3. Une "incroyable" rencontre

Il était six heures quand je me suis réveillée ce matin. J'ai préféré me lever tôt pour pouvoir me préparer et revoir une dernière fois les noms des personnes qui formeront mon équipe. Je n'ai jamais travaillé avec d'autres personnes, et même s'ils n'ont que des rôles mineurs dans cette opération, je ne suis pas très confiante, ça me déstabilise.

Il est maintenant un peu plus de sept heures et demi et je suis entièrement prête. En tout cas matériellement, puisque je ne pourrai me sentir prête moralement que lorsque je serai sur place. J'ai préparé mon sac de cours, avec un minimum de feuilles et de stylos pour pouvoir travailler. J'y ai également glissé une bombe lacrymogène et un pistolet. Je me suis habillée en prenant le soin de ne pas oublier le micro attaché à l'intérieur de ma veste, et l'oreillette cachée par mes longues boucles brunes.

J'ouvre le frigo, prends une boîte à pâtisserie et en sors un muffin au chocolat que j'avais acheté plus tôt dans la matinée. J'ouvre ensuite un placard et attrape une autre boîte ronde métallique. Elle contient plusieurs bougies de toutes les couleurs. J'en prends une rose pâle et la plante dans la crème qui surplombe le gâteau. Je l'allume à l'aide d'un briquet et ferme les yeux.

- Joyeux anniversaire Alice, me dis-je, avant de souffler sur la bougie.

Je dois arriver à neuf heures devant le lycée. Il n'est que huit heures et quart, et pour la première fois depuis longtemps, je ne sais pas quoi faire. J'ai toujours été habituée à courir après quelqu'un pour le ramener au poste, ou à traîner dans les rues pour suivre une autre personne, mais jamais je n'ai dû attendre pour une mission. Je décide donc d'aller faire un tour sur mon ordinateur, quand mon téléphone sonne. Un nouveau message.

Rendez-vous à environ cinquante mètres du lycée à huit heures trente. Mise à jour de dernière minute, j'ai quelqu'un à vous présenter. J.S.

Je me demande bien qui il peut avoir oublié dans l'équipe après m'avoir donné toutes ces fiches. Je décide de partir tout de suite. Même si le lycée n'est pas très loin, je préfère y être plus tôt afin d'éviter de trop mauvaises surprises.

***

Arrivée dans la rue principale, j'aperçois déjà des centaines d'adolescents dans les alentours de mon âge assis dans l'herbe devant le bâtiment, certains en train de fumer, d'autres qui rigolent et d'autres qui ont la tête dans leurs bouquins. Cela fait un moment que je ne suis pas allée dans une école et je crois que c'est la partie que je redoutais le plus. Il ne faut pas simplement que je surveille quelqu'un de loin, il faut que je m'intègre entièrement dans leur vie sociale.

Garée sur le trottoir en face de celui du lycée, je vois une camionnette blanche d'où sortent plusieurs personnes don tM. Stevens. Nous ne sommes en effet qu'à une cinquantaine de mètres du bâtiment. J'enlève mon casque que je pose sur la moto, et rejoins mon patron.

- Mlle Menson, vous voilà ! Je vous présente votre coéquipière, Zoé Stings, m'annonce-t-il en faisant signe à une jeune femme de s'approcher.

Je la reconnais immédiatement : une vingtaine d'années, brune, coiffée d'un chignon et d'une frange droite. C'est la femme que j'avais vu le premier jour de ma préparation avec Stevens. Elle porte un simple débardeur noir qui laisse apparaître des tatouages le long de ses bras, un pantalon large avec un motif de camouflage que l'on trouve le plus souvent à l'armée, et des grosses chaussures noires qui complètent sa tenue qu'elle porte très bien avec sa taille fine.

- Ravie de te rencontrer, me dit-elle en me tendant la main que je serre machinalement. Je ne vais pas être avec toi sur le terrain mais c'est moi qui te guiderai avec l'oreillette que tu es censée porter en ce moment.

Elle me parle comme elle parlerait à une amie, à quelqu'un qu'elle connait depuis longtemps. Le fait qu'elle me tutoie ne me dérange aucunement, ça me donne l'impression qu'on est du même âge, et ça rend notre relation, au départ professionnelle, beaucoup plus agréable. Elle est très vive quand elle parle, et affiche une mine à la fois sérieuse et décontractée. Je sens tout de suite qu'elle a un style bien à elle et cela la rend encore plus sympathique.

- Alice, me présenté-je, mais je suppose que tu le savais déjà.

- Oui, en effet. M. Stevens m'a beaucoup parlé de toi, mais ne partons pas dans les détails. Comme je te le disais, je vais être ton guide. La camionnette que tu vois derrière va nous servir de planque, mais ne t'inquiètes pas nous allons la bouger, sinon nous nous ferons vite remarquer. À l'intérieur il y a plusieurs ordinateurs, des casques audio pour pouvoir communiquer et tout un bordel qui ravirait n'importe quel geek. Nous n'avons par contre aucun moyen de te voir alors toute communication se fera par l'écoute. Les gars qui sont à l'intérieur s'occupent de tout cet attirail. Le gars avec les lunettes, c'est notre informaticien, Julien. Et le brun, à droite, c'est notre ingénieur son, Derek.

Ces derniers ne bougent pas un ongle et restent concentrés sur ce qu'ils font. Ils sont tous les deux jeunes d'une vingtaine d'années voire moins. Julien est blond et porte les cheveux courts en bataille. Ses lunettes rectangulaires lui donnent un air d'intellectuel sans qu'on le prenne pour le premier de la classe, et font ressortir ses yeux bleus sous ses sourcils froncés par la concentration.

Derek est complètement différent : il est brun, et porte une coiffure rebelle mais structurée par du gel. Son cou découvert laisse voir un début de tatouage qui, j'en déduis par son poignet couvert d'encre, descend sur ses épaules et ses bras. Ses yeux sont sombres mais ne semblent pas froids, seulement centrés sur ce qu'il fait.

- Ils resteront avec moi, reprend Zoé, pour éviter tout problème de réseau, électrique ou autre. Pour les problèmes plus importants qui ne concerneront pas l'électronique nous feront directement appel à M. Stevens, qui restera au bureau de la PPAE. Mais il n'y a aucune raison pour que ça arrive puisque nous aurons quelques réunions pour faire un débriefing environ une fois par semaine...

- Non ! coupe Stevens. Les réunions on été... annulées.

Devant le regard interrogateur de Zoé, il tente de développer :

- Les supérieurs ont décidé de ne pas en faire parce que... tout le monde ne pourra pas être présent.

- Mais on n'a pas besoin d'eux pour se mettre au courant de notre côté ! s'exclame Zoé, qui ne parvient décidément pas à comprendre.

Et j'avoue que je ne comprends pas bien non plus. Stevens n'a pas l'air sûr de ce qu'il dit ce qui me fait douter. Mais comme ça m'arrange, je n'en tiens pas compte. Je n'aurai pas à y penser, et je pourrai bosser comme j'en ai l'habitude, seule et avec toutes mes idées.

- C'est ce qu'ils ont décidé, reprend-il, mais étant donné que vous pourrez communiquer n'importe quand, il ne devrait pas y avoir de problèmes. Je vous appellerai quelques fois, Mlle Stings, afin de vous demander des nouvelles.

Elle hoche la tête en signe d'acceptation, et continue ses explications :

- Bon et bien du coup je crois que j'ai fait le tour de tout qu'il y avait à dire. C'est à toi, maintenant, de faire ton boulot et d'enquêter.

Elle regarde sa montre et ajoute :

- Il est neuf heures moins vingt. Tes cours commencent dans vingt minutes. Avant d'y aller tu dois finaliser ton inscription à l'accueil, mais d'abord il faudra que tu passes voir David, le jardinier qui porte des lunettes de soleil, pour récupérer les papiers pour ton faux dossier scolaire.

Je regarde vers le lycée et aperçois, sous un arbre, un type faisant semblant de ramasser quelques feuilles mortes, et qui, maintenant que je le vois, a l'air plutôt louche. Je ne sais pas comment les autres font pour ne pas le remarquer. Ce doit être grâce à mon expérience que je le vois autrement.

Après que Zoé m'a donné toutes les informations, je m'en vais récupérer ma moto et viens me garer à l'emplacement réservé à cet effet devant le lycée. J'attrape mon sac, mon casque, et essaye de rester discrète tout en allant prendre les papiers à David. Je m'éloigne et regarde autour de moi. Personne ne m'a vue. Je me dirige ensuite vers le bâtiment d'un pas hésitant. C'est sûrement le seul endroit dans cette ville que je ne connais pas et dans lequel je ne suis jamais entrée. Naturellement, je peine à trouver l'accueil. Tout à coup, j'entends une voix dans mon oreille.

- Préviens-moi quand tu auras fait ce qu'il fallait.

C'est Zoé. J'avais presque oublié que je porte une oreillette, et sa voix m'a fait sursauter malgré moi. Si je veux avoir un comportement naturel, entendre des voix et parler toute seule ne m'aidera pas. Je tapote légèrement ma veste au niveau du micro pour lui faire comprendre que je l'ai entendu, et je continue à chercher. Je marche, hésitante, dans le hall d'entrée. Il y a deux couloirs étroits qui se font face, et devant moi se trouve un autre beaucoup plus large où de nombreux casiers longent les murs. Regardant à droite à gauche, je cherche une porte étiquetée "Accueil", quand quelqu'un me surprend derrière moi.

- Tu cherches quelque chose ?

Je me retourne et vois un jeune homme qui me semble étrangement familier.

- Oui, mais ça va aller merci. Je sais me débrouiller.

Je ne dois pas me faire remarquer, alors moins les gens me connaîtront, moins j'aurai de problèmes. De plus je peux très bien chercher une salle toute seule ! Je me mets dos à l'inconnu en me penchant sur les papiers que j'ai en main. Sentant toujours sa présence, je marche rapidement sans vraiment savoir vers où afin de trouver cette fichue salle. Mais le garçon m'interpelle.

- Attends ! Désolé, je ne me suis pas présenté.

Je regarde à nouveau le garçon.

- Je m'appelle Jonathan.

Jonathan ? Pourquoi est-ce que ce nom m'est familier ? Alice, fais marcher tes méninges, ça ne t'est jamais arrivé d'oublier quelqu'un, c'est cet endroit qui te mets les neurones en bouillie ou quoi ? Jonathan Hale ! Ma fameuse mission ! Avec tous ces noms qu'ils m'avaient fait retenir, j'en avais oublié le plus important. Je profite de cette coïncidence pour me rapprocher de lui.

- Moi c'est Alice.

C'est vrai que je ne m'attendais pas à voir quelqu'un comme lui lorsqu'on m'en a parler, bien qu'on m'ait dit que peu de choses. Jonathan est assez grand, il doit faire une tête de plus moi. Il ne porte pas les cheveux très courts mais plutôt une coupe en bataille coiffée décoiffée, et a des yeux bleus clairs très lumineux. Je dois avouer qu'il n'est pas désagréable à regarder. Il a l'air d'un garçon assez sympa, qui doit se faire des amis facilement. 

Je me laisse à penser qu'il fait sûrement parti du club de football du lycée ou quelque chose de ce genre au vu de sa carrure. Le garçon typique avec qui tout le monde a envie de rester. Au départ, je m'attendais plutôt à un garçon très sérieux, habillé très chic avec des cheveux tirés en arrière et fixés au gel, qui n'a pas forcément envie de se faire des amis qui ne sont pas comme lui. Mais je ne me plains pas, au contraire, s'il peut accepter n'importe qui, ou presque, je me fonderai mieux dans la masse.

- Tu conduis une moto ? me demande-t-il pour entamer la conversation.

- Ouais, dis-je en regardant mon casque dans ma main.

Il continue à me regarder, tout sourire. Un moment de silence s'installe. Mon discours reste très fermé. Je n'ai plus l'habitude de parler aux autres, la solitude me va bien. Heureusement pour moi, et pour ma mission, Jonathan n'est pas du genre à baisser les bras.

- Tu es sûre que tu n'as pas besoin d'aide ? Tu as l'air perdue.

Je me remets à regarder autour de moi. Il faut que je me concentre sur mon objectif. J'ai une super occasion de me rapprocher de lui et il faut que je la saisisse ou tout sera fichu. Pour ça je dois faire partie de son entourage, devenir une des ses amis. Quoi de mieux que de le suivre !

- Eh bien en fait, je cherche l'accueil. Je suis nouvelle ici et j'ai de la paperasse à faire, rien de passionnant mais...

- Je vais t'accompagner. Direction l'accueil.

Nous parcourrons le couloir, qui est à l'opposé de celui que j'avais emprunté juste avant. Je marche en regardant devant moi, et comme il ne dit rien, j'entame la discussion :

- Est-ce que ça t'arrive souvent ?

Me lançant un regard interrogateur, je sens qu'il ne comprend pas ma question.

- Est-ce que ça t'arrive souvent... d'aider ceux qui viennent tout juste d'arriver ?

- J'aime aider les gens en général... mais c'est rare de tomber sur des personnes comme toi.

Là, c'est à mon tour de ne pas comprendre. Je ne sais pas comment je dois le prendre.

- Comme moi ?

- Débrouillarde, franche, tu n'as pas l'air d'avoir froid aux yeux.

J'arque un sourire en coin. Je dois avouer qu'il m'a un peu cernée, mais je ne me laisse pas avoir.

- Tu dois avoir beaucoup de gens qui te suivent sur les réseaux sociaux, j'imagine.

Son sourire s'agrandit et il penche légèrement la tête en arrière. Son visage m'indique qu'il comprend : je réponds à son jeu.

- Tu es invité à toutes les soirées organisées pas les personnes « cool », même celles que tu ne connais pratiquement pas, tu joues sûrement dans l'équipe de sport du lycée et ta petite amie s'appelle Jennifer, non Jane !

- Genny, me coupe-t-il en rigolant. Elle s'appelle Genny et c'est ma meilleure amie. Et le sport qu'on pratique ici c'est du volley. Mais bravo, tu m'as impressionné.

Je n'ai rien le temps de répondre puisque nous arrivons devant le fameux accueil. Je regarde derrière moi ; il n'y a que quelques mètres entre l'endroit où nous sommes maintenant et celui où nous nous sommes rencontrés. Nous avons dû avancer très lentement et je soupçonne Jonathan d'avoir traîné, j'ignore toutefois s'il l'a fait exprès.

J'avance vers le comptoir derrière lequel est cachée la secrétaire, et lui donne mes papiers en expliquant pourquoi je suis là très brièvement. Je n'ai pas eu le temps de consulter les documents que David m'a passé et je ne voudrais pas contredire certaines informations écrites. Elle me donne à son tour un dossier à remplir de mon nom, prénom, date de naissance, etc...

Je sens la présence de Jonathan à côté de moi, il m'observe, toujours un petit sourire en coin.

- Est-ce que j'ai quelque chose sur le visage ? finis-je par demander, sans pour autant être désagréable.

- Non, rien du tout, se défend-il.

Il lève les mains en l'air en signe d'innocence et tente de rester sérieux, mais je vois très bien qu'il n'y arrive pas et il retrouve son petit sourire habituel. Je continue à écrire, et, voyant la date d'aujourd'hui écrite à l'emplacement de ma naissance, à dix-huit ans près, il me dit calmement :

- Joyeux anniversaire.

Je tourne la tête brusquement vers lui en entendant ces mots. Cela faisait très longtemps qu'on ne me l'avait pas souhaité, et je l'avais presque oublié. Je tente de ne pas lui montrer ma surprise.

- Merci.

Je reprends vite mon dossier et finis de le remplir. Puis je le rends à la secrétaire qui, après avoir lu mon nom sur le document, me remercie.

- Merci Mlle Menson, et bienvenue à Clinton Hill.

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