37. Menottes aux poignets
L'ambiance est conviviale au restaurant, dans ce petit paradis. C'est comme ça que nous l'appelons avec Matthias. Parce que dès que nous traversons la porte, nous sommes comme transportés dans un monde parallèle, semblable au nôtre, mais encore plus beau et plus accueillant. Nous sommes attablés tous les quatre à notre place habituelle : celle contre le mur, au milieu des autres. Parce que nous pouvons voir les gens tout autour de nous, ces gens qui ont choisi ce restaurant non pas parce qu'il est chic, ni parce que les repas sont servis aussi vite qu'un fast-food, parce que ce n'est pas le cas. Mais parce que la cuisine y est bonne, pas gastronomique, mais faite comme une mère la cuisinerait pour sa famille. Pleine d'amour, et ça se sent. Parce que les gens sourient quand il sont ici, ils ne travaillent jamais de leur côté, ils rigolent, ils discutent, ils échangent parfois des discours amoureux. Nous nous installons ici car nous pouvons sentir que nous faisons parti de leur monde. Et rien que pour cela notre repas est déjà plus qu'apprécié.
Matthias a commandé un burger avec une double dose de steak haché, chose qu'il ne réussi jamais à manger puisqu'il fait deux fois la grandeur de sa bouche, mais c'est son repas chaque fois que nous venons, sa petite habitude. Comme je m'en doutais, lorsqu'il essaye de mettre son hamburger dans sa bouche, la moitié de la sauce s'étale sur son visage, et l'autre moitié sort avec son steak de l'autre côté du burger. Sa tête est absolument géniale, mon père, ma mère et moi ne pouvons pas nous empêcher d'éclater de rire devant sa bouille d'ange transformée. Et Matthias nous accompagne en gardant toutefois la bouche fermée, évitant de nous montrer ce qu'elle contient. Je ne peux m'empêcher de prendre une photo pour immortaliser ce moment. J'adore photographier tous les petits moments de la vie comme ceux-là. J'aime le fait de garder une trace du passé, pour ne pas oublier, pour revivre ces instants en continuant à en rire. Puis à chaque fin de pellicule, je les développe, puis j'en fais un album photo pour que nous puissions les regarder en famille.
Une fois la photo prise, je pose l'appareil à côté de moi, histoire de toujours l'avoir si un moment est à immortaliser, et je me reconcentre sur mon assiette. Je n'ai pris qu'un simple hamburger, mais avec une double ration de frites. Les frites de Granny sont les meilleures au monde. Elles sont croustillantes comme il faut, puis tendres en bouche, et dorées à la perfection. Mon père et ma mère, côte à côte, s'échangent souvent des paroles que je n'entends pas puisque je parle avec Matthias, mais ils ont le sourire aux lèvres et ça me suffit. Les voir heureux me suffit, et leurs visages montrent qu'ils le sont, ils ne peuvent pas le cacher. Les cheveux de ma mère sont d'un blond éclatant, et brillent presque autant que ceux qu'on voit dans les publicités à la télé. Son teint est rosé, et ses yeux s'illuminent comme jamais. Le sourire de mon père ne le quitte pas, et des fossettes accentuent cette impression de bonheur. C'est d'ailleurs bien plus qu'une impression. Matthias a reçu les cheveux blés de ma mère et les fossettes de mon père, ce qui en fait pour moi un petit garçon parfaitement adorable. Quant à moi, j'ai reçu les cheveux chocolat de mon paternel, et aucun trait n'apparaît sur mes joues lorsque je souris.
Le meilleur moment du repas reste tout de même le dessert. C'est simple, il n'y en a qu'un seul que nous prenons tous, à chaque fois que nous venons. C'est la tarte tatin de Granny. Elle est... plus que délicieuse, elle est exceptionnelle. Autant que l'est ce restaurant. Je dirais même que c'est sa marque de fabrique. Alors quand Granny amène les assiettes pour nous les servir, tous les regards se ruent vers les parts de gâteaux qui font littéralement saliver. Un fois les assiettes posées sur la table, Granny nous souhaite un bon appétit et repart pour s'occuper d'autres clients. Je prends ma cuillère, prête à attaquer le dessert, quand Matthias m'arrête en plein mouvement.
— Attends ! Tu as oublié la prière avant !
C'est vrai ! Matthias prend tellement ce dessert au sérieux qu'il a inventé une prière bien à lui pour rendre correctement hommage à cette tarte. Alors je prends la main droite de mon frère à côté, la main gauche de mon père en face, et ma mère et Matthias ferment la boucle.
— Merci Grand Seigneur des gâteaux pour cette délicieuse tarte tatin, qui nous a été cuisinée pendant presque une heure par Granny et qui va être mangée en deux secondes par Maman, Papa, Alice et moi. Que tu sois serti d'autant de sucre que tu voudras, et que tes sujets soient aussi gavés de gâteaux de toutes les couleurs, et surtout au chocolat.
Je pouffe légèrement en l'entendant dire ses paroles, puis nous lâchons nos mains pour déguster cette excellente fin de repas. Alors que Matthias veut se servir une cuillère de chantilly qui surplombe la tarte, il fait un mauvais geste qui se définit pas une sorte de catapulte. La mousse blanche qu'elle contenait atterrit directement sur le nez de mon père qui ferme les yeux par réflexe. Mon frère ouvre des yeux ronds, mais il n'ose rien dire. Jusqu'à ce que j'éclate de rire. Mon père vient passer sa main sur son visage pour enlever la crème, puis il tourne son regard vers moi et me fais un clin d'œil. Je comprends tout de suite ce qu'il me dit, et sans perdre une seconde, je plonge ma main dans la crème chantilly qui se trouve dans mon assiette et l'étale sur le visage de mon petit frère. Surpris, il ne dit rien encore une fois alors mes parents et moi éclatons de rire. La bouche de Matthias finit par s'ouvrir sur un rire enjôleur, et, toujours les yeux fermés, il passe sa langue sur ses lèvres pour ne rien gâcher. Je lui passe des serviettes, l'ayant légèrement aveuglé, et je m'essuie moi-même les mains.
Matthias se nettoie correctement, puis, après avoir retrouvé un visage à peu près normal et s'être remis de ses émotions, il tourne la tête vers moi et me demande :
— Qu'est-ce qu'on va faire quand on aura terminé ?
— Comment ça ? demandé-je, ne comprenant pas de quoi il parle.
— Ta mission. Qu'est-ce que tu feras quand tu auras arrêté le méchant ?
Je fronce les sourcils. Ma vision devient floue, et j'entends mon téléphone sonner sur la table. Je jette un œil pour voir qui m'appelle, et m'empare du portable.
***
Mes yeux s'ouvrent lentement, et cette affreuse sonnerie continue de sonner. Il me faut un moment pour pouvoir différencier mon rêve de la réalité. Un rêve que je ne connais que trop bien. Un vieux souvenir ancré dans ma mémoire, et qui m'avait apparemment marqué plus que je ne le pensais. Je tends mon bras vers la table de chevet et éteins la sonnerie qui commence à me percer les tympans. Si la nuit a été belle et pleine de souvenirs, le réveil est tout au contraire douloureux, et le retour à la réalité a du mal à se faire. Je me demande pourquoi est-ce que j'ai rêvé de cela maintenant. Peut-être est-ce dû au fait que je sois allée manger chez Granny's vendredi soir.
Je me lève avec difficulté du lit, puis je me dis que, de toute façon, c'est mon dernier jour en tant qu'espionne au lycée. Cette idée me fait drôle. Plus que je le pensais. J'ai l'impression que c'était hier que j'ai failli tirer une balle sur Thomas dans ce hangar, et que c'était il n'y a pas plus longtemps que j'ai aperçu Stevens pour la première fois, derrière le bureau du commissariat.
Une fois prête, je passe à la cuisine pour me préparer un grande tasse de café et je vois qu'il me reste un peu de temps pour aller vérifier ma boîte mail, alors c'est ce que je fait. Je passe vite sur tout ce qui est courriers de publicités et supprime directement les quelques spams qui se sont incrustés, puis je finis par tomber sur un mail de Zoé. Je l'ouvre vite, vérifiant l'heure d'un coup d'œil pour ne pas partir en retard. Elle me prévient que Stevens est au courant pour les instructions que je lui ai fait passé, et qu'il n'attend plus que mon feu vert. Et tant mieux, parce qu'il ne va pas tarder à arriver. J'éteins vite l'ordinateur ,attrape ma veste, mon casque et mes clefs, puis je pars pour le lycée.
***
Arrivée à destination, je m'arrête quelques mètres avant et avance discrètement vers la camionnette. Comme à mon habitude, je toque trois fois et laisse Zoé ouvrir la porte de derrière. Je n'attends pas une minute pour entrer et salue d'un signe les trois agents avant de m'asseoir sur la tabouret pour être sûre que les détails soient bien assimilés, et que je n'ai rien oublié de mentionner. Je lui ré-expose le plan, qui n'est pas forcément compliqué à comprendre.
— Après ça, je t'enverrai un signal que tu renverras à Stevens pour qu'il envoie ses hommes sur le terrain. Il ne faut pas qu'ils soient trop nombreux. C'est un lycée, pas une salle de spectacle, il ne faut surtout pas que les élèves soient au courant de ce qui s'y passe. Quand ce sera fait, il faudra que tu m'indique le chemin le plus sûr pour sortir du lycée sans me faire remarquer. Et s'il m'arrive le moindre problème...
— J'appelle Stevens pour qu'il vienne te chercher, me coupe-t-elle.
— Non. S'il m'arrive le moindre problème, je ne veux surtout pas que Stevens intervienne. Ni lui, ni personne d'autre, ça pourrait tout faire foirer. Je serai avec Thomas de toute façon, donc il n'y aucune raison que ça se passe mal à deux contre un.
— Tu me connais, je suis franche. Et je peux te dire que la façon dont tu veux fonctionner est loin d'être la meilleure. Il faut que tu nous laisse t'aider cette fois. Il ne s'agit plus d'espionner quelqu'un ou de surveiller un adolescent, c'est d'arrêter un criminel dont il est question, là. Il n'est plus question de toi, de ta mission, mais de la vie des Hale qui est en jeu encore plus qu'avant. Si vous foirez, vous n'aurez pas de seconde chance, et nous non plus.
— Je sais. Mais on ne va pas foirer. Tu m'as fais confiance jusque là, alors continue sur ta lancée. Maintenant il faut que je sois certaine de pouvoir te faire confiance. C'est toi qui appuiera sur le bouton de départ, pas moi.
Zoé souffle bruyamment et s'accoude sur la fine table qui sert de socle aux machines.
— Écoute, Zoé n'a pas tort, intervient Derek alors que je ne l'avais jamais entendu parler en dehors du micro. Je n'ai pas envie de perdre mon job sur cette affaire alors que je suis censé faire mes preuves.
Zoé tourne sa tête vers Derek pour le remercier et soutenir son opinion. Je lève les yeux au ciel, et finalement, je propose quelque chose qui, j'espère, mettra tout le monde d'accord.
— OK, j'ai compris. Alors voilà ce que je vous propose : si je suis en danger de mort, que j'ai une arme sur la tempe et que Thomas est assommé et ne bouge plus, je vous appelle. Ça vous va ?
Zoé hoche la tête après quelques secondes de réflexion. Je me dépêche donc de sortir pour rejoindre le lycée en moto.
Je marche maintenant vers l'entrée quand je sens une ombre derrière moi que je laisse venir.
— Est-ce que tu es prête ?
— Je ne peux pas l'être plus que ça. On se rejoint en classe ? demandé-je tout en continuant d'avancer.
— Ça marche.
Je continue mon avancée vers la porte du lycée et rejoins Jonathan dans le couloir, devant la salle, tandis que Thomas est parti de son côté. La sonnerie retentit en nous entrons en classe. Alors que tous les autres élèves se placent, Jonathan me questionne :
— Où il est Thomas ?
Je ne réponds pas et reste fixée sur l'horloge murale. Jonathan finit par s'asseoir tandis que le professeur commence à faire l'appel. Tous les noms y passent, dont Peterson.
— Savez-vous où est passé M. Peterson ? nous demande M. Monroe.
— Il arrive, réponds-je vite, je l'ai vu tout à l'heure.
En effet, Thomas arrive au moment même où le professeur allait le noter absent. Il s'excuse et va directement se mettre à sa place, à ma gauche. M. Monroe continue son cours et commence par une étude du bouquin que nous devions lire. Mais je ne suis pas du tout concentrée sur ce qu'il nous dit. J'attends sans le montrer que Thomas me fasse un signe. Il fait tomber son stylo de la table et je me penche vite pour le ramasser en essayant de rester discrète. Je sors le bout de papier placé dans le bouchon et le lis attentivement, jetant des coups d'œil au professeur pour ne pas me faire choper. Il a réussi, et tout s'est passé comme il fallait.Première bonne nouvelle. Il nous reste encore quatre-vingts pour cent du plan à achever.
***
Pour la première fois depuis que je suis inscrite au lycée, la journée passe affreusement lentement. J'attends sans patience la bonne heure pour passer à la suite. Et cette heure est très proche. Il ne reste plus que quelques minutes de pause et nous pourrons entrer en cours de technologie. Je reste en attendant avec le groupe de garçons, entendant la conversation sans l'écouter, sans cesse fixée sur mon objectif. Puis le début des cours se fait entendre par la sonnerie s'échappant des hauts parleurs. Je jette un regard sérieux à Thomas, qu'il me rend, et nous montons en cours.
Assise sur le tabouret, je n'attends qu'une seule chose, que le temps s'accélère un peu. Nous devons commencer les finitions du gadget, mais sans ce dernier, ça va être compliqué. Je prie pour que ce qu'à fait Thomas ait vraiment fonctionné. Cinq, quatre, trois, deux, un. Le bruit de l'alarme incendie se fait entendre, et les élèves commencent à se lever, légèrement paniqués. Forcément, puisque celle-ci n'était pas du tout prévu. « M. Field » essaye de les rassurer et de ramener le calme dans la classe, et commence à ranger ses affaires pendant que les garçons sortent dans le couloir. Un brouhaha se fait entendre dehors, et il ne reste plus que l'espion, Thomas et moi dans la salle. « M. Field » ordonne à la classe de sortir dans la cour, et leur assure qu'il arrive. Malheureusement pour lui, j'ai bien peur que ce ne soit pas pour maintenant.
Thomas verrouille la porte de l'intérieur, ce qui surprend l'homme et l'arrête dans ses gestes. Je me place face à lui, de l'autre côté de son bureau, tandis que Thomas reste à sa gauche, le bloquant pour accéder à la porte, afin qu'il ne s'enfuit pas. Le fait de le perdre ne nous aidera pas. Je vais chercher mon sac et Thomas garde un œil sur Wood Van Del. Quand je reviens vers eux, je lance en sortant le carnet du sac :
— On sait qui vous êtes, pour qui vous travaillez, et ce que vous nous avez fait faire. Alors maintenant il ne vous reste plus qu'à tout avouer.
— Vous êtes sûre que vous vous sentez bien, Mlle Menson ?
— Arrêtez de jouer avec mes nerfs parce que votre jeu ne va pas durer longtemps.
Je balance le carnet sur son bureau et il s'empresse de le récupérer, le serrant contre lui comme un bijou précieux.
— Vous pouvez le garder, j'en ai fait des photocopies.
— Vous n'avez aucune preuve que c'est moi qui l'ai écrit.
— Oh mais bien sûr que si, souris-je. Il suffira de comparer l'écriture aux corrections que vous avez fait sur les tests de début d'année. Je suis certaine qu'elles correspondent.
Il ne dit rien. Je pense qu'il sait qu'il est foutu. Mais sa culpabilité ne m'intéresse pas. Je cherche à faire tomber Fickelman, et j'y arriverai.
— Dites-nous pourquoi vous travaillez pour Garry Fickelman. Il vous a promis une promotion au sein de son entreprise ? La promesse qu'il gardera un secret pour lui ?
Il ne dit toujours rien, et Thomas, agacé, intervient en tapant les mains sur le bureau.
— On vous a posé une question !
— Je ne sais pas de quoi vous parlez. Je ne sais pas qui est ce Garry Fickelman, et je n'ai aucun secret à cacher.
Je commence réellement à m'impatienter, et lorsque je m'impatiente, ce n'est jamais bon pour la personne qui est en face. Mais je savais pertinemment qu'il n'allait pas tout lâcher comme ça, alors je sors ma meilleure carte.
— Vous savez quoi, on va faire un marché. Nous savons dans quelle galère vous êtes, M. Wood Van Del, dis-je en insistant sur son nom. Alors, voilà : vous nous dites tout ce que vous savez et vous nous donnez des indices suffisamment poignants pour arrêter Fickelman, ou alors on vous arrête pour possession de faux papiers et complicité dans un complot à échelle politique. À vous de choisir.
L'homme pèse le pour et le contre intérieurement et décide de tout avouer. Les gadgets que nous fabriquions étaient bels et bien destinés à l'entreprise de Fickelman et auraient servi s'ils en avaient eu les moyens à espionner les entreprises de Hale et à voler leurs idées pour qu'ils fassent faillite. Je n'ai pas l'impression que ce soit tout, mais il n'a pas l'air d'être au courant de plus et cela nous suffit pour arrêter Fickelman.
Thomas sors des menottes de sa poche de veste et demande à Wood Van Del de se tourner.
— Attendez ! Vous m'aviez dit que je ne risquais rien en vous disant la vérité.
— Non, rectifie Thomas. On ne vous arrête ni pour vos faux papiers, ni pour complicité, mais pour travaux effectués par des mineurs à leur insu. Monsieur Wood Van Del, je vous arrête. Vous avez le droit de garder le silence. Tout ce que vous direz pourra...
Je n'écoute plus et envoie en message à Zoé. Nous n'avons plus qu'à attendre et nous pourrons sortir sans se faire remarquer grâce à l'alarme. L'espion est arrêté, et ma mission est terminée.
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Tadaaaaa ! Et voilà un espion dans la poche ! Mais comme vous devez vous en douter, l'histoire n'est pas encore terminée ! Que va-t-il se passer ? Vous le découvrirez bien assez tôt...
J'espère que ce chapitre vous a plu, et on se dit à bientôt !
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