56. Ça passe ou ça casse
Assis tranquillement dans la voiture, ça fait maintenant la troisième fois que Thomas me demande ce qui m'a pris de l'embarquer comme ça sans aucune explication. Et surtout, ce qu'il veut avoir, ce sont justement ces explications. Les deux premières fois, je ne l'écoutais pas. Je me contentais d'écrire les messages les uns à la suite des autres sur mon téléphone pour l'envoyer à ce même interlocuteur, toujours inconnu du brun. Mais cette fois, je peux me consacrer à ces explications. À mon tout dernier plan. Si celui-là ne nous amène à rien, je pense que je n'aurai plus aucune force pour continuer l'enquête. Je le considère comme notre toute dernière chance avant de perdre définitivement la foi. Ça passe, ou ça casse. Alors je me lance :
— Tu te rappelles quand j'avais pris une fausse identité pour aller voir Georges Hale ? demandé-je d'abord pour donner le contexte.
Il acquiesce avec un regard rapide vers moi avant de tourner les yeux vers la route.
— Tu prendras la prochaine à droite, lui indiqué-je avant de reprendre mes explications. J'avais donné mon numéro à Hale au cas où il ait du nouveau. Il se trouve qu'il a bien reçu la lettre qu'on lui avait annoncé. Et tu sais ce qu'il m'a dit ? Que c'était Jonathan lui-même qui l'avait écrite ! Et qu'il ne s'était pas senti aussi proche de lui depuis longtemps, comme s'ils étaient dans la même situation. Et ça m'a fait réfléchir. S'ils étaient vraiment dans la même situation ?
— Tu veux dire que Jonathan serait protégé par ses ravisseurs ? Ça n'a aucun sens !
— Non, ce que je veux dire c'est que Jonathan est peut-être, physiquement, dans la même situation que son père.
Thomas a l'air de réfléchir quelques instants, je sens qu'il comprend parfaitement où je veux en venir, puis il jette un coup d'œil vers le portable que j'ai entre les mains et demande finalement :
— Tu as fait des recherches ? Tu sais où c'est ?
J'arque un sourire en coin.
— Je sais exactement où on va.
Nous ne mettons pas plus d'une heure pour arriver à notre destination. Nous nous garons sur une des rares places qui nous est proposée, alors que les autres sont prises par des voitures de couleurs foncées et pour la plupart de belles marques. Toutes brillent sous le fort soleil qui tape, n'étant protégées par aucun arbre aux alentours. Rien ne sort du décor, tout est parfaitement rangé à sa place, comme il doit l'être. Aucune roue ne mange de ligne blanche, le bruit assourdissant de la nationale à moins d'un kilomètre de là ne parvient pas jusque là, comme si cet endroit était coupé du monde qui l'entoure. Je pose un pied sur terre et ai déjà l'impression de faire tâche dans le décor, d'être l'intrus, le virus qui va mener le système à sa perte. J'adore cette idée rien que d'y penser. Je regarde le bâtiment qui me fait face de ma petite taille et l'étudie de haut en bas. Je l'imagine déjà s'effondrer sous son point et se réduire en poussière. Ses vitres parfaitement nettoyées cachant des centaines de pièces et plusieurs centaines d'employés. Des manipulateurs, des gens abus d'eux-même, tous ceux qui forment le corps, les bras et les jambes. Mais ce qu'il faut c'est faire tomber la tête. Le voilà le plus important.
Nous marchons, Thomas et moi, sans plan précis à l'esprit. Jusque là nous en faisions, et cela ne nous a mené à rien. Alors nous changeons notre méthode : nous y allons à l'instinct. Et tant pis pour les dommages collatéraux, ils n'avaient qu'à pas plonger dans ce projet en sachant les conséquences que cela entraînerait. Ils jouent. Alors qu'ils gagnent ou qu'ils perdent, ça ne dépend plus que d'eux. Et de nous. Et il faut savoir que nous sommes de redoutables adversaires.
Nous contournons le bâtiment en cherchant une porte plus discrète que celle de la porte d'entrée. Il ne faut pas que nous nous fassions repérer, nous ne sommes pas censés être là. Lorsque nous en apercevons une, je sors de mon sac l'outil magique qui me donne libre accès à n'importe quel pièce, et joue avec la serrure avant de pouvoir abaisser la poignée et ouvrir la porte. Thomas et moi tournons la tête derrière nous pour vérifier que personne ne nous a aperçu, puis nous entrons. Le couloir n'est que très peu éclairé et les murs blancs ne sont cependant pas peints, simplement laissés avec leur couleur originelle du plâtre.
Nous nous retrouvons maintenant livrés à nous-mêmes dans un endroit qui nous est totalement inconnu. Nous ne savons pas où il faut aller et réagissons au moindre son que nous entendons. Depuis notre rencontre avec Stevens dans l'usine de Fickelman, nous nous retrouvons avec une arme pour deux. Pas des plus pratiques je dois avouer, mais je ne compte pas l'utiliser. En tout cas, pas si ce n'est pas nécessaire. Comme la porte que nous avons empruntée était au même niveau que celle de l'entrée de l'entreprise, je suppose qu'il va nous falloir trouver une cage d'ascenseur ou des escaliers pour descendre au sous-sol. Comme je l'avais fait pour trouver Georges Hale. Maintenant il nous faut trouver son fils sans tomber sur les sbires de Fickelman.
J'ouvre les portes qui s'ouvrent à moi une à une histoire de trouver des marches, mais rien de tel ne s'offre à moi. Il n'y a que des salles vides ou des entrepôts dans cette partie là de l'immeuble. Plus nous avançons, et plus la lumière devient vive et la décoration des murs soignée. Je devine que nous nous rapprochons de la partie occupée du navire. Cependant, pour le faire couler, il va falloir que nous nous occupions de la base. C'est-à-dire un peu plus bas dans les compartiments.
Nous continuons à fouiller et finissons par tomber, enfin, sur un escalier en colimaçon. Je passe devant tandis que Thomas assure nos arrières. Le coin est étroit, mais nous arrivons à nous faufiler malgré ça entre les murs qui nous compressent légèrement et le plafond anormalement bas. La dernière marche marque le point d'oxygène que nous reprenons puisque dans ce sous-sol, le plafond, bien que toujours aussi bas, permet néanmoins à Thomas de se déplacer sans avoir à se baisser. Nous avions donc bien raison. L'entreprise Fickelman contient elle aussi un sous-sol qui a l'air de couvrir tout l'espace se trouvant en-dessous du bâtiment. Peut-être qu'il fait même plus que cela. Il ne nous reste plus qu'à le découvrir. Nous avançons doucement pas à pas, jetant des coups d'œil derrière nous régulièrement afin de ne pas être surpris pas une mauvaise présence, mais l'espace est tellement dense autour de nous qu'il nous faudrait tourner la tête dans toutes les directions pour vraiment faire attention. Je dirai que cela ressemble à un immense parking sous-terrain, mais sans les voitures et avec plus de tuyaux apparents. L'endroit est éclairé par quelques néons par-ci par-là mais pas assez pour ne pas laisser de coins sombres.
— Alice...
Je me retourne quand Thomas m'interpelle. Il n'a pas le visage inquiet, donc ça veut dire que tout va bien, mais il a autre chose dans le regard qui me gêne.
— Il faut que je te dise quelque chose.
Je me retourne machinalement pour vérifier que nous sommes bien seuls et me rapproche du brun en faisant les quelques pas qui nous séparaient.
— Ça ne peut pas attendre ? demandé-je simplement d'une voix posée.
Il détourne son regard du mien pour le porter sur sa gauche, puis sur sa droite, et finalement, prend ma main et m'emmène dans un de ces coins sombres. Apparemment, c'est vraiment important pour lui.
— Qu'est-ce qui se passe ? le questionné-je à nouveau.
Il me regarde dans les yeux mais ne me dit rien. Il a l'air gêné et ne semble pas trouver ses mots. La seule chose qui me vient en tête à ce moment est de le rassurer. Je ne suis pas très douée pour ça, alors je fais comme me le dicte mon instinct. Je lui prends la main ; elle est bouillante. Il baisse son regard, sûrement surpris par ce geste et le relève instantanément sur le mien.
— Tu peux tout me dire tu sais, je...
— C'est moi qui ai réparé ta moto, me coupe-t-il. La Triumph, c'est moi qui ai bossé dessus au garage.
Je lâche sa main sur le coup, et mes bras tombent d'eux-même le long de mon corps. J'ai beaucoup de mal à assimiler l'information, et à comprendre ce que ça veut dire. Pendant un instant, je reste sans voix, et j'ignore même si je ne me suis pas arrêté de respirer le temps d'une vingtaine de secondes. Mes lèvres se séparent mais aucun son ne sort de ma bouche. Je suis choquée par ce que je viens d'apprendre. S'il y a bien une chose à laquelle je ne m'attendais pas c'est celle-ci. Je me reprends peu à peu et réussis enfin à dire quelques paroles.
— Attends... quoi ? Comment ça, tu... Enfin...
Je n'arrive pas à aligner deux mots alors qu'il vient de me faire sa plus grande confidence depuis le début de notre relation.
— Ça veut dire que... C'est toi l'inconnu qui travaille au garage ?
— Pas si inconnu que ça, on devrait dire, répondit-il avec un léger sourire.
Mais je suis trop choquée par cette révélation pour lui rendre son sourire. Je n'arrive pas à y croire. Alors ces messes basses avec le gérant la première fois qu'on y est allé, puis la visite surprise la seconde fois, et les regards de Raphaël sur Thomas qui n'ont plus l'air si innocents maintenant que j'y pense.
— Mais... pourquoi est-ce que tu as fait ça ?
Il semble hésiter sur cette dernière question. Mais il finit par sourire légèrement et tourne son regard vers moi.
— Parce que. On est coéquipiers, non ?
Je ne réponds rien et me contente de le regarder dans les yeux. Il ne peut pas savoir à quel point je suis reconnaissante qu'il ait fait ça, c'est d'ailleurs ce message que je veux lui envoyer par ce simple regard et j'ignore s'il le comprend. Mais il ne peut pas non plus savoir à quel point ce mystère m'a épuisé durant plusieurs jours. Quand je pense aux films que je me suis fais, au temps que j'ai passé à démonter la moto et à me poser des questions à propos de cet inconnu, alors qu'il était juste devant mes yeux.
Un bruit se fait entendre, comme un écho, et me fait sortir de mes pensées. Nous relevons la tête en même temps vers le plafond. Il me semble que c'est de là que viennent les voix... ou les pas. Je ne sais pas trop. Les bruits ont tendance à émettre des vibrations qui se propagent dans les murs et nous font penser qu'ils viennent de quelque part alors que ce n'est pas le cas. Ils peuvent très bien provenir du même étage, d'un endroit à seulement quelques pas du nôtre. Je ne sais pas s'il vaut mieux sortir de notre cachette ou s'il nous faut sortir pour fuir et éviter ces personnes. Les deux sont risqués, et il va bien falloir que nous sortions d'ici un moment ou un autre. Je fais un pas pour sortir de l'ombre quand Thomas m'arrête en attrapant mon bras. Je tourne ma tête vers lui et le vois mettre son index devant ses lèvres. Je lui fais des signes avec mes mains comme je peux pour lui indiquer que nous devons sortir pour voir ce qui se passe ou, au pire, pour fuir avant qu'on nous voie. Il me stoppe dans mes idées d'un geste de la main et descend l'autre à ma taille, sur mon holster. Il attrape la crosse de mon pistolet avant que je ne l'arrête.
— Qu'est-ce que tu fais ? chuchoté-je.
— Je vais sortir. S'il m'arrive le moindre problème, je te préviens par le micro... Et ce sera à toi de t'occuper de retrouver Jonathan toute seule.
— Sans arme ? Et toute seule alors qu'on travaille à deux depuis le début ?
Il souffle doucement et ancre ses yeux dans les miens, les sourcils légèrement froncés.
— Alice, tu es largement capable de te débrouiller toute seule. Fais-toi confiance, tu es trop bornée pour que quelqu'un puisse te résister, ajoute-t-il avec un sourire.
J'esquisse un faible sourire pour lui répondre mais il ne reste pas très longtemps collé à mes lèvres. J'enlève ma main de celle de Thomas qui termine son mouvement et ramène l'arme à lui. Alors que je reste le dos collé au mur, le brun sort de mon champ de vision en seulement quelques secondes. J'entends ses premiers pas vers la lumière, puis plus rien. Je n'arrive pas à tenir en place. Je tape du pied sur le sol depuis environ cinq secondes alors que Thomas a disparu depuis... à peine sept secondes je dirais. Deux secondes. C'est le temps que j'ai tenu en étant calme. Je dois être hyperactive. Une petite voix dans ma tête m'implore de rester tranquille, la voix de la raison sûrement qui est toujours cachée quelque part au fin fond de mon esprit. Celle que je n'écoute jamais. C'est plus fort que moi, je ne peux pas m'en empêcher. Je râle contre moi-même et sors de ma planque, n'en pouvant plus de ce maudit plan qui m'oblige à rester sans rien faire. Je me dépêche d'avancer, pressant le pas pour retrouver Thomas, et me contente d'aller toujours tout droit sans faire attention aux autre chemins qu'il aurait pu emprunter. Il n'a pas pu aller bien loin, je lui ai laissé dix secondes à tout casser. Et, en effet, je ne tarde pas à le trouver quelques mètres plus loin, à découvert.
— Thomas !
Il se retourne et pointe immédiatement le pistolet vers ma poitrine. Bien que ce geste n'ait été qu'un réflexe, je ne peux pas cacher que j'ai eu légèrement peur pour ma vie le temps d'une seconde. Le brun, qui s'était tendu dans son mouvement, a l'air maintenant surpris, mais il souffle et rabaisse les épaules.
— Alice ? Qu'est-ce que tu fais là ? J'aurai pu te tuer !
— Tu ne l'aurais pas fait, répondis-je simplement en me rapprochant. Et puis, comment voulais-tu que je t'appelles ?
Thomas range le pistolet à sa ceinture et jette immédiatement son regard sur le mien.
— Tu ne t'en ais pas tenu à notre plan.
— Je suis bornée. Tu te rappelles ? souris-je.
Il me sourit en retour, lève les yeux au ciel, et nous continuons notre chemin en marchant.
***
Cela doit bien faire quinze bonnes minutes que nous vagabondons dans ce sous-sol, à la recherche du moindre indice qui pourrait nous aider à trouver Jonathan. Mais rien n'y fait. Contrairement à ce que nous pensions, nous n'avons croisé personne ici bas. Je ne sais pas si je dois m'en réjouir ou en être désespérée. S'il n'y a pas âme qui vive ici, alors ça veut dire que je me suis encore une fois trompée sur le lieu où se trouve notre protégé. Mais je ne peux pas y croire, c'est plus fort que moi, j'ai le sentiment qu'il se trouve là, comme si j'entendais sa voix m'appeler.
Non seulement hyperactive, mais aussi folle. La parfaite description de ma personnalité quand je recherche quelque chose depuis trop longtemps. Elle n'est pas des plus attrayantes, j'en conviens. Plutôt alarmante, même. Mais pour le moment, je préfère me soucier de l'état de santé de Jonathan que du mien. Il est clair qu'il est plus important.
J'ai l'impression que nous nous approchons du but quand les couloirs se font plus étroits, les espaces plus confinés et plus intimes, et lorsque la lumière se fait moindre. Mais je ne suis pas pour autant rassurée. Mon sixième sens m'alarme de quelque chose que je sens venir à des kilomètres. Quelque chose de très mauvais. Nous arrivons dans ce qui semble être une impasse, et quand nous nous retournons, quatre personnes nous font face. J'ail'impression qu'elles sont apparues comme ça, je ne les ai même pas entendu venir, et Thomas non plus apparemment. Inutile de préciser que ces gens n'ont pas l'air très commodes.
— Bonjour Messieurs, entamé-je alors qu'il gardait un silence de plomb, se contentant de nous regarder comme s'ils allaient nous bouffer. Je crois qu'on s'est perdu, vous pourriez nous indiquer le chemin à suivre pour se rendre à l'accueil ?
Si nous sommes bien dans une entreprise, les gens qui y travaillent ne peuvent pas être dangereux. Nous n'avons donc aucun souci à nous faire. Ils vont simplement nous virer, et il nous faudra recommencer. En tout cas, c'est ce que j'essaye de me dire pour me rassurer.
— À votre place, je ne ferai pas ça, lâche un des hommes en fixant Thomas.
Je baisse mon regard sur sa main, près de son pistolet. Finalement, il s'abstient, voyant que les trois autres gars ont aussi sortis leurs armes.
Ces derniers s'approchent de nous d'un pas menaçant et nous empoignent par les bras. Ils nous emmènent sous les directives du quatrième vers une salle que nous n'avions pas encore exploré. Elle est éclairée d'un néon blanc et quelques tuyaux en fer dépassent du plafond.
— On nous avait prévenu que nous viendriez. Mais pas que ce serait aussi facile de vous attraper, se moque ouvertement l'homme tandis que les trois autres s'occupent de nous pousser à l'intérieur de la salle.
Il sortent des menottes et nous attachent chacun de notre côté au même tuyau en hauteur, et font simplement la marche arrière vers la seule porte que semble contenir cette pièce. Ce seul échappatoire, hors de notre portée. Je leur crie de nous relâcher, mais nous sommes déjà enfermés.
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Hey ! Notre Alice et notre Thomas sont dans une mauvaise posture... Pour une fois que tout allait parfaitement bien entre eux ! Alors, que pensez-vous de la révélation de Thomas ? L'un ou l'une d'entre vous avait-il deviné ?
A bientôt !
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