Chapitre 2

La nuit a été longue.

Mon lit ressemble à un champ de bataille. Je m'étire et m'habille rapidement d'un vieux sweat bleu vif, avec un ballon de rugby blanc, hérité de mon grand-père. Je prends le temps quand même de cacher mes imperfections avec du fond de teint, puis pour enfiler un petit pendentif en forme de cœur, une pierre turquoise avec des reflets blancs ainsi que les boucles d'oreilles bleues qui vont avec.

Il n'est que sept heures, le froid envahit la pièce, je m'assois sur le lit. Attrape mon téléphone, pas de nouvelles. Les murs blancs de la pièce sont si ternes et déprimants qu' on dirait les murs d'un hôpital. Il pleut encore. La pluie ruisselle sur la vitre. Je cherche encore la motivation pour aller en cours. Histoire, philosophie et cinéma sont au programme. J'enfile mes baskets, j'attache mes cheveux en un chignon maladroit. Demain c'est mon anniversaire mais ça n'a rien d'extraordinaire, juste un an de plus. Je vais avoir le droit aux petits mots de la famille, déposés soigneusement dans la boîte mail ou sur le profil Facebook. Quelques appels de la famille la plus proche, et peut-être un gâteau en revenant ce weekend chez moi. Pas de grande fête, pas d'invité. Juste moi et ma famille. Je suis fille unique, donc seulement mes parents et ma grand-mère. Du moins s'ils sont en congé. Ce n'est pas plus mal si on ne fait rien. Cela évite les disputes pour un rien.

J'attrape mon sac et descends à la cantine après avoir fermé la porte à clé. Je m'assois à une table. Il n'y a presque personne. Je n'ai pas très faim, encore une fois. Sur mon plateau, un simple morceau de pain, un bol de chocolat chaud et un jus d'orange. Charlotte et Louise ne sont pas encore arrivées, je ne sais pas si je vais les voir au petit déjeuner ce matin. Souvent elles viennent à quarante.

Le réfectoire se remplit petit à petit d'élèves, lycéens et autres étudiants. La plupart déjeune seul, en compagnie de leur smartphone. Je m'en vais débarrasser mon plateau pour profiter des dernières minutes avant le cours pour pouvoir écrire. J'écris beaucoup, cela m'aide avec mes émotions. C'est une thérapie comme une autre et qui coûte seulement une page blanche et de l'encre ou encore un document informatique. J'écris beaucoup de fanfictions, mais aussi mon propre roman, l'histoire d'une petite fille répondant au nom de Mary obligé d'emménager dans un étrange manoir au cœur de l'Irlande du XIX siècle, à cause d'une maladie. Elle y fera de nombreuses rencontres toutes aussi merveilleuses. Des êtres sortis de l'ordinaire, des animaux parlant à la sauce Lewis Carroll, et tout un monde tissé d'intrigues et de mystères palpitants. Je n'ai rien d'un Victor Hugo, je ne prétends pas être un Zola, et encore moins avoir la créativité de Tolkien et ses réflexions, mais je dois avouer que je ne me débrouille pas mal avec les mots et mon imagination. Imagination qui est débordante, je me surprends moi-même à inventer certaines choses.

Je m'assois à mon bureau, je sors mon petit carnet d'idées et griffonne quelques phrases, quelques descriptions à droite et à gauche. Je marque les prénoms que j'ai en tête pour les attribuer plus tard à des personnages. Les gens de ma classe arrivent certains plus bruyants que d'autres. Je n'y fais pas attention. Mes amies arrivent alors, elles me saluent d'un grand geste de la main. Je les salue à mon tour. Elles s'assoient derrière moi.

La journée passa finalement assez vite. A vrai dire, les journées se ressemblent de plus en plus. Je suis un peu coincée dans une routine; une sorte de cercle infernal. Nous avons eu histoire, suivit d'un cours de philosophie tellement ennuyant que j'ai eu du mal à suivre. Bien que les propos, les explications de la professeure sont très intéressants, j'ai vraiment du mal à me concentrer. Le cours de cinéma a été pour le coup très intéressant, nous sommes seulement que cinq élèves à avoir choisi cette spécialité, l'ambiance est plutôt calme et sympathique, nous arrivons à faire des activités qui sortent des cours magistraux comme de l'animation. En ce moment, nous devons animer un oiseau en plein vol. Je m'étais occupée de dessiner l'oiseau en question, pour qu'on puisse ensuite le découper en différents modèles pour recréer le mouvement des battements d'ailes. C'est un perroquet, reconnaissable à la forme arrondie de son bec et à la longueurs de ses plumes arrières, qui forme une traîne comme celle d'une comète. Je dois dire que le résultat est plutôt inattendu. Enfin dans le bon sens du terme, il y a un petit effet poétique. Une certaine grâce dans le mouvement même si c'est loin d'être vraiment parfait. Comme dit notre professeure de philosophie, rien n'est parfait dans ce monde, même à la chose la plus parfaite on peut trouver un défaut. Si la perfection est considérée comme l'absence de défauts ou d'imperfections, alors il est peu probable que quiconque soit parfait, car nous avons tous des défauts et des faiblesses. C'est bien la seule chose que j'ai retenue du cours.

Je me sens épanouie quand on fait de l'animation comme cela relève du domaine de la création, je peux m'exprimer, en commun accord avec les autres. Nous sommes rarement tous d'accord mais c'est ce qui rend la chose intéressante. J'aime quand même avoir des points de vue divers sur mes travaux. Je n'ai pas peur de la critique sur ce point là. Ce n'est pas la même histoire quand je reçois des critiques personnelles, c'est même très dure pour moi. Quand j'étais au lycée j'ai souvent reçu des critiques méchantes notamment par rapport à mon léger surpoids. Cela me m'était tellement mal à l'aise alors qu'en temps général j'arrivais à faire abstraction des commentaires vils. Je ne me trouve pas moche, ni même belle. Je me trouve normal, bien que parfois devant mon miroir, je me trouve si laide que je ne peux m'empêcher de pleurer en repensant à ces commentaires mesquins.

-Tu viens Elisabeth, on va dîner dehors ! s'exclame Louise en débarquant comme une fleur dans la bibliothèque où je m'étais installée pour travailler un peu.

-Oh vous auriez dû me prévenir avant, je n'ai pas d'argent sur moi.

-Ce n'est pas grave, on payera pour toi, après tout demain c'est ton anniversaire, on a pas tous les jours dix-neuf ans !

-Ne le cris pas sur tous les toits, les autres n'ont pas besoin de le savoir, c'est un peu gênant.

-De toute façon, tout ce sait à un moment ou un autre dans cette classe, tu le sais bien !

-Que trop bien.

-Bon, tu viens ?

-Je prends mes affaires et j'arrive.

Je prends soin de ranger mes affaires, ma trousse dans mon sac puis je suis mon amie. On rejoint Charlotte à l'entrée du Lycée.

-Je connais un restaurant qui a ouvert pas loin et pas cher.

-Et bien on te suit.

Nous avons passé une agréable soirée dans une petite crêperie, Nous avons débattu des derniers films du moment, puis Charlotte nous a raconté sa vie amoureuse rocambolesque. Je dois bien dire qu'on suit presque un feuilleton télévisé, avec des intrigues hautes en couleur et des situations aussi improbables les unes que les autres. Pour Louise et sa copine, je dois dire que c'est moins haut en couleur. Quant à moi, et bien je n'ai aucune situation amoureuse, et je n'en prévois pas de si tôt. J'ai bien assez le temps de courir après les garçons comme le dit souvent ma mère. Et sur ce point, je dois avouer qu'elle a bien raison. Charlotte nous a déjà évoqué la grande fête d'Halloween qu'elle tient absolument à faire en notre présence. Ce serait une soirée jeu, avec un rôle play et un escape game, elle a déjà invité des amis à elle, que j'ai apparemment déjà rencontré, mais comme j'ai une mémoire à court terme pour les noms, je ne peux m'en rappeler.

Après une heure passée à discuter de tout et n'importe quoi, nous sommes doucement revenus aux dortoirs avant la fermeture pour la nuit du lycée. J'ai salué mes deux amies de la main avant de me diriger à l'étage supérieur au leur. Je suis fatiguée, je pense bien dormir ce soir.

J'arpente le couloir assez sombre. Une fois devant ma porte je cherche ma clé dans ma poche, mais par inadvertance je la laisse tomber par terre. Au moment même où je tente de la ramasser, une bestiole colorée surgit de nulle part et attrape dans sa gueule la clé. Je pousse un hoquet de surprise en reculant. L'animal s'est arrêté dans sa course au bout du couloir. Je fronce les sourcils. Est-ce un caméléon ? Il n'y a pas de doute sur le fait que c'est un reptile extrêmement coloré, qui varie d'un rouge vif à un jaune pétant, parsemé de tâches noires. Il a une démarche singulière. Je cligne plusieurs fois des yeux pour vérifier que je ne rêve pas. Non, Il est bien là. Je fais un pas en avant et ce dernier reprend sa course. D'un geste presque naturel, poussé par un certain instinct, je me mets à lui courir après, il monte l'escalier à une vitesse flagrante et vient s'infiltrer dans le couloir le plus sombre de l'internat. Je ne suis jamais allée à cet étage. Je distingue dans la pénombre les deux grands yeux de couleur ambre de l'animal briller. Un bruit métallique au sol retentit alors: il a lâché ma clé. Cela tombe bien car je n'ai pas toute la soirée devant moi. Je m'approche doucement, en m'assurant que l'animal ne va pas une nouvelle fois se jeter dessus. Sans encombre je récupère mon bien. L'espèce de caméléon a disparu.

Un caméléon, puis quoi encore ? Ma pauvre Elisabeth, les insomnies et les nuits blanches ne te réussissent pas du tout ! Je range la clé pour être sûr de ne pas la perdre. Je lâche un soupire et tourne les talons, avant d'être interpellée par une étrange lumière. Je porte mon regard alors sur le coin obscure où avait précisément disparu l'animal quelques secondes auparavant. Sous mes yeux ébahis, un phénomène pour le moins improbable se passe. Une poignée à l'apparence d'or forgée vient d'apparaître. Cette dernière est suivie par l'apparition d'une multitude de petite veine dorés qui formèrent alors une porte, à l'aspect vieilli, usée par le temps, parsemée de motifs étranges. On dirait les lettres d'un alphabet nordique, peut-être des runes. Au-dessus de la porte, une architrave sculptée de motifs floraux délicats ajoute une touche d'élégance à la robustesse de la porte. Elle dégage une aura de dignité et de mystère, m'invitant presque à oser découvrir les secrets qu'elle garde derrière elle.

Le souffle coupé, je m'approche alors, comme hypnotisée par cette poignée. Je viens glisser ma main sur la surface rugueuse de la porte, une vague d'énergie s'échappe du bois et me parcoure les doigts tels des picotements, ces derniers parcourent mon corps comme un courant électrique. Sous l'intensité de la sensation, mon corps se met à trembler et une bouffée de chaleur s'éprend de moi. Mes veines se remplissent d'une chaleur assez douce et enivrante à ma surprise. Les picotements deviennent presque agréables. Des lumières scintillantes de couleurs bleues, vertes, rouges et blanches, semblables à des lucioles à la tombée de la nuit, surgissent avec précipitation de la porte et viennent valser autour de ma main avant de se dissiper dans l'air tel un éclair lors d'un orage. Je ne saurais l'expliquer mais une sorte de sentiment de paix et de sérénité m'envahit progressivement me faisant oublier les problèmes de la journée, c'est comme si le temps s'est arrêté et que le monde extérieur n'existe plus. Je ressens comme une connexion particulière entre mon esprit et cet objet curieux qu'est la porte, comme s'il touche non seulement le bois, mais aussi l'énergie contenue, et ce qui se trouve derrière. Cette porte est comme un appel. J'ai l'impression de l'avoir toujours connue alors que je ne l'ai jamais vu de toute ma petite vie. Le doute s'empare de moi. Cela ne peut qu'être un rêve. Pourtant je suis là , je ne rêve pas, je ressens cette chaleur, je ressens cette matière sous la peau de mes doigts. La magie de la porte est réelle, tangible.

Est-ce un signe ? Je l'ignore ? Je retire ma main de la porte et viens la poser sur la poignée d'or. Cette dernière est glaciale, mais en aucun cas cela me repousse, je suis même comme encouragée. Une sensation étrange m'envahit. J'ai l'impression que la porte réagit à mes mouvements comme si elle était un organe vivant. J'abaisse alors doucement la poignée. Les symboles anciens et mystérieux, semblent s'illuminer d'une couleur blanche et devenir vivants sous mon toucher. Une chaleur douce émane alors de la poignée, comme si elle répond à ma présence. Avec une légère pression et plus d'entrain, la porte s'ouvre silencieusement, révélant un passage baigné d'une lumière éthérée. Je suis alors comme happée. Je me retient à l'encadrement, Je pourrais crier, j'en ai envie pourtant ma voix est bloquée au fond de ma gorge. Je suis poussée à franchir le seuil et une sensation d'apesanteur m'envahit. Un certain mal être s'empare de moi, je ne me sens pas bien. Je ferme les yeux, une chaleur douce m'enveloppe, je suis comme suspendue dans le temps et l'espace. Alors que j'ouvre une dernière fois les yeux, les couleurs autour de moi semblent plus vives, les sons plus mélodieux, comme si j'avais pénétré dans une autre dimension, puis ce fut le silence, la noirceur et le néant.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top