CHAPITRE X - Ezra

—J'attends des explications, Cannon.

Debout et mains jointes derrière lui, il se tient face à la seule fenêtre de son bureau. Je le devine fixer les prisonniers dans la cour, en contrebas.

Je ne réponds pas.

Regarde-moi quand tu m'parles, enculé.

Mon silence l'agace, l'irrite au plus haut point. Ses doigts qui se plient et se déplient en permanence dans son dos trahissent son humeur.

Parfait.

—Je ne te crois pas assez stupide pour ignorer que cette énième incartade va te mener encore une fois à l'isolement.

Encore une fois, je reste muet. Je me contente de m'adosser à la chaise et de scruter ses mimiques qui sont plus parlantes que son discours formaté.

Sa tête s'abaisse, un soupir lui échappe avant qu'il ne se tourne vers le guéridon qui trône à sa droite. Simple, en bois et rond, un tourne-disque d'un autre temps y est installé. De profil désormais, je l'observe y disposer un vinyle avec une méticulosité presque flippante. Ses gestes sont soignés, minutieux et appliqués. Un fond sonore de musique classique emplit aussitôt la pièce.

Ce détail m'interpelle, appuie mes soupçons déjà bien fondés, me conforte dans l'idée que ce fils de pute est bel et bien un maniaque compulsif.

Excellent.

—Qu'est-ce que tu cherches, hein ? s'exaspère-t-il alors qu'il daigne enfin ancré ses yeux vairons sur moi. C'est quoi ton but ?

Mes lèvres s'ourlent en un fin rictus de contentement.

Là, c'est mieux.

—Copland ? je dis avec un affront volontaire dans la voix. Je ne vous pensais pas si conventionnel. Je suis déçu.

Ses sourcils se froncent tandis qu'il s'assoit derrière son bureau.

Bras croisés sur celui-ci, il me détaille en se voulant sévère, voire directif. Intérieurement, je l'imagine déjà agoniser de son dernier souffle entre mes mains.

—Aaron Copland est un compositeur de génie, se défend-il, contrarié. Mais je ne suis pas surpris qu'un personnage de bas étage comme toi ne sache pas apprécier son talent.

Je ricane.

—Le terme talent est très subjectif, m'amusé-je. Chacun d'entre nous le voit où il en a envie.

Une grimace s'inscrit sur son visage pendant qu'il balaye mes propos d'un revers de la main.

—Passons, tu veux, s'énerve-t-il en posant les yeux sur un cadre photo, sur le coin de son bureau. Il est évident que tes connaissances en la matière sont inexistantes.

Mon regard suit le sien.

Une jeune femme aux longs cheveux châtains et coiffée d'un mortarboard, symbole de la fin des études universitaires, y sourit de toute sa joie.

Vu son âge, je penche pour sa fille.

—À croquer, le piqué-je avec mépris.

Mon attaque a l'effet escompté.

D'un mouvement prévisible et surtout précipité, il rabat la photographie. Celle-ci s'écrasant à plat dans un bruit sec sur le bois ébène dénué de la moindre particule de poussière.

—Les femmes vous rendent faible, Miller, l'attaqué-je un peu plus. Elles sont le pire des pièges. Quand vous vous rendez compte qu'une autre vie passe avant la votre, vous pouvez considérer que c'est le début de la fin.

—Monsieur Miller ! me reprend-il en se levant de manière hâtive de son fauteuil.

Ses poings s'abattent sur le bureau. La colère a pris les devants.

Formidable.

—On va te matter, Cannon, siffle-t-il entre les dents. Crois-moi, les types comme toi on en fait qu'une bouchée, ici.

Ma jubilation est à son apogée.

Je me redresse et pose les deux coudes sur mes genoux en souriant davantage.

—Soyez prudent, dans ce cas. Attention à nous pas vous faire manger avant, Monsieur.

—Ne joue pas à ce petit jeu avec moi. J'en ai dressé des plus coriaces que toi.

—J'en tremble, le nargué-je avec ironie. Et votre fils, comment va-t-il ? Mieux, j'espère.

Un éclair traverse son visage rasé de près et ses traits se crispent. Le muscle au-dessus de son œil droit tressaute, secouant sa paupière en mouvements rapides et répétés.

La progéniture de ce salopard, à ma plus grande surprise, avait survécu à notre petit tête-à-tête d'Austin, deux ans auparavant. Après six mois de soins intensifs, il était sorti d'affaires avec néanmoins quelques séquelles irréversibles. Paralysé des quatre membres, perte d'élocution et j'en passe.

—Dites-moi, Monsieur le directeur, insisté-je pour enfoncer le clou. Est-ce qu'un paraplégique peut bander ?

La tempête va s'abattre.

Au bord de la tachycardie et rouge de colère, il se tourne vers le maton qui se tient près de la porte en avançant vers lui.

—On a terminés !

Il perd le fil, son précieux contrôle lui échappe.

Bien.

Du mouvement derrière moi me fait deviner sa présence. L'instant d'après, ses deux mains accrochent ma chaise.

—Je serai aux premières loges pour ton exécution, enfoiré, me murmure-t-il à l'oreille. Je t'injecterai moi-même les produits, un à un, lentement mais sûrement. Jusqu'à ce que ton cœur de merdeux cesse de battre pour de bon.

Une nouvelle fois, je ricane.

—Ouh, j'ai hâte, répliqué-je avec morgue.

Ses doigts se crispent sur le dossier de mon fauteuil.

—Je ne sais pas c'que tu mijotes, crache-t-il, mais tu n'auras pas la satisfaction que tu attends. Ramenez-le à sa cellule !

Je tilte et arque un sourcil.

Connard, comment te dire que c'était pas prévu, ça....

(...)

—Ez' ?

Allongé sur le matelas en-dessous du sien et concentré, j'ignore Bae.

—Ez' !

Je suis ravi. Non en fait, c'est bien plus que ça. Je déborde d'enthousiasme.

—EZ' !

—Quoi ? râlé-je sans pour autant me détourner de mes pensées.

Le lit en feraille remue, son armature grince sous le poids de l'asiatique.

—Qu'est-ce qu'on fait, maintenant ? me demande-t-il quand ses deux pieds touchent le sol.

Mon visage se tourne dans sa direction.

—On continue. La même à midi.

Un voile d'incompréhension recouvre son regard. Il sort une énième cigarette de son paquet et la glisse entre ses lèvres.

—Je sais pas si t'es au courant, proteste-t-il en allumant sa clope, mais on a échappé de peu au mitard, avec Big T.

—Rien d'étonnant. Le quartier d'isolement est au même étage que le bureau de notre cher directeur.

Tandis qu'il recrache sa fumée, il m'observe, complètement largué.

Je développe.

—La p'tite doit revenir aujourd'hui pour l'interviewer en personne. Et connaissant son goût prononcé pour l'ordre et la discipline, il voudra certainement vanter les mérites de ses méthodes, je dis en mimant des guillemets avec les doigts.

—J'pige pas.

Je roule des yeux avant de me redresser pour m'asseoir sur le matelas.

—Pourquoi il m'a pas foutu au trou, à ton avis ? Avoir des détenus qui braillent dans les cellules juste à côté de son bureau, ça peut faire désordre pour sa crédibilité.

—Ouais, j'avoue, finit-il par comprendre après avoir repris une bouffée de nicotine. N'empêche que j'suis de corvée de nettoyage des chiottes pendant deux semaines, maintenant, à cause de ces conneries ! Tu crois que ça m'amuse de ramasser la merde des autres ?

—Encore un peu de patience, temporisé-je, un sourire en coin. D'après Harvey, elle sera là à treize heures. Mettez le boxon encore une fois. Si y a le bordel, y aura pas d'entrevue. Ça sera reporté et on pourra passer à la suite de notre plan.

Ses yeux se plissent.

—La clé ?

—Exactement, acquiescé-je.

Cette clé usb copiera tous les fichiers de l'autre enflure. Elle est imparable face à tous les logiciels, même les plus infaillibles. Une arme redoutable. Même si des soupçons remontent à la surface, même s'ils arrivent à intercepter quelques codes malveillants, ça les conduira direct en Russie ou en Chine. Ceux qu'on accusent toujours de tous les maux concernant le cyber espionnage.

— T'es certain qu'elle va pas se défiler ?

Un sourire résolu étire mes lèvres.

—J'en suis convaincu. À deux cents pour cent.

Mon pote me connait, il sait que je parle rarement pour ne rien dire. Il m'imite et ricane à son tour.

—Je vais en informer Big T, suggère-t-il en sortant de la cellule.

—Va, Bae. Va, susurré-je en reposant mes yeux sur l'écran du téléphone.

Un bien-être.

Un sentiment que je n'ai pas ressenti depuis longtemps. Pour autant, je grogne. Savoir que c'est elle qui me le procure est un pur suicide.

Oh, Tessa...

—Le noir te va à ravir, chaton...

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Bonjour, les bébés !

Je vous laisse le choix du point de vue pour le prochain chapitre, sachant qu'un tête-à-tête entre nos deux protagonistes sera de la partie 😈

Tessa ?
Ezra ?

À bientôt 💋

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