24. Repos ou flemmardise ?

J'ai passé toute la journée avec Jonathan, et je dois avouer qu'elle était assez reposante. Ça m'a fait du bien de penser à autre chose que l'affaire dans laquelle nous bossons jours et nuits avec Thomas, et de passer du bon temps en tant que moi. Nous avons énormément parlé, de sa vie plus que de la mienne. Il m'a raconté toutes les bêtises qu'il faisait quand il était petit, et qui faisaient tourner la tête de la pauvre Gloria. Et puis, au contraire, les bons après-midis qu'ils passaient ensemble, à faire des pâtisseries, des jeux en pâte à sel, les parties de cache-cache et les jeux de ballon dehors. De ce que j'ai entendu, Gloria à l'air d'avoir été comme une mère pour Jonathan, quand celle-ci est décédée. Son père a apparemment toujours fait de son mieux après la mort de sa femme, pour s'occuper de son fils malgré son travail et ses horaires encombrants, mais ceux-ci ont tout de même et font toujours partie intégrante de sa vie. J'ai eu l'impression que Jonathan était très reconnaissant durant le récit de ses souvenirs, envers Gloria, qui ne l'a pas laissé seul.

Après avoir plusieurs fois évité le sujet qui passionnait tant Jonathan, ma vie, nous avons passé des heures à jouer aux cartes à toutes sortes de jeux de chances, de stratégies, et Jonathan râlait souvent parce qu'il n'arrivait presque jamais à m'avoir. Et bien évidemment, je n'arrêtais pas de le charrier pour le faire râler un peu plus. Puis ça a été à mon tour de traiter de tous les noms une manette qui ne m'avait rien fait, quand nous sommes passés aux jeux sur console. Nous avons fait des courses de voitures, de nombreuses courses même, et j'ai l'impression que c'est plus facile de conduire une vraie voiture qu'une virtuelle. Mais je me suis rattrapée sur le jeu de tir où nous étions l'un contre l'autre. Je pense que sa mauvaise forme a joué en ma faveur.

Cependant, plus nous avons passé du temps ensemble, et plus il me semblait que Jonathan allait mieux. C'était peut-être la thérapie qu'il lui fallait : une bonne journée de rires et de jeux.

Gloria nous a ensuite préparé des biscuits et invité à les manger dans la cuisine, comme si nous étions revenus en enfance, mais sauf que nous étions tous les deux alors que nous nous connaissons depuis peu. Jonathan a imploré Gloria de venir se joindre à nous, et après avoir répliqué un nombre incalculable de fois qu'elle avait beaucoup de travail à terminer, elle a finit par céder devant le beau visage que Jonathan lui offrait. On aurait pu le voir à ce moment-là comme un adolescent capricieux qui veut tout tout de suite. Mais moi je l'ai vu dans un élan de générosité, parce qu'il tenait à ce que Gloria prenne un pause méritée dans sa journée, et d'amour, dans la façon qu'il avait de lui demander sa présence, comme on demanderait à une grand-mère de passer plus de temps avec son petit-fils de qui on n'a plus trop à s'occuper.

J'ai donc appris à connaître Gloria dans un grande conversation que nous avons eu tous les trois, pleine de fous rires et de vieux souvenirs qui ont l'air de beaucoup leur tenir à cœur. Certains moments que Jonathan avait omis de me parler, comme par hasard les plus intéressants pour moi et les plus embarrassants pour lui. Gloria est une femme charmante, pleine de générosité, de gentillesse et de bonté. Elle tient énormément à Jonathan, ça se voit dans la façon qu'elle a de lui parler, et de parler de lui. Je comprends que Jonathan dise qu'elle fait partie intégrante de la famille. Elle a toujours vécu avec les Hale et les a toujours aimé comme sa propre famille.

***

Je jette un coup d'œil à ma montre avant de lancer :

- Il est tard, je devrais y aller. Je dois travailler ce soir alors je n'ai pas de temps à perdre.

- Vous ne voulez pas rester ici pour cette nuit ? me propose Gloria. Il y a une chambre d'amis de libre.

- Non, merci. C'est très gentil mais je ne peux pas prendre congé ce soir, il y en a qui ont besoin de moi.

Après avoir souhaité bonsoir à Jonathan et Gloria, je finis par partir. Il doit être 18h30 quand je prends place dans la voiture. Les cours sont finis depuis trente minutes déjà, et je m'inquiète un peu parce que nous sommes vendredi, et par conséquent je ne verrai pas Jonathan ces deux prochains jours. Même si les caméras de surveillance sont installées chez lui, cela ne me rassure pas complètement. L'invitation de Gloria était tentante pour garder un œil sur Jonathan, mais je ne pouvais pas me permettre de perdre autant de temps pour l'enquête.

Une fois bien installée dans la voiture, je déverrouille mon téléphone, que j'ai récupéré dans la chambre juste avant de partir. J'ai plusieurs appels manqués et beaucoup, beaucoup de messages. Et comme par hasard, ils viennent tous du même auteur : Thomas. Il me pose de nombreuses questions du genre « Où es-tu ? », « Qu'est-ce que tu fous ? », et j'en passe des meilleures. Mais le message qui me pose le plus de problèmes et un des derniers : « Qu'est-ce que tu fais ? Je t'attends depuis un quart d'heure devant le lycée ! ». Je détourne mon regard du téléphone pour le poser sur la voiture. J'avais complètement oublié Thomas, et encore plus le fait qu'il ne puisse pas rentrer parce que c'est moi ai sa voiture. Ce texto date d'une quinzaine de minutes, alors je ne tarde pas à lui envoyer une réponse : « Je pars de chez Jonathan, je viens te chercher. » Je me dépêche de faire un demi-tour et rejoins le lycée du plus vite que je peux.

Quand j'arrive devant l'établissement, je ne vois que Thomas qui attend patiemment, le dos contre un arbre. Je sors de la voiture, et il faut que je claque la portière pour qu'il remarque ma présence et se rue sur moi. Lorsque je m'aperçois de la vitesse à laquelle il vient vers moi, je pense déjà au pire. Qu'est-ce qui a bien pu se passer d'aussi grave ? Il s'arrête face à moi, les sourcils froncés et une expression de colère collée au visage.

- Désolée, je n'avais pas fait attention à l'heure, souris-je innocemment, et...

- Je peux savoir ce qui t'a pris de ne pas répondre à mes messages ! me coupe-t-il. C'est pourtant pas compliqué ! J'ai attendu toute la journée pour avoir ne serait-ce une réponse, pour savoir que tu allais bien !

Mon sourire s'efface aussitôt. Je ne sais pas ce qui lui prend, et je ne sais pas non plus ce qu'il s'est passé aujourd'hui pour le mettre dans cet état, mais il pourrait au moins me l'expliquer au lieu de me crier dessus.

- Calme-toi une minute, OK. Qu'est-ce qui s'est passé pour que tu m'aies appelé autant de fois et laissé je ne sais combien de messages ?

- Tu n'as donné aucun signe de vie ! Voilà ce qui s'est passé, lâche-t-il sans une hésitation.

- Je t'ai envoyé un message pour te dire que je l'avais trouvé et qu'il était seulement malade. Et je t'en ai envoyé un autre pour te dire que je partais de chez lui pour venir te chercher.

- Tu plaisantes, j'espère. Je n'ai reçu aucun message. Et puis je peux savoir pourquoi tu n'es pas revenue au lycée après l'avoir vu ?

Je laisse sa question en suspens et ouvre une nouvelle fois ma messagerie pour vérifier que je lui ai bien envoyé le message. Je remonte ceux que j'ai reçu et tombe sur le texte qui m'intéresse. En dessous du cadre du texte, quelques mots sont écrits en rouge : Texte impossible à envoyer. C'est une plaisanterie ! Je comprends mieux toute l'histoire, mais ce n'est pas une raison pour se mettre dans un état comme ça. Je montre l'écran à Thomas qui comprend tout de suite le problème, et lui me montre le sien, noir. Je lui lance un regard interrogateur.

- Il n'a plus de batterie. Je ne l'ai pas rechargé cette nuit et comme j'ai passé plusieurs appels, il s'est éteint.

J'en déduis qu'il n'a donc pas non plus vu mon dernier message.

- Il s'est passé quoi aujourd'hui pour que tu sois dans cet état ? me répété-je. Ça ne peut pas être seulement à cause de moi.

Il me contourne en prenant les clés de mes mains, et en profite aussi pour contourner ma question. Quoi que je dise, il n'y répondra pas. Je souffle longuement, toujours dos à lui, et finis par monter du côté passager.

***

Comme pour se moquer ouvertement de nous et du silence qui règne dans la voiture, la vie nous envoie en cadeau de merveilleux embouteillages. Mais bon, à l'heure qu'il est, ça ne m'étonne pas plus que ça puisque tout le monde rentre du boulot. Et puis, en même temps, ça peut être une chance pour moi de faire parler Thomas. Malgré le fait d'avoir insisté plusieurs fois avant notre départ, il ne m'a toujours pas dit pourquoi il était aussi stressé par sa journée. Cependant, ce qui me surprend le plus, c'est qu'il a l'air totalement serein à l'heure qu'il est, comme si le problème de tout à l'heure n'en était plus un. Je décide de tenter une dernière fois de lui soutirer des informations avant d'arriver à l'appartement.

- Dis-moi ce qu'il s'est passé au lycée. J'ai le droit de savoir après tout, on est deux sur cette affaire.

- Qu'est-ce que t'a demandé Zoé ce matin avant qu'on arrive ?

J'hésite avant de lui répondre, voyant qu'il ne répond pas à mes interrogations. Mais je me dis que si je dis quelque chose, lui le fera peut-être de son côté.

- Rien d'important, assuré-je.

- Alors tu as la réponse à ta question, dit-il d'un ton presque froid.

Je détourne les yeux en soupirant. Il ne veut pas me le dire, tant pis. Je finirai bien par le savoir si c'est indispensable, contrairement à ce qu'il fait croire. Voyant que nous arrivons dans la rue de mon immeuble, je sors les clefs de la porte d'entrée, ne voulant pas me faire avoir cette fois par le bazar qu'il y a dans mon sac. Une fois arrêtée, je rassemble mes affaires.

- Il faut qu'on s'organise pour se voir ce week-end et s'échanger des infos si besoin.

J'ignore totalement les propos de Thomas et ouvre la portière. Son comportement m'a épuisé. D'abord il est bizarrement inquiet parce que je ne lui envoie pas de message, après il est en colère pour la même raison, ensuite il me déteste et ne m'adresse plus un mot comme au début de notre relation, et pour finir il me parle comme à une collègue de travail, avec un ton horriblement froid. Je n'arrive plus à comprendre son état d'esprit, et si j'ai fait des efforts au départ, je n'en ai plus la force. Je ne lui réponds pas, sors, et ferme la portière derrière moi. S'il veut qu'on parle de l'enquête, il a un téléphone, et de toute manière nous nous verrons lundi, en cours.

Je monte les marches du perron presque en courant, ne voulant plus avoir affaire à tout ça. J'ai eu une journée presque complète de repos, et j'aimerais qu'elle se finisse dans le repos. Je tourne les clefs dans la serrure et me voilà enfin entrée.

Arrivée à l'appartement, je jette mon sac sur le canapé, achevée par la journée que je viens de passer, mais surtout par ces dernières minutes pendant lesquelles j'ai eu l'impression d'être sous pression. Je passe une main sur ma nuque endolorie et souffle un coup, quand j'aperçois un grand sac noir sous la table basse qui nous a servi de table à manger à Thomas et à moi la veille. C'est le sac de Thomas, il a du l'oublier. Tant pis, il le récupérera plus tard.

Je me dirige vers la cuisine pour prendre un café, histoire de me remonter le moral et de gagner un peu d'énergie pour finir cette soirée. Une fois la tasse prête, je m'affale dans le canapé, n'étant pas décidée à travailler. C'est la première fois depuis que j'ai commencé le métier de chasseuse de primes que je me laisse envahir par de la flemmardise. En temps normal, je suis toujours motivée par mon travail ; d'une part parce qu'il me permet de vivre et donc sans travail, pas d'argent et pas de vie, et d'une autre part car les missions ne prennent jamais autant de temps et d'impact sur ma vie privée. Je le fais à ma vitesse et en général cela me convient parfaitement. Mais après plusieurs semaines sur cette affaire, sans grandes découvertes, je commence à me démotiver.

Je me lève d'un bond et traverse le salon à grandes enjambées pour atteindre le bureau. Là, je jette un œil au tableau blanc. Encore une fois, je scrute chaque recoin de ce maudit plan en espérant que quelque chose me saute aux yeux. Je suis sûre que la solution se trouve face à moi, mais il n'y a pas moyen de l'attraper. N'y même de l'apercevoir. Comment se fait-il que je ne vois rien ? Il est là, sous mes yeux. C'est ce genre d'évidence où vous vous dites, mais bien sûr, pourquoi je n'y ai pas pensé avant ? Ce même genre où vous avez envie de vous taper la tête quelque part pour ne pas y avoir réfléchi.

***

J'ai arrêté de penser à tout ça de peur de me déclencher une migraine. J'ai pris dans mon sac la carte du garagiste que m'avait donné Thomas, et me suis installée devant l'ordinateur. Sur ce même bout de papier est inscrit un site internet, et j'aimerai bien voir où il se situe et quelle réputation il a. Je n'irai peut-être pas chercher ma moto tout de suite à cause de mon poignet, pas parce que je ne m'en sens pas capable, mais plutôt parce que quelqu'un va me tomber dessus si je le fais. Mais au moins je pourrai voir ce qu'ils en font. S'ils ont déjà commencé les réparations, je n'aurai peut-être pas les moyens de les rembourser et cela me fait un peu peur. Il faudra donc que je me débrouille ce week-end pour m'y rendre.

Je tape le lien du site en vitesse avant d'appuyer sur entrer, quand mon portable vibre. C'est un message de Thomas. Je souffle à la vue de son surnom sur l'écran mais décide tout de même d'ouvrir le message. On ne sait jamais.

- Je viens de recevoir un message de Stevens. Il veut des infos d'urgence.

Je pousse un nouveau soupir à ces mots. On ne nous laissera jamais respirer. C'est exactement de ça dont je parlais quand je disais à Isa que je ne voulais pas travailler pour la police, à cause du manque de liberté qu'on nous octroi. Je me dépêche de taper ma réponse pour me libérer.

- Tu n'as qu'à lui demander un break, il nous laissera tranquille.

Je ne plaisante pas vraiment lorsque je pense ça. Il pourrait nous laisser souffler quelques jours avant de se jeter sur nous comme si nous étions un site de recherches, à savoir tout sur tout, ou pire, le bureau d'archives de la PPAE. Ils sont encore pires que les services secrets qu'on peut voir dans les films et les séries télévisées : ils relèvent tout d'une personne qui les intéresse, même la partie de sa vie qui ne sert à rien. Je les soupçonne de bien se moquer derrière certains dossiers. Mon portable vibre de nouveau.

- Alice, on ne plaisante pas avec Stevens, tu sais comment il est. Tu ne tiens peut-être pas à ton job, mais moi si.

Quelle naïveté ! S'il pense que Stevens peut me faire peur, et plus encore, s'il pense qu'ils ont le choix de nous garder ou pas, il se trompe. J'en ai eu la preuve durant mon premier entretien avec le «grand patron».

- Tu ne te feras pas virer, Thomas. Ils ont besoin de nous plus que nous avons besoin d'eux, crois-moi. En attendant, que veux-tu lui donner, nous n'avons absolument rien. On se voit lundi.

Je clos la discussion par cette dernière phrase. Cependant, Thomas n'en décide pas ainsi.

- Il faut qu'on se voit avant si tu veux être débarrassée de Stevens.

Sans attendre une seconde, je lui réponds :

- Tu te décideras à répondre à mes questions ou est-ce que tu préfères garder l'affaire secrète pour toi tout seul ?

- Pense à Jonathan. Tu veux le voir en sécurité oui ou non ?

J'ai horreur que l'on réponde à mes questions en en posant d'autres, surtout quand celles-ci sont complètement hors sujet. Mais je tiens plus à la vie de Jonathan qu'à une réponse, instantanément, alors j'accepte sa proposition.

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