CHAPITRE VIII - Ezra

⚠️Violence ⚠️


De : ???
À : Ezra

[Pour quelle heure ?]

De : Ezra
À : ???

[21h]

De : ???
À : Ezra

[Et qu'est-ce que j'y gagne ?]

Je pianote une brève réponse avant de jeter le portable sur le lit, à mes côtés.

De : Ezra
À : ???

[Ma gratitude éternelle]

De : ???
À : Ezra

[Salopard.]

Tête basculée contre le mur, un soupir de satisfaction se faufile entre la barrière de mes lèvres.

Tout est en place.

Ne me déçois pas, chaton. Sinon...

—Ez',m'appelle le minot qui fait le guet devant la cellule.

Je l'ignore.

Mon irritation se mêle à l'excitation. Je vais enfin pouvoir savoir si ma confiance, aussi fragile soit-elle, peut lui être accordée.

Je piaffe.

D'impatience, de réjouissance. D'engouement.

De : ???
À : Ezra

[Pas grave, je m'amuserai un peu avec pour la consolation]

Mes sourcils se froncent et les muscles de mon dos se tendent à la lecture de son message.

Ça y est.

Lui aussi m'agace.

Mes deux mains se rencontrent pour faire craquer mes phalanges en guise d'échappatoire à ma nervosité. Échappatoire précaire pour ne pas dire inutile. Je me saisis donc à nouveau du portable, les deux pouces survolant les touches à une vitesse qui en dit long sur mon état d'esprit du moment.

—Ez' ! réitère le nouveau paniqué en scrutant le couloir.

Sa voix de crécelle me file mal au crâne.

Nul doute que ce gamin n'a pas les épaules pour endurer l'atmosphère de la prison. Une chose est sûre, ses jours ici sont comptés.

Il me les brise.

Un regard de ma part dans sa direction suffit à lui faire comprendre que ma patience le concernant, va bientôt atteindre ses piètres limites. Pantois, il baisse les yeux et se ratatine davantage sur lui-même.

Parfait.

De : Ezra
À : ???

[À toi de voir si tu veux saluer la Faucheuse de ma part plus tôt que prévu.]

J'avise l'heure sur le téléphone et grogne en me levant.

Il faut que je vois Bae.

La promenade a lieu dans à peine dix minutes.

Comme chaque jour, de huit heures à neuf heures trente, on a quartier libre. Au fur et à mesure et chacune leur tour, les cellules de toutes les sections restent ouvertes sous haute surveillance des gardiens. Je soupçonne la direction de se servir de ce champ libre pour étudier nos moindres faits et gestes, et, par la même occasion, grappiller le plus petit comportement suspect pour faire jouer leur autorité.

S'ils savaient...

—Tiens, je dis en lui donnant le portable en passant à ses côtés. Retourne dans ta piaule et fais-toi oublier.

Fidèle à ses habitudes, il s'exécute sans broncher et disparaît, tête basse et à grandes enjambées au milieu des prisonniers.

Excédé, je roule des yeux face à son attitude.

Ce p'tit con va nous faire griller rien qu'avec sa tronche.

Mes neurones s'activent et je souffle.

Ça aussi, ça m'agace.

La colère picote mes sens, brûle le flot de mes veines, s'accapare de ma conscience. Tout en me dirigeant vers l'escalier B qui mène aux extérieurs, mes deux mains se lient sur ma nuque. Avec de brèves rotations du cou, je fais craquer mes cervicales qui se délient une à une. Mes traits se détendent et ma nervosité se rendort. Pour un temps.

Débile mais efficace.

—Ez', attends !

La voix éraillée de Bae résonne et prend l'ascendant sur celles des autres détenus. Quelques secondes suffisent pour que je repère sa silhouette atypique sur ma gauche, se dirigeant d'un pas pressé dans ma direction.

Ses yeux pétillent à mesure que mes sourcils se froncent à son approche.

Un autre prisonnier l'accompagne. Un prisonnier dont je me méfie comme de la peste : Big T. Assez grand et bien bâti, militaire de son état dans les forces aériennes américaines et décoré à plusieurs reprises pour sa bravoure, il a semble-t-il sombré dans la folie après une mission difficile. Un complot des hauts placés d'après ses dires, une victime collatérale qui n'a pas supporté les horreurs auxquelles il a été confronté d'après les psys.

Toujours est-il qu'il a atterri dans ce trou pour avoir éviscérer à mains nues un de ses supérieurs.

Personnellement je m'en bats les couilles.

Ce ne sont pas ses actes qui m'interpellent. Mais plutôt sa manière d'analyser les autres en permanence. Souvent à l'écart et peu causant, il passe ses journées à observer ceux qui l'entourent. Et je déteste ça.

Bref, je l'aime pas.

—Qu'est-ce que tu fous avec lui ?

L'asiatique le sait bien. Ma demande sonne plus comme un avertissement. Gêné, mon acolyte grimace tout en posant une main amicale sur l'épaule de l'autre abruti. Je tilte à ce geste.

—Avant de t'enflammer, temporise Bae en tendant un bras vers moi, écoute ce qu'il a à te dire. Je crois que ça pourrait t'intéresser.

Putain, ils m'agacent tous aujourd'hui.

—Rien à foutre, craché-je en tournant les talons pour m'éloigner.

—Donc inutile que j'te dise que ta petite protégée à rendez-vous avec notre cher directeur demain, lâche Big T d'une voix plate dans mon dos.

Mes jambes se stoppent aussitôt.

—C'est quoi ces conneries ? rétorqué-je en lui jetant un regard en biais. D'où tu tiens ça ?

Ce dernier ricane.

Danger.

La haine gagne du terrain et la démence me guette.

Je me retourne pour lui faire face.

—Qu'est-ce que tu crois, Cannon ? appuie-t-il sûr de lui tandis qu'il comble le vide qui nous sépare. Que t'es le seul ici à récupérer des infos ? J'ai mes sources aussi, figure-toi.

Un sourire mauvais étire mes lèvres, des envies de meurtre se dessinent.

Je vais vriller.

—Sans déconner, soufflé-je à quelques centimètres de son visage.

—Ez' arrête, dit Bae en tentant de s'interposer entre nous.

—T'es un p'tit marrant toi, quand tu retrouves ta langue, murmuré-je en me collant davantage à lui. Tu l'sais, ça ?

Ce connard ricane de nouveau.

En fin de compte, je crois que je préférais quand il la mettait en veilleuse.

Mes poings me démangent.

Qu'il se taise, bon dieu...

Comme toujours lors de chaque altercation, aussi petite soit-elle, l'attroupement est inévitable. Le brouhaha intempestif des couloirs s'est tu, les détenus nous encerclent et vont bon train sur leurs paris. Les matons, eux, restent en retrait et guettent. À se demander à quoi ils sont payés.

Faites-donc.

Et apprenez.

—C'est quoi qui t'emmerde, Ezra ? me provoque-t-il un peu plus sans se douter des pensées qui traversent mon esprit. Que quelqu'un ose enfin te tenir tête ici, ou que ta p'tite copine ne t'ait rien dit ?

Effectivement.

Il semblerait qu'elle ait omis de me préciser ce léger détail.

La garce...

Tant pis.

Les cartes sont redistribuées, le plan a changé.

J'attrape par le col celui pour qui j'hésite encore entre lui arracher la langue avec mes dents, ou lui enfoncer les yeux au fond de ses orbites. Des sifflements s'élèvent, les autres prisonniers commencent à s'agiter.

À ma plus grande surprise, cet abruti ne bronche pas.

—Ez' ! s'affole Bae en agrippant mon bras. Lâche-le !

J'en fais abstraction.

—Ce qui m'emmerde, c'est que des types comme toi fourrent leurs nez dans mes affaires.

—Je peux t'aider, Cannon, enchérit-il à voix basse sans se démonter.

À mon tour je ricane tandis que mes doigts se crispent et se resserrent.

—Te donne pas trop d'importance, tu veux. S'il y a bien un truc que je supporte pas, c'est qu'on se foute de ma gueule.

—Ne me sous-estime pas. Sept ans que je croupis entre ces murs. J'en connais chaque recoin, chaque habitude.

Mes yeux se plissent.

C'est un atout non négligeable, certes, mais rien n'est gratuit ici. Et ma confiance en lui frôle le zéro.

—Chaque faille, ajoute-t-il en appuyant sur ce mot.

—C'est bon les gars, chuchote mon pote tout en regardant autour de nous, calmez-vous, merde ! J'ai pas envie de finir au trou !

—Et qu'est-ce que t'y gagnerais, toi, à m'aider ?

Son regard sombre se renforce. Il ne dévie pas, ne cille pas.

—Crever cette ordure, murmure-t-il en désignant l'étage supérieur d'un mouvement de la tête, sera ma plus belle récompense.

Surpris, j'arque un sourcil.

L'ennemi est commun.

—Qui me dit que je peux te faire confiance ?

—Demande-moi c'que tu veux.

Je me tais et le toise. Réfléchis à une vitesse ahurissante.

Mes doigts se relâchent peu à peu et enfin, le libèrent avant que je ne recule d'un pas. Des insultes fusent autour de nous suite à la déception que ça ne dégénère pas davantage.

—Vous avez perdu vos couilles ? ricane l'un d'eux.

Tant mieux, lâchez-vous.

Mon choix n'en sera que plus facile.

—Je veux que toi et Bae mettiez un peu d'ambiance au réfectoire, demain matin. Avant la venue de la petite.

—Hein ? s'exclame l'asiatique en me dévisageant complètement interloqué.

Une ride se creuse sur le front de Big T.

—Une baston ?

—T'as tout compris.

—Et toi ?

Un rictus vient ourler mes lèvres.

—Moi, je dis en me dirigeant vers l'imprudent qui s'inquiétait de nos attributs masculins un peu plus tôt, je vais aller rendre visite à notre directeur de ce pas.

À peine le temps de comprendre ce qu'il lui arrive que les cheveux de l'autre imbécile sont déjà dans mon poing. Un cri de douleur retentit tandis qu'il se contorsionne sur lui-même pour échapper à ma prise.

Pitoyable échec.

—Putain mais qu'est-ce que tu fous ?! gémit-il alors que ses mains enserrent mon poignet pour essayer de se dégager.

Les détenus s'agitent de plus belle et se ravissent de nouveau.

Des pieds frappent le sol.

Ça crie dans les couloirs.

Siffle.

Ils s'impatientent.

La rancœur de tout à l'heure anime ma colère et la décuple.

—Viens par-là, toi, craché-je en tirant ma victime vers le haut de l'escalier. Tu réfléchiras à deux fois avant de l'ouvrir, la prochaine fois.

—Déconne pas, Ez', je plaisantais !

—Ben voyons.

Comme une escorte funèbre, les autres nous suivent pour assister à la scène macabre qui va suivre. Après avoir descendu quelques marches, je le détaille.

J'aime ce moment.

Celui qui précède mon châtiment.

Celui où la peur se lit dans leurs yeux.

Celui où ils m'implorent, me supplient.

C'est grisant.

Bandant.

—Ez', je voulais ju...

Sa phrase reste en suspens et meurt dans un juron étouffé lorsque mon poing s'écrase sur son estomac. À genoux devant moi désormais, je m'accroupis à ses côtés.

—J'ai pas bien compris ce que tu disais, tu peux répéter s'il te plaît ?

—Ez'... je...

—Ouvre la bouche, intimé-je.

L'agitation des prévenus s'accentue.

—Qu... quoi ?!

—Ta bouche, répété-je en la montrant du doigt. Ouvre-la en grand.

Ses muscles tremblent, des larmes perlent au coin de ses yeux. Il sait ce que je m'apprête à faire.

Mais il n'est pas assez rapide et ma patience a déjà atteint son quota pour la journée. Contrarié par son manque de coopération, j'attrape son visage de mon autre main afin de presser ses joues. Mes doigts s'incrustent dans sa peau et s'enfoncent jusqu'à l'os.

Il gémit et, résolu, ferme les paupières.

Bien.

Mon plan est en marche, rien ne pourra m'arrêter.

Rapide coup d'œil aux gardiens qui me scrutent, n'attendant qu'une seule chose : que je passe à l'action pour m'envoyer à l'isolement. Puis dans un calme obscur, positionne le visage de mon souffre-douleur au niveau de la première marche, dents au contact la ferraille. Des soubresauts le parcourent et secouent son dos, faisant couler en une longue traînée visqueuse la bave qui s'échappe de la commissure de ses lèvres.

—Par pitié un peu de retenue, veux-tu, craché-je en me redressant.

Il ne dit rien, attend sa sentence. Seuls quelques sanglots lui échappent.

Un silence s'installe.

Un silence que je savoure et dont je me nourris.

Mon pieds droit se lève de manière lente et progressive, juste au-dessus de sa nuque.

Une seconde s'écoule.

Deux.

Peut-être trois.

Puis s'abat sur cette partie sensible de son corps.

Un hurlement imbibé de souffrance lui échappe alors que ses dents se broient sur le métal. Elles craquent sous mon geste, s'arrachent de ses gencives et s'émiettent. Témoin de la barbarie dont j'ai fait preuve, un bout de sa langue pend de sa bouche tailladée, retenu seulement par un mince morceau de chair. Je l'observe, le fixe, tandis que les marches se colorent et se teintent de rouge. Les prisonniers jubilent, crient.

Insensible, je contemple mon œuvre en attendant l'arrivée de ces abrutis de surveillants.

À nous deux, fils de pute.

Freud a dit un jour :

Les émotions non exprimées ne meurent jamais. Elles sont enterrées vivantes et libérées plus tard. De façon plus laide.

Et il avait raison...

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