12. Un point partout

- Quoi ?

Il sort ce qui ressemble de près à un porte-feuille et le pose sur le bureau qui lui fait face. Je m'approche pour le prendre d'un geste vif. Une carte d'agent de la PPAE est insérée à l'intérieur de l'étui avec sa photo dessus, et elle est bien réelle. Je saurai reconnaître un faux papier.

- Tu pensais que c'était moi qui en voulait à Jonathan, lâché-je.

- Et toi tu pensais que c'était moi.

Je lui lance un regard pour approuver. Nous nous sommes complètement emmêlés dans notre discussion qui n'a été qu'un énorme quiproquo.

- Mais ça n'a aucun sens... pourquoi est-ce qu'ils ne nous auraient pas prévenu ?

- Je n'en sais rien, je ne sais même pas pourquoi il t'ont envoyé.

Je ne sais pas s'il m'a dit ça avec mépris, mais je n'ai pas du tout apprécié.

- Peut-être parce qu'en un an tu n'as pas su faire ton travail.

Un à zéro pour moi.

Il ne dit rien. Nous sommes tous les deux partagés entre la colère, la surprise et la nécessité d'en savoir plus. Et croyez-moi, ce cocktail est imbuvable.

- Quand je pense que je perds mon temps depuis le début en cherchant des trucs sur... Aïe !

Je viens de taper la main sur la table à cause de mon énervement. Le problème est que j'avais déjà oublié le fait que celle-ci avait été frappée par Thomas quelques minutes plus tôt. Je ne sais pas en quoi a été faite cette lampe, mais elle a mieux résisté que moi au choc. Je me tiens la main à cause de la douleur qui est vraiment forte tout en essayant de ne pas crier, et m'assois sur la chaise. Thomas a tout de suite compris la raison de mon mal, et se presse pour ouvrir le tiroir du bureau. Il en sort une trousse de premier secours et de là, un bandage. Il se met à genoux devant moi et commence à déplier le ruban.

- Qu'est-ce que tu fais avec ça ici ?

- À ton avis ?

Je sais que ma question est idiote. Je suis juste étonnée qu'il ait pensé à apporter ça dans un lieu pareil. En parlant de ça, je ne sais pas pourquoi il a choisi un bâtiment aussi grand pour si peu de choses. Je regarde autour de moi, ça n'a pas l'air aussi glauque maintenant. Je suis concentrée sur les lieux quand je suis tirée de mes pensée par un frisson de surprise qui parcourt ma main quand Thomas me la prend.

- C'est bon, je vais le faire, certifié-je.

- Alice, tu ne peux bouger qu'une main, tu comptes t'y prendre comment ?

D'accord, un point partout.

Je le laisse faire puisque je n'ai pas le choix de toute façon.

- Pourquoi est-ce que tu es... différent ?

- Comment ça ? demande-t-il sans lever son regard de ce qu'il fait.

- Tu as arrêté de m'envoyer balader. Je suis trop forte pour toi, c'est ça ?

Cette fois, il relève ses yeux pour les plonger dans les miens.

- J'ai arrêté de te détester quand j'ai su qui tu étais. Mais toi ce n'est pas le cas.

- Je peux pas dire que je t'ai toujours porté dans mon cœur, mais je ne t'ai jamais haïs pour autant. Je dirai plutôt... que tu m'énerves au point que j'ai souvent envie de t'en mettre une.

Ses lèvres s'étirent légèrement sur son visage.

- Merci.

- Je t'en prie, souris-je.

Il termine mon bandage, assez bien réussi je dois avouer, et s'apprête à se relever quand je l'arrête. J'ai vu du désinfectant et des cotons dans la boîte et je compte bien m'en servir.

- Attends.

Il se rassied sans poser de questions, mais sans comprendre mes intentions pour autant. Quand il voit ce que je m'apprête à faire, il se relève d'un bond.

- Laisse-moi faire, tu veux ? lui ordonné-je d'une voix autoritaire en me relevant également.

- C'est qu'une égratignure !

Non, ce n'est pas une égratignure, sa lèvre saigne et commence à enfler.

- Ça va s'infecter et ce sera horrible, alors m'embête pas. À moins que tu ne préfères que ton joli visage d'ange soit déformé.

Thomas hausse les sourcils à cette appellation.

- T'as très bien compris ce que je voulais dire, terminé-je toujours sur un ton autoritaire.

- Oh oui, j'ai bien compris. Je suis irrési... Mmh !

Il étouffe un cri quand je viens plaquer le coton imbibé de désinfectant sur sa plaie. Je lui lance un regard accompagné d'un sourire qui veulent tout dire. Oui, je l'ai fait exprès. Oui, c'était sadique. Et oui, la prochaine fois tu la fermeras au lieu de vouloir dire une connerie.

J'enlève le coton et finis par tapoter doucement pour nettoyer sa lèvre. C'est assez déstabilisant étant donné qu'il n'a pas le choix de me regarder aussi puisque je suis devant son nez ,à quelques centimètres de sa bouche. Ma seconde main, blessée,maintient son visage en place en le tenant par le menton. Je peux presque sentir les battements de son cœur ralentir et ses yeux parcourir mon visage. Je laisse tomber ma main dans la sienne pour lui donner le coton et m'écarte de lui.

- Reste appuyé dessus, tu mettras de la glace quand tu en auras. À propos, continué-je en me tournant vers lui, pourquoi ici et pas chez toi ?

- J'ai quitté le cocon familial depuis un moment, et mon studio est trop petit et trop exposé pour travailler.

Je jette un œil sur le plan qu'a fait Thomas. Les photos de moi y sont toujours, mon nom est encore entouré trois ou quatre fois en rouge.

- On peut oublier tout ce qu'on a fait ces derniers jours. Tout ça n'a servi à rien.

***

Je suis partie quelques temps après notre discussion et j'ai coupé les ponts avec Zoé, Derek et Julien. Je me sens plus que trahie par ma propre équipe. J'ignore s'ils savaient quelque chose, mais quoi qu'il en soit Stevens était au courant.

Je me dirige d'ailleurs dans le commissariat où je lui ai donné rendez-vous. Il n'est pas au courant du motif pour lequel il est là, ni de mon accueil qui va être des plus chaleureux. Je ne salue personne et suis concentrée sur mon seul objectif : Stevens. Quand je rentre dans notre salle habituelle, je vois qu'il est déjà là, mais il n'est pas tout seul. Un homme est assis en face de lui, plus jeune, et je ne le reconnais que lorsque je m'approche plus d'eux. J'ignore complètement ce dernier et m'assois sur la chaise à côté de lui, face à Stevens.

- Bonjour Alice. Vous vouliez me voir en personne, j'espère que c'est important. Je viens juste de finir mon entretien avec Monsieur.

- Ne vous inquiétez pas, vous n'allez pas regretter d'être venu, commencé-je en voyant s'afficher sur son visage un léger sourire. Figurez-vous que j'ai arrêté mon suspect hier soir.

Il semble étonné et lance un regard fier au jeune homme à mes côtés.

- Le seul problème, M. Stevens, c'est que mon suspect me recherchait aussi. Alors maintenant vous allez arrêter de vous moquer de nous et tout nous expliquer à Thomas et moi, fis-je en le regardant droit dans les yeux.

Thomas, qui est à côté de moi, maintient le même regard sur son patron, qui est soudain mal à l'aise. Je crois qu'il ne comprend pas la situation.

- Comment ça ? articule-t-il en essayant de garder de la prestance.

- Vous savez très bien de quoi on veut parler, continua Thomas en élevant le ton. Vous nous avez envoyé à deux sur cette affaire sans même nous en avertir, en nous disant qu'il y avait un espion comme nous sur le terrain. Forcément, chacun de nous a suspecté l'autre. C'est plus clair comme ça ?

Stevens inspire un grand coup, et expire encore plus fort.

- Cela fait presque une année entière que vous êtes sur cette affaire Thomas, et ce que vous avez apporté n'étant pas suffisant. Nous avons finit par faire appel aux services d'Alice qui avait de très bon résultats à son compteur. Le conseil a jugé bon de ne pas vous avertir pour ne pas que vos comportements agissent en fonction de l'autre. Vous ne deviez pas vous connaître pour ne pas éveiller les soupçons.

- Mon boulot était de surveiller et protéger Jonathan en priorité, il n'a jamais été de retrouver son ennemi jusqu'à il y a quelques semaines, le jour où nous avons eu la certitude de sa présence au lycée, et le jour de l'arrivée d'Alice. J'ai failli me retrouver avec une balle en plein cœur à cause de vos conneries !

- Et croyez-moi j'en suis désolé.

- Désolé ? Vous êtes censé nous protéger pas nous tuer ! Tous les membres du conseil le garantissent avant chaque mission.

Il réfléchit quelques secondes, les sourcils froncés, avant de demander :

- D'ailleurs, comment se fait-il qu'Alice n'ait pas participé à nos réunions ?

Stevens me regarde. Il sait que j'ai compris, mais il ne veut pas avoir à le dire. Je prends la parole à sa place, plus outrée que jamais qu'on m'ait menti sur une chose pareille.

- Il m'a fait croire qu'elles avaient été supprimées pour ne pas qu'on se voit. Vous aviez vraiment pensé à tout, craché-je.

- Cette mission est beaucoup trop importante pour que nous pensions à votre confort avant tout.

- Pas la peine de vous justifier.

Stevens à l'air de reprendre son allure de toujours, sûr de lui, les mains sur la table. Il arbore un sourire narquois.

- Maintenant que vous savez tout, il n'y a plus de raison de vous séparer. Vous avez l'air de bien vous entendre alors à partir d'aujourd'hui vous travaillerez en équipe.

- Quoi ? nous écrions-nous en même temps.

Si je m'y attendait à celle-là ! Je ne peux pas travailler en équipe, avec Thomas en plus de ça. Je trouve une solution à cette situation qui ne me plaît absolument pas du tout.

- On a signé un contrat qui stipulait que je travaillais à ma façon. Et mon boulot se fait en solitaire, pas en duo du genre Mr et Mrs Smith.

- Le contrat n'a plus rien à voir avec ça, Mlle Menson. Cet ordre vient d'un rang plus haut que mon propre supérieur. Vous n'avez pas le choix, et c'est non négociable.

Ce n'est pas vrai, je n'en reviens pas. Hier matin encore je pensais que tout allait bien. Et en quelques heures j'apprends que Thomas alias le meilleur ami de Jonathan, n'est pas un adolescent normal mais un espion qui en plus travaille pour la même agence que moi, et que je devrai également travailler avec lui maintenant que nous connaissons l'identité secrète de l'autre. J'ai une folle envie de me jeter d'un pont avec un poids de dix kilos accroché aux chevilles. Mais je garde cette idée très loin dans mon esprit.

- La prime ne change pas si cela vous inquiète, ajoute-t-il.

- Oh si, elle va changer ! Je veux des dommages et intérêts pour ça.

Je montre ma main couverte du bandage blanc que m'avait fait Thomas la veille. Stevens accepte ma requête avec lassitude. Tant mieux, je ne voulais pas insister plus d'une fois. Il nous demande ensuite ce que nous avons recueilli pour l'enquête. Cependant, au vu de ce quiproquo, nous n'avons rien à lui donner. Honnêtement, il ne faut pas qu'il s'attende à recevoir quoi que ce soit de ma part. J'aurai déjà du mal à digérer ces dernières heures. Je demande tout de même à Stevens si Zoé et les autres étaient au courant de ce petit manège, ce qui n'est pas le cas, et cela me soulage. Je peux au moins continuer de faire confiance à ces trois-là. Nous discutons sans vrai but jusqu'à ce que je décide de partir, excédée par tout ça.

- Je dois y aller. Thomas, tu fais ce que tu veux maison mais on est déjà en retard pour les cours.

Je me lève de ma chaise sans me donner la peine de la remettre en place, ne salue pas Stevens et sors de la pièce. Une fois à l'accueil j'entends un boucan dans la salle qui m'indique que Thomas a dû faire la même chose que moi. Je le sens me suivre à quelques mètres derrière moi vers le parking. J'arrive à l'emplacement de ma moto quand il m'interpelle pour m'arrêter. Je me tourne vers lui. Comme à chaque fois depuis hier, je suis obligée de lever les yeux pour le regarder, ce que je ne faisait pas avant puisque nous nous tenions avec plus de distance entre nous.

- Qu'est-ce qu'il y a ? soufflé-je, moralement épuisée.

- Je ne suis pas plus enchanté que toi de travailler en équipe mais on n'a pas le choix. Il faut qu'on mène à bien cette affaire pour Jonathan.

Je sais qu'il a raison et je crois que c'est ça le pire.

- Qu'est-ce que tu veux qu'on fasse ? finis-je par dire.

- Il faut qu'on se parle plus souvent, qu'on bosse vraiment ensemble. Il faut que tu me montres tes plans et que moi je te montre les miens.

- Je croyais que tu n'avais rien ?

- Je ne donne pas tout à Stevens, il y a des choses que je préfère garder pour moi.

Je croirai m'entendre, c'est assez troublant.

- D'accord, on fera ça, soufflé-je.

Je me rends compte après cela que c'est plus que de la fatigue morale. Je suis aussi esquintée physiquement. Je ne sais pas ce qui m'arrive. Ce doivent être tous ces évènements qui me font tourner la tête. Je monte sur la moto, enfile mon casque et prends la route. J'aperçois dans le rétroviseur que la voiture noire de Thomas est juste derrière moi.

Je sens la fatigue m'envahir à force que les minutes passent. Cela fait plusieurs fois que je manque d'écraser un piéton et que je peine à distinguer les panneaux de circulation. Je me sens lourde d'un coup et mes mains ne tiennent presque plus le guidon de la moto, qui roule encore à toute allure. Je me sens vaciller, mes yeux ne montrent plus qu'un paysage flou. Je réussi à freiner légèrement avant de lâcher complètement le guidon malgré moi.

Je tombe violemment sur le sol sans ne sentir aucune douleur. J'entends la moto partir au loin dans un vacarme qui couvre presque le bruit du frein de la voiture de Thomas. Je roule sur le sol un moment avant de m'immobiliser, dos à terre. Je ne sais comment mais mon casque mal attaché, sûrement à cause de mon état avant de conduire, s'est détaché de ma tête et traîne quelque part pas loin. Je n'arrive pas à bouger, seulement à penser. Je ne sais pas si c'est à cause de mon malaise, de l'accident ou des deux, mais un affreux mal de tête vient m'envahir. Ce qui est sûr, c'est que cet accident m'a réveillé du début de ce malaise. J'ouvre à peine les yeux sur une vision trouble. Je perçois Thomas qui court vers moi et qui se tient maintenant au-dessus de mon corps. Il me regarde et m'appelle, mais je ne peux ni bouger, ni lui répondre. Sa voix fait comme un écho à mes oreilles, à peine audible mais bien là. Mes paupières se referment alors que je continue de l'entendre.

- Non... Alice reste éveillée. Alice !

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