13. Café personnalisé

J'entends le bruit d'un électrocardiogramme alors que je sors petit à petit de mon état de sommeil intense. Ce seul son m'indique que je n'ai pas rêvé. Cet accident a bien eu lieu et je crois que j'ai de la chance de m'en être sortie vivante. Je n'arrive pas à ouvrir les yeux, mais je parviens tout de même à sentir la lumière d'un néon blanc me traverser les paupières. J'entends une discussion au loin. Je crois reconnaître une des voix mais n'identifie pas l'autre.

- Comment elle va ? Est-ce que je peux la voir ?

- Désolé jeune homme, mais seule la famille a le droit de visite.

- Je suis son fiancé, tente-t-il le tout pour le tout.

Mon fiancé ? Pourquoi se fait-il passer comme tel ? J'essaie d'ouvrir mes paupières qui restent inlassablement lourdes. Je peux à peine bouger le bout de mes doigts et ma tête me fait en ce moment penser à un énorme rocher.

- Allez-y.

Je sens qu'il se rapproche de moi, et j'entends un téléphone vibrer. Il décroche.

- Allô, Jonathan ?

- ...

- Oui, j'ai eu un léger contre-temps.

- ...

- Non... je ne sais pas où elle est. Comment voudrais-tu que je le sache ?

- ...

- Oui, à plus.

J'arrive, enfin, à ouvrir légèrement mes yeux et un souffle s'échappe de ma bouche.

- Salut, arrivé-je à prononcer.

Il se tourne vers moi en entendant ma voix.

- Hey, salut, comment tu vas ? chuchote-t-il presque.

- Je... je vais bien, essayé-je d'articuler du mieux que je peux.

Je commence à me lever. Il ne faut pas que je reste plus longtemps dans cet hôpital, Jonathan est tout seul et s'il lui arrive quelque chose...

- Non, reste allongée, tu es encore sous le choc.

- Qu'est-ce que tu fais là, Thomas ? lâché-je, me laissant tomber sur le lit.

- Je t'ai amené à l'hôpital après ton accident.

Je me remémore les dernières images de cet accident de malheur et ouvre de grands yeux en direction de Thomas.

- Ma moto ! Dis-moi qu'elle n'est pas dans un état catastrophique ! Il faut que j'y aille, je ne peux pas rester là à rien faire pendant que Jonathan va en cours sans se douter de ce qu'il se passe autour de lui.

Je retrouve d'un coup toutes mes capacités motrices et décide de m'en servir. J'ai l'impression de marcher à l'adrénaline. Il ne faut surtout pas qu'elle m'échappe ou je m'effondre. Je ne vais pas rester allongée en attendant qu'on me serve mon dîner infecte sur un plateau, en regardant la télé toute la journée, alors que je pourrai être dehors. Mais Thomas m'en empêche une seconde fois.

- Je vais bien ! m'écrie-je presque en le fusillant du regard.

- Tu as failli y passer, Alice, merde !

C'est à son tour de me regarder avec les sourcils froncés. Il a un visage qui mélange colère et nervosité. Je ne l'ai jamais vu dans cet état. Mais je garde ma contenance et le défi du regard.

- Tu préfères qu'on laisse Jonathan se faire attraper?

Il ne dit rien, c'est bien ce qui me semblait. Je le prie de me passer mes vêtements et de me laisser me changer en toute intimité et referme le rideau derrière lui. Je fais du plus vite que je peux pour m'habiller, enfiler et lacer mes chaussures, et je rouvre les rideaux. À ma grande surprise, je revois Thomas qui m'attendait patiemment de l'autre côté.

- Qu'est-ce tu fais ? J'aurai pu te rejoindre après.

- Et je m'en serai volontiers contenté, mais tu n'as plus de moyen de locomotion. Alors si tu préfères y aller à pieds, fais comme bon te semble.

- Où est ma moto ? demandé-je, sérieusement inquiète.

- Elle n'est plus en état d'être utilisée je crois. Un garagiste l'a récupéré, tu pourras aller la chercher quand tu voudras, je te donnerai l'adresse. Alors ?

Je souffle, pèse le pour et le contre ce qui est vite réglé, et lance un regard fatigué à Thomas, en penchant la tête sur le côté.

- C'est bon, okay, je viens. Mais une dernière question : comment on va faire pour sortir, je ne suis même pas censée être réveillée.

- Il suffira juste de ne croiser aucune de tes trois infirmières.

Je hausse les sourcils face à cette remarque. Seulement trois, qui font des rondes toutes les cinq minutes ? Je ne sais même pas pourquoi j'ai posé cette question, c'est d'une simplicité ! Je me retourne pour attraper mon sac et nous sortons au pas de course. Nous marchons dans l'immense couloir tête baissée, croisant plusieurs personnes sans qu'elles ne nous reconnaissent, tant mieux. Soudain, à l'approche d'une femme, Thomas me pousse sur le côté et mon dos touche un mur, ou plutôt se plaque littéralement dessus. Je suis prise en sandwich entre le mur et lui, qui se trouve à seulement quelques centimètres de moi. Je peux sentir son torse toucher le mien quand il respire, et son souffle chaud me brûler le visage. Ses mains tiennent à présent les miennes et ses doigts s'entortillent dans les miens.

- Est-ce que t'es devenu malade ?

- Chut ! m'ordonne-t-il en plaquant sa main sur ma bouche.

Je lui enlève instantanément, mon autre main toujours dans la sienne. Nos regards se croisent un instant, mais le sien se dirige vite de l'autre côté du couloir, dans la direction que prend la femme. Il fait un pas en arrière pour me laisser respirer. Je jette un œil derrière nous et voit cette même infirmière tourner vers ma chambre.

- C'était l'une d'elles, je suppose. Bien joué, mais ne t'avise plus de me toucher encore une fois.

- T'inquiète pas, ça n'arrivera plus, mais pas parce que tu ne le veux pas. C'était un cas d'urgence, ne va pas te faire des idées.

- On est au moins d'accord sur ce point-là. Maintenant on ferait mieux de courir parce qu'elle se dirigeait tout droit vers la chambre où je devrai être en ce moment.

À ces mots, nous commençons à courir dans le couloir. Nous nous faisons remarquer par tous les gens qui nous voient, certains nous demandent même de nous arrêter mais nous ne les écoutons pas, nous n'avons pas le choix si nous ne voulons pas nous faire prendre. Nous ne faisons que sprinter jusqu'à la porte d'entrée coulissante.

Lorsque nous arrivons à la voiture de Thomas, nous reprenons notre souffle. Il ne vont pas venir nous chercher jusqu'ici, c'est sûr. Cependant, j'ai la tête qui tourne et qui me fait véritablement mal. Je sens mes jambes trembler, elles ne me soutiennent plus. Je vais m'écraser sur le sol, quand je sens une force me soutenir le dos et les jambes. Je garde tout de même les yeux ouverts, ce doit être à cause de l'accident que je ne supporte plus les efforts pour le moment. Ma tête a dû être touchée plus que je ne le pensais. Je parviens difficilement à me relever avec l'aide de Thomas. Il m'assoit sur le siège passager et fait le tour de la voiture pour se placer en conducteur. Je me remets de mes émotions doucement, attache ma ceinture et nous démarrons .Maintenant que nous y sommes, il n'est pas question de faire demi-tour.

***

Cela fait cinq bonnes minutes que nous roulons et aucun de nous n'a dit un mot depuis notre départ. L'hôpital est en dehors de la ville, il va nous falloir au moins dix minutes, voire un quart d'heure pour atteindre le lycée. Je sens que le trajet va être long, mais c'est mieux comme ça. De toute façon, nous n'avons rien à nous dire. Cependant, Thomas décide d'entamer le conversation.

- Il y a une chose que tu dois savoir à propos de ce qui t'es arrivée ce matin.

Je le regarde pour lui faire comprendre qu'il a toute mon attention. Je suis intriguée par ce qu'il a à me dire.

- Le médecin a trouvé des traces de drogues dans ton organisme. Mais pas quelque chose de banal, quelque chose de puissant qui aurait pu te tuer, et je crois que c'est à cause de ça que tu t'es évanouie sur ta moto.

Comment il sait ce qu'il s'est passé ? Je veux dire, ça aurait pu être un accident normal, j'aurai pu simplement perdre le contrôle de la moto et glisser. Il répond vite à ma question muette.

- J'étais derrière toi, Alice, j'ai vu comment tu es tombée et ça n'avait rien de normal.

Je me laisse tomber sur le dossier du siège. La vérité c'est que je n'ai aucune idée de ce qui m'est arrivé, je ne saurai pas l'expliquer. Devant mon trouble, Thomas essaye de trouver des indices permettant d'en savoir plus.

- Est-ce que tu as bu ou mangé un truc avant de venir au commissariat ? Ne cherche pas dans un distributeur, mais une chose que tu aurais commandé dans un café, un restaurant...

Je me tape la tête en arrière, les yeux fermés, en me remémorant les évènements.

- Je me suis commandé un café au Starbucks en ville. Ils inscrivent les noms sur les commandes, il a dû y avoir quelqu'un qui a glissé une poudre à l'intérieur avant qu'on me le serve.

Je ne peux pas croire qu'il me soit arrivé une chose pareille, à moi, qui ne prend le café au Starbucks qu'une fois par mois. Du reste, je le bois tranquillement chez moi. Je n'aime pas les espace où il y a du monde, et je n'y vais que quand je dois suivre quelqu'un de près. Mais en dehors de ça, je ne comprends pas qui aurait pu m'empoisonner. Je ne pense pas m'être fait repérer par qui que ce soit au lycée, donc j'élimine l'hypothèse de l'espion ennemi.

- C'était peut-être juste un homme mal intentionné qui t'a fait ça. Il t'a suivi, a vu que tu te dirigeais vers le poste de police ce qui l'a arrêté, et il est reparti, annonce Thomas en me voyant réfléchir.

- Super ! Me voilà rassurée, merci, ironisé-je.

- Oh mais de rien.

Je me tourne vers la fenêtre, pensive. Je pense à notre retour au lycée, notre future rencontre avec Jonathan. Je regarde l'heure sur le tableau de bord, il est dix heures dix, autrement dit nous allons arriver en plein cours. Les explications ne se feront qu'après, tant pis. Ça ne va pas le tuer d'attendre une demi-heure. Les explications...

- Qu'est-ce que tu voudras qu'on dise à Jonathan ?

- Comment ça ?

- Il faudra bien qu'on lui explique pourquoi on arrive tous les deux, au même moment, alors qu'on a été absents pendant deux heures et qu'on ne peut pas se voir sans s'entretuer. Façon de parler bien sûr, puisque c'est ce qui nous ait réellement arrivé.

- On improvisera quand ça se passera, comme on a fait depuis qu'on est sorti de l'hôpital.

- Oui, et je me suis retrouvée collée dos à un mur je te rappelle, dis-je en haussant la voix. Je suis sûre que tu as réussi à me coller ton odeur sur mes vêtements, ajouté-je en lui montrant expressivement un air de dégoût et en frottant mes vêtements. Et si c'est le cas, on est fichus. Tu te vois lui dire : Oui, en effet, on a dû faire semblant de s'embrasser pour ne pas se faire repérer par les infirmières après s'être enfui d'un hôpital parce que j'avais eu un accident de moto, parce que je-ne-sais-qui m'avait empoisonné, et que Thomas se trouvait juste derrière moi lors de cet accident parce qu'on s'était vu au poste de police pour régler une affaire avec notre patron commun, parce qu'on bosse pour une agence en garantissant ta sécurité. Eh oui, on est des espions. Sinon on a quoi comme cours ensuite ?

Je vois bien qu'il ne peut rien faire parce qu'il conduit et ne veut pas lâcher la route des yeux, donc j'en profite. Quand je veux poser ma joue dans le creux de ma main, je stoppe mon geste tout de suite. Elle me fait horriblement mal. J'abaisse le miroir du pare-soleil. Un énorme bleu colore le bas de mon visage. Je remarque également que mon front est fortement égratigné et qu'il y a même un pansement qui trahi le besoin de deux ou trois points de suture. En bref, je suis bien amochée. Mon teint ni rouge, ni pâle rattrape un tant soit peu mon visage qui, étonnamment, ne contient aucune bosse en plus de tout ça. Avec ma main dans le bandage, j'ai l'impression de sortir de guerre ou d'une bagarre qui a mal tourné. Je relève le pare-soleil pour ne plus avoir à affronter mon reflet.

- Pourquoi tu ne m'as pas dit que j'avais cette tête-là ?

- De un, parce que tu n'as rien voulu entendre quand je t'ai dit que tu ne pouvais pas sortir, et de deux parce que je ne voulais pas te faire de complexes.

Je détourne mon regard vers lui. Il a un sourire arrogant.

- Hilarant, vraiment.

***

Nous arrivons quelques temps plus tard au lycée. Comme nous le pensions, les cours ont déjà débuté puisqu'il est plus de dix heures trente, et il n'y a absolument personne dans les couloirs. Seules quelques personnes profitent du beau temps dehors, devant le bâtiment. Nous marchons dans les couloirs silencieux sans parler, respectant ce calme. Lorsque nous arrivons à la porte de la classe de littérature, nous nous arrêtons.

- Qu'est-ce qu'on dit pour le retard ? demandé-je à Thomas.

- La vérité. Tu as bien vu ton état, ça témoignera. Tu veux qu'on dise quoi d'autre ?

Je ne réponds rien et toque à la porte avec ma main encore d'aplomb. J'ignore pourquoi, mais l'autre ne daigne pas guérir pour le moment. J'entends le professeur nous dire d'entrer, j'ouvre la porte et bien évidemment, tous les regards sont portés sur nous.

- Excusez-nous pour notre retard M. Monroe, commencé-je, mais on a eu quelques problèmes pour venir.

- Un accident de moto, ajoute Thomas, même si j'avais réussi à tourner ma phrase pour éviter l'effet dramatique. Ce qui ne manqua pas avec ce petit détail.

Jonathan se lève d'un bon de sa chaise en voyant mon état. Il accourt presque vers moi et prend mon visage entre ses mains qui m'obligent à lever la tête à cause de notre grande différence de taille. Je vois qu'il est inquiet, je peux lire dans ses yeux qu'il s'en veux, comme on peut s'en vouloir quand il arrive quelque chose de grave à quelqu'un qu'on apprécie beaucoup. Je prends ses mains dans les miennes pour les enlever de mes joues et le concentrer sur la réalité.

- Je vais bien, d'accord ?

Il hoche la tête sans un mot. Une boule se forme dans ma gorge en le voyant comme cela.

- Vous êtes sûrs que ça va ? nous demande M. Monroe.

- Nous sortons tout droit de l'hôpital, justifie Thomas.

- Il vous aurez fallu quelques jours de repos, ce n'est pas normal que vous soyez ici aussi vite.

Jonathan me regarde toujours, il ne m'a pas lâché des yeux une seconde depuis que je suis rentrée dans la pièce. Thomas est toujours à l'affût d'un quelconque malaise. Mais je vais bien,je le sais maintenant. Nous allons nous assoir à nos places et je réponds enfin à mon professeur :

- Vous savez, même quand le destin décide de vous achever par tous les moyens, il faut continuer à l'éviter et à vivre comme il nous plaît.

- Je suis tout à fait d'accord. D'ailleurs, ce sera notre morale du jour. Ouvrez vos livres page cent vingt-trois...

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