Chapitre 5 ~ Le défi de Sombreval
"Je pense aussi que l'idée de Ser Tywin est excellente, nous devrions la suivre."
Aerys serra les dents. Un à un les membres du conseil se ralliaient derrière Tywin. Encore une fois. Celui-ci n'esquissa pas même un sourire de satisfaction. Il savait que son idée était la meilleure et le fait que tout le monde soit d'accord lui paraissait une évidence.
Le jeune roi sentit son coeur dévoré par la jalousie. Il avait beau être le roi, celui que tous aimaient et respectaient, c'était Tywin. Il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même. C'était lui qui l'avait placé à ce poste. Le jeune Lannister était un excellent stratège. Il avait tout pour lui. Une femme qu'il aimait, des jumeaux resplendissants, une maison riche et prospère et l'amour du royaume. Alors que lui que possédait-il ? Une femme qui n'arrêtait pas de faire de fausses couches et ne supportait pas sa présence depuis l'incident du mariage, qui ne remplissait ses devoirs conjugaux qu'à contre-coeur et un fils trop fragile, perpétuellement malade. Il n'avait de roi que le titre, les décisions que prenaient le Conseil étaient toujours celles de Tywin, les siennes étaient toujours rapidement écartées, jugées "inadaptées à la situation". Pourtant, il essayait de bien faire ! Il voulait le bien et la prospérité de son royaume. Il voulait prouver qu'il était capable d'être un bon roi, il voulait faire ses preuves, entrer dans l'histoire !
Il eut un rire sans joie. Il se retrouvait à éprouver un sentiment proche de la haine pour celui qui avait autrefois été son meilleur ami, pour qui il aurait été prêt à donner sa vie. Leurs relations s'étaient tellement envenimées. Depuis l'incident de la cérémonie du coucher, Aerys eut beau s'excuser un nombre incalculable de fois, Tywin l'évitait. Il ne s'était jamais montré grossier, il était toujours d'une politesse irréprochable mais il ne parlait à son roi que par devoir. Autrefois c'est un jeune homme drôle et joueur. Il était devenu un homme froid et professionnel. Aerys le sentait bien. Le fait qu'il était inutile.
Il avait fait trancher la langue de ser Ilyn Payne, le bourreau du roi, dans un accès de colère quand il avait appris que celui-ci disait à qui voulait bien l'entendre que le vrai dirigeant des sept royaumes, ce n'était pas Aerys, mais bien Tywin. Il s'en était voulu après. Il n'aimait pas la cruauté inutile. Ilyn Payne n'avait fait que dire tout haut ce que tous les autres pensaient tout bas.
L'origine de la discorde entre la Main et son Roi, au Conseil, ce jour-là, était la maison Sombrelyn. Lord Denys Sombrelyn avait demandé à plusieurs reprises à Aerys des avantages pour sa maison et pour la ville où il siégeait, Sombreval, arguant qu'il était le plus fidèle serviteur du roi, les sept membres qu'il avait donné à la Garde Royale en attestaient. Aucune maison ne pouvait se vanter d'avoir tant donné.
Mais, Aerys avait refusé à chaque fois, voulant appliquer un principe d'égalité entre les maisons. Lord Sombrelyn avait donc décidé, sous l'influence de sa femme, d'arrêter de payer des taxes à la Couronne, tant qu'il n'obtiendrait pas "ce qui lui était dû".
Aerys voulait assiéger Sombreval pour prouver qu'on ne provoquait pas impunément le roi. Tywin, lui, voulait négocier avec Sombrelyn, faire des compromis. Et le Conseil s'était rallié à Tywin. Comme d'habitude.
Cette fois le roi décida de réagir. Puisque le Conseil ne le soutenait pas, il agirait seul. Et il prouverait à tous qu'il était un bon roi, capable de diriger son royaume.
Dès qu'il fut sorti de la salle du Conseil, il appela ser Gwayne Gaunt, un membre de la Garde Royale qu'il appréciait particulièrement et en qui il avait confiance. Il lui demanda de rassembler une petite escorte de soldats pour l'accompagner à Sombreval, mais de le faire discrètement de manière à ce que Tywin Lannister n'en soit pas informé. Le jeune homme acquiesça sans poser de question.
On allait voir lord Denys Sombrelyn ferait toujours le malin lorsqu'il aurait son roi en face de lui.
***
La chevauchée fut rapide. Sombreval n'était pas très éloigné de Port-Réal. Aerys avait revêtu pour l'occasion une armure noire et rouge, aux couleurs de sa maison, somptueuse, mais qui était plus une armure d'apparat qu'une vraie armure car elle était beaucoup plus légère et moins épaisse. Mais, après tout, le but n'était pas de se battre mais d'impressionner lord Sombrelyn et de l'obliger à repayer les taxes.
Aerys pouvait très bien s'en sortir seul, sans Tywin. Il avait vingt-cinq ans maintenant, il n'était plus un enfant ! On le respecterait peut-être enfin un peu !
Les appartements de lord Sombrelyn étaient situés au coeur de la ville, dans une forteresse qui tentait vaguement d'imiter l'architecture de Port-Réal. Les gens étaient surpris d'apercevoir leur roi dans leur ville. La plupart ne l'avait jamais vu mais personne ne pouvait ignorer la couronne dorée qui trônait sur sa tête, se mêlant à ses cheveux argentés. De nombreuses femmes ne pouvaient détourné leur regard de lui. Il fallait dire qu'Aerys était un bel homme, même s'il n'en avait pas conscience.
Rapidement l'escorte se fit arrêter par un groupe de soldats armés. Aerys reconnut à leur tête ser Symon Hollard, un excellent épéiste, pour l'avoir vu de nombreuses fois à Port-Réal, escortant son lord. Il demanda, sans montrer aucun geste de soumission ou de respect :
"Pourquoi venez-vous à Sombreval, votre Majesté ? Accompagné, qui plus est.
-Je voudrais parler à lord Sombrelyn.
-Lord Sombrelyn est un homme très occupé. Il n'aura pas le temps de recevoir. Il semble que vous ayez effectué tout ce chemin pour rien.
-Je suis son roi. Alors dites-lui que je veux le voir et immédiatement."
Ser Hollard leva les yeux au ciel mais leur ordonna de le suivre. Aerys et son escorte patientèrent longuement devant la salle d'audience. Le jeune roi n'avait jamais été réputé pour sa patience, et elle était ici mise à l'épreuve.
Lorsqu'on le fit enfin entrer dans la pièce, il était furieux. On ne faisait pas attendre un roi ! Lord Sombrelyn était assis dans son siège, hautain, sa femme à ses côtés. Aerys se rappelait de lui comme d'un homme certes ambitieux, mais très lâche et craintif, aussi le voir ainsi le surprit. Les portes de la salle se refermèrent. Le seigneur de Sombreval commença :
"Il me semble que vous vous soyez égaré loin de chez vous, Majesté.
-Je ne me suis aucunement égaré ! C'est vous que je suis venu voir !
-Vous auriez dû me prévenir. Je vous aurais préparé un accueil... digne de ce nom.
-Je suis venu ici pour vous ordonner d'immédiatement arrêter votre semblant de rébellion et de payer les taxes que vous devez à la Couronne. Cet argent nous est nécessaire pour le maintien de la paix.
-Je payerai de nouveau mes taxes quand vous aurez accepté mes conditions.
-Il n'en est pas question ! Toutes les maisons sont et doivent rester sur un pied d'égalité, ou alors des conflits pourraient éclater."
Lord Sombrelyn soupira :
"Je savais que parler avec vous ne servirait à rien. Vous êtes un roi bien courageux de venir ici avec une si petite escorte. Courageux... ou bien stupide."
Aerys recula. Il commençait à se rendre compte que son idée n'était plus si bonne que cela. Il pensait que Lord Sombrelyn, en lâche qu'il était, se plierait sans condition à ses ordres. Mais, l'homme qu'il avait devant lui n'avait plus rien du petit seigneur craintif qui avait peur de son ombre à Port-Réal. Il était devenu bien plus orgueilleux.
Le sourire de l'homme s'agrandit :
"N'ayez crainte, sire. Nous vous avons fait préparer des appartements. Saisissez-vous de lui !"
Les soldats présents dans la salle dégainèrent aussitôt leurs épées. Gwayne fit de même. Il s'exclama :
"Si vous osez toucher à un cheveu du roi, je vous tue !"
Hollard, l'homme à la tête des soldats de Lord Sombrelyn soupira, et le transperça le corps.
Aerys hurla :
"Non !"
Voyant qu'ils étaient dépassé en nombre, les soldats de l'escorte d'Aerys se rendirent sans condition. Le roi dégaina son épée à son tour. Lord Sombrelyn dit, l'air ennuyé :
"Sire, je vous en prie. Vous êtes seul, contre des soldats aguerris qui se sont déjà battu alors que vous vous n'avez même jamais blessé personne. Vous pensez vraiment avoir une chance ?"
On se saisit de son épée, on l'attrapa violemment, on le poussa dans les couloirs, on l'insulta et pour finir on le jeta dans un cachot.
Personne ne l'avait jamais frappé. Personne ne l'avait jamais menacé. Et là, il se retrouvait, seul, dans une cellule où ne voudrait pas vivre le dernier moins que rien. Personne à Port-Réal ne savait où il était parti. Allait-il mourir ici ?
Il était seul. Désespérément seul.
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