers de la main puis se tourne vers la porte laissée entrouverte.

—Attendez-moi cinq minutes, mademoiselle Hartwood. Ça ne sera pas long.

Non, effectivement. Ça ne sera pas long, chaton...

—Et puis mettez-lui les menottes, vous ! gronde-t-il à l'intention d'Harvey tandis qu'il disparaît déjà dans le couloir. On n'est pas dans une colonie de vacances, ici !

Je ricane pendant que nous faisons mine ne nous éloigner doucement vers la piaule d'isolement.

—C'est bon, Ez', me prévient le gardien. La voie est libre.

Ni une ni deux nous revenons sur nos pas.

Épaule la première, je me faufile dans cette pièce que je connais presque par cœur puis referme la porte derrière moi. Adossé contre celle-ci, ma main droite trouve la clé que je fais pivoter jusqu'à ce qu'un «clac» se fasse entendre.

Je croise enfin ses yeux innocents, ses yeux qui s'alarment en ma présence.

On y est.

—Un petit tête-à-tête, chaton ?

—Qu'est-ce vous faites là ? panique-t-elle en se levant brusquement de son fauteuil. Laissez-moi tranquille, j'ai rempli ma part du marché !

Oh oui... et même plus.

—Les choses sérieuses ne font que commencer.

—Qu'est-ce que vous attendez de moi, à la fin ?!

—Tu vas m'aider à piéger ce connard. Rien de plus.

—Hein ?

—Ce connard de Miller, précisé-je en croisant les bras. Tu vas m'aider à faire plonger cette raclure.

Elle laisse éclater un rire sans joie.

J'arque un sourcil.

—La seule raclure que je vois ici, c'est vous.

Son culot m'excite.

Ou peut-être que ce sont les images d'elle que j'ai vues un peu plus tôt, je ne sais plus trop.

—Détrompe-toi. Ce fils de pute me bat sur toute la ligne, de ce côté-la. La pire enflure qu'il peut y avoir dans cette prison.

—Je ne vous crois pas.

—Libre à toi. Et pour être honnête, que tu me crois ou non, j'en ai rien à foutre.

Tendue, poings serrés, elle tente de se montrer persuasive. Si je ne la connaissais pas, j'aurais presque pu me laisser berner.

Mais non.

Un rictus naît sur mon visage tandis que d'un pas lent, je m'avance vers elle. Son regard se porte aussitôt sur la sortie.

—Laissez-moi deviner, souffle-t-elle d'une voix monocorde, Harvey est dans le coup.

Son impudence éveille mon envie de me distraire.

Je ne dis rien, ne réponds pas. Je continue de m'approcher et commence à lui tourner autour. Sauf que quelque chose m'interpelle. Je cesse tous mouvements et me campe face à elle, l'air grave.

—C'est quoi, ça ? demandé-je en désignant son cou d'un geste du menton.

Un foulard le recouvre alors qu'il ne fait pas loin de trente-cinq degrés.

—Comme si vous ne le saviez pas !

Mes sourcils se froncent d'incompréhension.

Qu'est-ce que t'as branlé, Shain ?

—Laisse-moi voir, je dis en tendant un bras vers elle.

Mais elle repousse mon geste sans ménagement d'un mouvement vif de la main.

—Me touchez pas !

Une barre creuse mon front et mes yeux se plissent. Un truc me dérange mais je ne sais pas quoi. Et les questions sans réponse, je déteste ça.

—Arrête de faire ta gamine et montre-moi !

J'attrape son poignet sans lui demander son avis. Mes doigts se crispent et compriment son articulation.

Elle grimace.

—J'ai dit, ne me touchez pas ! grince-t-elle entre les dents tout en essayant de se soustraire à ma prise.

Son affront m'amuse.

J'ai envie de jouer.

Je fais peser davantage mon corps sur elle ce qui la fait reculer jusqu'au mur, derrière elle. Ses yeux plongés dans les miens brillent, scintillent. Elle m'offre un nouvel aspect de sa personnalité qui me plait. Beaucoup.

—Ta bouche est dangereuse, chaton.

Sa peau tremble, sa respiration s'accentue. Mais elle se soumet et ne réplique pas.

Je continue.

—Tu ne veux pas que j'te touche, c'est ça ? lui chuchoté-je à son oreille.

—Je veux que vous me laissiez tranquille.

—Et moi je veux goûter tes lèvres.

Ma main de libre se place sur le bout de tissu qui étoffe son cou.

La partie de chasse commence.

Un de mes doigts part alors du creux de sa gorge et glisse lentement entre sa poitrine qui s'affole, puis jusqu'à son ventre. J'effleure son corps, effeuille son âme, en même temps que je scrute chacune de ses réactions.

Elle se tait. Ne bouge pas.

Son visage levé sur moi ne trahit rien. En revanche, son souffle s'accélère de façon franche et sa peau se pare de frissons.

Je descends.

Encore.

Toujours plus bas.

Pour atteindre son entrejambe que je frôle avec mon index.

Une première fois.

Une deuxième fois.

Une troisième fois.

Ses pupilles se dilatent, ses joues se colorent. Elle est réceptive et à ma grande surprise, ne me rejette pas. Pourtant, elle devrait. Car je suis en train de perdre le contrôle.

—Toutes tes lèvres, lui avoué-je à voix basse en appuyant un peu plus ma caresse.

Un soupir de plaisir lui échappe.

Ne fais pas ça...

—Repousse-moi, lui susurré-je près de sa tempe.

Je me stoppe et pose les deux mains de part et d'autre de son visage, ma tête dans le creux de son cou. Elle me laisse encore l'avantage.

Je grogne.

Me fais violence pour ne pas lui arracher toutes ses fringues et la baiser ici, là, maintenant. Mes yeux se ferment tandis que j'inspire ses senteurs sucrées. Toujours la même odeur de pêche s'en dégage.

Cette fois-ci, je gronde.

Le jeu s'est transformé en piège.

—Éloigne-toi de moi, tenté-je avant de mordiller sa peau.

Mais elle me brave, m'attire et s'offre à ma convoitise.

Je ne vais plus tenir bien longtemps.

Mon besoin de la sentir, de la découvrir, de me l'approprier, devient plus fort que tout. C'est en train de muer en véritable obsession, profonde et viscérale. Pour la première fois depuis longtemps, je m'éloigne de ma route. Pour la première fois depuis longtemps, je baisse ma garde.

Le danger est en approche.

Aussi bien pour elle, que pour moi.

Mon instinct vrille et je pars à la dérive. D'un geste brutal je viens plaquer mon érection contre son ventre.

—Écarte-toi, chaton. Ne m'affronte pas. Pas maintenant.

Sa seule réponse sont ses yeux qui se ferment.

Putain, Tessa...

—Si, lâche-t-elle dans un souffle.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top