Chapitre 10


la station balnéaire était aussi calme qu'effrayante, avec ses cottages déserts, ses volets clos et l'air salé qui, au lieu de rafraîchir, semblait alourdir l'atmosphère. C'était un lieu où les souvenirs s'accrochaient aux murs comme une brume persistante, où tout paraissait figé dans une époque révolue. La mer, bruyante mais distante, n'apportait aucune consolation. Au contraire, elle semblait dévorer toute chaleur, tout espoir, comme le faisait l'intérieur du cœur de Barty.

Ils arrivèrent devant un petit chalet en bois, utilisé par le temps et l'oubli. Le pas de Barty se fit hésiter. Evan s'arrêta à quelques pas derrière lui, observateur son ami qui semblait absorber dans un tourbillon de pensées tourmentées. C'était comme si chaque fibre de son être voulait tourner les talons, fuir cette confrontation, mais quelque chose le retenait, une force plus forte que la douleur, plus forte que la peur.

Barty fit quelques pas vers la porte. Il n'avait pas besoin de regarder, il savait. Il savait que cette porte allait l'ouvrir sur une vérité qu'il n'avait jamais voulu entendre, qu'il avait tout fait pour fuir. Mais ce soir-là, il n'y avait plus de fuite possible.

Il frappa à la porte avec une vigueur qui n'était ni douce, ni réfléchie. Comme un coup de poing dans un monde qui s'effondrait autour de lui. Il ne se retourne pas. Il n'avait pas besoin du faire. Evan était là, mais il n'était pas là pour lui. Barty n'en avait pas besoin. Pas encore. Ce qu'il allait découvrir n'était rien de ce que la vie lui avait réservé jusqu'ici. C'était bien plus brutal. C'était de l'acier, du fer dans l'âme, un poison qu'il allait devoir avaler tout entier.

La porte s'ouvre lentement. Barty ne bougea pas. Il attendait. Ses muscles étaient tendus comme un arc. Il se tenait là, les yeux fixés sur la silhouette qui se dessinait lentement dans l'embrasure de la porte.

C'était lui. Son père. Un homme brisé, vieilli par les années de fuites, de regrets et de culpabilité. Mais c'était lui. Ce visage, ce regard fuyant... Barty reconnut tout de suitesa tache de naissance. C'était celui qui avait disparu juste après la mort de sa mère. Mais aujourd'hui, il était là, devant lui, presque comme une apparition fantomatique, un spectre du passé qui ne voulait pas disparaître.

Le silence pèse lourdement dans l'air. Un silence aussi épais que la mer noire derrière eux. Aucun d'eux ne bougea. La tension était palpable, mais c'était Barty qui finit par briser le silence, d'une voix brisée, une voix qui tremblait sous le poids des années de douleur refoulée.

– « Toi... Toi, c'est vraiment toi... » murmura Barty, ses mots un poison qu'il avalait difficilement. Il les laissa s'échapper de sa bouche, mais ils se transformèrent en un cri silencieux de douleur.

Son père, ou plutôt l'homme qui l'avait élevé, se figea un instant, comme s'il avait entendu un fantôme. Il ferme les yeux, une sorte de réminiscence douloureuse traversant son regard. Mais il se ressaisit rapidement et se redressa, comme s'il voulait rassembler toute sa dignité pour cette confrontation.

– « Barty... Je... » La voix de son père se brisa, incertaine. Il avait du mal à prononcer les mots, comme si parler allait le condamner définitivement.

– « Arrête », coupa Barty, la colère se mêlant à une profonde tristesse. « Arrêté de m'appeler comme ça. Tu n'as plus de droit sur moi. Tu n'es qu'un lâche. »

Les mots furent plus cruels que tout ce qu'il avait imaginé, mais ils étaient sincères. Il avait l'impression que chaque syllabe qui sortait de sa bouche le brûlait davantage, mais c'était tout ce qui lui restait. La haine, la douleur, l'incompréhension. Les années de questions sans réponses. Il avait tout perdu ce soir-là, alors qu'il n'avait que dix ans.

– « Barty, je... » Son père tenta une nouvelle fois de parler, mais il était déjà trop tard. La souffrance qui habitait le jeune homme était trop grande. Barty le coupa de nouveau, cette fois-ci avec une violence qu'il n'avait jamais montrée.

– « Tu as tué ma mère. » La phrase claqua dans l'air comme un coup de fouet. « Non, tu l'as laissée mourir. Et tu es parti. Tu m'as laissé tout seul, sans père, sans mère, sans personne. »

L'homme recula de quelques pas, comme si ces mots l'avaient frappé en plein cœur. Il se toucha le front, éperdu. La culpabilité qui déformait son visage était insupportable, et Barty la ressentait dans ses os.

– « Je... je suis désolé. Je n'ai pas eu le choix. »

– « Le choix ? » La rage de Barty monta d'un crâne. « Tu n'as pas eu le choix, vraiment ? Tu étais trop faible pour faire face à la réalité,  et maintenant tu veux revenir après tout ce temps ? »

Le père de Barty semble se plier sous la violence de ses mots, mais il ne bougea pas. Il savait qu'il n'y avait plus de pardon possible. Le regard de son fils, empli de haine et de désespoir, l'empêchait de respirer.

– « C'était... » Son père laissa Échapper un soupir tremblant. « C'était un mafieux, Barty. Un homme à qui je devais de l'argent. Je l'ai vu tuer ta mère, mais... je n'ai pas pu intervenir. Je... » Sa voix se brisa à nouveau. « Je suis devenu quelqu'un d'autre. J'ai pris un autre nom pour fuir. Jimmy Privet... J'ai disparu parce que je croyais qu'il me tuerait aussi, mais il est mort, il y a quelques années, dans une bagarre entre gangs. »

La vérité éclata dans l'esprit de Barty comme un éclair. Ce mafieux, ce tueur, c'était l'origine de tout ce mal. Son père, l'homme qu'il avait toujours cherché à comprendre, n'avait jamais été celui qu'il croyait. Il n'était qu'un homme faible, un homme terrifié. Un homme qui avait laissé sa famille se faire détruire, tout ça pour fuir un danger qu'il n'avait même pas su affronter.

– « Tu n'es qu'un lâche ! » cria Barty, son cœur battant la chamade. « Tu as tout détruit, tout. Ma mère est morte, et toi, tu as disparu, tu m'as laissé tout seul, sans savoir ce qui se passe, sans savoir pourquoi. »

Les larmes montaient aux yeux de Barty, mais il les retint, la rage et la douleur étouffant tout sentiment de faiblesse. Il ne pouvait pas pleurer devant lui. Pas après tout ce temps.

Son père baissa les yeux, honteux. Il se tenait là, incapable de répondre, trop faible pour chercher à se racheter.

Et alors, il tourna lentement le dos à son fils, comme si, après tout, c'était plus facile de fuir une fois de plus.

Barty, dévasté, se laissa tomber sur le sol, les mains sur les genoux, tremblant de douleur. Tout son monde s'effondrait autour de lui. Il n'avait jamais cru que ce moment arriverait. Il pensait que la vérité, l'affronterait une bonne fois pour toutes, le soulagerait. Mais non. C'était pire.

C'est alors qu'Evan s'approche silencieusement. Il se baissa à côté de Barty, posant une main sur son épaule avec une douceur inhabituelle. Il ne dit rien. Pas tout de suite.

Barty, à bout de souffle, tourne la tête vers lui. Ses yeux étaient remplis de larmes non versées. Les mots d'Evan, si simples, si profonds, étaient tout ce qu'il avait besoin d'entendre à cet instant précis.

– « Tu n'es pas seul, Barty. » dit-il, presque dans un souffle. « Je suis là, tu m'entends ? Je suis là. Tu n'as plus à porter tout ça tout seul. »

Barty sentit alors la chaleur de la main d'Evan sur son épaule. Il se laissa aller, le corps secoué de sanglots qu'il n'avait pas permis de laisser éclater auparavant. Il s'accrocha à Evan comme à une bouée de sauvetage dans une mer déchaînée. Il n'avait pas besoin de plus. Il n'avait jamais eu besoin de plus.

Evan le serra contre lui, lui offrant ce soutien inébranlable qu'il n'avait jamais cru possible. Et ensemble, dans le silence lourd de cette nuit pleine de révélations, ils restent là. Pas besoin de mots. Parce qu'à cet instant, tout ce qui importait, c'était qu'ils étaient là, ensemble

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