chapitre 8

Evan errait dans les couloirs, son esprit en proie à une tempête. Il n'avait pas le luxe de perdre plus de temps à ruminer sur la tension qui venait de s'installer entre lui et Barty. Il avait besoin de clarté, d'espace pour respirer. Et plus que tout, il savait que travailler ensemble sur l'enquête était la seule chose qui pouvait les recentrer.

Il trouva Barty près du bureau de l'archiviste, ses yeux scrutant les dossiers avec cette intense concentration qu'Evan connaissait bien. Lorsqu'il s'approcha, Barty leva les yeux, un éclair d'amusement traversant son regard.

– « On part ? » demanda Evan d'un ton direct, presque brusque.

Barty lui fit un sourire espiègle.

– « Tu me proposes un rencard, Rosier ? »

Evan se laissa aller à un rire étouffé, secouant la tête en se détournant légèrement.

– « Pas aujourd'hui, Cropton. T'as d'autres moyens pour te distraire. » Il marqua une pause avant d'ajouter plus bas, presque un murmure : « C'est plus discret chez moi. On bosse sans se faire remarquer. »

Le sourire de Barty se fana légèrement, comme si quelque chose s'était dérobé sous ses yeux. Mais il hocha la tête, acceptant la proposition sans protester. Le silence entre eux se chargeait d'une atmosphère tendue mais familière. Ils se dirigèrent vers la sortie, deux âmes qui savaient que leur seul point d'ancrage était cette enquête, ce travail qu'ils accomplissaient ensemble.

Quelques heures plus tard, dans l'appartement d'Evan, l'atmosphère était différente. Loin des bruits des bureaux, de la pression constante, un calme presque pesant les enveloppait. Leurs dossiers étaient éparpillés autour d'eux, mais tout semblait suspendu à cette investigation. Evan, concentré, fouillait dans les détails, traquant la moindre incohérence. Il scrutait l'empreinte laissée sur le sol près de la scène de crime. Une empreinte qui, à force de l'observer, semblait presque... trop nette, trop précise.

Avant de plonger dans les recherches, Evan fit une pause. Il se pencha en avant, ajustant l'écran de son ordinateur. Ses cheveux, habituellement attachés en arrière lors du travail, étaient cette fois détachés, tombant en désordre autour de son visage. Il porta une main distraite à son front, repoussant une mèche rebelle. Ses lunettes, qu'il n'avait pas portées au bureau, étaient maintenant posées sur son nez, les verres légèrement réfléchissants sous la lumière de l'appartement. Ses manches de chemise étaient retroussées, un geste qui lui donnait une allure plus décontractée, presque négligée, comme s'il s'était débarrassé des contraintes de son rôle pour se concentrer pleinement sur l'enquête.

Barty, toujours assis à côté de lui, l'observait sans vraiment s'en rendre compte. Ses yeux traînèrent un moment sur la silhouette d'Evan, sur la manière dont il se déplaçait, sur l'intensité qui se dégageait de lui quand il était absorbé par un dossier. Ses cheveux détachés, sa chemise un peu froissée, ses lunettes qui trahissaient un côté plus humain, moins infaillible. Tout chez lui semblait plus... personnel, plus accessible. Barty eut l'impression, presque fugace, que l'homme qu'il voyait maintenant était loin du scientifique impassible qu'il connaissait, mais plus proche d'une version vulnérable, presque intimiste.

Evan, toujours concentré, lui tendit un dossier sans le regarder.

– « Tu vois cette empreinte ? » demanda Evan, en pointant l'écran de son ordinateur. « C'est pas une chaussure comme les autres..»

Barty s'approcha, mais ses yeux s'attardèrent un instant sur Evan avant de se poser sur l'écran. Ce détail... ce petit changement dans l'atmosphère entre eux. Barty se racla la gorge, essayant de refouler une émotion qu'il ne comprenait pas bien.

– « Qu'est-ce que ça veut dire ? » murmura-t-il, sa voix se faisant plus grave, moins assurée.

Evan hésita un instant avant de se pencher davantage sur l'ordinateur, ses bras se croisant presque en un geste automatique. Ses biceps se dessinaient sous ses manches retroussées. Barty cligna des yeux, détournant brièvement le regard. Un instant, il avait eu l'impression que tout l'espace autour de lui se rétrécissait, que la distance entre lui et Evan se réduisait à un point presque imperceptible.

Evan, absorbé dans ses recherches, ne remarqua pas l'effet qu'il produisait. Mais quand il trouva enfin la réponse, une étrange sensation de froideur le saisit. L'empreinte correspondait à un modèle de chaussure rare, presque impossible à trouver, fabriqué par une petite entreprise sans grande renommée. Il lança une recherche sur les revendeurs en ligne. Les informations étaient floues, incomplètes.

Quand il essaya de contacter les revendeurs, la réaction fut immédiate : réticence, silence, et finalement des réponses évasives. Evan, bien décidé à obtenir une réponse, prit son téléphone et appela un des vendeurs, cette fois-ci en usant de son autorité.

– « Bonjour, je suis l'enquêteur Evan Rosier de la police scientifique. Nous enquêtons sur l'achat d'un modèle de chaussure. Il est impératif que vous nous fournissiez toutes les informations possibles. »

Un moment de silence, puis le vendeur céda, tremblant presque, et fournit quelques détails. L'achat avait été fait par un certain Jimmy Privet, un nom qui, de façon étrange, apparaissait plusieurs fois dans des transactions récentes, toutes liées à des produits inhabituels.

– « Tu donnes ton nom comme ça ? » Barty se tourna vers lui, son regard teinté de surprise et d'inquiétude. « Tu n'as pas peur qu'il contacte notre chef ? »

Il avait dit cela sur un ton presque accusateur, comme s'il n'arrivait pas à comprendre pourquoi Evan avait pris ce risque. Mais au fond, Barty savait que c'était là la nature d'Evan : prendre des risques, franchir des lignes, toujours plus loin.

– « Ça pourrait te coûter ton poste, tu sais, » ajouta-t-il, une touche de nervosité dans la voix.

Evan leva les yeux de l'écran et sourit légèrement, mais son sourire ne parvint pas à apaiser l'angoisse palpable de Barty.

– « Tant que j'aurai résolu cette affaire, Barty... je me fiche de risquer mon poste. »

Barty se figea, comme si ces mots avaient percé quelque chose en lui, quelque chose qu'il n'avait pas encore su exprimer. Il se sentit touché, à la fois par la détermination d'Evan et par cette vérité impitoyable qui faisait écho à la sienne. Et bien que son propre cœur battait plus fort, il resta silencieux, observant Evan, pensif.

Evan continua ses recherches, cette fois dans les archives des noms associés à Jimmy Privet. Ce qu'il découvrit fit l'effet d'une bombe. Le véritable Jimmy Privet était décédé à l'âge de cinq ans. Il n'avait jamais vécu pour devenir un adulte. Alors, qui se cachait derrière ce nom ? Qui utilisait son identité ?

– « Barty, on a un gros problème, » dit Evan, sa voix devenant plus grave. « Ce Jimmy Privet... il est mort jeune. Quelqu'un utilise son nom, et cette personne est impliquée dans des affaires bien plus complexes que ce qu'on pensait. »

Les mots d'Evan frappèrent Barty comme un coup de poing. Le flot d'émotions qui déferla en lui était difficile à contenir. Mais il n'y avait pas de place pour cela, pas maintenant. Leur enquête venait de prendre un virage encore plus dangereux.

Barty se leva, le cœur battant, une tension nouvelle se lisant sur son visage. Il avait compris. Ils venaient de franchir un seuil, un point de non-retour.

– « Il va falloir creuser plus profond, » murmura-t-il, le regard maintenant fixé sur les écrans.

Evan le regarda, une complicité silencieuse s'installant entre eux. Ils étaient bien plus que de simples collègues à ce moment précis. Ils étaient liés par cette quête, par ce besoin mutuel de trouver la vérité, peu importe le prix à payer.

– « Et on va y arriver. » répondit Evan d'une voix calme mais ferme.

Barty le regarda longuement, puis un léger sourire se dessina sur ses lèvres, un sourire rare et sincère. Il était touché par la détermination d'Evan, mais aussi par le fait qu'il se souciait réellement de résoudre cette affaire. La tension entre eux n'était plus juste une question de travail, c'était devenu plus complexe. Il savait qu'ils étaient liés, d'une manière qu'ils n'avaient pas encore explorée. Mais cette fois, il n'en parlerait pas. Il était trop tôt.

Ils se plongèrent de nouveau dans leur recherche, leurs pensées tournées vers cette vérité encore cachée, tout en sachant que, peu à peu, la frontière entre leurs vies professionnelles et personnelles allait devenir de plus en plus floue. Ils n'avaient pas encore conscience à quel point leur histoire commune allait les transformer.

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