41. Tout reprendre de zéro
Nous traversons le couloir à pas pressants, moi devant cette fois, voulant quitter ce bâtiment au plus vite. Thomas se presse derrière, essayant de me rattraper.
— Je peux savoir ce qui t'as pris ?
— Il m'a énervé, répondis-je d'un ton sec, plus pour Stevens que pour Thomas.
Le brun m'arrête en tournant mon épaule vers lui. Je me retrouve face à lui, au milieu du couloir.
— Tu ne sais pas qui c'est. Il a de l'influence.
— Vraiment ? demandé-je avec un sourire moqueur. Stevens ? Qu'est-ce que tu veux qu'il fasse, qu'il me renvoie ? Je ne bosse même pas ici ! fis-je en écartant les bras. Et si tu crois qu'il portera plainte, tu te trompes.
Je reprends ma marche tandis que Thomas ne démords pas de son hypothèse. C'est dingue, ça, qu'est-ce qu'il en a à faire de toute façon ? C'est moi qui l'ai frappé, pas lui. J'arrive au niveau de l'ascenseur et appuie sur le bouton pour l'appeler. Un voyant rouge s'allume et le chiffre monte cette fois-ci.
— Il pourrait. Il y a des hommes qui peuvent témoigner en sa faveur.
— Il ne s'embêterait pas à faire un procès pour ça. Et puis il a beaucoup trop de fierté pour laisser courir le bruit qu'il s'est fait frappé par une fille.
Les portes de l'ascenseur s'ouvrent et nous entrons sans attendre. J'appuie sur le bouton du rez-de-chaussée et m'appuie le dos contre la cage d'ascenseur, comme à mon habitude. Thomas s'installe en face de moi, et me regarde quelques secondes avant de lâcher :
— En tout cas, merci.
Je hausse les sourcils et lui lance un regard interrogateur. Lui, me dire merci ? Je me demande bien ce que j'ai fait pour mériter ça.
— Stevens n'est pas ce qu'on pourrait appeler un patron cool. Alors ça faisait un moment que je rêvais de lui en mettre une. Et celle-là était particulièrement magistrale.
J'esquisse un sourire, fière de mon poing, mais aussi contente d'avoir pu être utile à d'autres. Et d'un côté, je suis contente d'avoir aidé Thomas, comme si ça avait été un travail d'équipe. Je l'ai fait pour nous deux, alors c'est encore mieux. Ce genre de travail d'équipe, j'aime. Il me rend mon sourire et les portes de l'ascenseur s'ouvrent quelques secondes après.
***
Arrivés devant mon appartement, j'envoie un regard de remerciement à Thomas pour m'avoir ramené. Je m'apprête à sortir lorsqu'il m'arrête :
— Tu penses vraiment qu'il va te recontacter après ce que tu lui as fait ?
Je m'adosse au siège et réfléchis quelques secondes, les yeux dans le vide.
— Je ne pense pas. Je n'en sais rien. Je verrai bien. De toute façon, ça ne changera rien à mes projets. Qu'il le veuille ou pas, je continuerai à enquêter sur cette affaire. Il n'est pas question que je lâche Jonathan.
Thomas me considère une minute avant de demander :
— Et tu vas faire quoi en attendant ?
— Je ne vais pas perdre de temps. Si je veux le retrouver au plus vite, il faut que je m'y mette tout de suite. Et toi, qu'est-ce que tu vas faire ?
Il prend son téléphone à la main, le déverrouille et ouvre ses messages, puis son journal d'appel, à la recherche de quelque chose qu'il n'a apparemment pas encore reçu. Je ne sais pas ce qui va se passer pour lui après la scène que nous avons faite aujourd'hui. Je ne sais pas s'il va devoir retourner au Michigan, et si c'est le cas, s'il va le faire réellement cette fois. Je ne sais pas si Stevens va le punir pour mes actes, je n'espère pas. Ce n'est pas que je le considère comme un ami, mais je ne lui souhaite pas du mal pour autant.
— Je vais attendre que Stevens me tienne au courant pour Jonathan. Et si il ne le fait pas, eh bien je me débrouillerai pour le trouver sans lui. Je n'ai pas besoin d'eux pour avoir ce que je veux.
Je hoche la tête, d'accord avec lui sur ce point-là. Puis je sors de la voiture et rejoins l'appartement, bien décidée à mettre de l'ordre dans toute cette affaire.
***
Cela fait quarante-huit heures que nous sommes passés à l'agence, et comme je le pensais, je n'ai toujours aucune nouvelle de Stevens, aucun appel de lui ou de sa secrétaire, et même aucun message. Il m'a littéralement oublié, et a royalement ignoré ma remarque. Tant pis pour lui, je travaillerai mieux seule. J'aurai seulement quelques personnes en moins pour avoir des informations qui auraient pu s'avérer utiles. Surtout que cette affaire va être beaucoup plus difficile que celle que j'avais en m'infiltrant au lycée. Stevens l'avait dit quand j'étais allée le voir avec Thomas, et je savais très bien que c'était vrai. Maintenant que Jonathan a disparu, on ne sait pas ce qui peut lui arriver, ni s'il est toujours en bonne santé, ce qui fait remonter la pression à son maximum.
En plus de ça, comme si ça ne suffisait pas, la presse s'est emparée de l'affaire pour la mettre en première page du journal. Je pense que les hommes de Stevens se chargeront des journalistes, mais pour le moment, ils ne font pas un super travail dans ce domaine. Espérons qu'ils font mieux leur job dans ce qui est de la recherche de Jonathan que pour éloigner ces vautours. Je suis tombée sur un article hier qui mettait le nom Hale en gros titre, et relatait les informations de la police. Il s'avère qu'ils n'ont pour l'instant aucun détail sur l'enlèvement de Jonathan, et que, selon leurs propres mots, ils font tout ce qui est en leur pouvoir pour le retrouver au plus vite. Il semblerait que son enlèvement soit la monnaie d'échange contre une somme importante que posséderait Georges Hale. Je suis certaine qu'il ne s'agit pas que de cela. C'est beaucoup plus compliqué que ça.
Je jette un œil environ toutes les heures au système de la PPAE, que j'ai dû de nouveau pirater et cela m'a prit beaucoup plus de temps que la première fois, évidemment, pour voir s'ils n'auraient pas du nouveau. Résultat, ils tentent de savoir où Jonathan peut être avant de comprendre pourquoi il a été enlevé, et donc qui peut l'avoir fait. Alors que c'est exactement ce qu'il ne faut pas faire. On n'a aucune chance de le retrouver si on ne sait pas qui l'a kidnappé. Et pour savoir quelle est cette personne, le mieux est de savoir la cause de sa disparition. Alors je réfléchis, étape par étape, et ce seulement depuis une dizaine d'heures puisque les premières ont servi à rassembler ce que je savais déjà et à m'occuper du serveur de l'agence. Puis il me vient une idée. Je ne crois pas avoir supprimé le numéro de Zoé, et il est possible qu'elle sache des choses qui ne sont pas mentionnées sur le dossier Hale. Je commence à taper un message, puis j'efface le texte et décide de l'appeler directement. Ce sera bien plus rapide et ça m'évitera de perdre du temps. La ligne sonne, j'attends, toujours autant en manque de patience. Puis elle finit par décrocher.
— Alice ? Comment tu vas ? En fait, non, ne me dis rien. Demande-moi seulement ce que tu veux savoir.
— Quoi ? Mais pour qui tu me prends ? demandé-je, ne sachant pas comment elle a su détecter ma question.
— On a travaillé pendant plusieurs semaines ensemble, et tu ne m'as pas appelé depuis qu'on a résolu l'affaire qui concernait Jonathan. Oh, et j'ai eu vent de ce qui s'est passé à l'agence entre Stevens et toi. Il est venu me voir pour savoir si je n'avais pas un rapport avec le fait que tu saches ces informations.
— Je...
Je ne sais pas quoi dire. Elle n'a pas tort, je l'appelle tout le temps pour avoir de l'aide. Alors ça ne m'étonne pas qu'elle le prenne un peu mal.
— T'inquiète, ça va. Je t'en veux pas, mais j'aimerais que tu me donnes des nouvelles plus souvent sur ce que tu fais.
Je hoche la tête, puis me rendant compte que je suis au téléphone et qu'elle ne peut pas me voir, je réponds :
— OK. Mais je ne comprends pas pourquoi il est venu te voir. Je lui avais dit que tu n'avais rien à voir là-dedans !
— Stevens ne croit plus que ce qu'il voit. Tu ne travailles plus avec lui je te rappelle, alors ses sources sûres ne proviennent que de lui. Mais ce n'est pas important. Dis-moi ce qu'il y a.
Je n'attends pas une seconde de plus pour lui demander :
— Est-ce que tu sais des choses en ce qui concerne la nouvelle enquête qui a été ouverte sur Jonathan et Georges Hale ?
Je l'entends souffler à l'autre bout du fil. Le silence s'installe durant quelques secondes, et j'ai même un doute sur le fait qu'elle ait raccroché, ce qui m'oblige à vérifier sur le téléphone que je suis toujours en ligne. C'est toujours le cas. Puis sa voix reparaît.
— Écoute... Je ne vais pas te mentir, après l'affaire sur laquelle nous avons bossé toutes les deux, je pensais qu'ils allaient me mettre sur le terrain. Ces connards m'ont mis en section communication. Résultat, je dois aider les autres, comme je l'ai fait avec toi, sauf que maintenant je suis derrière un bureau avec un ordinateur. La seule chose que je fais c'est guider les autres grâce à des plans électroniques, des GPS, et un casque-micro à vingt dollars. Je me croirais dans Spy, dans la peau de Melissa McCarthy, sauf que contrairement au film, je ne dois pas aider Jude Law mais plutôt une caricature de James Bond. Ce mec n'est bon à rien, il ne connaît même pas sa droite et sa gauche.
— Dis-toi que tu as plus de style que Melissa McCarthy. Mais comment il en est arrivé là, ce type ?
— Il est très bon tireur, malheureusement. Ça compense son manque de cervelle. Alors tu connais ce film ?
— Et si on revenait à notre sujet principal ? proposé-je, plus intéressée par sa réponse que par ma culture cinématographique. Tu veux dire que tu ne sais rien sur cette affaire ?
— Ce que je veux surtout dire, reprend Zoé, c'est que je n'ai plus rien à voir avec cette affaire. Si elle a été reprise ou s'il s'est passé quoi que ce soit, personne ne m'en a averti parce que je ne bosse plus dessus.
Moi qui pensais qu'elle aurait pu m'aider, je me suis lourdement plantée. Je passe une main sur mon front, en manque d'idée pour faire avancer cette enquête au plus vite. Puis je remercie Zoé et lui promets de la rappeler sans vraiment penser au fait que je tienne cette promesse. C'est plus fort que moi, je n'arrive pas à m'attacher aussi facilement à une personne. Mais je sais qu'avec tout le boulot qu'elle a, elle ne pensera plus à moi pendant un moment. Elle n'est pas du genre sentimental non plus. Lorsque je raccroche le téléphone, j'ai l'impression d'être encore plus perdue que tout à l'heure. Stevens reprend une mission sans se soucier des conséquences que pourront provoquer ses façons de faire, Thomas cherche de son côté des choses qu'il ignore encore, Zoé a un boulot qui est pire qu'avant sa soit disant promotion, et moi je me soucie beaucoup trop de ceux dont je ne devrais même pas penser. Ma vie doit reprendre comme avant, sauf que maintenant ce n'est pas un criminel que je traque, c'est une victime. Et pour le trouver, il faut que je fasse des recherches sur lui. Et il n'y a qu'une seule personne qui puisse m'aider assez bien pour pouvoir connaître tous les détails de sa vie. Il faut que je trouve Georges Hale.
J'ai démarré au quart de tour et j'ai failli écraser au moins deux piétons qui traversaient sur les passages cloutés, mais j'y suis arrivée en à peine quelques minutes. Devant cette grande maison qui, il y a quelques semaines, servait de lieu à une immense fête, et il y a seulement plusieurs jours, abritait un adolescent qui vivait là tranquillement, sans faire de mal à personne. Je m'avance sur le chemin menant à le porte d'entrée et toque trois fois à la porte. Georges Hale est souvent pris par le travail et doit être en surveillance constante en ce moment, alors je doute qu'il soit là, mais je n'ai pas d'autre choix que d'espérer le contraire.
J'entends quelqu'un derrière la porte, puis le bruit de plusieurs verrous qui s'actionnent. J'ignore si la porte est en train de se fermer ou de s'ouvrir, et j'en ai la réponse quelques secondes plus tard. C'est Gloria qui m'accueille. Elle a une mine déconfite, des yeux bouffis, les cheveux en pétard même si un minimum coiffés pour paraître un tant soit peu professionnelle, et son tablier, d'habitude impeccablement porté, est froissé et tâché de nombreuses traces de différentes couleurs. Elle tente de reprendre un visage normal en me voyant et passe ses mains sur sa jupe pour rester présentable.
— Bonjour, dis-je calmement, voyant bien qu'elle est anéantie.
— Bonjour Mademoiselle Alice. Je suis désolée de vous apprendre que Jonathan n'est pas là.
— Je sais, la coupé-je gentiment, comprenant bien qu'elle avait du mal à expliquer les circonstances de son absence. Je suis au courant de ce qui est arrivé. En fait, je venais pour voir si M. Hale était ici.
Gloria se décale sur le côté et m'invite à entrer, refermant la porte derrière moi. Elle m'accompagne ensuite vers le salon et me tend une chaise. Je m'assois alors qu'elle me propose quelques chose à boire que je refuse poliment. Elle s'assoit à son tour face à moi, ne tentant plus de cacher son visage inquiet.
— M. Hale n'est pas chez lui en ce moment. Vous devez savoir qu'après ce qui est arrivé à Jonathan, il n'a pu rester pour sa propre sécurité. Il m'a permis tout de même de continuer à habiter ici. Alors je m'occupe d'entretenir la maison.
— Madame...
— Gloria, me coupe-t-elle. Appelez-moi Gloria s'il vous plaît.
J'hésite quelques secondes et rattrape ma phrase :
— Gloria... Il faut que vous me disiez où je peux trouver M. Hale. C'est très important pour moi.
Je la vois froncer les sourcils, ne comprenant pas vraiment mes intentions. Je souffle légèrement et décide donc de lui avouer qui je suis. Après tout, là où j'en suis, je n'ai plus rien à perdre. Je n'ai plus d'identité à cacher.
— Il faut que je vous dise que je ne suis pas celle que vous croyez. J'ai travaillé pour une agence secrète qui s'occupait de la sécurité de Jonathan jusqu'à aujourd'hui. Je suis chasseuse de primes, et ma mission était de trouver qui pouvait faire du mal à Jonathan. Je pensais qu'elle était terminé quand j'ai arrêté l'homme qu'il fallait que j'arrête, mais il s'avère que ça a été plus compliqué que ça. Maintenant je suis à la recherche de Jonathan et je ferai tout ce que je pourrai pour le retrouver.
Gloria regarde ses mains qui ne cessent de trembler, les larmes aux yeux. Elle ose à peine me regarder dans les yeux, et je sens qu'elle est sur le point de craquer. Ses lèvres tremblent à leur tour, et Gloria passe une main sous ses yeux pour essuyer des larmes furtives. Je n'ai pas besoin de lui poser la question pour savoir qu'elle s'inquiète plus que tout pour Jonathan. Elle est terrifiée à l'idée qu'il lui arrive quelque chose.
— Vous ne pourrez pas le trouver, Mademoiselle Alice. Moi-même, je ne sais pas où il a été transféré. Et j'ignore quand est-ce qu'il rentrera à la maison. Mais moi, je peux peut-être vous aider à sa place. Je connais cette petite famille comme si c'était la mienne.
— Alors je vous écoute. Dites-moi tout ce que vous savez.
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