Aerys contourna le trône. La pièce était très sombre. Il était seul. Du moins, il le croyait.
Rhaegar sortit de l'ombre. Il était vêtu très simplement, il ne portait pas d'armure.
Aerys murmura :
"Tu es venu.
-Oui, père."
Ils se contemplèrent longtemps, sans rien dire. Ils se jaugeaient du regard, s'évaluaient. Rhaegar n'était plus un enfant. C'était devenu un jeune homme. Ses traits, qui avaient toujours été fins, s'étaient durcis. On pouvait distinguer, lorsqu'on faisait attention, des cernes sous ses yeux. Il ne ressemblait plus au jeune garçon qui rejetait la guerre et les responsabilités qui incombaient à son rang pour préférer jouer au troubadour.
Le roi reprit la parole.
"Est-ce que les rumeurs que j'ai entendu sont vraies ? Tu as vraiment fait cela ?"
Rhaegar ne se démonta pas et soutint le regard de son père.
"Si tu veux me demander si Lyanna Stark est avec moi, alors oui, c'est vrai.
-On parle plutôt d'enlèvement, de ce que j'ai entendu."
Une lueur de colère apparut fugacement dans les yeux du jeune homme.
"Ce ne sont que des mensonges répandus par Robert Baratheon ! Lyanna m'aime et je l'aime, nous voulons être ensemble ! Robert est un coureur, il a des bâtards dans tout le royaume, elle ne veut pas d'un homme comme lui, il la rendra malheureuse ! Elle me veut moi ! Moi je saurais la rendre heureuse !
-Toi aussi, tu as une femme et des enfants, l'as-tu oublié ?
-Elia est une femme formidable, mais tu sais aussi bien que moi que jamais notre mariage n'a été basé sur de l'amour. J'aime beaucoup Rhaenys et Aegon, mais jamais leur présence ne pourra combler la douleur de ne pouvoir être avec la femme que j'aime !
-Tu es le prince héritier. Crois-tu vraiment que les seigneurs vont accepter un roi qui vole la fiancée de l'un d'entre eux ?
-Ils t'acceptent bien toi alors qu'ils te traitent de roi fou !"
Aerys recula d'un pas. Il accusa le coup. Il avait en effet déjà entendu ce genre de murmures, mais que son propre fils le lui envoie à la figure, cela faisait beaucoup plus mal. Celui-ci reprit d'ailleurs.
"Ta couronne, je n'en veux pas. Tu as un autre fils. Un petit-fils. Offre-la à qui tu veux. Moi, je veux vivre avec la femme que j'aime, c'est tout."
Il ajouta, d'un ton plus doux :
"Je ne veux pas faire de mal à Elia ou aux enfants. Je les mettrai en sécurité, ils ne manqueront de rien. Moi, je vais disparaître, vous n'entendrez plus parler de moi ou de Lyanna.
-Elle n'a que quinze ans, Rhaegar. C'est encore une petite fille, elle ne sait pas ce qu'elle veut. Bien  sûr que l'idée de s'échapper avec un prince qui chante si bien et qui semble si romantique et amoureux la fait rêver, mais quand elle se retrouvera loin de sa famille, de ses amis, de sa vie, vivant dans la misère et dans le péché, elle voudra faire marche arrière. On lui pardonnera, après tout ça n'était qu'une enfant. Toi non. Tu as vingt-trois ans, Rhaegar. A ton âge je dirigeais déjà ce royaume, j'assumais mes responsabilités.
-Je ne la ferais pas vivre dans le péché. Je compte l'épouser, je veux qu'elle soit ma femme et la mère de mes enfants.
-Tu as vraiment perdu la tête.
-Je n'attendais pas de toi que tu comprennes, père. Après tout, toi, tu n'as jamais aimé personne. Ni mère, ni personne. A ce que je sache, tu n'as même jamais eu de maîtresse. Comment peux-tu être indifférent à ces choses à ce point ?"
Aerys se tut. Il repensa à une femme. La dame de compagnie de Rhaella. Une femme belle et déterminée. Qui avait épousé son meilleur ami. Il chassa ces pensées. Il dit d'un ton grave :
"Si tu fais ça, Rhaegar, tu vas déclencher une guerre. Robert Baratheon n'aura de cesse tant qu'il ne récupérera pas sa fiancée. Et il a des amis puissants. Très puissants."
Rhaegar haussa les épaules :
"Je te laisse ça à gérer. Moi, la guerre, ça ne m'a jamais vraiment attiré. J'ai toujours préféré la musique. A vrai dire, je ne suis pas venu ici te demander la permission. Je voulais juste te prévenir que toi et mère ne me reverrez jamais. Je partirais loin avec Lyanna, hors du royaume, là où personne ne connaît la famille Targaryen.
-Tu es un lâche !"
Rhaegar haussa les épaules une nouvelle fois. Il sortit une épée de son fourreau et la déposa par terre. Cette épée, Aerys la lui avait offert pour ses dix-sept ans. Elle se transmettait depuis des générations dans la famille Targaryen, lorsque l'héritier du trône atteignait ses dix-sept ans. La rendre signifiait donc clairement non seulement renoncer au trône, mais aussi à son appartenance à la famille Targaryen. Il fit ensuite demi-tour, se dirigeant vers la sortie. Aerys se sentit empli de haine. Comment son propre fils pouvait-il le trahir à ce point ? Varys n'avait donc pas tort. Il était irresponsable ! Il agissait comme bon le lui semblait, en attendant des autres qu'ils gèrent et subissent les conséquences de ses actions ! En agissant de la sorte, ils allaient faire, lui et Lyanna, du mal à du monde, à beaucoup de monde, même.
Pris d'une soudain impulsion, le roi se saisit de l'épée et la jeta en la direction de Rhaegar. Trop lourde, elle s'écrasa lamentablement au sol.
Rhaegar se retourna,semblant véritablement surpris.
"Tu as essayé de me tuer, père ?"
Aerys ne répondit pas, ne réalisant qu'à cet instant ce qu'il venait de faire. Le regard de Rhaegar était à présent vraiment dur.
"Heureusement que je quitte cette famille de fou. Adieu, père."
Il quitta la pièce sans se retourner.
Aerys tomba à genoux. Il perdait tout. Sa Main, celui qui avait été son meilleur ami, Rhaegar, son propre fils, la confiance des habitants de ce royaume. Il se retrouvait avec une guerre qui allait bientôt débuter sur les bras et le nouveau héritier du trône, Viserys, n'avait que six ans. Que se passerait-il s'il mourrait ? Viserys ne pourrait pas gouverner le royaume, il était trop petit !
De plus, il ne faisait pas confiance à Rhaella pour le conseiller. Elle s'était toujours écartée de tout sujet politique. Il serait donc laissé, seul, à tous les rapaces du Conseil. Tous ceux qui voulaient la perte d'Aerys.

Il était seul, désespérément seul. Pas une seule personne à qui se confier, pas une seule personne qui ne pourrait l'aider. Il prit sa tête entre ses mains et se mit à trembler.

Tous autant qu'ils étaient, autour de lui, ils voulaient sa perte, ils voulaient qu'il meurt, non, non, non, il ne voulait pas, il devait se protéger, il devait les empêcher. Il était un dragon, il devait souffler son feu, exterminer ses ennemis. Ses ennemis, partout, partout, partout, ils étaient partout. Tous les tuer, les tuer, les tuer. Les brûler. Oui, les brûler. Qu'il ne reste qu'un petit tas de cendre d'eux.

Le dragon allait s'élever et tous les exterminer. Il était prêt. Cette guerre allait mal se terminer. Pour tout le monde.