50. Miss Sherlock
Nous avons passé le portail avec quelques difficultés, mais nous y sommes. Thomas a dû se baisser pour ne pas qu'on le voit à la caméra, et j'ai dû modifier ma voix légèrement juste au cas où, ce qui m'a valu un petit rire de Thomas qui jouissait de ce moment de gêne. Garée sur le parking, je le regarde fouiller dans le sac verni noir qui doit accompagner ma superbe tenue. J'ai l'impression qu'il vérifie qu'il ne manque rien, et il accompagne bientôt ses gestes de paroles :
— Je t'ai mis un spray au poivre, juste au cas où tu aurais un petit problème à régler. Ton arme est aussi à l'intérieur mais je ne pense pas que tu en auras besoin.
Je tends la main vers lui, le coupant dans son élan.
— Il vaut mieux que je l'ai sur moi, elle ne me servira vraiment à rien sinon. Et puis, vu le rôle que je dois jouer, il n'y aura aucun problème à me justifier si je dois le faire.
Thomas me tend l'arme sans me gracier d'un regard réprobateur. Je sais qu'il n'est pas d'accord avec moi, mais même si c'est son plan, c'est moi qui l'effectue, et j'ai besoin d'un minimum de contrôle sur ce qui va m'arriver. Ça ne veut pas dire que je tirerai sur le premier venu.
— C'est ta nouvelle carte d'identité, continue-t-il en me la donnant. Tu t'appelles Emma Holmes, tu as vingt-sept ans, et tu travailles pour le gouvernement depuis maintenant quatre ans. Au cas où ils te poseraient la question, tu dis que tu as entendu parler de l'affaire Hale et que le bureau pour lequel tu bosses a besoin de renseignements à propos des malfaiteurs et de Georges Hale. Comme ils n'ont rien sur les personnes qui ont envoyé ces menaces, ils vont tout de suite passer au sujet de Hale, et tu auras toutes les informations que tu voudras. Je te conseille de ne pas prendre d'entretien avec Stevens mais avec son supérieur si tu ne veux pas te faire repérer. Normalement, il devrait savoir autant de choses que lui.
— Tu n'es pas sérieux, quand même ? le questionné-je pour m'assurer que ce n'est pas une blague.
— De quoi tu parles ? demande-t-il, incompréhensif.
— Holmes ? Emma Holmes ? Tu crois que je vais passer inaperçue avec ça ?
Il sourit, apparemment fier de lui dans ce moment qui devrait paraître absolument critique.
— Je voulais faire une petite référence... Ce n'est pas souvent qu'on doit choisir un nom pour une fausse carte d'identité, surtout pour toi.
J'esquisse un sourire hypocrite. C'est vraiment trop gentil, adorable même. Mais je crois que je vais le tuer, une nouvelle fois.
— Tu aurais pu être un peu moins voyant sur la référence au moins.
— J'y ai pensé, et j'ai failli te mettre le nom du docteur parce qu'il est plus commun, mais Emma Watson était déjà utilisé malheureusement.
— Et changer de prénom ? Ça ne t'a pas traversé l'esprit ?
— Tu sais à quel point c'est galère de tout rattraper quand on a commencé à fabriquer une carte ? De toute façon, on s'en fiche, ça passera.
Je dois dire que j'étais presque rassurée jusqu'à maintenant. J'avais un petit espoir pour que ça se passe bien, mais il vient de s'envoler au moment même où Thomas a commencé à se laisser aller sur son boulot. Il faut relativiser, il y a plus grave. Je lui arrache le sac des mains, qu'il ait terminé son discours ou pas, et sors de la voiture en direction de la porte d'entrée. Celle-ci s'ouvre automatiquement et je me retrouve dans les locaux.
Je m'avance à pas décidés vers l'accueil, voulant montrer l'image d'une femme confiante et sûre de ce qu'elle fait. Sans retirer mes lunettes de soleil qui m'assurent un passage incognito, j'adresse un rapide bonjour à la femme qui nous avait fait arrêter la fois dernière et sors un porte-feuilles noir avec la fameuse carte d'identité à l'intérieur.
— Inspectrice Emma Holmes. Je viens voir John Stevens à propos d'une affaire qui concerne le gouvernement. Et je ne veux pas qu'on me fasse attendre.
La jeune femme, un peu prise au dépourvu par le franc parlé de mon personnage, balbutie un « oui, tout de suite » avant de s'activer sur son clavier. Apparemment elle connaît bien l'insigne qui apparaît sur la carte que je viens de lui montrer, et d'après Thomas, ces gens ont beaucoup d'influence sur cette agence. Tant mieux. Ça me facilitera le travail.
— Il est en salle de réunion. Douzième étage.
Je ne la remercie pas et me dirige vers les ascenseurs. Ce doit être la même salle que la fois dernière, elle ne va donc pas être compliquée à trouver. Une fois dans la cage en métal, j'appuie sur le bouton et me retourne vers le fond de la cabine. Face au miroir, j'enlève mes lunettes et observe la personne qui se trouve devant moi. Il est clair qu'elle ne me ressemble pas. Seuls mes yeux me trahissent, ces yeux bleus beaucoup trop particuliers pour être confondus avec d'autres, et encore plus mis en avant avec cette frange stricte qui me cache le haut du visage. Je remets les lunettes sur mon nez avant d'entendre la sonnerie qui m'indique l'arrêt de l'ascenseur. Mes talons sont insonores sur cette moquette bleue, mais ils n'en sont pas moins inconfortables. Je continue malgré cela mes pas, de plus en plus décidée. J'ai envie d'ouvrir ce manteau qui me donne chaud, mais je ne peux pas. Plus je serai couverte, mieux ce sera.
Enfin arrivée à la porte en verre, je toque et entre sans qu'on m'en donne la permission. Les hommes se lèvent de leur chaise et me regardent tous, surpris de cette intrusion. Ils ne devraient pas, ce n'est pas la première fois pour certains d'entre eux. Je reconnais Stevens mais fais comme si ce n'était pas le cas, et demande, regardant chaque homme de la salle :
— John Stevens ?
— C'est moi, s'avance le concerné après une petite hésitation. Et vous êtes ?
— Emma Holmes, inspectrice du gouvernement. Je dois parler à votre supérieur à propos de l'affaire n°2145.
Merci Thomas de m'avoir donné le numéro de l'enquête, parce que je ne sais pas si cela aurait été professionnel de l'appeler par le nom du protégé. Stevens se retourne vers ses collaborateurs un instant et revient vite sur ma personne.
— Nous en parlions justement. Vous pourriez nous dire de quoi il s'agit.
— Je suis désolée, M. Stevens, mais cette conversation ne doit se faire qu'entre le dirigeant de cette enquête et moi-même.
— Pourquoi est-ce que le gouvernement s'intéresse à cette affaire ? s'interroge-t-il, sceptique.
Ce qu'il m'énerve ! Toujours le besoin de tout savoir en permanence. Mais qu'il laisse faire les professionnels, il ne sait même pas s'y prendre correctement. Je garde mon ton strict et le comportement d'une personne absolument dépourvue de sentiments.
— Elle a pris une ampleur considérable qui n'est pas passée inaperçue, alors nous avons décidé de prendre en main sa direction jusqu'à ce qu'elle soit résolue. Ça n'est plus seulement de votre ressort dorénavant, sachez-le. Maintenant j'aurai besoin de m'entretenir avec votre supérieur pour que nous puissions voir les détails ensemble.
Stevens se tourne une nouvelle fois vers les hommes qui se sentent tous concernés. Ils n'ont l'air que de pions dans cette salle absolument impeccable, avec leurs costumes bleus marines ou gris pour la plupart, sans aucune touche de fantaisie si ce n'est une broche en or pour un seulement. Sûrement plus pour montrer sa richesse que son détachement des autres. Tous les mêmes. Des coupes de cheveux semblables à George W. Bush durant son mandat présidentiel, et des regards aussi inexpressifs que ceux de poissons rouges.
— Messieurs, je suis navré mais je crains que nous devions reprendre cette réunion plus tard.
À ces mots, les hommes se lèvent tous de leurs chaises et rangent leurs affaires dans leurs mallettes respectives. Puis ils sortent un par un de la salle, me regardant au passage comme si j'étais venue d'un autre monde et que je leur avais pris leur place. Ne sachant pas vraiment ce qui se passe, je me tourne vers Stevens qui a le visage sérieux, attendant d'être tranquille. Une fois la porte fermée, il m'indique la table d'un geste de la main.
— C'est moi qui dirige cette enquête, il n'y a aucun directeur qui me supervise. Alors posez-moi vos questions, j'y répondrai avec le plus de précisions possibles.
Je suis surprise et avale ma salive pour faire passer la pilule. Ça ne devait pas se passer comme ça. Tant pis, on va faire avec ce qu'on a. Je m'avance tout en gardant mon personnage confiant et m'assois sur la première chaise qu'il me tend.
— Alice, s'il y a le moindre problème, tu me fais signe et je rapplique.
La voix dans mon oreille me rassure un tant soit peu. Je sais que je ne suis pas seule s'il arrive quelque chose au moins. On pourra essayer de régler la difficulté à deux si elle se pointe. Nous avons bien fait de garder ces micros et ces oreillettes en attendant. Le travail est plus facile comme ça. Je ne réponds rien, étant face à Stevens, et commence à le questionner :
— Je n'aurai que deux questions pour vous. Ça peut paraître peu, mais il y a beaucoup de choses à en dire. Tout d'abord, qu'avez-vous trouvé sur l'affaire Jonathan Hale ?
Stevens m'explique en détails les choses que je sais déjà, en mentionnant haut et fort le travail qu'il a soit disant fourni alors que Thomas et moi nous en étions chargés, et ne fait que me répéter ce que j'ai déjà en mémoire. Mais il fallait le mettre en confiance pour qu'il me révèle le reste. Seulement une information en plus vient s'immiscer et m'interpelle.
— Nous avons découvert il y a peu que Garry Fickelman avait fermé certaines de ses entreprises parce qu'elles ne lui apportaient pas assez de bénéfices selon lui. Ces usines sont maintenant des entrepôts désaffectés qui errent, le plus souvent au milieu de nulle part. Ce serait un lieu parfait pour garder Jonathan Hale enfermé : loin de tout, personne ne peut l'entendre, il n'y a probablement aucun réseau, et c'est possible qu'il y ait même des chambres ou des coffres-forts pour y séquestrer leur otage.
— Est-ce que vous êtes allés vérifier les lieux ?
— Malheureusement, mêmes si ces entrepôts et usines ne servent plus aujourd'hui, ils appartiennent toujours à Fickelman donc nous n'avons pas l'autorisation d'y pénétrer. Nous avons envoyé une demande de mandat de recherche ce matin mais cela va prendre du temps pour obtenir l'autorisation du juge, surtout dans une affaire comme celle-ci.
— Nous, on n'a pas besoin de mandat pour y aller, lâche Thomas à l'oreillette.
Je me jette sur l'occasion pour lui en demander plus. Thomas a raison, nous ne sommes pas de la police, et je pense que nous sommes plus motivés qu'eux pour trouver Jonathan. Nous ne reculons devant rien, et surtout pas devant la loi. Un comble quand on pense qu'on est censé la faire appliquer aux autres.
— Est-ce que vous avez la liste de ces endroits ?
Stevens hoche la tête avec hésitation, probablement surpris par mon attitude soudaine alors que je gardais une position stricte et retenue depuis le début de notre conversation. Je lui demande d'aller me la chercher sans vraiment lui laisser le choix, et après quelques instants, Stevens finit par sortir de la salle vers je ne sais où à la recherche de cette fameuse liste. Une fois seule, je décroise mes jambes et me lève d'un bond, faisant attention à ce qu'il n'y ait personne pour me voir dans le couloir. Doutant du fait que personne ne traverserait, je me place dos à un mur pour être tranquille.
— Cette liste va peut-être nous permettre de retrouver Jonathan avant eux. On ne peut pas attendre qu'ils aient une autorisation, c'est trop dangereux. Imagine qu'ils le déplacent entre temps.
— C'est simple, une fois que tu l'as, tu m'envoies cette liste pour que je fasse des recherches dessus. Et après, tu t'occupes de Georges Hale.
Je jette un œil au couloir pour vérifier que Stevens ne reviennent pas et continue dans ma lancée :
— Mais pourquoi tu veux que j'aille le voir ? Ça ne sert plus à rien si on sait où se trouve Jonathan.
— On n'est pas certains qu'ils l'aient planqué là-bas, et même si c'est le cas, il doit y avoir plusieurs de ces entrepôts et le temps qu'on trouve dans lequel il est, Hale aura peut-être déjà accepté le marché de Fickelman. Le temps ne joue pas en notre faveur, et il ne nous en reste plus beaucoup avant qu'ils lancent leur demande.
Je souffle d'épuisement, mais encore une fois, il n'a pas tort. On ne peut pas avoir fait tout ça pour rien. Ne voyant toujours pas mon ancien patron à l'horizon, je réponds :
— Ça marche. Je m'occupe de Hale et je reviens.
— Fais attention à ta couverture. Et ne prends pas trop de risques inutiles avec Stevens.
Je n'ai pas le temps de lui répondre puisque la silhouette du concerné traverse dorénavant le couloir, juste devant les murs transparents qui m'en séparent.
Stevens me tend la liste des entreprises que je m'empresse d'envoyer à Thomas. Il me regarde faire mais ne dit rien. Après tout, il n'y a rien de suspect à envoyer un texto à son coéquipier pour qu'il ait les détails de l'affaire. Je n'ai pas à mentir sur ce point-là au moins. Je jette un œil à la liste qui présente les anciens entrepôts et usines, avec tous les détails qui les caractérisent à savoir leurs noms, le nombre d'employés qui y travaillaient, la superficie du bâtiment, leur dernier chiffre d'affaire et l'adresse utilisée par l'entreprise pour recevoir toutes les fournitures nécessaires à la production. Un bon paquet de choses qui nous permettront de mieux savoir à quoi on a à faire et où on peut les trouver exactement. Mais ce qui m'intéresse maintenant n'est plus d'ordre matériel. Il faut que je trouve Georges Hale.
— Bon, et bien voilà une première chose de réglée. Maintenant ce que je vais vous demander est un peu plus délicat, continué-je d'un ton supérieur. Il faut que je vois Georges Hale. Je sais qu'il a été mis sous votre responsabilité mais il faut que je l'interroge pour obtenir des informations personnelles.
— Tout ce qu'il pourra vous dire est dans son dossier.
— Je dois le voir, insisté-je.
Stevens semble quelque peu troublé mais il se lève en prenant son téléphone en mains. Je le vois aller de l'autre côté de la pièce, attendant que l'on décroche à l'autre bout du fil.
— Je croyais que c'était vous qui dirigiez cette enquête ? demandé-je sur un ton de reproche.
Je pense qu'il serait capable de le faire croire juste pour qu'on le pense supérieur à ce qu'il est. Mais il doit avoir besoin d'aide face à ma demande, et je le comprends. Quoi qu'il pourrait tout de même, en tant que chef d'équipe, savoir prendre des décisions. Stevens se tourne vers moi, hésite, et finalement raccroche pour revenir vers moi. Il me fait signe de me lever et part en direction d'un tableau blanc qu'il dirige vers le mur du fond. Il jette un coup d'œil dans un coin du plafond et je devine rapidement qu'il veut éviter des caméras. Alors le secret est vraiment bien gardé. Stevens n'a même pas confiance en son propre lieu de travail. Il m'explique tout en écrivant au feutre noir et efface à chaque nouvelle indication. Quand il a finit, je peux enfin sauter de joie dans ma tête. Je sais enfin où se trouve Georges Hale. Des appartements ont été aménagés au sein même de l'agence pour être protégés au maximum, mais leur existence n'est connue que de seulement quelques personnes qui s'occupent de près à ce genre d'affaires, dont Stevens. Maintenant que je sais comment m'y rendre, je n'ai plus qu'à faire le court mais compliqué chemin jusqu'à là-bas.
J'emprunte l'ascenseur et descends à un sous-étage qui ressemble de très près à un sous-sol. La luminosité n'est pas vraiment forte, et la pierre y est dominante est fait un contraste avec le béton qui était plus haut. Je m'avance encore en longeant d'étroits couloirs, et tourne pour me retrouver face à une porte quasi transparente, tapie dans l'ombre. Je pense que je ne l'aurai pas vu si je n'avais pas su qu'elle était là. J'entre et suis accueillie par deux molosses. Je les informe que c'est Stevens qui m'envoie et leur donne un papier avec la signature de ce dernier exposée. L'un d'eux tape un code derrière lui que je ne vois pas et ouvre la porte qui semble blindée. Je suis surprise de trouver une immense salle agencée tel un vrai appartement, lumineux par ses lumières et ses bougies, et non dépourvue de charme. Une fois la porte fermée, je souffle de soulagement et ne tarde pas à tomber sur cet homme, devant le bar de ce qui ressemble à une cuisine. En tout cas, cette pièce a tout d'une vraie cuisine.
— Georges Hale ?
L'homme se retourne, surpris de cette intrusion qui ne doit pas être dans ses habitudes, et je distingue maintenant parfaitement son visage. Il est tel que Gloria me l'avait décrit, tel que je l'avais imaginé. Il est propre sur lui, porte une chemise et un pantalon de costard bien que le lieu où il vit a plus les airs d'un bunker qu'autre chose, et ses joues sont impeccablement rasées. C'est vrai qu'il ne ressemble pas beaucoup à Jonathan. Seuls son visage est le même, et c'est cela qui me permet de voir en lui le père de Jonathan. L'homme me lance un regard interrogateur, ne sachant pas qui je suis. Me sentant à présent en sécurité quant à mon identité et ayant vérifié auprès de Stevens qu'il n'y avait aucune caméra ici, je retire mes lunettes et laisse tomber ma perruque. Il n'y a aucune raison pour que je me cache de lui. Puis j'ouvre mon trench-coat et me laisse enfin l'autorisation de respirer un peu. Georges Hale hausse les sourcils en voyant ma transformation, choqué. Je suis prête à tout expliquer mais sa parole me devance, me laissant sans voix :
— Alice ?
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