17. Sécurité avant tout
Nous arrivons bientôt devant mon appartement, et Thomas se gare sur le rebord du trottoir. C'est à ce moment-là que je m'aperçois qu'il savait très bien depuis le début où est-ce que j'habitais. Plusieurs questions commencent à se poser dans ma tête. Comment a-t-il su ? Pourquoi ? Est-ce qu'il est déjà venu chez moi quand je n'y étais pas ? Je lui lance un regard interrogateur en pointant du doigt l'appartement, mais il ne semble pas comprendre ce que je veux dire.
- Je peux savoir comment tu connais mon adresse ?
- En fait, non. C'est mon petit secret.
Je lui envoie un regard noir qui lui donne intérêt à vite me répondre s'il ne veut pas avoir affaire à moi.
- Ce n'était pas une question je te signale, lui affirmé-je.
Il laisse tomber ses bras du volant et souffle, lassé.
- Je te rappelle qu'on était chacun dans la ligne de mire de l'autre, alors j'ai fait quelques recherches sur toi, et oui, je suis déjà venu ici.
J'ouvre des yeux grands comme des soucoupes. Je crois que je vais le frapper, et je pense qu'il le sait puisqu'il éloigne son visage par réflexe, levant sa main pour attraper la mienne au passage si la colère prenait le pas sur la retenue. Je lui fais une tête qu'il comprend très bien, et c'est pour cela qu'il ajoute avec le plus énervant des naturels :
- Je ne suis jamais rentré, si ça peut te rassurer.
Je souffle à mon tour et m'adosse contre le siège, soulagée. Je suis sûre que je l'aurai remarqué s'il était entré chez moi, et le contraire ne m'aurait pas du tout rassuré.
Nous restons quelques minutes de plus dans la voiture pour se mettre au clair sur l'heure du départ au lycée, c'est-à-dire quand il sera complètement fermé, et sur l'organisation de notre mission. Thomas m'explique qu'il s'était déjà renseigné pour savoir si le lycée était surveillé, et apparemment c'est le cas. Il y a deux gardiens de nuit équipés de talkies-walkies et de matraques, ainsi qu'une alarme – juste au cas où – qui se déclenche à l'entrée du lycée. Même si c'est le minimum pour un établissement assez important, je me demande ce qu'ils cachent à l'intérieur pour être aussi sécurisés. Qui aurait l'idée de fouiller ou voler un lycée, sérieusement ? Bon, à part nous. Je suis un peu surprise que Thomas ait pu avoir ces informations. Il m'explique qu'il a fait croire au concierge qu'il faisait un devoir sur la sécurité dans les bâtiments scolaires, et j'ai pu voir durant ma ronde que ce dernier est un homme plutôt bavard, donc maintenant ça ne m'étonne pas plus que cela.
- Le seul bémol, finit Thomas, c'est qu'absolument toutes les portes, tiroirs et autres choses pouvant être fermées à clef le sont, et que les forcer prend pas mal de temps pendant lequel il ne faut pas se faire choper.
Je hausse les sourcils de surprise. Le grand Thomas ne saurait pas forcer une serrure en moins de dix secondes ? Je comprends mieux pourquoi il n'est jamais passé à l'action tout seul à présent. Le pauvre n'est pas assez rapide. Je feins une moue pour me moquer ouvertement de lui ce qui le fait serrer les dents. C'est plus fort que moi, j'adore l'énerver. Et comme il en fait de même avec moi, je ne peux avoir aucun remord.
- Ne t'en fais pas, je m'en occuperai. Il y a ceux qui sont habitués et il y a... les autres, fis-je en en tendant mes bras vers lui pour illustrer la dernière catégorie.
Il me lance un faux sourire largement exagéré et je me décide enfin à sortir de la voiture quand il m'interpelle :
- Tu es sûre de vouloir le faire cette nuit ? Avec ton bandage à la main et ton accident qui date de ce matin je te rappelle, tu ne seras certainement pas en état pour fouiller, pour fuir ou même pour crocheter une serrure.
- Certainement. Je ne serai certainement pas en état. Ça veut dire qu'il reste encore la possibilité que je le sois, donc oui, je suis sûre. Tu ne te dégonfles pas ?
- Non ! Bien sûr que non !
- Alors on se voit tout à l'heure.
Je sors de la voiture et me retrouve une nouvelle fois sous la pluie battante. Je contourne le capot et marche vite en direction de la grande porte, monte les quelques marches puis m'arrête devant la poignée. Je n'ai pas eu l'ingénieuse idée de sortir mes clefs avant, et me voilà les cherchant sous des sceaux d'eau qui se déversent sur moi. Je les ai enfin trouvé quand je sens une main se glisser sur mon épaule. Je me retourne vivement, c'est Thomas. Je ne l'avais pas entendu à cause du son assourdissant de la pluie qui nous entoure. Je n'ai pas le temps de lui demander ce qu'il fait là puisqu'il répond à cette question avant que je n'ouvre la bouche.
- Ton numéro de téléphone, crie-t-il presque pour que je l'entende. Ce sera plus simple pour se tenir au courant.
Je lui fais signe de me passer son cellulaire et tape mon numéro dans un nouveau contact sans prendre le temps d'y écrire mon nom. Il me dit ensuite quelque chose que je n'arrive pas à entendre. Voyant que je ne l'entends pas, il se rapproche doucement de moi, ou plutôt, il se rapproche dangereusement de moi. J'ignore totalement ce qu'il m'a dit et cela me fait peur. D'un geste instinctif, je recule d'un pas et rencontre bien trop vite la porte dans mon dos. Il approche sa main de mon jean, sûr de lui, jusqu'à en toucher la poche. Il en sort mon téléphone et trafique quelque chose dessus. Je respire enfin quand je m'aperçois que tout ça n'a duré que quelques secondes, contrairement à ce que j'avais cru vivre. Inutile de penser à ce qui aurait pu se passer, car il n'en ai rien. Il me rend le portable que je regarde une fois en ma possession.
Au-dessus du numéro affiché, il a lui-même marqué le nom du contact qu'il a nommé «M. Parfait». Je souris faussement à la vue de cette appellation et efface toutes les lettres, devant Thomas qui regarde par dessus le téléphone pour voir ce que je fais, et ne laisse que le «P». Pour finir j'ajoute R.E.T.E.N.T.I.O.N. Je trouve que «M. Prétention» lui va mieux.
Je plonge de nouveau ma main dans mon sac et comme par hasard, comme si une force surpuissante voulait me punir, mes doigts n'ont aucun mal à se glisser jusqu'à mes clefs. Elles ne pouvaient pas se manifester avant celles-là ! Thomas retourne à sa voiture tandis que je rentre dans l'appartement.
***
Cela fait maintenant plusieurs heures que je suis rentrée. J'ai eu le temps de prendre une douche bien chaude, de me changer et d'avaler quelque chose pour ne pas partir le ventre vide. Et depuis je n'arrive pas à décrocher mon regard de ce tableau blanc, au mur de mon bureau. J'ai modifié toutes les hypothèses qui pouvaient me mener à Thomas et je n'ai pratiquement plus rien. Il faut encore que j'attende les réponses de Stevens sur les possibles ennemis de George Hale dans les affaires, je suis certaine que ce sont ces informations en particulier qui me manquent et qui pourraient me permettre de faire avancer l'enquête. Soudain, j'entends quelqu'un toquer à la porte. Je regarde ma montre : 22h03. Thomas ne devrait pas tarder à arriver, alors j'ignore qui c'est mais il devra repasser une prochaine fois. Je me dirige vers la porte pour ouvrir, sans savoir qui est de l'autre côté à cause de l'absence d'un judas. Je m'apprête à couper la personne dans son élan en ouvrant la porte, quand je m'arrête net sur son visage.
- Qu'est-ce que tu fais là ?
- Je crois que c'est ici que tu habites, et je crois aussi qu'on devait aller au lycée ce soir, à moins que tu n'es prévu autre chose...
- C'est bon, arrête ton sarcasme, lâché-je. Je pensais que tu me préviendrai au moins de ton arrivée.
- Quoi ? Tu n'aimes pas les surprises ?
Je vais chercher mon téléphone plus loin sur ma commode, les clefs de l'appartement ainsi qu'un sac noir avec tout le reste de mes affaires à l'intérieur, puis je sors avant de fermer à clef.
- Je déteste les surprises.
***
La voiture noire, même si c'est la seule garée sur ce parking vide, passe inaperçue et se fond dans la nuit. Nous avons justement attendu assez tard pour qu'il fasse totalement sombre, ce qui est plutôt long quand on est en plein été dans un des états les plus ensoleillé du pays. Cependant arriver en plein jour aurait facilité le travail des gardiens de sécurité et rendu le nôtre plus difficile qu'il ne l'est déjà. Je récupère mon sac que je pose sur mon dos tandis que Thomas prend un sac de sport dans son coffre qui semble assez rempli. Je préfère ne pas perdre mon temps en lui demandant ce qu'il contient et me dirige tout de suite vers la porte d'entrée.
Je ne vois aucun gardien à l'extérieur ce qui veut dire qu'ils rôdent forcément dans les couloirs, reste à savoir où exactement pour ne pas avoir à les croiser. Je m'accroupis devant la serrure tandis que Thomas sort une lampe torche et dirige le faisceau de lumière vers la poignée. Je détache le sac de mon épaule, ouvre une petite poche sur le devant et en sors deux fils de fer que je tords de manière à les enfiler dans la serrure. En seulement quelques secondes et après avoir bidouillé le mécanisme de sécurité de la porte avec tact, j'ouvre enfin la poignée et l'entrée nous accueille grande ouverte.
Je range vite tous mes outils et entre dans le couloir avant de me faire remarquer, quand Thomas m'arrête. Il sort à son tour de son sac une boîte métallique qu'il pose contre un mécanisme installé sur le mur du lycée. Je suppose qu'il s'agit de l'alarme. Étonnamment, pirater la sécurité ne lui prend pas beaucoup plus de temps que moi pour ouvrir la porte. Une fois que l'établissement n'est plus du tout sécurisé, nous entrons.
Nous avançons lentement dans le lycée, éclairés seulement grâce à nos deux mini lampes. Le silence règne en maître des lieux mais n'installe aucun froid. Bizarrement, l'endroit est moins impressionnant de nuit qu'on pourrait le penser. Thomas m'appelle de derrière en chuchotant, et quand je me retourne, me fait signe de tourner à droite, vers le bureau de la secrétaire d'accueil. Il s'avance en premier cette fois et m'attend devant la porte pour que je l'ouvre, faisant le guet pour s'assurer que personne ne nous prenne en flagrant délit. Toujours avec les mêmes manipulations, je fais subir à cette serrure un sort pareil à l'autre.
Nous commençons à ouvrir et fouiller chaque placard, chaque tiroir, et chaque dossier qui nous tombe sous la main. D'abord ceux des élèves de notre classe, puis ceux des professeurs, et tout ce qu'on trouve sur les curriculum vitae des autres employés du lycée. Mais nous ne trouvons absolument rien. Aucun indice, aucune information de quelle sorte que ce soit pour permettre d'afficher quelqu'un sur la liste de réels suspect qui pour le moment, ne contient aucun membre. Cela fait bien une heure pourtant que nous cherchons dans ce fichu bureau, qui contient presque plus de papiers qu'une salle d'archives. Je ne sais pas comment ils font pour s'en sortir avec autant de choses à gérer, et malgré le fait que tout soit impeccablement bien trié, rien ne nous vient en main d'assez important. Je décide d'allumer l'ordinateur pour pouvoir regarder les enregistrements des caméras de surveillance du lycée, au cas où je trouverais une image marquante, mais un bruit attire mon attention. Quelqu'un vient dans notre direction et je doute que ce soit pour nous aider à chercher.
- Je crois qu'il vaut mieux qu'on aille...
- Chut ! coupé-je Thomas.
Mes sourcils sont froncés, je me concentre afin d'entendre si la personne est toujours présente dans le couloir. Des bruits de pas me donnent tout de suite la réponse. D'un mouvement rapide, je vais fermer la porte à clef de l'intérieur et pousse Thomas, déjà derrière le bureau, pour qu'il s'allonge au sol. Malheureusement celui-ci est surpris et m'embarque avec lui dans sa chute. J'atterris sur son torse, allongée de tout mon long sur lui, et retiens une plainte.
- Qu'est-ce que tu fais ? demande Thomas comme si ce n'était pas évident. Quoi que la position dans laquelle nous sommes pourrait prêter à confusion.
Je place ma main devant sa bouche pour qu'il se taise. Un faisceau de lumière blanche traverse la vitre de la porte sans nous éclairer et le son des pas devient plus net jusqu'à disparaître peu à peu avec la lumière. Il n'a fait que passer, ça veut dire qu'il ne nous a pas entendu, ou alors qu'il ne prend pas la peine de vérifier toutes les salles. Dans les deux cas, cela nous arrange. J'enlève ma main de devant la bouche de Thomas et souffle de soulagement. J'ai l'impression d'avoir coupé ma respiration pendant tout ce temps. Quand je me rends à nouveau compte de la situation dans laquelle je suis, je me lève d'un bon et vais vérifier par la vitre que le gardien soit bien parti.
- Tu aurais pu me prévenir, je me serai planqué tout seul.
- Le temps que l'information te monte au cerveau et on se serait déjà fait repéré. Mais la prochaine fois je crierai avant de te pousser histoire de bien nous faire remarquer, ironisé-je, tournant mon regard vers lui.
- Tu n'étais pas obligée de te jeter sur moi après. Tu sais, tu n'es pas trop mon style de fille.
- Quoi ? essayé-je de chuchoter. C'est toi qui m'a faite tomber je te signale. Et en passant, je ne cherche pas à être ton type, tu es beaucoup trop... toi, en fait.
Je m'approche du bureau de la secrétaire et allume l'ordinateur qui s'y trouve. Comme je le pensais, il y a un mot de passe pour pouvoir y accéder que je n'avais pas eu à taper la dernière fois puisque la session était déjà ouverte. J'attrape une clé USB dans mon sac que j'installe sur la tour de l'ordinateur. Une page s'ouvre vite à l'écran et plusieurs lignes de chiffres et de caractères informatiques apparaissent à la suite. Plus que quelques touches à taper et nous voilà entrés dans la session. Thomas fixe l'écran et me regarde faire sans broncher, attendant sûrement que j'affiche les vidéos. Je parcours donc les nombreux fichiers avant de tomber sur un dossier intitulé «Sécurité», que j'ouvre à la seconde où je le vois. Plus d'une dizaine de vidéos ont été gardées et elles durent entre une et douze heures chacune. Les regarder une par une va nous prendre pas mal de temps mais nous sommes obligés de le faire si nous voulons trouver des indices pour faire avancer l'enquête.
***
Cela doit bien faire vingt-cinq minutes que nous sommes sur cet ordinateur. Les vidéos passent en accéléré et nous tentons de regarder au mieux chaque nouvelle personne qui arrive dans chaque pièce. Il n'y a pas de caméras partout malheureusement. Seulement dans le bureau du proviseur, celui de la psychologue scolaire, celui de la conseillère d'orientation et tous les autres bureaux administratifs, mais il n'y en a pas dans les salles de classe ou dans les couloirs et fort heureusement, il n'y en a pas non plus où nous sommes.
Celle que nous visionnons en ce moment est celle du bureau du proviseur et elle nous ai facile à regarder puisqu'il reste toute la journée assis dans son fauteuil, à trier ou signer des papiers pour le lycée. En tout cas, c'est ce que nous croyions, puisqu'une nouvelle personne entre dans la pièce. J'effectue un retour en arrière dans la vidéo et appuie sur «play» sans accélérateur cette fois-ci. Lorsque le visage apparaît sur l'écran et est bien visible, je stoppe la lecture. Je m'approche pour bien le discerner, mais je sais que je ne me trompe pas.
- Dites-moi que je rêve.
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