36. Mettre fin à tout ça

Cela fait un moment que j'ai ouvert le carnet de M. Field. Et ce que j'y ai découvert est plus qu'intéressant. Premièrement, M. Field est bel et bien devenu le suspect numéro un dans l'enquête. Autrement, il n'y aurait pas toutes ces choses marquées dans ce carnet. Et je comprends maintenant pourquoi il y tient tant. Tous les plans pour la mission ennemie, les recherches, les indices, les hypothèses, les réponses exactes ou fausses, sont inscrites noir sur blanc. Le « professeur » n'est plus qu'un simple suspect, il est même devenu le coupable. Celui que je recherche depuis que je suis infiltrée au lycée. Je n'ai pas encore cherché d'informations sur sa vraie identité, alors pour le moment il reste M. Field, le professeur de technologie appliquée. Je me penche surtout sur ce cahier de notes qui en révèle beaucoup sur les manières de faire de notre ennemi.

Les premières pages était de fausses pages pour faire croire à un bloc-notes simple, tout à fait lambda, afin de ne pas éveiller les soupçons, bien qu'il l'ait toujours eu sur lui. Mais la quatrième ou cinquième page en dit un peu plus. Il a fait la liste de tous ses élèves. Une liste qui s'étend à un peu plus d'une soixantaine d'étudiants. Alors qu'on aurait pu prendre cette longue liste pour une sorte de carnet d'appel, de nombreux noms barrés nous montrent que ce n'en est pas un. Parmi eux, toutes les personnes qui ne font pas partie de notre classe de Terminale. Je suppose qu'il a toujours su qu'il avait un ennemi au lycée. Cependant il n'a jamais trouvé lequel d'entre nous pouvait l'être. Je figure tout en bas de cette liste, arrivée en dernière. Thomas, quant à lui, est le premier nom qui y figure, puis il y a ceux de Hugo, Owen, et Danny dans cette ordre. Celui de Genny, en troisième position, a été rayé, sûrement du fait qu'elle soit partie. Je pense qu'il a mis tous ces noms dans un ordre bien précis, à savoir les personnes qui sont proches de Jonathan en première. La date en haut de la page indique, si elle correspond au jour de son arrivée, qu'il est apparu au lycée une semaine avant moi. Mais je ne suis pas certaine de cette précision étant donné que Thomas me l'aurait dit si ça avait été le cas. Certains noms sont entourés, dont celui de Thomas. Le mien est souligné deux fois. Je ne sais pas à quoi correspondent tous ces traits, il n'y aucune légende. Ce serait bien trop facile. Mais j'imagine que nous étions sous l'œil observateur de Field.

Sur les autres pages, il y des plans, des adresses, des langages codés que je serai incapable de lire sans me pencher correctement dessus, ainsi que des listes de choses à faire. Seulement, tout ça ne m'apporte absolument rien. J'ignore ce que représentent les dessins de plans qu'à fait cet homme, je ne sais où mènent ces adresses, je n'arrive pas à lire des mots à partir de chiffres, et les listes de choses à faire sont dans une écriture illisible. Ce n'est peut-être même pas de notre langue. Le carnet n'est pas entièrement rempli, il reste une vingtaine de pages blanches qu'il n'aurait pas tardé à griffonner.

Le carnet fermé, et en attente que mon ordinateur s'allume pour pouvoir approfondir mes recherches, je regarde mon téléphone avec hésitation. J'ignore si je dois envoyer un message à Thomas sur ce que j'ai découvert. À sa place, j'aurai évidemment voulu savoir. Et c'est bien normal. Je lui aurais sans doute tout dit s'il n'y avait pas eu l'épisode du « Je te déteste, et moi je te méprise », mais c'est le cas. Je n'ai cessé de recevoir des messages de sa part depuis que je suis rentrée, et je n'en ai ouvert aucun. Je suppose qu'il veut savoir pour le carnet. Il doit se dire qu'il ne veut pas me parler, mais sa curiosité doit l'emporter sur son entêtement.

Finalement, le son de l'ordinateur qui vient de s'allumer me tire de ma réflexion, et je m'installe vite sur le bureau. Je commence par chercher un site dans le genre de l'annuaire inversé, afin de trouver à qui appartiennent toutes ces adresses. Mais à court de temps et de patience, je finis par me diriger vers le site de la PPAE. S'il y a bien un programme qui doit posséder toutes les adresses du pays, c'est celui-là. Je pirate l'accès comme je l'avais fait la première fois, et me voilà de nouveau dans l'antre du patron. Je crois que c'est interdit de faire ce que je suis en train de faire, mais je n'ai aucune envie de me casser la tête avec les lois pour le moment, je ne m'en suis même jamais préoccupé à vrai dire. Ce qui m'importe, c'est de mettre fin à toute cette histoire.

***

Écoute, je n'ai aucune envie de rester là jusqu'à vingt heures. Alors dis-moi avec qui, et pour qui tu bosses,e t ce sera terminé pour de bon. On te relâchera.

Je ne suis pas tombée sur le même gars que la dernière fois. Heureusement ! Celui-ci est moins prétentieux, mais ils sont toujours aussi naïfs. S'ils pensent que je vais leur dire ce qu'ils veulent entendre juste parce qu'ils me font leur petit numéro de pitié, ils se mettent le doigt dans l'œil. La vie n'est pas aussi facile. Il le saura le jour où il se retrouvera dans la même position que moi.

Alice, c'est ça ? Je n'ai pas envie de m'éterniser, je veux simplement mettre fin à toute cette histoire.

Ils n'ont rien sur moi. Ils ne m'ont pas pris en flagrant délit, et j'ignore même comment ils m'ont retrouvé. La seule chose que j'avais c'était un sac et quelques affaires à l'intérieur. Rien ne prouve que j'ai fait quelque chose de mal, et ils le savent. Ce qu'ils veulent c'est faire tomber quelqu'un. Alors je souris, et dis simplement :

Qui vous dit que je travaille pour quelqu'un ?

Le flic souffle de lassitude. Il n'a pas le droit de me garder là pour la nuit, il le sait, je suis mineure. Alors il se lève. Je lui tends mes poignets attachés, et il retire les menottes, me laissant partir, mais gardant tout de même précieusement mon sac noir.

***

Je tape la première adresse écrite sur les pages, et je laisse à la page internet le temps de charger. Quelques secondes plus tard, j'ai le nom de la personne concernée. Je me disais bien qu'elle ne m'était pas inconnue. En effet, c'est celle de Jonathan. Et le fait qu'il l'ait retenue, même si cela ne me surprend pas, me fait très peur. Après avoir marqué cela sur mon calepin personnel, je commence à taper la seconde adresse, quand quelqu'un vient toquer à la porte. Vu tout ce que Field a trouvé sur nous, je redoute que ce soit lui, et qu'il vienne me rendre des comptes. Si c'est le cas, il sera plus rapide à attraper ; si ça ne l'est pas, j'ignore qui peut se cacher sur le paillasson.

J'attrape mon arme dans mon sac, juste au cas où, et j'ouvre la porte sans pouvoir vérifier l'identité de la personne de l'autre côté. J'ai à peine aperçu le visage de l'inconnu que je referme déjà la porte sur son nez, sans chercher à comprendre plus loin. Je retourne dans le salon en faisant les cent pas, les yeux  fermés. Pourquoi est-ce qu'il est là ? Je ne m'attendais surtoutpas à lui ! J'aurais mieux fait de trouver un moyen pour regarder avant d'ouvrir, ça m'aurait au moins permis de faire la morte, bien qu'il n'y aurait sûrement pas cru.

— C'est très mature, ça ! Bravo ! lance-t-il à travers la porte.

Je balance mon arme sur la table avant de serrer les poings et de croiser les bras, ne sachant pas quoi faire. Il est capable de rester là longtemps. Je m'installe alors de nouveau devant mon ordinateur et continue de taper l'adresse.

— Alice, c'est pas la peine de nier que tu es là. Ce n'est pas un coup de vent qui a ouvert la porte.

Je soupire, sachant que je n'arriverai pas à me concentrer s'il continue à parler.

— Qu'est-ce que tu veux, Peterson ?

Je ne souhaite qu'une chose, c'est qu'il s'en aille. Alors il n'a qu'à demander sa requête, je la refuserai, et ce sera terminé.

— Tu sais ce que je veux. Tu l'as sûrement à côté de toi en ce moment. Je veux savoir ce qu'il y a à l'intérieur.

Je regarde le carnet avant de répondre, essayant d'être la plus convaincante possible :

— Lundi, l'espion sera arrêté par la PPAE. Je m'en charge, c'est mon boulot. Toi, tu devrais plutôt t'occuper de Jonathan pendant qu'il en a encore besoin. Et maintenant dégage, j'ai besoin de concentration...

— C'est bon, je m'excuse, me coupe-t-il. Je suis désolé... C'est ce que tu voulais ?

Je tourne ma tête vers la porte, étonnée de son comportement. Son ton n'est pas désagréable, et il a dit cela d'une façon qui lui déplaisait, comme si cela avait été dur pour lui de l'avouer. J'ignore s'il a fait ça pour que je le laisse entrer, mais il a eu l'air sincère. Et, pour une fois, je veux bien lui laisser le bénéfice du doute. Parce qu'il s'est excusé. Deux fois, qui plus est. Je me lève pour me diriger vers la porte d'entrée, et m'arrête juste devant. Je veux être absolument sûre de mon choix, même s'il est minime. Ce sont souvent les plus petits choix quiprennent le plus de temps à être décidés. Finalement, je pose ma main sur la poignée, et je l'abaisse pour ouvrir le seul mur qui me séparait de Thomas. Je dois lever la tête pour le regarder dans les yeux, et après un moment de silence devenant légèrement lourd, je lâche :

— Excuses acceptées.

Ce sont les dernières heures que je vais passer avec lui, alors même si ça m'ait complètement égal, autant que ça se passe bien, et que nous trouvions des preuves deux fois plus vite. Après tout ça, je ne le croiserai certainement plus jamais. Alors oui, je l'ai laissé entrer, et nous nous sommes installés comme à notre habitude, sur le canapé. Je lui ai expliqué en détails tout ce que j'avais déjà trouvé, mes hypothèses, et les faits. Puis nous avons continué ce que j'avais commencé.

D'abord par la recherche des adresses que je n'avait pas eu le temps de taper, puis nous avons enchaîné. J'ai aidé Thomas à pirater le compte de la PPAE sur l'ordinateur qu'il avait, comme par hasard, amené avec lui, et il s'est occupé de faire des recherches sur le professeur Field pendant que je faisais tout autre chose de mon côté. Même si je savais bien que les agents de la PPAE s'étaient déjà chargés d'en faire quand j'avais donné le nom à Zoé le jour de mon arrivée, je ne voulais oublier aucune piste. J'ai maintenant trouvé pas moins d'une dizaine de noms associés aux rues, aux avenues, et entrepôts. En effet, il y a aussi la position d'entrepôts d'une entreprise. Et il n'y a pas besoin de chercher bien loin pour deviner que c'est celle de Fickelman : la fameuse M.A.P. Mais à part le fait que cette adresse soit marquée dans le carnet de Field, en plus d'une dizaine d'autres, rien ne prouve qu'il travaille pour lui. J'essaie de rassembler toutes les informations que nous avons, et je ne vois non plus rien qui dit qu'ils en voudraient à Jonathan Hale. Ce qu'il faudrait ce sont des aveux, et ce n'est pas difficile de savoir que c'est presque impossible à avoir. Il faudrait avoir quelque chose en échange de ça. Mais quoi ? Thomas me coupe vite dans mes réflexions :

— Écoute ça. M. Field est loin d'être blanc comme neige. En vérité, il s'appelle Walter Wood Van Del. Il est arrivé d'Europe en 1972, sans papiers, pour fuir la pauvreté et vivre le rêve américain. Il avait une dizaine d'années à l'époque et ne parlait pas un mot anglais, mais il s'est infiltré dans un embarquement de marchandises ; il paraît qu'il est ensuite venu jusqu'ici en train, de la même façon qu'il avait traversé l'Atlantique, et il s'est fait arrêté ensuite en voulant piller un magasin. C'est là qu'ils se sont rendus compte de qui il était. Il a été placé en famille d'accueil jusqu'à sa majorité, et puis il n'y a plus aucune trace de lui. On ne sait même pas comment il a obtenu ses papiers.

— Tu paries combien que Fickelman lui en a proposé en échange de son travail pour lui ?

— En quoi ça l'arrangerai d'avoir un ouvrier non qualifié ?

— Réfléchis. Il lui donne des papiers et un travail, et en échange il a une main d'œuvre qu'il sous-paye et quelqu'un pour faire le sale boulot. Et si Wood Van Del se plaint ou n'accepte pas une de ses tâches, Fickelman se rend au commissariat pour le dénoncer comme étant un sans papiers après avoir détruit ceux qu'il lui a donné.

— Et vu le pouvoir qu'il a autant économiquement que politiquement parlant, il n'a dû avoir aucun mal pour s'en procurer sans rencontrer de problèmes, complète Thomas.

Maintenant je pense que nous avons ce qu'il faut pour le coincer. Pas pour le lier à Fickelman, parce que tout ce que nous avons par rapport à lui sont des hypothèses, mais nous savons qu'il a fait travailler des élèves pour un projet concernant une entreprise créée pour détruire Jonathan et son père, nous savons qu'il enquêtait au lycée et le carnet en est une excellente preuve. Mais même si c'est pour ça que nous allons le faire tomber, ce n'est pas ça qui m'intéresse. Ce qui m'intéresse, c'est son passé. Et maintenant je sais ce qu'il me reste à faire.

***

Nous passons encore une heure de plus à élaborer le plan parfait pour coincer l'espion et celui qui tire les ficelles. Nous revoyons nos positions, ce qu'on devra dire, ce qu'on ne devra pas dire, où nous serons quand la PPAE arrivera au lycée pour arrêter le faux professeur, parce que bien sûr, on n'a aucune envie de se montrer devant tout le monde comme ayant été des agents secrets durant tout ce temps. Nous avons prévu l'heure précise à laquelle nous appellerons Stevens pour envoyer les agents qui se chargeront d'emmener Wood Van Del. Tout est organisé pour que ça se passe plus ou moins bien, mais nous n'avons droit à aucune erreur.

Thomas finit par partir vers vingt et une heures, après s'être assuré que je m'occuperai bien de prévenir Zoé pour qu'elle informe Stevens de ce que nous avons prévu de faire. À peine la porte fermée, je jette machinalement un œil vers la salon, puis vers la table basse où un bordel monstre s'est fait sa place. Et je remarque que le sac de Thomas n'y est plus. Je ne lui ai pas fait pensé de le prendre, il a donc dû le remarquer tout seul, et heureusement pour lui, parce que c'était sûrement la dernière fois qu'il venait ici. Je fixe ce point sans m'en rendre compte, puis je reviens à moi quelques secondes plus tard. Je me penche vers la table mollement, éreintée par la journée que je viens de passer, et je commence à ramasser tout ce qui traîne. Trop de choses ont pris une place inconvenante dans cet appartement, et mon côté maniaque-rangé prends le dessus sur mon côté maniaque-bordélique. Alors je fais des allers-retours dans toutes les pièces, allant du plan de travail au lave-vaisselle, de la table à la commode, et de mon lit au placard à vêtements. Tout ce qui ne rentre pas dans le paysage disparaît. C'est ma façon à moi de remettre tout à zéro. Maintenant que tout est presque fini, je peux réorganiser. Je me fais confiance pour que l'appartement soit de nouveau méconnaissable demain soir, mais en attendant, ça me permet de faire abstraction de la fatigue et de me redonner de l'énergie.

Après avoir jeté un dernier coup d'œil sur l'ensemble de l'appartement, ce qui a été plutôt rapide étant donné la superficie de celui-ci, je me laisse tomber sur la canapé. Il est presque vingt-deux heures à ma montre, et mon ventre commence vraiment à réclamer de la nourriture. Cependant, après l'effort que je viens de fournir, je ne me sens pas du tout de cuisiner quelque chose. Puis une idée me traverse la tête. Je regarde une nouvelle fois ma montre pour m'assurer de l'heure qu'il est, et sans grande surprise, l'aiguille n'a pas beaucoup bougé. Alors je me lève d'un mouvement vif, récupérant toutes les forces qu'il me reste, et sort de l'appartement avant de fermer la porte à clefs.

***

Je marchais d'un pas assuré jusque là, mais arrivée devant la porte vitrée du restaurant, je bloque complètement. Je ne sais pas pourquoi j'ai eu cette idée stupide de revenir ici. Je pouvais l'éviter. Mais mon cerveau m'a amené malgré moi vers ce petit paradis, et maintenant je me retrouve bête, à regarder l'enseigne au-dessus de la fenêtre. Je me décide enfin, après quelques minutes, à entrer. Déjà parce que rester devant ne me sert à rien, parce que mon ventre crie famine, et parce que je suis absolument incapable de faire demi-tour.

Le bruit aigu de la clochette au-dessus de la porte m'accueille comme elle l'a toujours fait ; cette même odeur est restée, et cette aura chaleureuse n'a jamais quitté les lieux. Je savais qu'il serait ouvert à cette heure-là. Granny's est une sorte de refuge : on y accepte tout le monde du moment que l'on se respecte, et l'accueil est fait avec le sourire jusque tard dans la nuit. Je m'installe sans attendre qu'on m'y invite à une des tables, et c'est seulement quand une serveuse, ou plutôt la serveuse vient me voir que je lève la tête et lui offre un léger sourire. Elle tend ses bras dodus vers moi, alors je me lève du canapé et vient enlacer mes bras autour des siens. Elle frotte doucement mon dos comme une grand-mère le ferait. Notre étreinte ne dure pas indéfiniment, mais elle a eu le mérite d'être remplie d'affection. À ce moment, je ne pense plus à ma mission, je ne pense plus à Jonathan, ni à Thomas, ni à Stevens, ni même à qui je suis censée être. Je ne profite que du moment présent, et de ce retour vers le passé.

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Hey ! Juste une question pour aujourd'hui. Que pensez-vous des flash back ? Ils vont apparaître encore dans plusieurs chapitres, alors est-ce qu'ils vous plaisent ?

A bientôt !

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