22. Carton de souvenirs

Il est plus de deux heures du matin, et j'ai fini par éplucher chaque entreprise de la liste. De toutes celles que j'avais au départ, il ne m'en reste plus que cinq qui soient proches de chez nous. Mais malgré tout ce que j'ai fait cette nuit, j'ai encore un léger doute sur le fait que l'espion qui est au lycée soit là pour des raisons économiques. Il nous faut savoir ce que notre ennemi veut à Jonathan ou à son père pour savoir à qui on a affaire.

- J'ai du mal à croire que l'espion soit là pour parler affaires, adressé-je à Thomas, toujours à la recherches de quelconques informations sur son ordinateur. C'est vrai, pour ça il y a l'espionnage industriel, aller voir dans l'entreprise ce qu'il se passe pour leur voler les idées ou pour faire mieux, mais s'en prendre au fils du PDG, ça me surprend.

- Tu penses que c'est d'ordre politique ?

- Ce que je pense c'est qu'il y a des criminels qui veulent s'en prendre à Jonathan pour une raison qu'on ignore encore. Économiquement parlant, à quoi il leur servirait ? Je crois surtout qu'ils veulent se servir de lui pour faire pression sur Hale.

Thomas souffle de fatigue face à ce manque d'informations qui nous fait toujours face. Il a l'air de réfléchir.

- Dans ce cas on tombe sur le même problème que tout à l'heure. Pourquoi il ne s'en sont pas déjà pris à Jonathan ? Ce n'est pas par hasard qu'ils prennent leur temps, ils doivent attendre quelque chose.

- Oui, mais quoi ? demandé-je à bout de patience.

- Il faut continuer à chercher, on finira bien par trouver.

Je me frotte les yeux de fatigue. Dans moins de six heures nous commençons les cours, dans un peu plus de quatre heures je devrai me lever, et j'ai l'impression que nous ne sommes pas près de nous coucher. Je me lève pour aller me faire un énième café afin de rester éveillée une demi-heure voire une heure de plus. Je n'en propose pas à Thomas qui n'a pas encore fini le sien.

Je reviens sur le canapé les yeux à demi clos et ne tarde pas à prendre une grande gorgée du liquide que je tiens entre mes mains. Je pose la tasse sur l'accoudoir du canapé - je sais, il y a plus ingénieux comme endroit pour poser une tasse remplie, et je reprends mon ordinateur sur les genoux. Je commence par m'intéresser aux entreprises Fickelman. Je ne sais pas pourquoi, mais en plus d'être le premier sur la liste des suspects, cet homme ne m'inspire pas du tout confiance, comme si j'avais une sorte de pressentiment. Je tombe sur un site présentant toutes ses grandes entreprises. Je sais qu'à part leur concurrence avec les entreprises Hale, ces entreprises ne montrent aucun problème d'ordre juridique ou autre. Cependant, il y en a aussi des plus petites sur lesquelles je n'ai pas réussi à me renseigner pour le moment. Elles n'ont aucun site particulier, aucune critique sur aucun forum. Mais ce n'est pas ça qui va m'arrêter.

- Tu m'as dit tout à l'heure que tu avais trouvé, en fouillant correctement dans sa vie, tout ce qu'il faut savoir sur Fickelman. Tu pourrais me l'envoyer sur mon ordinateur ?

Après quelques minutes, Thomas me répond :

- C'est fait.

J'ouvre la page, qui n'est pas censée être publique, à l'écran, et tombe sur des liens tout aussi privés sur les entreprises secrètes ou peu connues de Fickelman. Celles-ci sont beaucoup plus intéressantes que celles sur lesquelles j'ai eu à me renseigner plus tôt. Je tombe sur l'une d'elles qui retient particulièrement mon attention. Elle se nomme la Material Anonymus Production. Comment est-ce qu'une production peut-elle être anonyme si elle doit avoir des fournisseurs et faire du bénéfice ? De ce que je vois sur ces sites privés, c'est que leur production est destinée à être utilisée par l'état, cependant leurs clients ne sont pas précisément mentionnés.

Nous décidons d'en finir pour cette nuit lorsque je vois affiché 2h50 en bas à droite de mon écran d'ordinateur. D'abord parce que si nous ne dormons pas, la journée de demain sera impossible à passer, et en plus de ça parce qu'en étant aussi fatigués que nous malgré la dose de caféine que nous avons pris régulièrement, notre travail ne peut être que mauvais, et prendre deux fois plus de temps. Nous éteignons donc les ordinateurs et rangeons tous les dossiers de sortis. Je regarde de nouveau ma montre d'un geste machinal, il est trois heures pile. Thomas est prêt à partir, le sac sur le dos, mais je l'arrête avant même qu'il ne se dirige vers la porte.

- Hum...

Il se retourne et pose ses yeux sur moi en attendant que je lui dise quelque chose, le regard insistant.

- Ça serait peut-être plus prudent que tu dormes ici cette nuit... sur le canapé, affirmé-je alors qu'il me regarde avec une expression qui me fait douter. On a bu beaucoup, beaucoup de café ce soir alors même si ce n'est pas de l'alcool, ça reste dangereux quand on conduit.

- C'est gentil de t'inquiéter, et honnêtement je ne pensais pas que tu en étais capable avec moi, répond-il, sarcastique, mais ça va aller, je gère.

Il presse le pas pour sortir mais je l'arrête sans même bouger de ma position.

- Tu l'as dit toi-même hier... On est coéquipiers.

Thomas reste face à la porte un moment, semblant réfléchir. Puis après quelques secondes, il lâche son sac et se tourne vers moi.

- Alors maintenant tu fais preuve de compassion.

- Ça m'embêterai d'avoir à supporter quelqu'un que je ne connais pas pour te remplacer. Un seul «toi» me suffit amplement.

Thomas jette un regard vers le mur à sa droite, pour réfléchir encore une fois à un échappatoire. Sa première tactique pour me faire changer d'avis en évoquant une certaine compassion n'ayant pas marché. Puis il repose ses yeux bleus sur moi.

- Je n'ai rien pour me changer. Il est hors de question que je reste deux jours dans les mêmes vêtements.

Je pars en direction de ma chambre sans dire un mot. J'ouvre une porte qui mène à un débarras assez étroit. Je me débats avec les tonnes de cartons qui y sont plus ou moins rangés et comme par hasard, celui que je cherche est sous plusieurs dizaines d'objets lourds et pénibles à déplacer. Lorsque je parviens enfin à m'emparer du carton, je referme le débarras comme je peux en essayant à ce que rien ne tombe quand je le rouvrirai. Je rejoins Thomas qui m'avait attendu dans le salon et lui tend le carton. Il me lance un regard interrogateur que je comprends tout de suite.

- C'était à mon père.

Il ne comprend pas beaucoup mieux. Il n'est pas au courant de ce que sont devenus mes parents et mon frère, et je n'ai pas envie de lui en parler, en tout cas pas si je peux l'éviter. Au moins, je sais que même s'il a fait des recherches sur moi, il ne connaît pas cette partie de ma vie. Je décide de dire la vérité mais sans entrer dans les détails.

- Il ne les utilise plus et je les ai récupéré.

Thomas ouvre le carton d'un air dubitatif. Heureusement que mon père avait des goûts assez jeunes en matière vestimentaire parce que j'aurai compris, autrement, que Thomas ne veuillent pas les utiliser. Je me souviens que nous allions faire les magasins mon père et moi. Je le conseillais, il essayait, et puis c'était à mon tour. Je n'allais pas faire les boutiques souvent, mais quand j'y allais, seuls mon père ou ma mère m'accompagnaient, et non les deux en même temps. Au moins, nous avions chacun nos moments et nous pouvions en profiter pleinement.

Ce n'est pas le style des jeans et des t-shirts qui a l'air de déranger Thomas, mais il pose le carton sur le canapé.

- Je ne crois pas que ce soit indispensable que je reste.

- S'il te plaît... essayé-je de le convaincre en soufflant, épuisée. Si tu ne le fais pas, je te colle une balle dans l'épaule, au moins ce sera indispensable.

- Moi qui pensais que tu commençais à m'apprécier, fit-il, faussement touché, une main sur le cœur.

- Je te déteste autant qu'avant, désolée... ou non,en fait. Je ne suis pas désolée de te détester, souris-je.

- Tant mieux, c'est réciproque.

Sur ce, il se décide enfin à rester ici, redoutant une balle que j'aurai le courage de lui envoyer. Sur cela il n'a pas tort, surtout sur Thomas. Il y a un moment que ça me démange. Je l'invite à aller prendre une douche et se changer, puisque demain matin, la salle de bain sera à moi. Ou du moins, dans quelques heures. Rien que cette pensée me fatigue. J'attends que Thomas sorte de la salle de bain pour aller me coucher, je n'ai pas vraiment envie qu'il me voit allongée, les yeux fermés, comme un petite fille qui attendrait qu'on vienne lui souhaiter bonne nuit.

Quand j'entends la porte de la salle d'eau s'ouvrir, je me retourne machinalement vers la personne qui en sort. Il a les cheveux mouillés, ce qui me rappelle le soir où nous nous disputions sous la pluie battante, sauf que maintenant, une agréable odeur de shampoing s'en dégage. Il a apparemment trouvé le pyjama de mon père dans le carton : un t-shirt tout simple blanc et un pantalon à carreaux bleu et gris. Ça lui va plutôt bien. Cependant cela me fait bizarre de revoir quelqu'un porter ces vêtements, ça me rappelle de vieux souvenirs dont je n'avais pas pensé depuis un moment. Je sors de mes songes quand je me rends compte que je n'ai pas arrêté de fixer Thomas sans le vouloir, perdue dans un coin de ma tête. J'ai un sentiment de déjà vu qui me déstabilise, et je tente tant bien que mal de le cacher. Thomas n'a toujours pas bougé, posté face à moi.

- Hum... Je suppose que tu n'as besoin de rien d'autre, essayé-je de reprendre sur moi.

Thomas regarde les vêtements qu'il porte entre les mains puis me fait non de la tête. Je lui lance un regard entendu et il comprend vite qu'il doit sortir si je veux me changer tranquille. Il sort pendant que je vais prendre des affaires dans mon placard.

- Alice.

Je me retourne, il est sur le seuil de la porte. J'ail'impression qu'il veut me dire quelque chose mais qu'il hésite.

- Bonne nuit, finit-il par dire.

Je suis surprise mais je hoche la tête et lui fais un léger sourire pour lui souhaiter la même chose en retour.

***

Ma nuit a été plutôt mouvementée. J'ai repensé à toute l'affaire sans pouvoir finalement dormir. Moi qui étais crevée, je n'ai dû dormir qu'une heure ou deux, mais ma meilleure amie la caféine était là pour m'aider ce matin.

Nous sommes dans la voiture, en chemin pour le lycée, et je reste silencieuse. Ma blessure au visage a pratiquement disparu donc je peux m'accouder comme je veux contre la fenêtre, le regard vers l'horizon et la tête plongée dans mes pensées. Nous avons beaucoup avancé dans l'affaire Hale et je me demande si je finirai ma fausse année scolaire à Clinton Hill, avec Jonathan et tous les autres. Je me demande si Thomas, qui est là depuis un an contrairement à moi, va passer ses épreuves de fin d'année ou est-ce qu'il va partir sans donner de nouvelles au lycée. Est-ce qu'il va garder le contact avec Jonathan ou est-ce que le fait d'être son ami n'est qu'une couverture jusqu'au bout ? Et Jonathan, comment est-ce qu'il va prendre le fait que nous partions comme ça, sans explications ? Toutes ces questionnes tournent dans ma tête sans que je puisse y répondre.

Je repense également à la fois où j'étais allée faire les boutiques avec Genny, juste avant son départ. Elle ignorait elle aussi qui j'étais, et qui je suis toujours d'ailleurs. Elle m'avait fait promettre de veiller sur Jonathan. C'était il n'y a pas si longtemps, et à ce moment je n'y avait pas porté importance puisque je jouais déjà un rôle, mais aujourd'hui c'est différent. Je commence à connaître Jonathan, il a mis sa confiance en moi, et malgré le personnage de lycéenne que je joue constamment, je reste moi-même. Et c'est cette partie de ma personnalité qui me dit que c'est injuste d'arriver dans sa vie comme ça, et de repartir quelques temps après sans rien lui dire. Quant à Thomas, il va sûrement revenir bosser pour la PPAE après cette mission. Est-ce qu'il tiendra compte de ce qu'il a traversé avec Jonathan ? Je n'ose rien lui demander. Déjà parce que sa vie ne me regarde pas, même si je suis très curieuse de savoir son avis, mais en plus parce que je redoute sa réponse... pour Jonathan.

Je ne me rends compte que nous sommes arrêtés seulement quand Thomas ouvre sa portière. Je balaye tout ce que j'ai en tête de mon esprit et sors de la voiture à mon tour. Soudain, j'entends un bruit désagréable dans mon oreille, comme un bourdonnement. C'est l'oreillette. Zoé doit être en train de régler le micro. J'espère qu'elle ne vient pas me soutirer déjà des infos parce que je n'en ai aucune d'importante en tête, et je n'ai pas forcément la force de réfléchir à l'heure qu'il est. Je vérifie que mon micro est bien activé et je me tourne vers Thomas avant qu'il ne se dirige vers le lycée, afin de ne pas parler dans le vide. Après plusieurs bruits étranges, j'entends enfin Zoé qui m'appelle.

- Oui, qu'est-ce qu'il y a ? demandé-je en regardant Thomas dans les yeux.

Ce dernier ne semble pas comprendre ce que je fais. J'essaye de lui faire comprendre en un regard, le plus discrètement possible, que je ne m'adresse pas à lui mais à ma coéquipière. Je lève mes mains face à lui pour lui indiquer de rester en place.

J'écoute attentivement Zoé me donner les instructions, et plus elle me parle, plus mes sourcils se froncent, et le visage de Thomas change, plein d'incompréhension. Il n'entend pas ce qu'elle me dit ce qui le laisse dans le doute.

- Quoi ? Attends, je crois que je n'ai pas dû bien comprendre...

Elle continue à tout m'expliquer. Elle insiste sur le fait que ce sont les directives de Stevens et non les siennes, mais je ne peux pas en entendre plus.

- Il n'est pas question que j'entre là-dedans ! Tu diras à Stevens qu'il peut toujours courir, j'ai accepté beaucoup de choses, mais là il va trop loin.

Zoé a l'air mal à l'aise. Elle s'excuse pour le dérangement et je coupe mon micro. Elle, a eu l'air de comprendre pourquoi je refuse, mais ça ne va pas être le cas de Stevens. Il va sûrement vouloir essayer de m'appeler ou de me voir, mais je ne vais pas changer d'avis.

- Je peux savoir ce qui se passe ? demande Thomas, complètement perdu.

- Rien. Ils voulaient que je fasse quelque chose et j'ai refusé, répondis-je, agacée par cette dernière conversation.

Je vois que ces explications ne lui suffisent pas, mais il n'en demande pas plus, du moins pour l'instant.

Nous nous avançons donc vers le lycée sans dire un mot de plus. Comme d'habitude, nous arrivons les derniers et rejoignons donc le groupe de garçons ainsi que Magali, qui reste de plus en plus souvent avec nous, ce qui est loin de me déranger bien sûr. Le seul problème, c'est que je vais pouvoir la rajouter à la liste des suspects. Mais quelque chose me chiffonne, et je ne sais pas quoi. Il y a Danny qui parle avec Owen, et Hugo et Magali qui se regardent en souriant. Je m'arrête d'un coup. Thomas me regarde, voulant savoir la raison de mon comportement, puis il suit mon regard et reporte le sien sur l'ensemble du groupe. Nos yeux se croisent en même temps et nous comprenons ce que l'autre pense. Nous arrivons constamment les derniers... alors où est Jonathan ?

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