9. Infos à la une

Je suis assise sur mon tabouret, dans la salle de technologie, et je suis fixée sur ce que je fais. Les sourcils froncés, j'essaie d'éviter de regarder Thomas du mieux que je peux. Il a réussi à m'insupporter, mais je ne peux pas l'ignorer pour autant. Il me cache quelque chose et je dois savoir ce que c'est. J'ai eu le temps de réfléchir : je n'ai pas rêvé et la seule possibilité que j'ai trouvé est le fait qu'il se fiche ouvertement de moi. Cependant je ne peux pas ouvrir la bouche sans vouloir crier. Il entame la conversation malgré moi.

- Qu'est-ce que tu faisais avec la conseillère d'orientation ?

Je vois son air sérieux, sa voix est grave et posée : je subis une nouvelle fois un interrogatoire.

- Pourquoi tu t'es enfuis quand je t'ai appelé ?

Mon ton est sec. Je suis trop énervée pour vouloir répondre à ses questions, surtout qu'il ne répond pas aux miennes. Pour ne pas changer, il ne dit rien. Il regarde la table comme s'il réfléchissait à quelque chose à répondre, autre que la vérité. Finalement, il chuchote :

- Je ne t'avais pas entendu... et j'étais pressé. Alors ?

Je souffle à cause de son manque de sincérité. Il attend sûrement une explication de ma part, ce que je ne tarde pas à lui donner.

- Je suis allée la voir pour lui proposer une sortie en boîte de nuit. Il y en a une nouvelle qui a ouvert la semaine dernière en ville, elle a vraiment l'air géniale ! lancé-je, sarcastique.

Thomas comprend tout de suite le sous-entendu : il ne parle pas, je ne parle pas. Je vais devoir faire des efforts pour en savoir plus sur ses intentions qui ne sont pas innocentes. Je ne sais pas pourquoi il ne m'aime pas, et je vois très bien que cela a un rapport avec Jonathan, mais quoi qu'il fasse pour se mettre en travers de mon chemin, je ne laisserai pas faire.

- Le cours est bientôt terminé, annonce le professeur en me tirant de mes pensées, vous pouvez commencer à ranger. Vous devriez en être au moins à la moitié de la conception, si ce n'est pas le cas, faites-vous aider pas vos camarades, nous n'aurons pas le temps de le finir dans le cas contraire.

Je me lève d'un bond et me presse pour ne plus voir Thomas. Je range tout d'un geste adroit, attrape mon sac, et tire Jonathan par le bras vers l'extérieur. Il me suit, un peu chamboulé par mes façons de faire. Je l'agresse presque en lui demandant :

- Qu'est-ce qu'il t'a dit ?

Il pince ses lèvres entre elles et plisse les yeux de manière interrogative.

- Thomas. Que t'a-t-il dit sur moi ? insisté-je.

- Rien, pourquoi ?

- Jonathan !

Je sais qu'il ment même s'il joue très bien la comédie. Il laisse tomber ses bras le long de son corps et me lance un regard désolé.

- Il m'a dit qu'il valait mieux que je t'évite... -Je souffle à ses mots-. Je ne vois pas pourquoi il m'a dit ça mais je n'ai aucune raison de l'écouter, je te fais confiance.

Je décide de passer l'éponge, du moins c'est ce que je veux lui faire croire. Thomas m'agace et j'ignore toujours pourquoi il ne laisse rien passer quand il s'agit de moi.

Le lendemain, je retrouve le lycée plus sereine, plus calme, presque contente finalement d'avoir trouvé la solution à mon problème. Aujourd'hui, tout va bien se passer, j'en suis sûre. Je retrouve Jonathan avec le sourire. Lui a l'air tendu par notre discussion de la veille, mais je le rassure en lui assurant que tout va bien et qu'il n'a rien à se reprocher. Quand Thomas nous rejoint enfin, je l'accueille avec un grand sourire. Les deux garçons sont plus qu'étonnés par mon attitude qui relève du miracle, ou de la naïveté pourrait-on dire.

- Je propose qu'on fasse la paix, dis-je à Thomas en lui tendant la main. On remet les compteurs à zéro et on oublie tout. Pour Jonathan, qui a, je pense, assez galéré avec nous ces derniers jours.

Thomas a un regard méfiant envers moi, mais sous les yeux ébahis, mais heureux, de son meilleur ami, il décide de ne pas aggraver les choses et serre la main que je lui tends. Je souris de nouveau, fière de ma décision.

***

Après les cours, Jonathan m'a informé que Thomas et lui allaient se voir pour réviser les cours en vue des tests de fin d'année qu'ils vont avoir. Je ne sais pas exactement s'ils ne vont faire que réviser, où s'ils vont parler d'autre chose, mais le micro que j'ai placé sur la manche de Thomas lorsque nous avons conclu ce pacte va m'aider à y voir plus clair sur ses intentions. Après tout, il était peut-être trop attaché à Genny pour me voir me rapprocher de Jonathan. Je ne vois pas d'autre explication. À moins qu'il ne soit gay et soit jaloux, ce que je supprime tout de suite de mes hypothèses. Il aime les filles, ça se sent à des kilomètres, allez savoir comment je le sais. Et puis, quand un garçon a un regard amoureux envers quelqu'un, cela se remarque, et ce n'est pas son cas. Je me demande même s'il en ai capable à vrai dire, il est tellement froid à mon égard que je n'ai presque, je dis bien presque, jamais eu l'impression de voir le véritable Thomas.

J'attends donc qu'ils partent avant de me diriger tout droit vers la camionnette de Zoé, d'où je suivrai toute leur conversation.

- Je préfèrerai que tu n'écoutes pas si ça ne te dérange pas, demandé-je à Zoé alors qu'elle met son casque.

- Okay, comme tu veux. Mais rappelle-toi que tu ne m'as toujours rien dit de concluant pour faire avancer l'enquête de leur côté. S'ils n'ont rien d'ici quelques jours, je pense qu'ils viendront vérifier par eux-même le travail que tu fournis.

- Tu n'as qu'à leur dire que je suis sur une piste sérieuse, et que je ne vais pas tarder à avoir des réponses, même si ce n'est pas trop le cas pour l'instant, mais qu'il y a quelque chose qui m'empêche d'aller plus loin pour le moment.

- Fais-moi confiance, s'ils pensent que tu peux te laisser ralentir par un petit obstacle de rien du tout, ça va être encore pire. Mais je leur dirai ce qu'il faut ne t'inquiète pas.

- Comment ça un obstacle de rien du tout ?

- Alice, tu sais que tu es sur écoute, alors je sais que la chose qui t'empêche de te concentrer s'appelle Thomas, et crois-moi je te comprends, il fait tout pour te foutre dans la merde, mais pourquoi tu ne passe pas au-dessus de ça ?

- Il faut que je sache ce qu'il me veut. Tant qu'il refusera que j'approche Jonathan, je ne pourrai pas faire mon job correctement.

Je détourne les yeux pour couper court à la conversation, déterminée par ce que je vais faire, puis je positionne le casque noir sur mes oreilles et demande à Julien d'enclencher l'écoute. Il faut quelques minutes avant que je n'entende quelque chose d'audible. Je demande à Derek de faire quelques petits réglages au son pour l'améliorer, et je suis enfin prête.

Pendant plusieurs heures, les deux garçons ne parlent vraiment que de cours, et cela en devient lassant. Je comprends maintenant le boulot palpitant que fait Zoé, et pourquoi cela lui plairait d'avoir quelques informations intéressantes quelques fois. Après plus de deux heures et demi, la conversation tourne à autre chose que le sujet excitant qu'est le lycée, pour parler d'une personne. Oui, une personne en particulier, mais je devine, sans même qu'ils n'aient à énoncer de nom, de qui il s'agit.

- Tu sais, je continue à me dire que tu devrais la fuir.

- Pourquoi tu ne la laisse pas tranquille, elle s'est presque excusée ce matin alors qu'elle n'avait rien à se reprocher, et tu lui as dit que tu étais d'accord pour retourner à zéro. Tu sais, il faut accepter d'avoir tort, des fois.

- Tu ne penses pas que tu essayes de combler le manque de Genny par ton affection pour elle ?

Oh le... ! Je ne finis pas ma pensée tellement elle peut être vulgaire.

- Non, je ne pense pas. Je l'appréciais déjà avant de savoir pour Genny. Est-ce que tu voudrais bien faire un effort pour moi ?

- D'accord, mais je continue à penser que c'est une mauvaise idée... par rapport à Genny.

- Merci Thomas. Je vais faire semblant de ne pas avoir entendue la fin de ta phrase.

Ils repartent dans leurs cours. Même s'il y a eu plus d'attente que d'informations, je suis au moins sûre d'une chose : Thomas veut protéger son ami de ma personne parce qu'il pense que je peux le faire souffrir. Je ne reviens pas de ce que je vais dire, mais je le comprends. S'accrocher à une personne, ça peut être dangereux, surtout quand on ne la connaît pas bien, et c'est le cas avec moi. Ce qui importe pour l'instant, c'est que Thomas n'est plus un problème pour moi, et Jonathan pourra enfin se confier à moi.

***

- Est-ce que tu as des frères et sœurs ? demandé-je pour entamer la discussion, ou plutôt disons-le, la RIPE, soit la Recherche d'Informations Pour l'Enquête.

- Non, je vis seul avec mon père depuis dix ans maintenant, ma mère nous a quitté quand j'avais sept ans. Je sais,moi aussi, ajoute-t-il en voyant mon regarde lui disant «Désolé».

Nous nous sommes assis dans l'herbe devant le lycée, Jonathan et moi, sous le soleil de l'après-midi. Nous ne sommes que tous les deux, Thomas est allé faire un tour je ne sais où, sûrement avec Danny, Hugo ou Owen, ou bien les trois.

- Qu'est-ce qu'il fait ?

Ça peut paraître inutile de demander, mais à vrai dire, à part le fait qu'il est politicien, je ne sais absolument rien de lui. Il faut que je sache sur quoi il travaille pour pouvoir identifier ce que son ennemi peut lui vouloir.

- Il travaille dans les affaires, autant dire que je ne le vois pas souvent. Il investit beaucoup dans des entreprises de hautes technologies, ou ce genre de choses. Je ne peux pas te dire avec exactitude, tout ce que je sais de son job c'est ce que j'entends quand il téléphone à ses collaborateurs. Le seul problème c'est qu'il avance des idées assez généreuses pour le «petit peuple », comme on pourrait appeler, mais ça ne plaît pas à tout le monde.

- Vous avez eu des problèmes ?

- Plusieurs menaces de gens hauts placés malheureusement, et il ne cesse de s'inquiéter malgré le fait que j'essaye de le rassurer... en tout cas le peu de fois où je le croise.

- Je vois...

- Et toi, ta famille ? questionne-t-il.

Je lève la tête vers lui, surprise, alors qu'il est suspendu à mes lèvres. Je ne m'entendais pas à ce qu'il me le demande, et je ne sais pas du tout quoi lui dire.

- Je... Je... C'est compliqué, finis-je par sortir.

- Tu peux me le dire si tu n'as pas envie d'en parler, fit-il compréhensif.

- Ce n'est pas ça. J'ai simplement du mal à en parler c'est tout. En fait, je n'en ai jamais parlé à personne, avoué-je autant à moi-même qu'à lui.

Je souffle un grand coup, et baisse les yeux vers le sol en jouant avec un brin d'herbe. Je replonge mes yeux dans les siens avant de lancer :

- Mes parents sont morts dans un accident de voiture...ainsi que mon frère.

Ces paroles renvoient dans mon esprit des images que je tente de chasser instantanément. Jonathan, quant à lui, est sous le choc.

- Je croyais que...

- Tu croyais que je vivais avec eux, comme tout autre adolescent à peu près normal, et qu'ils me payaient des cours particuliers.

Il y a un long silence, mais pas un silence pesant. Un silence qui fait du bien, ce silence qu'une personne recherche après avoir crié tout ce qu'elle avait sur le cœur. Bien que ce ne soit pas entièrement le cas, ce silence me fait un bien fou. Je ferme les yeux et profite du soleil qui frappe mon visage. C'est la première fois que je me repose vraiment, ou même que je ferme les yeux depuis que ça a commencé. Je suis toujours à l'affût du moindre geste ou de la moindre parole, mais je prends ce silence comme une pause, un arrêt dans le temps qui me revigore.

- Comment tu t'en sors ? me questionne-t-il.

- J'ai pris un boulot qui occupe tout mon temps libre, et je ne fais aucune folie d'ordre financière. Tout ce que je peux faire avant de me lancer dans la vie, concrètement.

- Il n'y a personne pour veiller sur toi ? Je veux dire, tu es à peine majeure, comment se fait-il que tu n'ait été sous aucune responsabilité durant tout ce temps ?

- Mes grands-parents sont décédés bien avant ma naissance, et mes parents n'avaient aucune attache avec leurs familles respectives, on vivaient en ermite en quelques sortes. Notre famille nous suffisaient. Alors comme je n'avais aucun tuteur attitré, le juge a accepté que je m'émancipe. Bref, ma vie n'est pas des plus passionnantes. Plutôt déprimant, non ?

- Tu es loin d'être déprimante Alice, m'assure-t-il en me prenant la main.

Je lui fais un sourire léger, poli, pour le remercier d'être à l'écoute, et retire ma main de la sienne pour la poser sur le sol, mes doigts s'emmêlant dans l'herbe verte.

Nous restons un moment assis l'un à côté de l'autre, à discuter de tout et de rien. Nous avons décidé sans se concerter d'ignorer les sujets compliqués ou trop personnels.

J'entends soudain un bourdonnement dans mon oreille, puis le son s'améliore. Je dois me concentrer pour ne pas grimacer devant Jonathan à cause de ce son horrible.

- Alice, Stevens appelle dans cinq minutes, je l'ai retenu au maximum, il me faut le plus gros scoop de l'année là !

Je me lève d'un bond sous les yeux interrogateurs de Jonathan. Je lui informe que j'ai un appel à prendre et m'éloigne de quelques mètres avant d'attraper mon téléphone.

- Zoé ? Zoé !

Je me souviens que j'avais laissé mon micro éteint, heureusement pour moi. Je n'avais pas envie que toute l'équipe qui m'accompagne soit au courant de ma vie privée et de ce que j'avais traversé. Je l'allume donc le plus discrètement possible et appelle une nouvelle fois ma coéquipière, qui finit par répondre.

- C'est bon, j'ai des infos.

- Je note, réplique-t-elle du tac au tac.

- Voilà : son père travaille avec des entreprises de hautes technologies, sûrement à son nom vu qu'il doit leur fournir pas mal d'argent. Il faut qu'ils cherchent dans les entreprises qui ne font pas de pub. Stevens m'a dit qu'il était très surveillé donc il ne doit pas être sur tous les écrans. Apparemment il aurait reçu des menaces donc il faut qu'ils se renseignent auprès de sa personne pour en savoir plus. Si ils ont des contacts avec George Hale, il faut qu'ils s'en servent. Pour finir, il y a pas mal de personnes qui sont contre son parti, question d'argent comme toujours, et qui pourraient lui vouloir du mal. Ça peut être le parti adverse directement ou une entreprise à grande influence qui serait perdante avec ses idées. Ça suffira tu penses ?

- Ça va les occuper pendant un moment, merci.

- Merci à toi.

Je fais mine de raccrocher et éteint mon micro. Je me tourne ensuite vers Jonathan qui me sourit de toutes ses dents.

- Tout va bien ?

- Oui, juste un coup de fil du boulot.

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Hey ! Comment allez-vous ? (C'est un question rhétorique mais si ça vous plaît, vous pouvez répondre en commentaire xD). J'espère sincèrement que Affaire d'Etat continue à vous plaire. 

A bientôt pour le prochain chapitre !

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